Interview de M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, sur LCI le 2 novembre 2005, sur les différences de langage utilisées au sein du Gouvernament de M. Dominique de Villepin à propos des violences urbaines et sur les moyens affectés à la recherche.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser - Avant de parler des questions de Recherche, je voudrais que l'on aborde les problèmes de violences en banlieues, même si vous n'êtes pas élu d'une région particulièrement violente, puisque vous êtes breton. La polémique a surgi au sein même du Gouvernement entre le ministre de l'Intérieur et le ministre de l'Intégration, à propos des incidents de Clichy et des villes environnantes. Et ce matin, le journal Libération parle de "Guerre des bandes au Gouvernement". Ce n'est pas cela, non ?
F. GOULARD - Je ne le sens pas comme cela. Je vois très régulièrement l'ensemble de mes collègues du Gouvernement. On ne peut pas dire qu'il y ait de divergences sur l'appréciation de la politique à conduire. Il faut bien sûr qu'il y ait une...
Q - Y a-t-il des divergences au niveau du langage ?
R - Cela peut arriver. Chacun a sa culture. Et A. Begag a l'énorme avantage de très bien connaître - et pour cause - les quartiers difficiles dont il est issu. Et son expérience est irremplaçable. En même temps, la politique que conduit N. Sarkozy au profit de la tranquillité des quartiers les plus difficiles des communes les plus touchées par ces phénomènes de délinquance, est saluée par tous. On doit donc avoir une politique sociale de long terme, et c'est ce que nous faisons, par exemple, avec la réhabilitation des quartiers, des logements en mauvais état, avec une politique de retour à l'emploi, avec une politique scolaire. Et puis, en même temps, l'ordre doit être maintenu, l'ordre républicain, la tranquillité assurée pour les habitants. On sait que c'est un problème énorme qui dure depuis des dizaines d'années dans notre pays...
Q - On dit que cela empire ?
R - C'est très difficile à mesurer. On sait que cela ne sera pas réglé en quelques semaines ou en quelques mois. Mais je crois que ce que nous avons fait, sur tous les plans, au plan social comme sur celui de la sécurité, va dans le bon sens, et il faut continuer à le faire, malgré les difficultés qui sont réelles et incontestables.
Q - Et si l'on continue, comme vous dites qu'il faut continuer à le faire -, est-ce avec des propos apaisants ou avec des propos violents ?
R - Il faut des propos fermes, et il faut des propos de compréhension. Compréhension d'abord vis-à-vis des habitants de ces quartiers et de ces communes. On peut imaginer que c'est insupportable de vivre dans des quartiers où le droit n'existe pas, où le droit n'est pas respecté, où la tranquillité n'est pas assurée. Il faut de la fermeté vis-à-vis des délinquants, vis-à-vis des bandes, vis-à-vis de tous ceux qui ont intérêt à ce que l'ordre ne règne pas dans les quartiers, parce que c'est leur ordre à eux, ce sont des mafias qui ont mis en coupe réglée un certain nombre de quartiers, qui se livrent à tous les trafics. Donc, de la fermeté, et de la compréhension vis-à-vis de l'ensemble des populations, et en particulier des jeunes qui sont les plus touchés par cette situation.
Q - Vous êtes ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Le Gouvernement veut, comme on dit, "mettre le paquet" sur la recherche". D. de Villepin a annoncé un milliard d'euros supplémentaires pour 2006, pour 2007 ; J. Chirac, a demandé que l'on double le budget européen de la Recherche. On a un peu de mal à s'y retrouver d'abord. Favorise-t-on la recherche européenne ou la recherche française ?
R - On favorise la recherche, et pour une raison extrêmement simple...
Q - Oui mais, qu'est-ce que cela veut dire ? Parce que on dit que l'on n'a pas d'argent et on dit...
R - Je vais vous dire. La compétitivité, c'est-à-dire, la croissance de l'économie, c'est-à-dire l'emploi, va dépendre, dans les années à venir, de notre capacité à innover. On ne pourra s'en sortir, dans la compétition internationale, qu'en innovant en permanence. L'avenir de la France, l'avenir de l'Europe, ce ne sont pas les productions sur des technologies anciennes, sans valeur ajoutée, sans innovation. C'est tout le contraire. Et pour innover, il faut de la recherche, il faut que nous fassions des efforts en France, en Europe pour la recherche, parce que, au bout du compte, c'est l'économie et l'emploi qui en dépendent aujourd'hui, qui en dépendront encore plus demain. C'est la raison pour laquelle on mobilise la recherche aujourd'hui, on lui affecte des moyens, en France. Et le président de la République l'a dit : il faut que cet effort soit également déployé au niveau européen. Il n'y a pas de contradiction il y au contraire un effort qui va dans le même sens, aussi bien en France qu'en Europe.
Q - Mais ce sont des généralités...
R - Non, c'est de l'argent, c'est de l'argent. Ce sont des efforts d'efficacité, ce sont des efforts pour améliorer les transferts entre la recherche et l'économie, c'est-à-dire...
Q - C'est là où cela blesse en France finalement ?
R - Non. On a un peu l'habitude de l'autocritique. On a une recherche qui est forte en France, on a tendance à l'oublier. Nous sommes le cinquième pays au monde pour la recherche. En nombre de chercheurs rapporté à la population, nous sommes au troisième rang, nous sommes devant l'Allemagne, nous sommes largement devant l'Italie, nous sommes devant la Grande-Bretagne. Nous avons donc une recherche qui est forte. Naturellement on peut faire mieux, dans les transferts entre la recherche et les entreprises, et les économies, au profit de l'innovation et donc au profit de l'emploi. C'est tout le travail qui est en cours aujourd'hui et qui est une priorité du Gouvernement. Je le répète, c'est l'emploi de demain qui va dépendre de notre recherche d'aujourd'hui.
Q - Vous préparez une loi d'orientation pour la recherche, l'avant-projet est prêt. Quand la loi, proprement dite, passera-t-elle en Conseil des ministres ?
R - Nous avons énormément travaillé sur toutes ces questions et sur le projet de loi qui aujourd'hui est en discussion devant le Conseil économique et social. C'est bien que les syndicats, les représentants des employeurs...
Q - C'est le processus traditionnel ?
R - C'est tout à fait traditionnel. C'est en cours. J'ai présenté le projet de loi devant la section du Conseil économique et social, il y a quelques semaines. Et ce sera au Parlement au début du mois de décembre. On commencera donc l'examen de ce projet de loi avant la fin de cette année. Nous sommes dans le calendrier, et nous avons surtout la volonté de faire un effort considérable, je dis bien "considérable" pour la recherche, aussi bien pour la recherche fondamentale que pour la recherche appliquée, parce que l'un ne va pas sans l'autre. Il faut que nous soyons un grand pays de recherche, nous l'avons été, nous le sommes encore, il faut faire mieux.
Q - Ce qui fait défaut en France, c'est la recherche appliquée finalement ?
R - Non. Il faut faire en sorte que notre recherche soit plus efficace. Cela passe par, par exemple...
Q - Cela ne passe pas par des créations de postes comme le réclament les chercheurs ?
R - Mais c'est ce qui se passe, c'est ce qui se fait. Il n'y en a jamais eu autant...
Q - Pourquoi descendent-ils dans la rue le 19 novembre ?
R - ...nous n'avons jamais fait autant de créations d'emplois. 3000 créations d'emplois en 2006, nous ferons la même chose en 2007. C'est énorme, c'est tout à fait considérable. On n'a jamais mis autant de moyens supplémentaires dans la Recherche, mais cela ne suffit pas. Il faut favoriser la coopération entre organismes de recherche et universités, c'est un travail de décloisonnement. Il faut également faire mieux en matière d'évaluation de la recherche pour mettre les moyens là où ils sont les plus efficaces. C'est un très gros chantier mais c'est un chantier passionnant parce que c'est un chantier d'avenir.
Q - Côté universités, la rentrée s'est à peu près bien passée. Tout de même, il reste un gros problème : quand on sort de facultés, il faut trouver du travail. On a assisté hier à une manifestation intitulée "génération stagiaires", c'est-à-dire, que ce sont des jeunes diplômés qui trouvent uniquement des stages mal payés !
R - Les stages sont nécessaires. Aujourd'hui, on ne peut pas avoir une formation supérieure, une formation professionnelle sans une première expérience de l'entreprise, du travail, qui se fait grâce à des stages. Donc, les stages, c'est positif. Simplement, comme toujours, il peut y a voir des abus. Mais un stage, un vrai stage, c'est le résultat d'une convention qui est passée entre l'entreprise, l'organisme d'accueil, et l'établissement d'enseignement supérieur ou de formation professionnelle. Il faut donc qu'il y ait convention, règles du jeu. Le stage, c'est bien sûr de l'activité, mais c'est en même temps de la formation. Si ces règles de base sont respectées, tout se passe bien. Il peut y avoir des abus, ils relèvent du contrôle du droit du travail. Il est possible qu'il y ait des situations anormales, il y en a certainement. Mais je le répète, le stage c'est d'abord une nécessité, parce que c'est le gage d'une bonne insertion professionnelle des jeunes qui ont, en même temps qu'ils ont une formation théorique, une première expérience professionnelle.

Q - Vous n'avez pas nommé de femmes au conseil d'administration du CNRS. On vous a...
R - J'ai commis une erreur, je le reconnais très volontiers, j'ai commis une erreur. Et malheureusement, ce type d'erreur est fréquent. Dans les propositions qui nous sont faites de nominations, en général on a une liste d'hommes et il n'y a pas de femmes. Donc, à nous de demander des propositions de listes équilibrées. Là, cela n'a pas été le cas, je le reconnais, j'ai eu tort. Et désormais, je demande que toutes les propositions de nominations soient des listes d'hommes et de femmes en nombre à peu près équivalent. C'est une nécessité dans la société d'aujourd'hui.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 10 novembre 2005)