Texte intégral
S. Paoli - Quand "les raisons d'espérer" - pour reprendre le titre du Parisien, ce matin - prendront-elles le pas sur le pugilat politique concernant la question des banlieues ? L'implantation des entreprises en banlieue -expérience réussie à Nantes -, des grandes écoles - l'ESSEC est à Cergy -, de la culture - le Musée précaire Albinet à Aubervilliers -, le rôle des grands frères et des femmes ne sont-il pas autant de thèmes de réflexion pour un pari républicain en banlieue ? Il s'agit du pacte républicain : pourquoi, en tout cas jusqu'à maintenant, le débat politique n'a-t-il pas été à la hauteur ?
R - D'abord, je ne suis pas donneur de leçons, donc je m'exprimerai avec prudence. Ce qui est frappant, c'est que trois ans et demi après l'alternance et puis, beaucoup plus longuement encore, peut-être vingt ans ou vingt cinq ans de politique dans les banlieues donnent ce que nous avons aujourd'hui : le feu. C'est-à-dire une explosion rampante, qui on le voit bien, menace tout ce à quoi nous croyons, et tout ce que nous prétendons être les valeurs de la République. Et pourtant, vous avez raison de le dire, il y a aussi dans les banlieues, dans les quartiers des raisons d'espérer. Des gens qui s'en sortent.
Q - Au passage, le Parisien ce matin - c'est quand même un signe intéressant - est le seul quotidien - le seul ! - qui s'interroge sur les points d'appui, sur une réflexion politique intelligente pour tenter de trouver des pistes. Est-ce que c'est à l'image de la situation générale du pays ? N'y a-t-il donc plus qu'un seul quotidien pour se demander comment on peut faire pour sortir de là ?
R - Les journaux sont naturellement le reflet de la situation du pays, vous avez raison de le dire. Mais surtout, ce qui est frappant, c'est qu'aujourd'hui, on voit en effet beaucoup plus de raisons de désespérer pour l'ensemble des français, ceux qui nous écoutent, que de raisons d'espérer, de raisons d'avoir peur que de raisons de croire. C'est vrai du point de vue économique, c'est vrai du point de vue des jeunes. J'ai été très frappé par le mouvement des stagiaires qui s'est exprimé. Il y a là quelque chose, il y a une situation qui n'est pas juste, que les jeunes ressentent et leur famille aussi. Et puis, il y a la situation des banlieues, avec, vous avez encore une fois raison de le marquer, deux choses frappantes : une situation d'échec sur laquelle on peut revenir dans une seconde et une surenchère politique. Enfin, une surenchère de guerre interne au camp majoritaire en tout cas, qui est très frappante pour tout le monde.
Q - "Guerre", c'est un mot très fort, mais on a l'impression, en effet, il s'agit d'une guerre, et pas simplement interne. Quand on entend des jeunes dire, "maintenant, c'est la guerre entre Sarkozy et nous et cela continuera aussi longtemps qu'il n'aura pas démissionné". Comment répondre à une difficulté de cette nature ?
R - Il y a des années, qu'en face de la situation dégradée dans laquelle on se trouve, on répond par de la surenchère verbale. Et la surenchère verbale cela peut aller si les résultats suivent, cela peut-être le moyen d'un électrochoc. Mais quand les mots, qui sont aussi une arme, s'accompagnent de résultats absents ou d'une situation qui ne change pas, alors cela donne à tout le monde le sentiment d'une dégradation, d'une faiblesse de l'Etat et c'est cette faiblesse de l'Etat qui est aujourd'hui en train de s'exposer aux yeux de tout le monde. Je pense aux pompiers, ces garçons qui viennent pour essayer - je les entendais ce matin tôt sur votre antenne - d'éteindre la concession Renault qui est en feu. Ils ne peuvent pas y accéder, ils se font caillasser... Les policiers sont là et ils sont en grande difficulté pour les défendre : ceci donne le sentiment d'une décomposition très grande, en face de laquelle il faut des stratégies pour répondre.
Q - Et pourtant elles existent. L'ancien ministre de l'Education que vous êtes, l'ESSEC, grande école, est à Cergy, et cela marche ! Cela peut, peut-être, être encore mieux que ça, mais cela marche. Une grande banque arrive dans la banlieue de Nantes ; on lui dit, "on vous fait des facilités, on réduit les charges, à condition que vous employiez dans votre personnel au moins un tiers de personnes habitant dans le quartier", cela marche ! La culture : à Aubervilliers, on fait une sorte de musée provisoire, on l'ouvre, il est plein tout le temps, cela marche ! Et quand cela marche, comme par hasard, tout ce qui est à l'entour s'apaise. Pourquoi est-ce qu'on ne continue pas ?
R - C'est normalement la stratégie qui avait été choisie mais elle n'est pas appliquée parce qu'en France, il y a si loin des paroles aux actes. Mais c'est bien que l'on mette l'éclairage là-dessus. Je voudrais vous donner deux... Deux lignes en tout cas. Il y a une chose dont on est sûr qu'elle ne marche pas, c'est l'autorité de l'Etat qui s'éloigne des quartiers ; je suis pour l'Etat de proximité.
Q - Et la police de proximité ?
R - Et la police de proximité. Et pas seulement la police, mais la présence visible et active de l'autorité et de l'action de l'Etat. Je suis pour que l'Etat soit présent dans les quartiers et pas qu'il s'en éloigne. Non pas qu'il y vienne en patrouille, mais qu'il y soit présent constamment. Cela ne résout pas tous les problèmes vous savez, et quelquefois il y a aussi des commissariats, ou en tout cas des antennes de commissariat qui brûlent, mais je suis pour la présence de proximité. Deuxièmement, je ne crois pas que l'on puisse se sortir de cette affaire par la surenchère politique d'un camp contre un autre. S'il y a un sujet qui relève d'un pacte national pour essayer, tous ensemble, de faire front commun pour dire les deux choses évidentes, qui sont : la délinquance ou les actes criminels ne seront acceptés à aucun prix et dans aucun cas, et nous en sommes tous coresponsables. Et deuxièmement, en effet, il y a des politiques pour faire monter des activités nobles et justes en banlieue. Ces deux chapitres-là, que tout le monde cherche à articuler - il n'y a pas de différence majeure entre les politiques des uns et des autres sur ce sujet - méritent qu'on fasse front commun national dans la situation où nous nous trouvons.
Q - Vous dites, "le pacte", le fameux pacte si important, le pacte républicain ; pardon de me répéter, mais cela m'avait quand même beaucoup frappé : RFO a organisé récemment un débat télévisé qui, partant de la question de l'esclavage, s'interrogeait aujourd'hui sur l'intégration. Et on entendait dans ce reportage beaucoup de jeunes dire, "mais est-ce qu'être français ce n'est aujourd'hui qu'être blanc ?" Est-ce qu'on a été au bout de cette question ? Est-ce qu'on y répond, s'agissant de la formation, s'agissant du logement, s'agissant de l'emploi, est-ce que ce débat a été vraiment ouvert dans ce pays ?
R - Il y a un sociologue qui a utilisé une très belle expression, il a dit c'est "le plafond de verre" qu'il y a au-dessus des têtes de ceux dont le nom n'est pas comme les autres ou la couleur de peau n'est pas comme les autres. C'est un plafond de verre que l'on ne voit pas quand on est de l'autre côté, on a l'impression que tout le monde a les mêmes chances. Et puis, quand on est sous le plafond de verre, alors on s'aperçoit qu'on n'a pas les mêmes chances. Et c'est pourquoi, s'il y a une raison de ne pas abandonner le modèle social comme on dit, ou plus exactement les principes du modèle social, c'est celle-là. Le modèle social peut se résumer en trois mots : égalité des chances. Aujourd'hui, la vérité oblige à dire qu'il n'y a pas d'égalité des chances, d'égalité des chances devant les études, d'égalité des chances devant le travail, d'égalité des chances devant le logement ; tout cela est absent. Cela devrait être notre obsession à tous ceux qui ont un brin de responsabilité dans le pays et qui se drapent souvent de grands mots, de voir sur le terrain ce qu'est l'absence réelle dans la vie des gens de l'égalité des chances minimales. Et l'égalité des chances avec les efforts qui vont avec, c'est cet équilibre, "égalité des chances" et "efforts," qui est aujourd'hui plus nécessaire, évidemment. On a presque honte de le dire qu'elle ne l'a jamais été.
Q - Maintenant, regardons en face aussi le risque politique : montée des populismes, est-ce que les extrêmes, à droite et à gauche, est-ce que les radicaux islamistes - parce qu'ils sont aussi présents en banlieue - ne sont pas en train de profiter de cette situation aujourd'hui, voire pour certains d'entre eux, peut-être de l'exploiter ?
R - Sur toute décomposition, il pousse des plantes dangereuses, et là, c'est exactement la situation devant laquelle nous nous trouvons. On a une décomposition de la société, une décomposition parallèle de l'Etat qui entraîne à des attitudes dont tout le monde voit bien ce qu'elles sont : extrémistes, excessives. C'est donc c'est une des raisons pour lesquelles je pense que l'Etat doit adopter pour lui-même une attitude de mesure. Toutes les fermetés sont justifiées, et en même temps, l'expression de l'autorité, dans les mots qu'elle utilise, doivent, me semble-t-il, être différente dans leur présentation, des mots qui sont ceux de ceux qui sont en marge. Il y a une responsabilité de la puissance publique dans la manière dont elle présente les choses. Chaque fois qu'elle fait appel à la fermeté, elle est appuyée ; chaque fois qu'elle utilise les mêmes armes, les mêmes mots que ceux qui sont en face, il me semble qu'elle prend un risque, parce qu'elle les justifie.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 14 novembre 2005)
R - D'abord, je ne suis pas donneur de leçons, donc je m'exprimerai avec prudence. Ce qui est frappant, c'est que trois ans et demi après l'alternance et puis, beaucoup plus longuement encore, peut-être vingt ans ou vingt cinq ans de politique dans les banlieues donnent ce que nous avons aujourd'hui : le feu. C'est-à-dire une explosion rampante, qui on le voit bien, menace tout ce à quoi nous croyons, et tout ce que nous prétendons être les valeurs de la République. Et pourtant, vous avez raison de le dire, il y a aussi dans les banlieues, dans les quartiers des raisons d'espérer. Des gens qui s'en sortent.
Q - Au passage, le Parisien ce matin - c'est quand même un signe intéressant - est le seul quotidien - le seul ! - qui s'interroge sur les points d'appui, sur une réflexion politique intelligente pour tenter de trouver des pistes. Est-ce que c'est à l'image de la situation générale du pays ? N'y a-t-il donc plus qu'un seul quotidien pour se demander comment on peut faire pour sortir de là ?
R - Les journaux sont naturellement le reflet de la situation du pays, vous avez raison de le dire. Mais surtout, ce qui est frappant, c'est qu'aujourd'hui, on voit en effet beaucoup plus de raisons de désespérer pour l'ensemble des français, ceux qui nous écoutent, que de raisons d'espérer, de raisons d'avoir peur que de raisons de croire. C'est vrai du point de vue économique, c'est vrai du point de vue des jeunes. J'ai été très frappé par le mouvement des stagiaires qui s'est exprimé. Il y a là quelque chose, il y a une situation qui n'est pas juste, que les jeunes ressentent et leur famille aussi. Et puis, il y a la situation des banlieues, avec, vous avez encore une fois raison de le marquer, deux choses frappantes : une situation d'échec sur laquelle on peut revenir dans une seconde et une surenchère politique. Enfin, une surenchère de guerre interne au camp majoritaire en tout cas, qui est très frappante pour tout le monde.
Q - "Guerre", c'est un mot très fort, mais on a l'impression, en effet, il s'agit d'une guerre, et pas simplement interne. Quand on entend des jeunes dire, "maintenant, c'est la guerre entre Sarkozy et nous et cela continuera aussi longtemps qu'il n'aura pas démissionné". Comment répondre à une difficulté de cette nature ?
R - Il y a des années, qu'en face de la situation dégradée dans laquelle on se trouve, on répond par de la surenchère verbale. Et la surenchère verbale cela peut aller si les résultats suivent, cela peut-être le moyen d'un électrochoc. Mais quand les mots, qui sont aussi une arme, s'accompagnent de résultats absents ou d'une situation qui ne change pas, alors cela donne à tout le monde le sentiment d'une dégradation, d'une faiblesse de l'Etat et c'est cette faiblesse de l'Etat qui est aujourd'hui en train de s'exposer aux yeux de tout le monde. Je pense aux pompiers, ces garçons qui viennent pour essayer - je les entendais ce matin tôt sur votre antenne - d'éteindre la concession Renault qui est en feu. Ils ne peuvent pas y accéder, ils se font caillasser... Les policiers sont là et ils sont en grande difficulté pour les défendre : ceci donne le sentiment d'une décomposition très grande, en face de laquelle il faut des stratégies pour répondre.
Q - Et pourtant elles existent. L'ancien ministre de l'Education que vous êtes, l'ESSEC, grande école, est à Cergy, et cela marche ! Cela peut, peut-être, être encore mieux que ça, mais cela marche. Une grande banque arrive dans la banlieue de Nantes ; on lui dit, "on vous fait des facilités, on réduit les charges, à condition que vous employiez dans votre personnel au moins un tiers de personnes habitant dans le quartier", cela marche ! La culture : à Aubervilliers, on fait une sorte de musée provisoire, on l'ouvre, il est plein tout le temps, cela marche ! Et quand cela marche, comme par hasard, tout ce qui est à l'entour s'apaise. Pourquoi est-ce qu'on ne continue pas ?
R - C'est normalement la stratégie qui avait été choisie mais elle n'est pas appliquée parce qu'en France, il y a si loin des paroles aux actes. Mais c'est bien que l'on mette l'éclairage là-dessus. Je voudrais vous donner deux... Deux lignes en tout cas. Il y a une chose dont on est sûr qu'elle ne marche pas, c'est l'autorité de l'Etat qui s'éloigne des quartiers ; je suis pour l'Etat de proximité.
Q - Et la police de proximité ?
R - Et la police de proximité. Et pas seulement la police, mais la présence visible et active de l'autorité et de l'action de l'Etat. Je suis pour que l'Etat soit présent dans les quartiers et pas qu'il s'en éloigne. Non pas qu'il y vienne en patrouille, mais qu'il y soit présent constamment. Cela ne résout pas tous les problèmes vous savez, et quelquefois il y a aussi des commissariats, ou en tout cas des antennes de commissariat qui brûlent, mais je suis pour la présence de proximité. Deuxièmement, je ne crois pas que l'on puisse se sortir de cette affaire par la surenchère politique d'un camp contre un autre. S'il y a un sujet qui relève d'un pacte national pour essayer, tous ensemble, de faire front commun pour dire les deux choses évidentes, qui sont : la délinquance ou les actes criminels ne seront acceptés à aucun prix et dans aucun cas, et nous en sommes tous coresponsables. Et deuxièmement, en effet, il y a des politiques pour faire monter des activités nobles et justes en banlieue. Ces deux chapitres-là, que tout le monde cherche à articuler - il n'y a pas de différence majeure entre les politiques des uns et des autres sur ce sujet - méritent qu'on fasse front commun national dans la situation où nous nous trouvons.
Q - Vous dites, "le pacte", le fameux pacte si important, le pacte républicain ; pardon de me répéter, mais cela m'avait quand même beaucoup frappé : RFO a organisé récemment un débat télévisé qui, partant de la question de l'esclavage, s'interrogeait aujourd'hui sur l'intégration. Et on entendait dans ce reportage beaucoup de jeunes dire, "mais est-ce qu'être français ce n'est aujourd'hui qu'être blanc ?" Est-ce qu'on a été au bout de cette question ? Est-ce qu'on y répond, s'agissant de la formation, s'agissant du logement, s'agissant de l'emploi, est-ce que ce débat a été vraiment ouvert dans ce pays ?
R - Il y a un sociologue qui a utilisé une très belle expression, il a dit c'est "le plafond de verre" qu'il y a au-dessus des têtes de ceux dont le nom n'est pas comme les autres ou la couleur de peau n'est pas comme les autres. C'est un plafond de verre que l'on ne voit pas quand on est de l'autre côté, on a l'impression que tout le monde a les mêmes chances. Et puis, quand on est sous le plafond de verre, alors on s'aperçoit qu'on n'a pas les mêmes chances. Et c'est pourquoi, s'il y a une raison de ne pas abandonner le modèle social comme on dit, ou plus exactement les principes du modèle social, c'est celle-là. Le modèle social peut se résumer en trois mots : égalité des chances. Aujourd'hui, la vérité oblige à dire qu'il n'y a pas d'égalité des chances, d'égalité des chances devant les études, d'égalité des chances devant le travail, d'égalité des chances devant le logement ; tout cela est absent. Cela devrait être notre obsession à tous ceux qui ont un brin de responsabilité dans le pays et qui se drapent souvent de grands mots, de voir sur le terrain ce qu'est l'absence réelle dans la vie des gens de l'égalité des chances minimales. Et l'égalité des chances avec les efforts qui vont avec, c'est cet équilibre, "égalité des chances" et "efforts," qui est aujourd'hui plus nécessaire, évidemment. On a presque honte de le dire qu'elle ne l'a jamais été.
Q - Maintenant, regardons en face aussi le risque politique : montée des populismes, est-ce que les extrêmes, à droite et à gauche, est-ce que les radicaux islamistes - parce qu'ils sont aussi présents en banlieue - ne sont pas en train de profiter de cette situation aujourd'hui, voire pour certains d'entre eux, peut-être de l'exploiter ?
R - Sur toute décomposition, il pousse des plantes dangereuses, et là, c'est exactement la situation devant laquelle nous nous trouvons. On a une décomposition de la société, une décomposition parallèle de l'Etat qui entraîne à des attitudes dont tout le monde voit bien ce qu'elles sont : extrémistes, excessives. C'est donc c'est une des raisons pour lesquelles je pense que l'Etat doit adopter pour lui-même une attitude de mesure. Toutes les fermetés sont justifiées, et en même temps, l'expression de l'autorité, dans les mots qu'elle utilise, doivent, me semble-t-il, être différente dans leur présentation, des mots qui sont ceux de ceux qui sont en marge. Il y a une responsabilité de la puissance publique dans la manière dont elle présente les choses. Chaque fois qu'elle fait appel à la fermeté, elle est appuyée ; chaque fois qu'elle utilise les mêmes armes, les mêmes mots que ceux qui sont en face, il me semble qu'elle prend un risque, parce qu'elle les justifie.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 14 novembre 2005)