Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, sur le commerce dans les centre-villes, l'urbanisme commercial, le commerce électronique et les groupes de grande distribution, Paris le 2 novembre 1998.

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Circonstance : Colloque Commerce centre ville spécial "Villes moyennes", Paris le 2 novembre 1998

Texte intégral

Le colloque " commerce, centre ville " de Bercy est devenu un rendez-vous annuel important. La qualité des débats qui s'y déroulent justifie l'affluence de l'auditoire. Ce qui se dit ici a aussi une audience beaucoup plus large grâce à la diffusion des actes du colloque.
Ce succès très mérité a quelques artisans. Je ne peux pas les citer tous. Permettez-moi simplement de remercier la Caisse des dépôts et consignations et l'Union du Grand Commerce de Centre Ville.
Devant vous, commerçants, élus, financiers, bailleurs, vous qui êtes les premiers partenaires du commerce dans nos villes, je souhaiterais préciser la politique des Pouvoirs publics en matière d'urbanisme commercial et les priorités de l'action de mon département pour le commerce de centre ville. Ce que je vais vous dire, je le dirai à nouveau dans quelques jours à l'occasion du congrès des maires de France. C'est ma politique, celle que j'ai commencé à mettre en uvre l'an dernier et que je souhaite poursuivre cette année.
Permettez-moi tout d'abord de revenir sur un élément de contexte : j'avais insisté l'an dernier sur le rôle majeur que joue pour le commerce de centre ville la croissance économique, particulièrement quand elle est tirée par la demande intérieure. J'avais alors rencontré quelques signes d'encouragement au milieu de beaucoup de scepticisme. Aujourd'hui on peut mesurer le chemin parcouru.
Le commerce, sous toutes ses formes, a bénéficié et continue de bénéficier de la croissance économique. Il y eut l'effet " coupe du monde " bien sûr, d'ailleurs, mon département a apporté un soutien significatif aux commerçants et aux villes qui accueillaient les matches.
Mais la croissance économique, on le voit bien lorsqu'elle est tirée par la demande intérieure, profite aux commerces, vous êtes, à votre tour, des vecteurs de cette croissance. Vous contribuez donc, on ne le dit pas assez souvent, à la croissance économique de notre pays. Cela étant dit, quelle est la politique des Pouvoirs publics en matière d'urbanisme commercial ?
Vous savez bien que je soutiens la nécessité d'un équilibre entre toutes les formes de commerce. J'ai souhaité que cet équilibre soit un équilibre choisi et maîtrisé par les acteurs du commerce. J'ai souhaité ainsi que l'on sorte de positions idéologiques un peu figées, le commerce mérite mieux que cela. Ma première priorité à été de replacer le débat sur la modernisation des commerces là où il devait se situer : c'est à dire dans les zones de chalandise précisément définies.
Ce sont les acteurs de terrain, c'est à dire vous, qui connaissez les besoins et les potentiels des commerces. Je ne crois pas aux implantations mal étudiées. J'ai estimé que les outils de la concertation locale existaient pour l'essentiel. Mais il fallait encore affermir la base des décisions prises. Pour cela, depuis le 1er janvier dernier, les dossiers présentés en CDEC doivent comporter des indications sur les incidences pour la zone de chalandise du projet, des indications précises en matière d'emplois, des mentions sur l'environnement et l'urbanisme.
Depuis bientôt un an, les préfets ont constaté une amélioration des dossiers, ils me le disent. La motivation des choix des CDEC est plus claire, moins sujette à contestation. Dès lors, les recours exercés par les préfets ont très fortement diminué : il y en avait 153 en instance à mon arrivée en juin 1997. Un an après il n'y a qu'une dizaine de recours, tous formés à l'initiative des préfets, pour des motifs de légalité.
Les projets peuvent aboutir d'autant plus facilement qu'il y a un véritable dialogue local sur un projet précis, sérieusement argumenté. J'ai rétabli les conditions de ce dialogue. On peut aujourd'hui observer que le climat est apaisé.
De fait la nature des projets a évolué :
- moins de créations de grandes surfaces alimentaires,
- un nombre soutenu de créations de surfaces spécialisées dans le bricolage et le jardinage (43,7 % des surfaces).
Le commerce remplit ainsi son rôle : satisfaire les besoins exprimés localement. Il est d'ailleurs significatif de constater une forte augmentation des dossiers approuvés à l'unanimité ou par 5 voix sur 6. Je respecte profondément la décision construite localement par la concertation et la discussion et, je ne peux pas, vous le comprendrez aisément, devant la CNEC, soutenir, à l'échelon national, des recours formés alors que le projet n'a recueilli localement qu'une voix favorable, voire pas du tout !
Notre appareil commercial ne doit pas évoluer en raison du droit, il doit le faire à partir de considérations économiques, sociales et urbaines. Les opérations de modernisation peuvent aussi répondre à une nécessité : il ne me choque pas qu'un magasin puisse faire évoluer sa surface en fonction des nouvelles normes d'hygiène, de confort du consommateurs, ou encore pour répondre à l'apparition d'une offre nouvelle de produits.
Je voudrais enfin attirer l'attention sur deux facteurs majeurs pour l'avenir de la distribution en France : la fragilité des entreprises de la grande distribution face à l'étranger, le commerce électronique.
Les groupes de la grande distribution se sont développés et continuent de le faire dans un marché intérieur extrêmement protégé. C'est vrai que cela leur a permis de financer leur développement à l'international. Je crois que nous devons nous féliciter de la place qu'occupe la grande distribution sur plusieurs marchés : en Espagne, en Grèce, en Italie, au Portugal, en Amérique latine, en Asie du Sud Est et maintenant en Europe de l'Est. Ces implantations à l'étranger ont ouvert des marchés à des entreprises françaises, particulièrement agro-alimentaires, qui n'auraient pu le faire seules aussi vite, aussi loin et dans d'aussi bonnes conditions.
En même temps, cette situation rend la grande distribution française fragile aux convoitises de prétendants étrangers. Sans esprit cocardier aucun, je souhaite que la grande distribution française continue d'être, à l'avenir, le leader qu'elle est aujourd'hui. Il ne faut pas nous tromper : la distribution est une industrie, je souhaite que la France reste le leader mondial industriel dans ce secteur. C'est à partir de cette base forte que nous pourrons aborder, dans les meilleurs termes, la révolution à venir, celle du commerce électronique.
Le commerce électronique est, vous le savez mieux que moi, un enjeu majeur pour le commerce. Les volumes de transaction commerciales transitant par internet augmentent de 15 % par mois. A l'heure actuelle, les questions préalables à une banalisation d'internet sont en voie d'être résolues. Certes, tout n'est pas encore acquis, mais la sécurisation des échanges, et d'abord pour les paiements, la protection de la vie privée, la protection du consommateur sont des questions qui ont leurs réponses.
Au sommet d'Ottawa, il y un mois, les pays de l'OCDE se sont mis d'accord sur le principe d'une autorité de régulation, de même la règle de " l'application de la loi du pays acheteur " rassemble désormais la majorité des pays participants.
Je crois qu'il faut faire vite maintenant. Nous devons dans les prochains mois multiplier les expériences. Je sais que la grande distribution est assez avancée dans ses projets, elle a déjà mis sur le " net " quelques sites d'accueil. Certains grands magasins sont allés plus loin encore, s'appuyant sur leur maîtrise des paiements dématérialisés. C'est très bien, ne nous faisons pas prendre de vitesse.
Mais je crois aussi qu'internet est une chance pour le commerce de centre ville, notamment de ville moyenne. Je répète souvent que la plus belle galerie marchande, c'est le centre-ville. Il faut transposer cela sur le " net ". Il est temps de réfléchir à des " intranet de commerces ". C'est à dire une galerie marchande virtuelle qui donnerait au consommateur l'information sur l'objet ou le service qu'il recherche pour un territoire donné.
On évoque souvent le rôle des " enseignes locomotive ". C'est vrai que là où elles existent, elles représentent un atout considérable dans les villes moyennes. Mais un " intranet de commerces " peut aussi remplir cette fonction. Il suppose que les partenaires locaux unissent leurs efforts, s'associent sur un même site, développent éventuellement des moyens de stockage, de livraison en commun. Il suppose aussi dans les premiers temps une impulsion publique. Cette impulsion je suis prête à la donner.
J'en viens ainsi aux priorités des Pouvoirs publics en matière de commerce de centre-ville.
Le commerce de centre-ville, vous en avez fait le constat durant les débats de cette journée, ne souffre pas que de contraintes, il a aussi des atouts. Je ne vais pas revenir sur ces points là. Je voudrais simplement préciser les principaux axes sur lesquels nous travaillons.
Tout d'abord la relation " centre-périphérie " doit faire l'objet d'un diagnostic commun. L'un et l'autre ne peuvent chercher à s'exclure. Sinon nous continuerons de regretter ces entrées de ville détestables ou ces rues désertées le soir. Le diagnostic est bien sûr facilité lorsque les élus locaux travaillent au sein d'une structure territoriale commune. L'adoption mercredi dernier par le Conseil des ministres du projet de loi de Jean-Pierre Chevènement devrait donner un nouvel élan à l'intercommunalité. C'est aussi dans ce sens que Dominique Strauss Kahn et Christian Sautter avancent en matière d'harmonisation de la taxe professionnelle.
Sur le terrain, j'ai pu constater que, lorsqu'il y avait une approche concertée sur les fonctions commerciales du centre et celles de la périphérie, il était possible de trouver un équilibre. Je pense à cette ville de 21 000 habitants qui a accepté une implantation de grande surface en périphérie contre une reprise d'une surface commerciale de centre ville. C'est la preuve qu'il peut y avoir une complémentarité de l'offre commerciale.
J'observe les stratégies des entreprises, certaines ont fait le choix de démultiplier leur concept dans des villes moyennes voire petites. D'autres semblent préférer abandonner des bassins de chalandise considérés comme trop petits. Je sais que ces décisions d'abandon ne sont pas faciles à prendre. Mais je voudrais dire à ces entreprises qu'elles abandonnent ainsi un emplacement souvent de premier ordre. Ont-elles examiné toutes les possibilités possibles de conversion ? Au delà d'une reprise classique par un concurrent sur le même créneau, n'y a-t-il pas d'autres opportunités, associant les commerçants de la ville ?
C'est un sujet important : la ville ne peut pas vivre avec des locaux commerciaux à vendre qui restent invendus, parce qu'il sont invendables. Il y a un grand gâchis à n'intervenir qu'après alors que le flux de la clientèle s'est détourné, que d'autres commerces ont périclité. Je souhaite soutenir, c'est une orientation du FISAC, les projets de prévention, de conversion. Pour cela des études peuvent être nécessaires : j'ai réservé, à l'intérieur de l'enveloppe FISAC, les moyens de conduire ces études. Il reste aux partenaires locaux à porter, à apporter des projets.
L'autre orientation forte du FISAC consiste à privilégier les projets structurants, c'est particulièrement nécessaire dans les villes moyennes. J'ai réorienté progressivement l'emploi du FISAC vers des opérations qui intègrent, en harmonie avec les fonctions commerciales, les adaptations urbaines indispensables.
Je suis persuadée que le FISAC est bien employé lorsqu'il sert à faciliter l'accès aux commerces de centre ville : cheminements piétonniers, signalétique urbaine, zones de stationnement bien placées, restructurations de halles de marché. Ce sont généralement des investissements lourds. Le FISAC intervient comme co-financeur, il est aujourd'hui un peu limité dans ses règles d'engagement financier. J'ai décidé de relever certains plafonds pour lui donner sa pleine mesure.
Je ne vous cache pas qu'il s'agit là d'un choix. A l'avenir les animations un peu traditionnelles : guirlandes, carnavals, fêtes commerciales régulières devront s'appuyer plus fortement sur les initiatives locales. Je pense que les acteurs locaux, les consommateurs, attendent des Pouvoirs publics qu'ils aident à mieux structurer l'environnement de l'offre commerciale des villes et des bourgs. C'est pourquoi je donne la priorité aux investissements. J'ajoute que c'est un choix qui est plus juste car il permet de soutenir des villes différentes alors que les subventions de fonctionnement ont, hélas, trop tendance à revenir chaque année.
Une des faiblesses du FISAC est l'absence d'essaimage des opérations qui réussissent. Je suis surprise de constater l'isolement des villes moyennes dans leur recherche de solutions en dépit de l'action des délégués régionaux au commerce et à l'artisanat.
Un colloque comme celui d'aujourd'hui contribue largement à la diffusion des projets et des réussites. Mais il faut aller plus loin. Aussi j'ai décidé de lancer à partir du début de l'année prochaine des forums régionaux qui seront animés par la direction du commerce intérieur. Je voudrais qu'à l'occasion de ces rencontres les partenaires locaux puissent échanger. Les meilleures expériences doivent pouvoir servir à tous. Je compte sur les partenaires d'aujourd'hui pour m'accompagner dans ces forums.
J'ai la volonté de donner au FISAC sa pleine dimension " d'animateur des territoires ".
Alors, sans doute, nous devrons aussi réviser des distinctions entre des types d'opérations qui n'ont plus de véritables justifications, je pense aux limites un peu arbitraires des "cur de pays". Les opérations de modernisations, ou les expérimentations comme les "cyberboutiques" ou les "intranet de commerces" ont toute leur place dans l'esprit qui a présidé à la mise en place du FISAC. Ces opérations là aussi répondent à une logique de territoire, je souhaite qu'elles occupent une place plus grande dans le soutien des Pouvoirs publics. En dix huit mois, j'ai eu l'occasion à maintes reprises d'arpenter des centre villes, spécialement de villes moyennes, ces villes restent l'ossature du monde rural et constituent un maillage indispensable pour éviter que nos métropoles ne se développent au détriment des centres urbains plus petits. Dans ces villes, j'ai pu, chaque fois, constater l'utilité du FISAC.
Mais ne nous y trompons pas, mon département intervient utilement dès lors qu'il y a sur place, sur un territoire pertinent, une communauté d'objectifs. L'Etat joue alors son rôle, celui de partenaire et non pas de prédateur. C'est bien là, avec la médiation, que vous, comme nous, donnons au commerce les moyens de préparer l'avenir.

(source http://www.minefi.gouv.fr, le 27 septembre 2001)