Déclaration de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, sur les motivations de l'engagement syndical, les dispositions nécessaires à l'efficacité des orientations et des actions revendicatives, et les relations avec le patronat et les autres syndicats y compris au niveau européen, à Paris, le 5 octobre 2000.

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Circonstance : Rencontre nationale des secrétaires de syndicats et sections syndicales, Paris, le 5 octobre 2000

Texte intégral

Mes Chers Camarades,
Cette initiative est une première dans sa forme, aussi je voudrais commencer par vous remercier d'avoir répondu présent à l'invitation.
Je veux tout particulièrement saluer la présence de celles et ceux qui, il y a quelques semaines ou quelques mois, ont décidé d'apporter activement leur pierre à l'édifice en décidant d'adhérer à la CGT.
Réunir en un même lieu 1700 secrétaires de syndicats pour échanger entre nous, entre vous, en présence du Comité Confédéral National était en soi déjà un défi.
Première dans ce style et dans cette forme, je pense que chacun aura apprécié cette journée. Même si nous savions, par avance, qu'elle nous laisserait tous un peu sur notre faim tant nous avions de sujets à aborder ensemble, sachez que cette mise en commun des expériences, des opinions que vous avez exprimées aura des suites.
En vous proposant cette rencontre, la Direction Confédérale avait tout à fait conscience qu'il ne s'agissait pas de tout résoudre en un seul jour mais que cela valait le coup d'innover dans la forme d'une rencontre qui sera utile, j'en suis sûr, bien au delà de vous tous qui y avez participé.
Je crois sincèrement que, de ce point de vue, l'objectif a été atteint.
Il nous faut sans cesse, et cela vaut pour toutes nos organisations, être disponibles et offensifs sur chacun des aspects revendicatifs qui sont de notre responsabilité et savoir aussi, de temps en temps, se dégager de l'événement pour réfléchir, analyser et affiner notre démarche.
Le but de mon propos ne visera pas à " resserrer les boulons " pour reprendre l'expression d'un camarade, ce matin.
Il n'y a pas qu'un ouvrier qui détient la clef à molette. La boite à outils est notre disposition à tous et, en matière de syndicalisme, il n'y a pas besoin d'avoir un CAP de mécanique pour faire du bel ouvrage.
Des camarades ont souhaité redire leur désaccord sur les orientations de la CGT. C'est leur droit. Mais, pour ce qui est de la direction confédérale, elle a été mandatée pour mettre en uvre les orientations qui ont été débattues et adoptées par une grande majorité des syndicats. C'est sur cette base que nous réfléchissons ensemble.
Dans ce cadre là, je veux contribuer à mon tour à cette réflexion collective en m'appuyant à la fois sur quelques sujets d'actualité qui nous éclairent sur nos responsabilités et le style CGT dont nous avons besoin et sur les réflexions entendues ce matin.
Je ne répondrai pas forcément sur tous les sujets que vous avez abordés, l'exercice serait impossible et fastidieux.
Comme secrétaire de syndicat, vous l'avez exprimé, vous avez beaucoup de points communs, mais aussi beaucoup de différences avec votre voisin ou votre voisine.
(Au passage je signale qu'il y a 280 femmes secrétaires de syndicats présentes aujourd'hui).
Point commun naturellement par le fait que vous êtes parmi les premiers animateurs de l'activité de la CGT sur le lieu de travail, c'est à dire en charge de faire vivre au quotidien à la fois la vie démocratique de l'organisation et sa démarche visant à placer les salariés en conquête d'un nouveau progrès social.
Toutes les enquêtes nous l'indiquent, l'image qu'ont les salariés de la CGT, l'appréciation qu'ils ont de nos positions, de nos opinions se forgent d'abord, et avant toute autre considération, à partir des militants qu'ils croisent, qu'ils voient à l'uvre pour répondre aux attentes et aux revendications présentes dans leur entreprise.
C'est dire combien vos responsabilités, celles que vous avez accepté d'assumer dans l'organisation, sont essentielles pour tout ce que nous avons à porter ensemble.
Et, dans le même temps, chacune et chacun d'entre vous se trouve placé dans une situation qui a ses propres spécificités, ce qui implique naturellement une part importante d'adaptation de notre démarche. Beaucoup de témoignages, ce matin, ont mis en évidence cette diversité de situation. Selon que vous exercez vos responsabilités dans une entreprise d'une centaine de salariés ou dans une multinationale, que la CGT y soit implantée en majorité parmi le personnel ou par une présence plus symbolique, agissant dans le secteur public ou privé, que vos interlocuteurs soient des ouvriers ou bien des cadres, voilà quelques caractéristiques qui rendent votre tâche unique et votre apport personnel indispensable et irremplaçable.

Si le drapeau de la CGT est planté dans le local syndical depuis plusieurs décennies ou seulement depuis quelques semaines cela fait aussi beaucoup de différence.
J'ai eu l'occasion, lors d'initiatives dans différentes professions ces derniers mois, de rencontrer des camarades de ces jeunes directions syndicales Comme les autres membres de la direction confédérale, j'y ai vu les attentes, les exigences voire leur impatience à l'égard de toute la CGT.
Il faut tout mettre au point et très vite. Qu'il s'agisse de la négociation sur la réduction du temps de travail ou la résolution d'un conflit dans l'entreprise sur les salaires et l'emploi, de la formation de premier syndiqué qui a fait l'objet de nombreuses interventions à la constitution de la direction syndicale, il y a souvent la volonté de rattraper le temps perdu, d'acquérir à la fois l'expérience qui n'existe pas et l'appropriation des droits et garanties à faire respecter pour les salariés, il faut étouffer les velléités de répression patronale souvent présentes.
Le patrimoine d'expérience et de connaissances de la CGT est important. Il est indispensable que chacune de nos structures contribue à sa transmission aux nouveaux adhérents. C'est un souhait exprimé ce matin. Dans le même temps, il faut convenir que l'apport de générations et d'idées nouvelles est un facteur d'efficacité pour notre action collective.
Nous avons créé 2897 syndicats CGT supplémentaires l'an passé, dans lesquels 22 256 salariés ont adhéré
Avec les adhésions obtenues dans l'ensemble des syndicats, cela représente 67 783 nouveaux syndiqués en 1999.
C'est déjà un score remarquable qu'il nous faudrait consolider cette année pour peu que nous soyons plus nombreux, disponibles et conscients que l'implantation de la CGT dans un plus grand nombre d'entreprises conditionne le rapport de force qui nous est nécessaire.
Je veux profiter de votre présence pour lancer un appel, par votre intermédiaire, à l'ensemble des militants et à tous nos syndicats.
Où que vous soyez, il y a juste à côté une entreprise avec des salariés qui ne sont pas encore " équipés CGT ", parfois dans le même immeuble 2 étages au dessus, dans l'entrepôt qui se situe de l'autre côté de la rue, dans la galerie marchande où vous allez peut-être déjeuner et pourtant, là où ils sont, il n'y a pas moins besoin qu'ailleurs de la présence de la CGT.
Si chacun, en fonction de ses moyens, de ses propres forces militantes prend, ne serait-ce qu'un bout de cette immense chantier d'implantation syndicale, alors tout le monde bénéficiera des retombées. En premier lieu les salariés concernés bien sûr et, par répercussion, tous les autres qui voient leur potentiel de mobilisation renforcé.
Il y a beaucoup à faire assurément dans sa propre entreprise mais, dès lors qu'une part du combat syndical se gagne aussi par notre capacité à mettre le plus grand nombre en mouvement, à pousser dans le même sens voire en même temps sur des objectifs communs, alors il devient clair que faire des adhésions à la CGT, créer de nouveaux syndicats est bel et bien une tâche essentielle pour l'activité du militant CGT quelle que soit sa profession.
C'est une tâche qui ne peut pas être pilotée uniquement par le haut.
Pour dépasser les difficultés que nous avons pu rencontrer dans les initiatives de mobilisation coordonnées, pour aider les salariés à modifier le rapport des forces, à peser dans les débats dont on voudrait les tenir à distance, il faut prendre appui sur les succès revendicatifs, sur la création de bases nouvelles, sur l'engagement de milliers de nouveaux adhérents comme autant de facteurs de confiance. Notre objectif, c'est une CGT prompte à réagir aux événements et, encore mieux, apte à les anticiper.
En l'an 2000, moins de 10% des salariés français sont syndiqués. Nous ne pouvons accepter cette situation.
Il nous faut combattre pied à pied les atteintes aux libertés syndicales qui entravent l'un des droits parmi les plus fondamentaux et anciens conquis par de nombreuses luttes : le droit constitutionnel pour chaque salarié d'adhérer librement au syndicat de son choix, quelle que soit sa catégorie dans l'entreprise.
Vous êtes les mieux placés pour témoigner sur la non application effective de ce droit dans un grand nombre d'entreprises.
Les salariés de notre pays ont besoin de reconstruire un mouvement syndical fort, à l'écoute de leurs aspirations, légitime parce que représentatif, influent parce qu'efficace. C'est nécessaire pour qu'ils puissent faire entendre leur voix, faire respecter leurs droits, faire connaître et faire prévaloir leur point de vue dans la confrontation sociale avec les employeurs et les pouvoirs publics.
Tout ce qui peut placer le syndiqué de la CGT comme le maillon essentiel dans notre stratégie devient quelque chose de primordial. Un syndiqué c'est un salarié qui a franchi le pas. En France quand on donne son adhésion à un syndicat on le fait soit par conviction, soit parce que c'est utile. Tout salarié, dès lors qu'il a accédé à l'emploi, a les mêmes droits fondamentaux, qu'il soit syndiqué ou non. Mais combien de salariés connaissent leurs droits ? Combien peuvent réellement les faire valoir, au quotidien dans l'entreprise, hors de l'intervention ou de la vigilance active du syndicat ? Combien pourraient les défendre et les faire triompher devant la justice sans l'aide des unions locales et des conseillers prud'hommes formés par l'organisation ?
Le syndiqué c'est celui qui a pris conscience de cette nécessité, c'est celui qui a décidé d'affirmer sa dignité dans l'entreprise comme dans la cité.
Il a ainsi des droits particuliers pour intervenir sur ce qui est d'abord son organisation : sur son orientation, son fonctionnement interne, l'élection de sa direction, celle des élus du personnel, sur les revendications, les processus d'action.
Le syndiqué, c'est effectivement à la fois la tête et les jambes pour le syndicat.
A l'entreprise, dans la cité, la démocratie vivante, celle qui fait participer réellement les intéressés, n'est pas souvent à l'ordre du jour.
Mieux vaut, nous dit-on, s'en remettre à des experts, des spécialistes qui ont toutes les données.
La délégation de pouvoir à des gens avertis prend trop systématiquement le pas sur la démocratie participative.
Dans le syndicat, ce sont tous les syndiqués qui doivent être placés en position d'exprimer leur opinion sur le problème à résoudre.
La mise en place de notre démarche démocratique peut se heurter à des obstacles réels : horaires de travail, dispersion des forces, des salariés.
A nous de trouver les réponses adaptées dès lors que nous partageons l'objectif d'un mode de fonctionnement qui porte en lui de puissants ressorts pour les mobilisations.
Pour compter comme tous les autres il faut être informé, mais aussi former.
Prendre du temps pour partager les responsabilités et les tâches dans le syndicat ça n'est pas perdre son temps.
Il ne faut pas qu'il y ait de trop grands écarts entre la composition sociale de l'entreprise et celle des directions de syndicats et, de ce point de vue là, Messieurs, je suis bien obligé de vous dire que les places faites aux militantes dans la direction de nos organisations sont loin de correspondre aux besoins de mixité de l'organisation.
Ce ne sont pas les militantes que vous avez élues au Bureau Confédéral qui me contrediront sur ce point.
Aujourd'hui, les salariés se répartissent entre trois groupes sensiblement équivalents en nombre, les ouvriers, les employés et les ingénieurs cadres et techniciens. Ils ont des revendications et des aspirations diversifiées qui dépendent de leurs positions sociales et de leur culture. Ils peuvent même concrètement connaître des motifs de friction dans la vie quotidienne. Je l'évoquais, la diversité des salariés nécessite le développement d'approches spécifiques permettant de coller au plus près des revendications de chaque catégorie en connaissant et en respectant leurs sensibilités et leurs priorités.
Cette attitude vaut pour toutes les catégories, ouvriers, employés, ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise. Cet effort est indispensable pour assurer le plus haut niveau de mobilisation, pour dégager clairement les convergences, dont vous avez parlé aujourd'hui, en évitant le piège de tous les corporatismes. Qui peut remplacer le syndicat confédéré pour convaincre et faire la preuve, dans les mobilisations et par l'action, que ce qui réunit ces catégories est plus fondamental et plus important que ce qui les sépare ?
Le syndiqué confédéré c'est celui qui a fait le choix d'agir pour ce qu'il propose au lieu de subir ce qu'on lui impose, c'est celui qui a fait le choix de la combativité et de l'unité des salariés.
La précarité de l'emploi est devenue potentiellement une source de clivage entre les salariés. Même si cet objectif à lui seul exige déjà une activité soutenue, nos organisations ne peuvent plus se limiter à leurs positions traditionnelles, ce que d'aucuns appellent toujours des bastions. Nous devons nous investir dans le contact avec tous les salariés en situation précaire, notamment les jeunes dont c'est la forme principale de recrutement, leur offrir un appui solidaire tout en évitant une tutelle pesante.
Oui, Cher Camarade, " a priori, ça marche " !
Nos organisations ont tout à gagner à écouter ce que les jeunes nous disent de neuf et qui, même si ça dérange, peut oxygéner la réflexion ; elles ne doivent pas hésiter à construire avec eux les convergences portées par les proximités de site ou les relations professionnelles ; elles doivent les accueillir sans retenue et sans complication dans la CGT sous des formes ou des organisations adaptées à leur situation, en veillant à maintenir les conditions de la pérennité des nouvelles bases syndicales. Dans un tel contexte, faire des syndiqués, comme on dit, c'est le passage obligé et l'étape décisive pour conquérir de nouveaux points d'appui là où l'on n'existait pas et se fortifier là où l'on est déjà présent.
Se syndiquer est aussi important une fois que l'on est en retraite et j'aimerais que l'ensemble des organisations prenne là aussi des mesures concrètes dans leur direction.
Face à l'exacerbation des inégalités et à la tragique injustice de toutes les discriminations, de toutes les exclusions, le syndiqué confédéré c'est celui qui affirme la valeur et l'efficacité de la solidarité, c'est celui qui a pris conscience que l'intérêt commun de tous les salariés est un fait social qui a besoin d'être révélé et conforté par la création et le renforcement du lien syndical, et qu'entretenir les conditions de l'unité du salariat est un objectif essentiel de la lutte.
Si la volonté de " participer à la transformation de la société " reste l'horizon de la lutte syndicale, nous avons tout à fait conscience que les salariés n'attendent pas de nous que nous leur fixions la date de la révolution, mais qu'ici et maintenant nous défendions leurs intérêts, nous donnions un débouché à leurs aspirations au progrès social. Ils ne souhaitent pas davantage que nous fassions " du social en laboratoire aseptisé ", patrons et syndicats autour de la paillasse, tous revêtus de la même blouse blanche. Toute notre activité doit être pénétrée de cette double exigence. Si nous voulons gagner et être à l'initiative il importe, qu'à tout moment et par tous les canaux, nous soyons en mesure de maintenir la chaîne qui nous relie à l'ensemble des syndiqués de la CGT, à la fois porteurs des réalités sociales et des potentialités de leur engagement.
Pour cet objectif, je suis sûr que vous partagerez les ambitions que nous visons dans la mise au point d'une nouvelle formule de l'Hebdo destinée à tous les syndiqués.
Dès les prochains jours, je vous engage à prendre des dispositions concrètes pour que, le plus vite possible, nous soyons dotés d'une diffusion très large du journal qui sera conçue à partir des attentes exprimées dans les syndicats. Le journal contribuera à créer du lien entre tous les syndiqués de la CGT, comme vous le souhaitez.
L'organisation de la CGT, de la Confédération générale du travail, en un double réseau, professionnel et territorial, est plus que centenaire. Elle a permis l'inscription dans la réalité sociale et la transmission dans la mémoire collective de l'ensemble des salariés des valeurs forgées à travers les luttes menées dès les origines du mouvement ouvrier, et que j'ai résumées dans les trois termes indissociables de dignité, de combativité et de solidarité. Cette organisation confédérée restera un atout considérable si nous faisons l'effort de mettre à jour ses modes de fonctionnement, ses structures pour parvenir à " confédéraliser " notre réflexion et notre action. C'est une grande ambition et une absolue nécessité sur lesquelles nous aurons l'occasion de rediscuter.
Un groupe de travail, issu des décisions du Congrès, est à l'uvre sur les cotisations syndicales. Vous aurez des propositions.
Les structures et les instances ne vivent pas pour elles-mêmes, elles n'ont pas d'autre but que de favoriser la permanence, la cohérence et l'efficacité des orientations et des actions revendicatives. Elles doivent donner la priorité à tout ce qui rapproche chaque syndiqué de la réflexion collective de la CGT, tout ce qui accélère la communication entre les organisations et sur tous les sujets.
La confédéralisation c'est l'attitude qui permet d'appréhender l'action dans l'entreprise, en évitant de l'isoler de la branche, du groupe ou du réseau auquel elle appartient et en évitant de faire abstraction de toutes les relations de proximité dans l'environnement politique, économique et social propre au territoire où elle est implantée. Elle seule permet de tisser des liens entre les questions de société, les politiques publiques et les politiques d'entreprise, de les traduire dans une activité revendicative cohérente et convergente. La confédéralisation doit être notre première contribution à un syndicalisme rassemblé à l'intérieur même de la CGT.
Et, de ce point de vue là, j'ai beau chercher, il n'y a pas de bouton au 8ème étage de la confédération qui déclencherait une mise en mouvement généralisée.
Nous l'avons déjà souligné, mais peut-être faut-il le rappeler, le syndicalisme rassemblé n'est pas pour nous une stratégie de circonstance. Il demeure un axe essentiel de notre approche du rapport des forces, de l'unité des salariés, de leurs organisations, pour faire grandir l'exigence du progrès social.
En entretenant la clarté sur les positions des uns et des autres, nous voulons rendre acteurs les salariés sur les contenus et les moyens de la convergence entre les catégories, et aussi entre les organisations syndicales.
Cette attitude n'est pas seulement souhaitable, elle devient indispensable face aux prétentions patronales.
La négociation concernant l'indemnisation du chômage est assez exemplaire des enjeux de cette confrontation et peut servir de référence dans notre réflexion pour notre syndicalisme.
Il y a là tous les éléments caractéristiques pour à la fois analyser la situation dans toute sa complexité, mais aussi pour permettre aux salariés de peser sur les négociations afin d'imposer la prise en compte de leurs intérêts.
Qu'il s'agisse des prétentions ou des ambitions du MEDEF, des attitudes syndicales, de celle du gouvernement, de notre capacité à proposer des alternatives positives à ce que nous condamnons, et à mobiliser les salariés autour d'elles en matérialisant les convergences : c'est une nouvelle épreuve de vérité pour tous les protagonistes.
De tous temps, le patronat s'est efforcé de tirer partie du chômage.
Combien de fois nous est-il répondu, et depuis des années : " si vous n'êtes pas content de votre sort, il y en a des milliers qui sont à la porte et attendent votre place " ?
Le MEDEF voulait aller au-delà en s'attaquant à la partie la plus fragile du salariat, la moins organisée, celle des chômeurs, des précaires et des salariés qui, de concentrations en restructurations, vivent sous la menace de les rejoindre.
En proposant un système coercitif, voire répressif, vis-à-vis des chômeurs, il cherche à réduire les cotisations patronales, à dédouaner les entreprises de leur responsabilité vis-à-vis de l'emploi et de la formation, à diviser encore un peu plus le monde du travail entre ceux qui ont un emploi, ceux qui vont le perdre et ceux qui en sont privés.
Il porte ainsi atteinte au principe du salaire socialisé qui est à la base de notre système de protection sociale et veut contraindre les chômeurs à choisir entre la perspective de rejoindre le réservoir de main-d'uvre flexible et corvéable dont il rêve et celle de devenir définitivement dépendants des mécanismes de l'assistance publique.
Tout cela est bien sûr enrobé de considérations soi disant frappées au coin du bon sens, du style : " il n'y a plus de raison que des salariés restent au chômage alors qu'il y a du boulot ", ou bien encore : " mieux vaut utiliser les moyens pour le retour à l'emploi plutôt que de verser des indemnités ". J'ajoute : " et même si cela doit se faire au détriment de la liberté du travail " !
Ce sont les initiatives syndicales, les prises de positions sans équivoque qui ont contribué à faire obstacle à ces ambitions, à alerter l'opinion publique.
Inévitablement, ce sujet a pris une dimension politique..
J'en profite pour revenir sur notre position vis-à-vis de l'action gouvernementale, car je pense qu'il est nécessaire de clarifier les choses entre nous.
Lorsque le gouvernement escamote la réforme fiscale et refuse de s'attaquer au poids des impôts indirects les plus inégalitaires, comme lorsqu'il persévère à remplir le tonneau sans fond de l'exonération des charges sociales, nous ne nous privons pas de le critiquer sévèrement, parce qu'il déroge à la justice sociale et qu'il affaiblit les bases de la protection sociale. Lorsqu'il fait du sur place en matière de droit social et de liberté syndicale, nous le dénonçons comme lors de notre initiative sur les libertés place du Trocadéro.
Justice sociale, qualité et accessibilité du service public, protection sociale et sécurité, sont les 3 axes majeurs des attentes de l'ensemble des salariés, auxquels s'ajoutent leur volonté que l'Etat constitue un recours pour faire pencher la balance quand il le faut, pour arbitrer positivement les conflits.
C'est à ce titre que des déceptions existent.
N'oublions jamais que tout est avant tout une question de rapport de force à créer, à manifester. C'est ça notre boussole.
Prenons garde à ne pas laisser nos frustrations ou nos démangeaisons politiques personnelles prendre le pas dans notre appréciation sur l'action du gouvernement.
Ce n'est pas la loi sur la Réduction du temps de travail qui a déterminé les patrons à recourir, depuis longtemps, aux emplois précaires. C'est la création d'un bon rapport de force qui permet de gagner une bonne application des 35 heures et l'augmentation des salaires et des primes en mettant fin à " deux ans de palabres " comme l'a relaté notre camarade de la General Motors. Dans le même temps, nous sommes engagés avec les fédérations sur un travail concret pour obtenir une révision de la loi.
Sur le dossier UNEDIC, comme l'ont très bien ressenti de nombreux camarades, c'est bien la détermination patiente de la CGT, la solidité de son argumentation, les attitudes politiques de la majorité parlementaire qui finalement emportent l'adhésion du gouvernement à un non agrément de la convention .
Cette situation entraîne désormais le MEDEF sur la pente dangereuse du populisme.
Il tente de surfer sur le climat des affaires, le discrédit qu'elles suscitent auprès des citoyens pour justifier une refondation sociale où l'accord d'entreprise se substituerait à la loi applicable à tous, il conteste - qu'il le veuille ou non - la légitimité du gouvernement, des parlementaires à intervenir dans le débat social.
En nous annonçant qu'il va y avoir de la bagarre il affirme, à sa manière, que la lutte des classes est toujours d'actualité.
Cette négociation sur l'avenir de l'UNEDIC montre aussi que notre volonté de favoriser une conception du syndicalisme rassemblé reste un combat quotidien.
Au 46ème Congrès, l'an passé, les syndicats de la CGT ont très largement approuvé notre objectif de favoriser le syndicalisme rassemblé, l'unité des salariés, de leurs organisations syndicales.
Il serait tentant, au vu des réelles difficultés que nous rencontrons dans les relations inter-syndicales, dans la négociation sur l'indemnisation du chômage, de faire un spectaculaire revirement, notamment du fait de l'attitude de la direction confédérale de la CFDT qui interpelle plus d'un militant et pas seulement chez nous.
Nous ne devons pas, dans un tel contexte, lâcher la proie pour l'ombre.
Dans nos rapports avec les autres organisations syndicales, c'est la confrontation constructive qui doit l'emporter et non l'exclusion qui fige les positions des uns et des autres.
A ce titre, si j'osais un conseil pour nos homologues de la CFDT, je leur dirais qu'on nous a suffisamment reproché d'incarner " l'avant-garde éclairée " pour les alerter sur cette dérive dont ils pourraient, à leur tour, être victimes.
Plus on est sûr de soi, moins on devrait craindre l'échange et la contradiction.
Eviter le dialogue de sourds ou la caricature des positions des uns et des autres permettra aux salariés de rester les véritables arbitres.
Personne ne les convaincra par des anathèmes !
Heureusement, comme vous l'avez démontré, nous avons chaque jour des exemples où l'unité prévaut dans les actions spécifiques à une entreprise ou une branche professionnelle.
Il y a des chantiers de négociation qui font apparaître des convergences entre les confédérations face au patronat.
C'est le bon sens, l'un des enseignements historiques du mouvement syndical qui a maintes fois constaté qu'unis on était tous plus forts.
Nous ne sommes pas inscrits dans un schéma pré-établi de recomposition syndicale ou de logique de blocs syndicaux qui s'opposeraient systématiquement.
Nous n'avons pas, a priori, d'ennemi dans le camp syndical. A l'exception, bien sûr, des pseudo organisations qui se drapent d'un habit syndical pour masquer des organisations " maison ".
Notre conception de l'unité et du rassemblement, pour être durable, passe par la capacité de notre syndicalisme à ancrer l'ensemble des enjeux sociaux sur chaque lieu de travail quels que soient la taille de l'entreprise et le profil des salariés qui y travaillent.
Cela est exigeant pour toute la CGT, pour toutes les organisations qui détiennent une part du travail à effectuer.
C'est aussi à ce prix que nous alimenterons le besoin d'une véritable démocratie sociale.
Nous avons eu l'occasion de dire ces derniers jours au Président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, instance chargée de veiller au pluralisme des opinions exprimées au plan politique mais aussi sur les questions sociales, qu'il y avait -selon nous- beaucoup plus d'émissions de télévision sur la vie des animaux que sur la vie des salariés !
L'absence de transparence, de mise en évidence de ce qui est en jeu dans ces discussions avec le MEDEF contribue, d'une part, à renforcer l'image du syndicalisme preneur d'otages voire terroriste comme dans l'avons entendu cet été mais, de plus, il ne permet pas aux principaux intéressés de se forger leur propre opinion.
C'est la raison pour laquelle je réitère notre proposition que les grandes phases de négociation avec le MEDEF - comme d'autres avec le gouvernement - soient retransmises à la télévision. C'est techniquement possible et cela répondrait au souhait que vous avez, là aussi, exprimé.
Cela serait intéressant à plus d'un titre et contribuerait, pourquoi pas, à ouvrir le chantier de la démocratie sociale dont les règles de représentativité syndicale qui laissent apparaître un décalage croissant entre les attentes des salariés et les modalités de leur représentation.
Ce besoin de transparence et de démocratie doit contribuer également à ce que les salariés soient exigeants sur de nouvelles règles dans la représentation de leurs intérêts.
La France est une exception et, en l'occurrence, une mauvaise exception en matière de représentativité syndicale.
Il n'y a qu'ici que les confédérations syndicales ne sont pas amenées à rendre compte à leurs mandants, à périodes régulières, sur leur bilan d'activité.
Il n'y a que dans les entreprises françaises qu'un employeur a le droit de mettre en uvre des dispositions concernant les salariés en s'appuyant sur l'accord d'un seul représentant syndical, même si la majorité du personnel s'y oppose.
Sur ce plan là, les confédérations syndicales s'honoreraient de faire elles-mêmes des propositions permettant aux salariés d'être des acteurs réguliers dans la représentation syndicale.
En proposant cela, nous savons bien que toutes les confédérations n'ont pas toutes le même intérêt à une révision des règles actuellement en vigueur.
Voilà donc encore une exigence sociale à porter plus fort.
Les convergences d'intérêt devraient apparaître comme une évidence dans une négociation sur l'indemnisation du chômage.
Entre l'ensemble des chômeurs, bien sûr, mais le rapport de force à développer va bien au-delà.
Déjà parce qu'il serait dangereux de concevoir le besoin de mobilisation par délégation et aussi parce que, vous le savez, ce qui est au centre de l'affrontement concerne l'ensemble des catégories de salariés.
Nous nous félicitons d'être la première confédération organisée parmi les privés d'emploi mais, quels que soient nos progrès dans ce domaine, cela ne saurait suffire pour mobiliser toutes les forces nécessaires.
Cela renvoie bien, pour ne rester que sur cet exemple, à notre capacité d'information, de sensibilisation et de mobilisation du plus grand nombre, y compris par des initiatives nous réunissant tous ensemble lorsque cela est nécessaire. On mesure ici le rôle que l'Hebdo pourra jouer à l'avenir.
En vous disant cela je pense, bien sûr, au rôle encore une fois particulier des directions de syndicats pour faire en sorte que chacun appréhende bien que sa situation dans l'entreprise, quelle qu'elle soit, est liée, dépendante de ce qui peut se passer à l'extérieur, d'où la nécessité souvent d'agir avec d'autres.
Mais je pense aussi à l'ensemble de nos organisations, fédérations, unions départementales, unions locales, y compris la Confédération.
Nous avons besoin de gagner en réactivité, en spontanéité, en rapidité dans la circulation de l'information, l'organisation des convergences, de la solidarité et de l'action. C'est un appel entendu.
L'actualité parfois commande, même si nous ne choisissons pas forcément ni le moment ni les motifs pour lesquels nous devons savoir nous mettre en mouvement.
Regardons par conséquent à tous les niveaux ce que nous pouvons faire pour l'efficacité de notre démarche sur les enjeux interprofessionnels, professionnels ou territoriaux avec une constante : ce que nous faisons doit être utile et aider l'activité principale qui se déroule sur le lieu de travail.
Le rassemblement des forces nous le voulons et nous le favorisons aussi à l'échelle internationale, au plan européen.
Naturellement, un plus grand nombre de syndicats de la CGT sont amenés à rencontrer, à coopérer avec d'autres syndicalistes, plus particulièrement en Europe.
C'est une bonne chose. Elle se généralise au fur et à mesure que nos organisations prennent leur place dans les structures de la Confédération Européenne des Syndicats, outil de plus en plus indispensable au mouvement syndical s'il veut être un acteur qui compte au-delà des frontières.
Nous nous sommes lancé un défi avec les autres syndicats d'Europe : obtenir, en cette année 2000, l'élaboration et l'adoption d'une charte des droits sociaux fondamentaux en faveur des salariés.
Si les initiatives passées, particulièrement la manifestation de Porto ou les pressions exercées par les syndicats, les ONG, les associations des droits de l'homme, ont conduit les représentants des Etats à avancer sur un texte, nous sommes loin du compte.
La vision libérale, selon laquelle les droits sociaux s'opposeraient à l'efficacité économique, est bien présente. Ne confondons pas, à ce propos, les documents issus de la Commission Européenne et la plateforme syndicale de la CES.
Nous voulons un réexamen qui devrait conduire à de nouvelles formulation et à la garantie du droit social. En particulier :
· Le droit d'asile
· Le droit au logement
· Les libertés syndicales transnationales et le droit de grève européen
· Le droit à une protection sociale, notamment dans la lutte contre l'exclusion et la pauvreté
· Le droit des personnes âgées, et notamment des retraités, à une pension leur permettant de vivre dignement
· Le droit au travail et à l'emploi
· Le droit à un salaire équitable
· Le droit à des services publics efficaces et évoluant en fonction des besoins et des changements technologiques.
Cette longue liste, non limitative, montre le chemin qui reste encore à faire, d'autant que les principaux droits doivent être intégrés dans les traités pour avoir force de loi, au même titre que certains droits économiques en matière de propriété, de libre circulation des biens et capitaux, de concurrence qui le sont déjà depuis longtemps.
Il reste encore du temps, même si les échéances sont désormais très proches, pour peser sur les réunions du Conseil européen à Biarritz et à Nice, et auprès des parlementaires.
Les droits sociaux et économiques, en particulier, doivent évoluer avec la croissance, la richesse des pays et les besoins des populations.
Il reste à faire de cette question des droits fondamentaux une question largement et démocratiquement débattue dans les organisations syndicales, associatives, les partis politiques, pour faire accepter aux institutions les exigences en matière sociale qu'implique l'élargissement de l'Union Européenne à de nouveaux pays, pour faire obstacle à la tentation du dumping social et de la concurrence au moins-disant social au sein de l'Union, et afin de rééquilibrer les traités en faveur des droits des citoyens, plutôt que des droits des entreprises privées qui constituent essentiellement leur contenu en l'état actuel.
C'est pour toutes ces raisons que nous avons chacun notre part à prendre pour assurer un grand succès à la manifestation européenne de Nice, qui réunira près de 70 syndicats et le mouvement associatif, et où je vous donne rendez-vous le 6 décembre prochain.
Voilà, Chers Camarades, ce dont je voulais vous faire part.
Demain, la Commission Exécutive confédérale se réunira pour examiner plus à fond la situation revendicative.
Nous verrons quels prolongements nous pourrons donner à la campagne sur les salaires, les suites de cette semaine de sensibilisation. Nous reviendrons sur les revendications que vous avez évoquées comme celles concernant le travail de nuit des femmes.
Soyez attentifs et disponibles, quoi qu'il en soit, sur le dossier UNEDIC ;
Je vous remercie, une nouvelle fois, pour cette initiative et je salue particulièrement ceux qui avaient la responsabilité de son organisation.
Bon vent à tous !
Bon vent à toute la CGT !
(Source http://www.cgt.fr, le 05 octobre 2000).