Conférence de presse de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'état des négociations sur la réforme des institutions communautaires, Bruxelles le 19 novembre 2000.

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Circonstance : Conclave ministériel de la conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions communautaires, Bruxelles le 19 novembre 2000

Texte intégral

Je vais donc vous rendre compte du déroulement de ce conclave de cet après-midi auquel ont assisté huit ministres des Affaires étrangères, cinq ministres des Affaires européennes et le négociateur allemand M. Pleuger. C'était le 3ème conclave ministériel et l'avant dernier de cette Conférence intergouvernementale et c'était aussi la première réunion que nous tenions au niveau ministériel depuis Biarritz. Biarritz a été une étape importante pour notre négociation parce que, pour la première fois depuis Amsterdam, les plus hautes autorités des Quinze ont pu avoir un échange approfondi et direct sur les principales questions à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale. Je me suis déplacé, depuis Biarritz, dans quelques capitales à la demande du président de la République et du Premier ministre. Je n'ai pas pu me rendre, faute de temps ou du fait des contraintes qui pèsent sur les agendas des uns et des autres, dans toutes mais, au demeurant, la tournée des capitales au sens traditionnel du terme sera faite comme le veut la coutume par le président du Conseil européen, donc par le président de la République, M. Chirac. Elle commencera mercredi 22 novembre, elle s'achèvera le 2 décembre et le président sera accompagné pour chacun de ses déplacements, soit d'Hubert Védrine soit de moi-même. Mais, en toute hypothèse, par un de ces deux membres du gouvernement.
Au cours de ces rencontres bilatérales, j'ai essayé de dissiper certains malentendus. On a beaucoup lu, après Biarritz, qu'il y avait une opposition entre les grands et petits pays. Je ne crois pas, pour ma part, qu'il existe grands et petits pays, donc a fortiori pas d'opposition entre les uns et les autres ou encore que la présidence travaillait dans un esprit partial avec, justement, une vision de grands pays. Je crois que ces arguments sont compris : nous sommes sortis de cette logique d'affrontements et nous sommes entrés dans la phase ou nous tentons d'esquisser des compromis sur les points les plus difficiles.
Avant d'évoquer les points, dont nous avons parlés aujourd'hui, je dirai un mot de plus sur l'état d'esprit. Depuis Biarritz, je crois que nous sommes tous conscients de la nécessité d'aboutir à un accord satisfaisant à Nice. Cependant, certaines délégations ont souligné clairement les difficultés qu'elles ont sur certaines questions précises. Et je veux dire que la méthode et l'esprit de la Présidence sont très clairs : il faut tenir compte des difficultés des uns et des autres sans renoncer en rien à notre niveau d'ambition pour l'Europe, pour bâtir des compromis qui soient acceptables par tous. C'est comme cela que nous concevons le rôle d'une Présidence. Je n'ai pas envie d'entendre quand les choses vont bien que c'est parce que la Commission ou tel pays est ambitieux ou quand cela va mal que c'est à cause de l'arrogance de la France ou de la Présidence. La Présidence c'est la Présidence. Elle joue son rôle et elle le fait dans le contexte institutionnel européen en tenant compte de ce que sont les uns et les autres.
Aujourd'hui nous avons évoqué 4 questions :
La Commission, la pondération des voix, le vote à la majorité qualifiée et une référence à la Charte dans l'article 6 du traité de l'Union européenne.
Je dirais que nos entretiens d'aujourd'hui ont été utiles, souvent positifs. J'ai cependant lu une dépêche qui expliquait déjà l'échec de cette journée avant même qu'elle ait commencé, cela me paraît prématuré même si apparemment certaines informations circulent mais il faut peut-être savoir quel est le statut de certains documents avant de les commenter.
Donc, utiles, positifs sur certains points et en même temps, je parle franchement, je ne suis pas un spécialiste de la langue de bois, cela illustre aussi le chemin qui reste à parcourir, qui reste important si nous voulons parvenir à ce bon accord à Nice.
Sur la Commission l'échange de vue a été utile. Il a confirmé la sensation qui était déjà celle du président du groupe préparatoire, M. Pierre Vimont, à savoir que, dans une situation qui était celle de Biarritz, où certains Etats pensent que l'intérêt général communautaire suppose un plafonnement de la Commission et où d'autres souhaitent avoir un Commissaire par Etat membre. Il y a maintenant une majorité d'Etats membres qui est prête à travailler sur une solution que je qualifierais d'intermédiaire et qui peut être la base d'un compromis qui est celui d'un plafonnement différé de la Commission, même si plusieurs délégations préféreraient, qu'à Nice, on se contente d'évoquer ce principe et qu'on renvoie cette question à plus tard à travers une sorte de clause de rendez-vous. Ce n'est pas la position majoritaire et la Présidence, pour sa part, insiste beaucoup sur le fait que s'il y a un tel mécanisme de plafonnement différé, ce qui est déjà pour beaucoup de délégations une concession, il doit être inscrit dans les traités, noir sur blanc en marquant à la fois ces étapes et aussi ses garanties. Je pense à la fois à ce que peut être une rotation égalitaire. C'est un sujet qui préoccupe légitimement un certain nombre de pays. Il faut poursuivre les travaux pour préparer les débats de Nice pour que les chefs d'Etats et de gouvernements puissent trancher entre les différentes solutions.
Nous allons poursuivre le travail maintenant sur deux points : la réorganisation de la Commission, sur laquelle il reste encore certaines questions notamment l'idée de la démission d'un Commissaire à la demande du président ce qui ne fait pas tout à fait l'unanimité, ou encore le principe et les modalités d'un plafonnement différé. Là j'évoquerai quelques questions : plafonnement différé : je rappelle ce que cela veut dire : cela veut dire que la Commission actuelle continue son mandat jusqu'à son terme et qu'ensuite une nouvelle Commission est nommée avec un Commissaire par Etat membre et qu'enfin une date est fixée entre 2005, 2010 à partir de laquelle on instaure un plafonnement de la Commission avec une rotation égalitaire. Il reste plusieurs questions : quelle date d'entrée en vigueur ? Une majorité de délégations parle plutôt de 2010. Quel nombre définitif de membres de la Commission ? Une majorité de délégations parle de 20. Il reste à préciser les choses sur cette dimension là et la Présidence va faire des propositions dans ce sens mais je crois qu'aujourd'hui a été une étape vers ce plafonnement par étape. Je crois voir la solution de compromis qui pourrait éventuellement se dégager.
Sur la pondération des voix : les échanges ont été brefs et précis parce que nous en sommes encore à un stade assez préliminaire d'examen de cette question. Je dirais toutefois que commencent à se dégager quelques lignes. La Présidence a constaté que la plupart des délégations étaient prêtes à travailler sur le principe d'une repondération simple des voix. Nous n'avons pas encore examiné à fond les différentes hypothèses chiffrées. Là-dessus existe des divergences. Mais je crois que plusieurs éléments se dégagent.
D'abord la nécessité de prendre en compte les deux critères que sont la population, la démographie si vous préférez et le nombre d'Etats membres. La question étant bien sûr de savoir selon quelle modalité.
Deuxièmement, la nécessité d'affirmer une vraie repondération. Pour tenir compte de la majorité dans la population, il est clair que le seuil actuel de 58 % ne pourrait pas, sans très grand danger, être dégradé. Il faut tenir compte aussi de la nécessité, ce n'est pas la France qui l'a dit, mais par exemple la Belgique, de compenser les pays qui perdront un commissaire dès 2005.
Enfin, troisième chose, la nécessité de réfléchir au regroupement actuel entre Etats membres, qui existe depuis 1957, et il existe aussi ici ou là des demandes. Nous allons reprendre les options, actuellement sur la table dont j'ai cru comprendre que certains les connaissaient, pour les améliorer voir les compléter.
Sur le vote à la majorité qualifiée, j'ai une impression contrastée dans le sens où dans le groupe préparatoire on a beaucoup travaillé, on a fait beaucoup d'avancées, on a maintenant un très grand nombre de questions qui en principe peuvent passer à la majorité qualifiée et en même temps, je me dois de vous le dire, aujourd'hui dans le conclave, peu de progrès ont été enregistrés. On s'est contenté en général de rappel de positions que nous connaissions déjà et c'est un peu préoccupant parce que chacun sait que le vote à la majorité qualifiée est sans doute la clef d'un traité ambitieux.
De ce constat, d'un point au-delà duquel on a du mal à aller, on pourrait tirer deux types de conclusions : soit considérer que nous avons atteint un point d'équilibre difficile à faire bouger et que tout cela remonte à Nice, soit essayer encore d'améliorer les choses. Le travail de la Présidence c'est d'essayer encore de compléter les textes sur la table notamment sur l'article 133 la politique commerciale extérieure, sur l'article 67 tout ce qui concerne les questions de Justice et d'affaires intérieures, sur l'article 42 les problèmes sociaux et sur l'article 93 les questions fiscales et nous allons maintenant travailler dans ce sens là.
Je termine par une réflexion de fond sur ce sujet à savoir qu'il est impératif que chacun fasse des efforts d'ici à Nice pour que les questions qui remontent au Conseil européen soient en nombre aussi limité que possible. Nous y insistons beaucoup. Il est aussi essentiel qu'à Nice chacun soit prêt à manifester la flexibilité nécessaire pour permettre un accord sur ce point qui est la clef, bien sûr, d'un accord général parce qu'on ne peut pas séparer les différents points du paquet. Il est vrai que les questions dont on parle beaucoup sont les questions de pouvoir ou celles qui ont trait plus ou moins directement à la souveraineté, le nombre de Commissaires, la pondération des voix. Ce sont des questions très importantes mais il ne faut pas penser qu'il suffit d'avoir là-dessus un compromis. Il faut avant tout avoir un paquet dynamique qui passe par l'extension du vote à la majorité qualifiée.
Le quatrième point dont nous avons parlé c'est donc la référence à la Charte des Droits fondamentaux dans l'article 6 du traité. Nous savons que la Commission le souhaite et que le Parlement européen, et je l'ai moi-même vérifié lors de trois débats sur ce sujet y compris celui de mardi dernier quand le Parlement a autorisé la présidente à proclamer la Charte, que celui-ci donc est extrêmement attentif à ce sujet là. Et j'ajoute que je crois qu'il s'agit d'un point sur lequel les opinions, un certain nombre de responsables politiques, les forces sociales sont assez demandeurs. Je suis obligé de constater que dans le conclave d'aujourd'hui, au niveau ministériel il existe un nombre suffisant d'oppositions pour que cela ne soit pas inscrit à l'article 6, que la référence ne soit pas faite. Certaines de ces oppositions sont extrêmement claires et fermes et donc il y a des chances que la question du statut futur de la Charte soit inscrite par la Présidence dans les conclusions pour l'après Nice. Sachez en tous cas que nous n'entendons pas renoncer à donner un avenir à la Charte. J'aurais souhaité que l'on puisse parler des coopérations renforcées mais nous avons eu des échanges assez longs et approfondis sur quatre questions dans un laps de temps déjà lui-même assez long et donc il a été convenu que le groupe préparatoire parlerait de ces sujets et que nous aurions l'occasion d'y revenir. Les coopérations renforcées seront le premier point sur lequel nous entamerons notre prochain conclave le 3 décembre. Le groupe préparatoire va y revenir et on sait que les difficultés sont assez bien circonscrites maintenant. Il y a un accord assez large que l'assouplissement des coopérations renforcées et il y a quelques questions qui restent à étudier encore notamment concernant les coopérations renforcées dans le deuxième pilier, je pense très sincèrement que compte tenu du degré de préparation le conclave d'aujourd'hui n'aurait pas permis de répondre à ses questions et que donc nous y reviendrons.
Voilà le compte rendu assez détaillé finalement de notre séance d'aujourd'hui. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Q - Sur l'article 6 vous dîtes qu'il y a donc des oppositions fermes et claires et suffisamment pour que le sujet soit d'ores et déjà abandonnées mais il faudra en parler néanmoins à Nice. Et autre question, comment se situaient les délégations par rapport aux trois options que vous avez sur la table sur les pondérations (.)
R - Sur le premier point, sur l'article 6, le fait de savoir si cela remonte ou pas à Nice est un point assez secondaire à dire vrai. Cela peut remonter comme cela peut ne pas remonter sous cette forme là. Mais il est clair que certaines délégations, que je ne vais pas nommer parce que ce n'est pas mon rôle de dénoncer mais enfin vous avez quelques idées, ont déjà fait savoir qu'elles ne pourraient pas proclamer la Charte s'il y avait une référence à l'article 6 et j'ai toutes raisons de penser que les chefs de gouvernement de ces délégations procéderaient ainsi. Donc on peut très bien en parler à Nice mais le résultat ne sera pas différent. Ce qui importe c'est que nous ayons, en revanche dans les conclusions, la poursuite d'une réflexion sur l'avenir de la Charte. Et cela est le souhait extrêmement ferme de la Présidence.
Sur l'autre question il faut savoir quel est le statut des textes qui sortent du Conseil. Trois hypothèses figurent parmi d'autres. Il n'y a pas de majorité claire qui se dégage. Je viens en plus de parler avec la ministre suédoise qui expliquait qu'elle n'avait pas un attachement talmudique à la formule suédoise elle-même et qu'il s'agissait simplement de prendre en compte certaines préoccupations. Donc la conclusion est claire : il y a aujourd'hui une majorité pour travailler en direction d'une pondération simple, et parmi les hypothèses sur la table aucune d'entre elles n'a l'unanimité. Elles doivent être examinées plus avant et sans doute complétées.
Q - Est-ce qu'on peut dire que la double majorité a été abandonnée ou pas vraiment, pas encore ? En ce qui concerne la majorité qualifiée, est-ce que les choses ont progressé ?
R - Nous espérons bien avoir des avancées dans tous les domaines en matière de majorité qualifiée et ne devons renoncer à rien.
Quant à la double majorité je ne peux pas dire qu'elle ait été abandonnée au sens où elle peut toujours revenir. Tant qu'une hypothèse n'est pas sortie elle est encore sur la table, mais en même temps la Présidence, je parle bien de la Présidence encore une fois, a la sensation qu'il y a aujourd'hui une majorité d'Etats qui est disposée à travailler sur des hypothèses de repondération simple et c'est dans ce sens là que nous avançons. Parce qu'il faut quand même prendre conscience que nous aurons à Nice probablement un des Conseils européens les plus chargés de l'histoire compte tenu du très grand nombre de sujets qui vont remonter qui concernent les questions économiques, sociales, de société, l'élargissement sans parler de la Conférence intergouvernementale et donc il est très important que les chefs d'Etats et de gouvernements aient déjà des options bien marquées, des compromis assez préparés à Nice. Donc nous travaillons sur certaines hypothèses cela ne veut pas dire que nous abandonnons complètement telles ou telles autres. La double majorité, je ne peux pas dire qu'elle n'existe pas mais nous sommes quand même dans un processus où nous avançons dans le sens d'une repondération simple. Cela dit il faudra tenir compte à la fois des populations et des problèmes politiques. Merci..

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 novembre 2000)