Interview de M. Christian Poncelet, président du Sénat, à RFI le 9 novembre 2000, sur l'élection présidentielle aux Etats-Unis, les circonstances de la reconnaissance du génocide arménien et l'éventualité de la création d'un Sénat européen.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

JOURNALISTE
Pierre GANZ, vous êtes en ligne ce matin avec Christian PONCELET, le président du Sénat français.
PIERRE GANZ
Bonjour, Christian PONCELET !
CHRISTIAN PONCELET
Oui, bonjour, Pierre GANZ !
PIERRE GANZ
Merci d'être avec nous en direct depuis votre bureau de président du Sénat. Quelle appréciation portez-vous sur la situation électorale aux Etats-Unis ?
CHRISTIAN PONCELET
Eh bien, la démonstration est faite que chaque voix compte dans une démocratie et que par conséquent chaque électeur a en quelque sorte l'obligation de s'exprimer. D'autre part, il est confirmé que le vote par correspondance crée des complications. Nous l'avions constaté dans le passé en France et c'est une des raisons qui a conduit bien sûr la France à supprimer le vote par correspondance et à n'autoriser que le vote par procuration.
PIERRE GANZ
Donc vous pensez, ça c'est les leçons, je dirais, d'une façon un petit peu général, le fait que Monsieur GORE et Monsieur BUSH soient très très proches l'un de l'autre, vous en tirez quelle conclusion ?
CHRISTIAN PONCELET
Et bien, il était difficile aux Américains de départager deux hommes, dont il faut dire que, à part pour les experts, les programmes étaient très peu différents. Moi, à écouter les uns et les autres, je n'ai pas perçu de très grandes différences entre le programme de Monsieur Al GORE et le programme de Monsieur BUSH, sauf peut-être sur la politique extérieuret.
PIERRE GANZ
Et vous pensez que l'élection de l'un ou l'autre changera quelque chose dans les relations avec l'Europe ?
CHRISTIAN PONCELET
Moi ce que je souhaite c'est que la marge très faible, qui va séparer le vainqueur de son concurrent, n'est-ce-pas, ne conduise pas à faire un procès en non-légitimité de celui qui sera élu. Que par conséquent, je voudrais qu'une fois l'élection proclamée, eh bien on reconnaisse, n'est-ce pas, le président de la République parfaitement légitime.
PIERRE GANZ
Christian PONCELET, hier, le Sénat a voté une proposition de loi qui reconnaît le génocide arménien de 1915 ; quelle est la portée de ce vote ?
CHRISTIAN PONCELET
Ecoutez, c'est une affaire qui est pendante devant le Parlement depuis maintenant deux ans. Je regrette que dans cette affaire le gouvernement n'ait pas pris toutes ses responsabilités. Il a accepté la discussion de cette proposition de loi d'origine parlementaire à l'Assemblée nationale et par l'intermédiaire des ministres ; ministre des Affaires étrangères, ministre chargé des Affaires européennes, il a recommandé vivement au Sénat de ne pas l'inscrire, de ne pas l'inscrire, il en craignait quelques considérations au niveau de la politique extérieure.
PIERRE GANZ
Les sénateurs ont passé outre hier ; pourquoi ne l'ont-ils pas fait plus tôt ?
CHRISTIAN PONCELET
Eh bien, parce que les sénateurs attendaient avec précision de connaître la position du gouvernement et je vous invite à relire la déclaration du ministre chargé des Relations avec le Parlement qui s'est exprimé devant le Sénat, vous verrez que l'ambiguïté, n'est-ce pas, est dans toutes les phrases.
PIERRE GANZ
Mais cependant, Christian PONCELET, hier, après ce vote par le Sénat, le Président CHIRAC et le gouvernement JOSPIN ont ensemble pris leurs distances avec ce texte ; est-ce que c'est un désaveu pour la majorité sénatoriale ?
CHRISTIAN PONCELET
Non, pas du tout, pas du tout ! Moi-même, j'ai écrit à Monsieur le Premier ministre pour connaître sa position d'une manière très claire. Je n'ai pas reçu de réponse. Par conséquent, les sénateurs ont considéré qu'il y avait par ailleurs une pression exercée par les membres de la majorité plurielle, qu'il s'agisse des communistes, qu'il s'agisse des socialistes, qu'il s'agisse des Verts, qui exerçaient une pression disant " le Sénat bloque la discussion de cette proposition de loi ", alors que par ailleurs le gouvernement recommandait de ne pas l'inscrire. Voilà une terrible ambiguïté, voilà une terrible dérobade de ses responsabilités. Alors là sur une telle position, le Sénat a pris ses responsabilités, il a bien sûr, selon une procédure exceptionnelle, ouvert le débat sur cette proposition de loi.
PIERRE GANZ
Alors qu'est-ce que ça change sur les relations franco-turques, Christian PONCELET ?
CHRISTIAN PONCELET
Je crois que dans cette affaire, il faut raison garder, n'est-ce pas, et maintenant il faut cesser de se tourner vers le passé et il faut regarder l'avenir. Pour ma part, j'y travaille. Et je ne souhaite qu'une chose, que très très rapidement, puisque maintenant on a tourné la page de l'Histoire, eh bien que Turcs et Arméniens confrontent leurs points de vue, s'associent pour le développement bien sûr de cette région européenne.
PIERRE GANZ
Cela dit, pour l'instant, le texte qui a été voté hier il n'a pas force de loi puisqu'il n'a pas été revoté par l'Assemblée ?
CHRISTIAN PONCELET
Eh bien, nous allons voir ce que va faire le gouvernement, s'il va avoir bien sûr l'audace de l'inscrire à son ordre du jour prioritaire et là nous verrons à l'évidence la position particulièrement ambiguë du gouvernement. Je crois que dans cette affaire on a voulu placer le Sénat dans une impasse, n'est-ce pas, créer quelques difficultés au Sénat. Je sais qu'on ne l'apprécie pas par ailleurs parce que le Sénat est comme toujours un contre-pouvoir, au bon sens du terme, n'est-ce pas, eh bien c'est, j'allais dire, le piégeur est piégé.
PIERRE GANZ
A vous entendre, Christian PONCELET, on a l'impression que c'est plus une affaire franco-française qu'une question de principe sur le génocide arménien ?
CHRISTIAN PONCELET
Pour ma part oui, parce que vous savez très bien que la Constitution ne prévoie pas de porter une qualification sur des faits historiques.
PIERRE GANZ
Non, mais, franchement, vous avez voulu jouer un coup contre le gouvernement JOSPIN ?
CHRISTIAN PONCELET
Ah ! Je ne sais pas qui a voulu piéger l'autre, mais j'ai bien le sentiment que lorsque d'un côté on accepte le débat à l'Assemblée nationale et qu'ensuite on se précipite vers le Sénat pour lui dire surtout n'inscrivez pas cette loi et que par ailleurs les éléments de la majorité plurielle qui soutiennent le gouvernement font un procès dans les départements bien sûr à tous les sénateurs de l'opposition nationale, enfin je crois que là on a essayé effectivement de piéger et de piéger les sénateurs de l'opposition, alors le piégeur a été piégé.
PIERRE GANZ
Christian PONCELET, il n'y a pas une instrumentalisation du drame arménien dans cette affaire ?
CHRISTIAN PONCELET
Non, non, je crois que maintenant il faut en finir, il faut en finir et par conséquent je dis la page est tournée. Il y a eu un très bon débat au Sénat, un débat qualifié de grande qualité par tous les présents, certains étaient à l'extérieur ; ils ont pu juger les arguments développés par ceux qui étaient contre l'inscription de la loi et par ceux qui étaient pour l'inscription de la loi qui avaient des arguments de valeur, par conséquent maintenant que le débat démocratique a eu lieu, encore une fois il faut regarder vers l'avenir.
PIERRE GANZ
Un mot encore à propos de ces thèmes de devoir de mémoire ; est-ce que cela doit s'appliquer aussi aux tortures pratiquées par les militaires français pendant la Guerre d'Algérie ?
CHRISTIAN PONCELET
Bah, je crois qu'on a déjà sur ce point, n'est-ce pas, procédé à des enquêtes, procédé et tout cela, il faudra affirmer les responsabilités. Mais je me demande toujours quel avantage on retire de vouloir remuer, n'est-ce pas, les moments douloureux du passé ?
PIERRE GANZ
Bah, c'est un petit peu ce que vous disent les officiels turcs à propos de l'Arménie.
CHRISTIAN PONCELET
Je me demande pourquoi. Oui, bien sûr, je les comprends, je les comprends ! Mais puisqu'une proposition de loi a été déposée, puisqu'il faut aller à son terme, nous sommes allés à notre terme.
PIERRE GANZ
S'il y avait une proposition de loi pour reconnaître les tortures en Algérie par la France, est-ce que vous accepteriez qu'on la vote au Sénat ?
CHRISTIAN PONCELET
Eh bien, attendons qu'elle soit déposée.
PIERRE GANZ
Juste un mot encore, Christian PONCELET. Hier, vous avez présidé à la création d'une association des sénats d'Europe qui veut rapprocher toutes ces institutions sénatoriales qui existent en Europe ; est-ce que l'objectif est aussi de promouvoir un sénat européen ?
CHRISTIAN PONCELET
Ecoutez, moi j'ai toujours dit et je continue à dire que le Sénat est une institution d'avenir. A telle preuve que nous avions dans les années 70 environ 45 sénats, aujourd'hui nous en avons plus de 70.
PIERRE GANZ
Alors est-ce qu'il en faut un pour l'Union européenne ?
CHRISTIAN PONCELET
Eh bien, oui ! Oui, parce que si demain il y a une Europe politique, avec un parlement et que ce parlement ait une seule assemblée, une seule assemblée c'est toujours dangereux, parce que cette assemblée peut être à un moment ou à un autre accaparée par un seul mouvement et par conséquent ce mouvement, en complicité avec l'exécutif, peut conduire à un excès de pouvoir, un excès d'autorité, un autoritarisme et ensuite au totalitarisme. Par conséquent, il est bon qu'il y ait un sénat, à l'exemple de la France, qui de temps en temps dit attention, n'est-ce pas, là on va à l'excès et par conséquent il faut savoir raison garder.
PIERRE GANZ
Et il représenterait l'ensemble des territoires nationaux européens ce sénat ?
CHRISTIAN PONCELET
Comme en France, n'est-ce pas, le Sénat représente les populations, il légifère à part entière mais il a une obligation reconnue dans la Constitution de veiller aux intérêts des territoires. Imaginons un seul instant qu'il y ait des régions françaises ou des régions européennes qui n'aient aucun élu pour exprimer la préoccupation de ces territoires, eh bien nous aurions des territoires en déshérence, ce qui n'est pas souhaitable parce qu'on veut une région harmonisée.
PIERRE GANZ
Merci, Christian PONCELET, bonne journée à vous, au revoir !
CHRISTIAN PONCELET
Vous de même ! FIN*
(Source http://www.senat.fr, le 27 novembre 2000)