Point de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur l'aide et la levée des sanctions de l'UE contre la Yougoslavie après la victoire de M. Kostunica, la souveraineté yougoslave sur le Kosovo, la question de l'arrestation de M. Milosevic et la consolidation de la démocratie en Yougoslavie, Belgrade le 10 octobre 2000.

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Circonstance : Voyage de M. Hubert Védrine en Yougoslavie le 10 octobre 2000

Texte intégral

Je suis à Belgrade aujourd'hui, au lendemain de la réunion de Luxembourg, où nous avons décidé à quinze de lever les sanctions comme je l'avais promis dès le début du mois de septembre à la réunion d'Evian, dans l'hypothèse où la démocratie vaincrait à Belgrade. C'est ce qui s'est produit malgré les manuvres du pouvoir de M. Milosevic aux abois. J'ai d'abord et avant tout exprimé à M. Kostunica, au président Kostunica, mon admiration. Admiration pour ce raz-de-marée démocratique. Je lui ai dit que le peuple serbe et lui-même venaient d'écrire une belle page de l'histoire démocratique moderne de l'Europe, de la légende démocratique de l'Europe, tout ça pacifiquement, avec un courage serein et maintenant ils sont à pied d'oeuvre et c'est le moment où l'Europe doit tenir ses promesses. C'est ce qu'elle a fait hier en levant les sanctions aériennes et l'embargo pétrolier, en levant les sanctions financières, sauf celles qui concernaient directement M. Milosevic, le responsable du régime et son entourage, en proposant une coopération à la Yougoslavie et en élaborant déjà une stratégie de rapprochement entre la Yougoslavie et l'Union européenne. En faisant cela, nous voulons soutenir et accompagner ce travail encore difficile, lourd, qu'ils ont devant eux, de consolidation de la démocratie.
Q - Vous pouvez donner quelques détails sur ce rapprochement ou sur une aide économique ?
R - Il faut commencer par le commencement, c'est-à-dire qu'il faut évaluer les besoins, évaluer la situation. Dès aujourd'hui, une mission envoyée, à la demande de la Présidence par la Commission, est au travail pour identifier les interlocuteurs et voir avec eux comment les choses se présentent. Après, on verra sous quelle forme et à travers quelle coopération l'Union européenne peut aider la Yougoslavie. Il n'est pas question de décider ça entre nous, à Bruxelles. C'est un pays avec lequel il faut reprendre le dialogue, un dialogue démocratique, respectueux. Quelles sont leurs priorités, quels sont leurs besoins ? J'ai donné quelques exemples concrets déjà puisque j'ai indiqué que l'Union européenne était prête à participer au déblaiement du Danube et à la reconstruction des ponts. C'est un exemple parmi d'autres, il faut savoir quelles sont les priorités du responsable actuel, en plus il faudrait qu'un gouvernement soit nommé. Dès qu'un gouvernement sera nommé, on pourra travailler de façon plus précise. Il faut prendre tout cela en compte, c'est à partir de là qu'on bâtira les priorités de notre coopération.
Q - Vous avez parlé du Kosovo avec M. Kostunica. Peut-on savoir ce que vous vous êtes dit, ce qu'il vous a demandé ou ce qu'il vous a dit notamment sur la question des prisonniers de chaque côté ?
R - Ce que je peux vous dire, c'est qu'avec le président Kostunica toutes les questions ont été abordées. Au départ, je lui ai exprimé mon sentiment d'admiration, je lui ai précisé les décisions, les propositions qui sont faites, les offres, et après nous avons parlé de la situation du président Milosevic, de l'ex-président, nous avons parlé du Kosovo et nous avons parlé des voisins de la République fédérale de Yougoslavie, donc tout a été abordé. En ce qui concerne le Kosovo, il m'a fait part de son analyse selon laquelle la Yougoslavie demande que tout soit abordé sur la base de la résolution 1244 - je ne peux que le confirmer. Il n'y a pas d'autre loi internationale concernant le Kosovo que cette résolution 1244.
Q - En ce qui concerne les réfugiés ?
R - La résolution 1244 concerne l'ensemble de la question du Kosovo. Mais on sait que, malgré cela, plusieurs problèmes se posent qui ne sont pas réglés. Il y a les prisonniers Kosovars albanophones, qui sont en Serbie. Les chiffres varient, je crois que c'est de l'ordre de presque un millier. Il y a d'autre part la question des Serbes qui ont fui le Kosovo dans les conditions que l'on sait et qui voudraient revenir. Il y a d'autres questions sensibles comme celles des monastères. Donc il faut un dialogue.
Q - Et la souveraineté de la République fédérale yougoslave sur le Kosovo qui n'est toujours pas réglée ?
R - En droit international, le problème est réglé par la résolution 1244. Et à l'heure actuelle ni les uns ni les autres ne peuvent s'en écarter. Et cette résolution qui a été établie par le Conseil de sécurité ne pourrait être modifiée que par le Conseil de sécurité, donc c'est à l'intérieur de ce cadre que nous devons travailler. J'ai exprimé notre sensibilité sur tous ces sujets, il faut que le dialogue s'établisse, y compris sur les prisonniers. Il m'a expliqué son approche et je l'ai acceptée, je lui expliquée la nôtre, il m'a écouté.
Q - Vous avez dit que vous aviez parlé de Slobodan Milosevic avec lui. Est-ce que vous en faites un préalable, est-ce que vous savez où se trouve le président Milosevic qui doit être traduit devant le tribunal de La Haye ?
R - Je ne suis pas venu pour travailler sur ce sujet.
Q - Mais est-ce que vous en avez parlé ?
R - Oui, parce que ça fait partie des problèmes dont on parle et qu'il est normal qu'aucun sujet ne soit écarté, naturellement. Vous connaissez la position de président Kostunica, qu'il a exprimée publiquement à plusieurs reprises. J'ai eu un entretien également pendant le déjeuner avec de nombreuses personnalités dont M. Djinjic et beaucoup de responsables de l'ancienne opposition. Ce qu'ils nous disent tous, c'est qu'ils sont bien conscients des problèmes, ils en sont même les premiers conscients parce que ce problème les concerne, je dirais, en priorité, mais ce n'est pas le problème qu'ils peuvent régler avant tout, alors même que la démocratie n'est pas encore complètement installée. Elle peut encore rencontrer des obstacles ou des menaces, et elle doit être consolidée et nous devons l'aider à se consolider, c'est pour nous la priorité. Bon, la situation en droit international est tout à fait claire, je n'ai pas besoin d'y revenir, mais comme le disait le président du Tribunal pénal international lui-même il y a très peu de jours, le juge Jorda, chaque chose en son temps.
Q - Cela n'a donc plus d'importance aujourd'hui ?
R - Il est très clair que chaque chose doit venir en son temps et que tout le monde peut comprendre qu'en République fédérale de Yougoslavie où le peuple vient d'imposer de façon extraordinaire la démocratie, il y a un travail d'installation, il y a un travail de consolidation. Ils viennent de décider par exemple des élections pour le 18 décembre en Serbie, donc il va y avoir une campagne électorale, une redistribution des forces politiques, et il n'y a pas de gouvernement encore. Donc c'est tout à fait normal que les nouveaux responsables, ceux qui sont en place en tout cas, soient conscients des obligations internationales de la Yougoslavie. Mais vous pouvez comprendre aussi qu'ils sont engagés à fond, complètement pris par cette étape de construction de la démocratie. Notre priorité, c'est d'aider à cette consolidation.
Q - Est-ce que vous savez où est Slobodan Milosevic ?
R - Je n'en sais rien, et ce n'est pas un problème pour moi, cela ne m'empêche ni de communiquer les décisions de Luxembourg, ni d'évoquer les coopérations à venir, ni de demander que la Commission évalue les besoins immédiats et urgents de la Yougoslavie, ni de commencer à réfléchir sur les éléments d'un dialogue entre les nouveaux responsables de Belgrade et ceux qui ont la charge de la gestion actuelle du Kosovo, à la réconciliation entre la République fédérale de Yougoslavie et l'ensemble des pays voisins.
Q - Ce n'est une priorité ni pour l'Europe, ni pour le gouvernement yougoslave ?
R - C'est un sujet important et les autorités yougoslaves le savent très bien, elles le savent encore mieux que nous, mais elles sont engagées dans une tâche qui est prioritaire. Ça ne veut pas dire que d'autres sujets disparaissent comme la question de ce qu'a fait Milosevic dans l'histoire de cette région, de ce qu'il a fait et de ses méfaits si je puis dire. Ces questions ne peuvent évidemment pas disparaître. D'une façon ou d'une autre, il aura à rendre des comptes, naturellement, mais je peux comprendre que les autorités démocratiques très récemment installées soient à l'ouvrage, pour consolider cette situation démocratique, ce qui est, après tout, ce que nous souhaitons nous-mêmes en priorité. Donc je suis là pour les aider dans cette tâche au nom de l'Europe qui a pris ces décisions sur l'embargo et sur la coopération pour les aider. Ce sera notre priorité dans les semaines qui viennent, à travers la venue de M. Kostunica à Biarritz puisqu'il me l'a confirmée, ensuite pour préparer le sommet de Zagreb qui aura lieu fin novembre entre l'Union européenne et les Balkans occidentaux, qui était conçu à l'origine pour adresser un message politique à l'opposition serbe et qui change de nature. Nous avons plusieurs semaines chargées et importantes, nous allons nous efforcer dans une coopération entre l'Union européenne et la Yougoslavie à consolider cette nouvelle démocratie et j'ai la conviction personnelle que tous les problèmes qui peuvent se poser encore et que nous aurons à l'esprit et auxquels vous pensez à travers vos questions, j'ai la conviction que tous ces problèmes pourront être résolus à l'intérieur de ce mouvement démocratique yougoslave. Il faut leur faire confiance. Je pense qu'un peuple qui a fait cette démonstration récente de son courage tranquille, de sa détermination démocratique et pacifique mérite qu'on lui fasse confiance.
Q - Quand la RFY pourra-t-elle adhérer à l'UE ?
R - Tout pays démocratique européen a vocation à être candidat à l'adhésion à l'Union européenne. C'est un principe général qui continue dans les traités depuis le Traité de Rome. Après, ça passe évidemment par des étapes, par une préparation, par une maturation, par des transformations, par des candidatures, par des négociations, enfin toutes sortes de choses et ils n'en sont qu'au début du commencement. Aidons les d'abord à s'installer comme nouvelle démocratie, à se consolider, à coopérer. Il y a beaucoup à faire, et après on avancera en mettant un pied devant l'autre et en continuant.
Q - Mais la non-appartenance à l'OTAN n'est-elle pas un obstacle insurmontable ?
R - Non tous les pays membres de l'Union européenne ne sont pas membres de l'OTAN, il n'y a aucun rapport entre les deux.
Q - M. Kostunica ne sera-t-il pas un partenaire plus difficile encore que M. Milosevic ?
R - Je n'ai pas cette impression. Je pense que M. Kostunica et les autres responsables démocrates que j'ai rencontrés sont évidemment très attachés à défendre les intérêts de la Serbie, avec beaucoup de conviction, beaucoup de vigueur, mais qu'en même temps ils veulent absolument s'ouvrir sur l'Europe, coopérer avec l'Europe. D'ailleurs M. Kostunica va aller à la fin de la semaine au Sommet européen de Biarritz, parce que leur désir est de nouer des relations avec tout le monde. Donc j'ai tout à fait confiance en la dynamique du changement démocratique qui va entraîner une évolution des mentalités des démocrates serbes. Je crois que ce peuple vient d'accomplir une sorte de prouesse, se libérant démocratiquement et pacifiquement. Il faut lui faire confiance sur la suite, même s'il y a des sujets sur lesquels nous n'avons pas les mêmes approches car il peut y avoir des désaccords. Il peut y avoir des difficultés bien sur, tous les problèmes ne disparaissent pas comme par enchantement, mais on peut avoir confiance dans la dynamique démocratique.
Q - Monsieur Védrine je vous remercie beaucoup de votre amabilité de répondre à nos questions. D'abord je voudrais vous demander, vous venez après une réunion de l'Union européenne, de lever les sanctions contre la Yougoslavie. [...] Vous avez levé les sanctions sur le pétrole, les transports aériens et les sanctions contre Milosevic et ses collaborateurs sont restées. Je voudrais bien vous demander de me préciser ce que ça veut dire tout ça.
R - D'abord je voudrais vous rappeler que, dès le début du mois de septembre, au nom de la Présidence de l'Union européenne, j'avais annoncé que si la démocratie l'emportait à Belgrade, l'Europe allait changer complètement sa politique. Je crois que ce message a été entendu ces dernières semaines. La démocratie a triomphé, malgré toutes les manuvres qui ont été faite pour l'en empêcher. Une révolution tranquille et pacifique a gagné. Nous nous en sommes tous extrêmement réjouis. Et nous avons tenu nos promesses. L'Union européenne a décidé hier lors d'une réunion des quinze ministres des Affaires étrangères et en effet il n'y a plus d'embargo aérien. Donc les compagnies aériennes peuvent à tout instant reprendre la desserte de la Yougoslavie. D'autre part, il n'y a plus d'embargo sur le pétrole qui peut donc à nouveau être commercialisé en Europe centrale. Sur le plan des avoirs financiers, il y avait une question de gel des investissements. Ça c'est une sanction qui va être levée. Mais il y avait le gel de certains avoirs et tous ceux qui sont liés au président Milosevic ou aux responsables de l'ancien régime, notamment tous ceux qui ont été inculpés, ces sanctions-là demeurent./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 octobre 2000)