Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur les transformations de l'espace urbain et de ses représentations, la participation des citoyens à la réflexion sur la ville, Bordeaux le 24 novembre 2000.

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Circonstance : Inauguration de l'exposition "Mutations" à Bordeaux le 24 novembre 2000

Texte intégral

Je suis particulièrement heureux d'ouvrir avec vous, ce soir, une grande manifestation sur des thèmes d'importance européenne et mondiale et cela dans une grande métropole régionale. A Bordeaux, dont le patrimoine architectural est à la fois historique et contemporain, a commencé il y a 20 ans une sensibilisation culturelle à l'architecture et à la ville, auprès de tous les publics avec simultanément un ancrage local et une ambition fondée sur un réseau international. Je tiens à en féliciter, sans attendre, Arc en Rêve, sa directrice Francine Fort et ses collaborateurs ainsi que les équipes municipales successives qui ont apporté tout leur soutien à cette politique culturelle de longue haleine.
Mutations, événement culturel sur la ville contemporaine qui va se dérouler pendant cinq mois à Bordeaux sur tous les fronts : cinéma, musique, livres, net, conférences rencontres, exposition, est le résultat d'un long travail de trois ans et de la mobilisation d'un réseau associant plus de 100 personnes dans le monde. Il nous est proposé une réflexion critique et prospective sur les villes dans le monde et sur les nouvelles formes de civilisation urbaine.
Cette manifestation vient après la Biennale d'architecture de Venise, au printemps, qui posait la question du critère éthique de la fabrication de la ville et de son organisation, avec le thème " plus d'éthique, moins d'esthétique ". Mutations fait aussi contrepoint en France aux récents Rendez vous de l'architecture. Ceux-ci étaient centrés sur la ville et les questions de réparation du tissu urbain, comme d'interventions contextuelles. Ici, il est question de chaos urbain lié à la marchandisation des villes et nous sommes conviés à une autre lecture de la ville qui renverse les concepts traditionnels d'une vision en apparence cohérente de la cité pour en faire ressortir les dérives et analyser les nouveaux processus.
Cette manifestation, véritable lieu géométrique des différentes doctrines sur la ville et de leurs nouvelles interrogations est particulièrement bienvenue à l'orée de ce siècle où se posent les questions majeures de l'environnement, de la concentration urbaine et des inégalités. Il était essentiel d'organiser un événement international qui réponde à l'importance de ces enjeux et c'est pourquoi le ministère de la culture et de la communication et sa direction de l'architecture et du patrimoine ainsi que la mission 2000 ont soutenu activement ce projet et ses auteurs.
La ville est aujourd'hui au cur de tous les débats, de toutes les interrogations majeures liées à l'émergence de nouvelles formes de civilisation urbaine. Ces renouvellements urbains correspondent en effet à des changements de sociétés. La diversité culturelle, la multi-appartenance des populations et leur nomadisme créent des migrations urbaines nouvelles. Les transformations de composition familiale entraînent des comportement sociaux et collectifs différents. Les technologies de l'information et ce qu'on appelle le capitalisme cognitif transforment la réalité de l'espace public. La place, la rue ne sont plus l'essentiel du lieu social qui s'élargit à l'espace et à la rencontre virtuels.
Les centres villes qui deviennent des centres commerciaux créent d'autres mobilités dans la ville : autres échelles, autres rythmes, sachant que la vitesse et le nombre de déplacement dans la ville étalée ont augmenté de 30 % en 20 ans et s'accroîtront encore avec la réduction du temps de travail.
Ainsi, la convivialité urbaine et le lieu social renvoient à la gestion du temps, de l'espace, du net.
Comment alors hiérarchiser les échelles de territoires et créer des formes urbaines en quête de formes sociales ? L'urbanisme planificateur et stratégique est abandonné. Au-delà des chiffres et des statistiques, des incertitudes liées à la mondialisation, au-delà même de la crainte d'un chaos annoncé, les transformations complexes des villes posent à chacun la question de notre avenir et de notre possible action dans les nouveaux territoires urbains. La difficulté pour tenter de mieux comprendre ces mutations urbaines, réside dans le fait que l'ensemble de nos références et de nos modes de représentations en matière d'organisation des cités a changé. La mise en uvre de programmes urbains rationnels, de stratégies au service d'un projet social sont aujourd'hui largement brouillées et remises en cause.
Pour nous aider à mieux comprendre et surtout à questionner le caractère flexible, aléatoire et provisoire de ces nouvelles réalités urbaine, le centre d'architecture d'Arc en Rêve s'est entouré d'éminentes compétences, d'ailleurs présentes et que je salue.
Rem Koolhas, architecte néerlandais, théoricien, voyageur et écrivain, est l'un des observateurs les plus attentifs du phénomène urbain de notre temps. Il démystifie les idées convenues sur la ville et jouant du paradoxe entre l'énorme multiplication de la ville et l'abandon de l'urbanisme nous donne à voir un nouvel environnement où, dans le chaos de la marchandisation, sont changés les termes architecturaux.
Stefano Boeri, architecte italien, remet en cause lui aussi les notions de centre urbain et de claire rupture ville/campagne au profit d'entités étalées et indistinctes. Il remet en question la vision apparemment cohérente de la ville européenne et s'attache à analyser les nouveaux processus qui agissent de façon invisible et diffuse sur les territoires.
Sanford Kwinter, philosophe américain, dénonce avec ironie les dérives marchandes de la ville américaine qu'il qualifie " d'inter-zone métropolitaine " où s'entrecroisent de nouvelles réalités. Il se livre à un essai critique sur la dernière étape de modernisation urbaine dont Houston pourrait représenter le cas limite.
Le photographe Alex Mac Lean donne un instantané saisissant de ces transformations.
C'est Jean Nouvel qui nous invite au voyage. Il a orchestré et mis en scène ces différentes approches, dans l'espace de l'Entrepôt en immergeant le public dans le monde et les multiples visages de la ville.
Mais si toutes ces positions - voire postures analytiques de la ville - , révèlent l'étalement, le chaos de la ville défaite, elles déplacent également son actuelle définition en termes de formes urbaines et matérielles pour la présenter comme une organisation de forces en mouvement, principalement économiques. Il faut souligner que la ville dans le monde continue de croître selon des formes différentes, ce que Mutations met en évidence en présentant les villes émergentes en Afrique et en Asie, les mutations de la ville américaine, comme le concept de villes européennes, dénoncé par d'aucuns comme mythique.
Sur le fond de mondialisation galopante et prenante, il est urgent comme nous y sommes ici convoqués, de mesurer les avantages et les grands risques que celle-ci représente, et de lutter pour tenter d'en réguler les conséquences comme :
- l'écart Nord/Sud,
- la désaffection de certains territoires au profit de grands pôles économiques,
- le creusement d'inégalités culturelles et sociales,
- l'écrasement de la diversité culturelle et la marchandisation de l'ensemble des activités humaines.
C'est pourquoi, à ce stade de la création architecturale et urbanistique, il est fondamental de s'interroger en associant tous les publics. Et il est à cet égard remarquable que Mutations intègre un volet s'adressant aux enfants, car il est essentiel que les citadins de demain aient pu accéder à cette culture de l'espace, du bâti, de l'urbain et de l'environnement. L'intérêt croissant des français pour l'espace urbain et le rôle que doit y jouer l'architecte est encourageant. De même que les expériences participatives qui sont menées dans d'autres pays d'Europe.
Je suis convaincu qu'au sein de toutes ces nouvelles mixités urbaines, la participation des citoyens, des citadins à la réflexion sur les enjeux de la ville et sur les décisions architecturales et urbaines est déterminante.
C'est en ce sens que le Conseil des Ministres européens de la culture, et j'ai le plaisir de vous l'annoncer, a adopté hier une résolution qui, entre autres points, je cite " encourage les Etats membres à intensifier leurs efforts en faveur d'une meilleure connaissance et promotion de l'architecture et de la conception urbaine, ainsi qu'une meilleure sensibilisation et formation des maîtres d'ouvrages et des citoyens à la culture architecturale, urbaine et paysagère, et les invite à encourager des actions de promotions, de diffusion et de sensibilisation aux cultures architecturales et urbaines dans le respect de la diversité culturelle ". Ces points rejoignent les questions posées par Mutations, nous sommes donc en pleine actualité .
Il est évident que le ministère de la culture et de la communication à travers la diversité de ses missions qui concernent l'architecture, le patrimoine et la décentralisation culturelle se devait d'être présent dans cette réflexion internationale et dans cette manifestation résolument prospective. En effet, il est important que l'Etat avec ses partenaires les collectivités territoriales se tienne en constante vigilance et soit particulièrement attentif aux questions et aux évolutions fondamentales qui agitent et parfois dérangent l'ensemble de nos sociétés.
Si la question de la transformation et du destin des cités demeure ambiguë et complexe, si aucune réponse satisfaisante ne peut sûrement être à ce jour délivrée sur l'avenir des villes, il est cependant envisageable, comme nous le rappelle Rem Koolhas, d'influencer notre environnement contemporain et - je le crois - de ne céder ni aux dérives nostalgiques ni aux errements modernistes et moins encore à l'inquiétude passive. Je crois plus à l'engagement. Je rappellerai celui que vient de prendre le Premier Ministre à Orléans à l'occasion de l'inauguration du Pont de l'Europe, conçu par Santiago Calatrava, en soutenant la création architecturale et les métiers de la ville. Je le cite :
" L'architecte n'est pas seulement un inventeur de formes originales. Il est aussi le concepteur d'une synthèse mêlant des objectifs esthétiques, techniques, économiques et sociaux partagés par une collectivité. L'acte architecturale est une uvre de l'esprit, au service du bien-être des habitants de la ville ".
Je souhaite que cette manifestation, la plus emblématique des dernières célébrations de l'an 2000, permette à toutes et à tous, au-delà d'une prise de conscience des questions urbaines actuelles, de choisir la voie de l'action et de se sentir donc " embarqués ".
Je vous remercie de votre attention.

(Source http://www.culture.gouv.fr, le 27 novembre 2000)