Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, dans "Le Figaro" du 9 et déclaration sur les enjeux de la conférence de Buenos Aires sur les changements climatiques, à Buenos Aires le 12 novembre 1998.

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Circonstance : Conférence internationale sur les changements climatiques à Buenos Aires du 2 au 13 novembre 1998

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Intervention de Dominique VOYNET à la quatrième conférence des parties à la convention cadre sur les changements climatiques (Buenos Aires) - le 12 novembre 1998.
Madame la présidente, mesdames et messieurs.
L'an dernier à Kyoto, nous nous sommes fixé des objectifs, nous avons déterminé des principes d'action et retenu quelques outils de mise en uvre pour tenter d'enrayer des changements climatiques de grande ampleur auxquels nous ne voulons, ni ne pouvons nous résigner.
Aujourd'hui, à Buenos Aires, il est temps de traduire nos engagements en actes concrets.
Premier enjeu : Commençons nous, pays riches, par tenir parole !
La réalisation effective des réductions d'émissions décidée à Kyoto par les pays de l'annexe 1 passe d'abord par un effort domestique massif des pays développés.
Ils n'ont pas seulement une responsabilité historique : ils sont à l'origine de la majorité des émissions mondiales.
C'est sur cet effort de base de réduction des émissions que sera jugée la sincérité de l'engagement de chacun de nos gouvernements.
Certes, plusieurs pays ont déjà adopté des mesures au plan national : isolation des logements, amélioration des procédés industriels, réduction des émissions des véhicules, maîtrise de l'énergie.
Mais, une approche commune de mesures collectives est indispensable pour améliorer leur efficacité.
Dans ce but, les pays développés doivent dès aujourd'hui adopter des politiques et mesures économiquement et écologiquement efficaces.
Quels en sont les instruments ?
Il faut d'abord faire progresser les technologies notamment par un effort de normalisation des performances des équipements grand public et des accords volontaires de réduction des émissions dans les transports.
Il faut également prendre appui sur l'attrait que présentent des potentiels de réduction de carbone à travers les mécanismes de marché à plus faible coût.
Mais, ceux-ci ne sauraient constituer qu'un complément, comme nous l'avons décidé ensemble à Kyoto. A cela s'ajoute la longueur des délais nécessaires à la mise en place effective des mécanismes d'évaluation, de vérification et de contrôle indispensables à leur efficacité.
C'est pourquoi, il faut aller au delà : il n'y a pas d'autres solutions que l'engagement de nos sociétés d'abondance et de gaspillage dans un développement plus durable.
Les pays tardant à engager la transition seront ceux qui connaitront l'adaptation la plus difficile.
Pour cela, je crois nécessaire d'utiliser tous les moyens d'action de l'Etat : lois, normes, règlements, accords volontaires sans oublier la fiscalité, tenant compte du contenu en carbone et de l'impact environnemental des différentes activités.
Le produit de ce type de fiscalité peut contribuer à notre effort de solidarité en direction des pays en développement et réduire les prélèvements qui pèsent sur l'emploi et l'investissement.
En matière de fiscalité, l'adaptation de nos industries du secteur concurrentiel serait fortement facilitée par l'adoption de mesures communes qui éviteraient des distorsions de concurrence ravageuses.
Je pense bien sûr à la taxation du kérosène.
Sachez que l'Europe avance à grands pas dans cette direction.
Si nous nous montrions capables de coordonner nos efforts, la fixation d'un plancher aux efforts nationaux à l'intérieur des réductions totales fixées à Kyoto ne restera pas une simple garantie contre les dérapages. Elle constituera un moyen de vérifier l'efficacité des stratégies développées dans les pays riches au nom des principes de responsabilité et de solidarité.
Deuxième enjeu, n'oublions personne, dans l'effort commun comme dans la solidarité.
L'effort commun doit être équitable, c'est à dire proportionné aux moyens de chacun. La reconnaissance des droits de chacun vis à vis de ce bien commun qu'est l'atmosphère est la clé de l'engagement de tous.
La lutte contre l'effet de serre ne doit surtout pas entraver le développement des plus faibles.
Il faut au contraire les aider à défricher une nouvelle voie de développement, plus durable que celle qu'ont emprunté les pays industrialisés.
Cela est d'autant plus urgent que ces pays sont souvent les principales victimes du changement climatique.
Puisqu'à l'échéance de 2020, la majorité des émissions devrait provenir des pays en développement, il est fondamental de les aider à s'équiper sans tarder avec les meilleures techniques.
Il est fondamental de mettre en place les mécanismes permettant une répartition équitable des financements. Il est nécessaire que l'ensemble des Etats soit intégré dans la dynamique de lutte contre l'effet de serre.
L'équité dans l'effort, l'équité dans les droits
L'effort commun doit reposer, pour être équitable, sur le principe d'une convergence à long terme, pour tous les pays, des taux d'émissions de gaz à effet de serre.
Une telle convergence permettrait d'évaluer l'évolution générale de chaque pays et sa contribution à l'effort commun dans un souci d'équité. Pourrait ainsi être reconnu comme un effort d'application du protocole de Kyoto d'un pays en développement, toute action qui consisterait à orienter son développement dans cette stratégie de convergence.
C'est la voie, la seule, qui permettra aux pays du sud de s'inscrire progressivement dans le processus lancé à Kyoto.
L'équité dans la répartition des financements
Il s'agit d'abord de la responsabilité des pays riches.
Dans cet esprit, la France vient de décider l'annulation de la dette du Honduras et du Nicaragua dramatiquement sinistrés par le cyclone Mitch soit 240 millions de $.
La France apporte une aide d'urgence de 4 millions de $ en plus des 120 millions de $ de l'Union Européenne.
La France et le Royaume Uni proposent en outre la création d'un Fonds se subsituant aux remboursements des pays d'Amérique centrale vis à vis du FMI.
Concernant l'effet de serre, les outils de financement multilatéral existent déjà : des projets de développement sont engagés notamment dans le cadre du Fonds pour l'Environnement Mondial.
Mais une réflexion d'ensemble semble aujourd'hui nécessaire.
C'est pourquoi, la France a proposé, il y a quelques jours, d'organiser une conférence internationale sur les différents mécanismes nécessaires pour faciliter les transferts de technologies. Notre souci est d'intensifier les transferts de savoir-faire en faveur de techniques robustes, économes et utiles.
Mais il n'y a pas que le secteur industriel qui soit concerné. La lutte contre l'effet de serre dans les pays du sud doit également s'appuyer, par exemple, sur une meilleure efficacité énergétique dans les logements neufs et les infrastructures publiques. Leur durée de vie est en effet de l'ordre du siècle.
Cet enjeu, tout aussi important que l'équipement industriel, rend nécessaire un effort massif de transfert de technologies et de connaissances. Prévenir par la qualité des équipements et des infrastructures coûtera à tous moins cher qu'améliorer ultrieurement des équipements mal conçus.
La France est disposée à soutenir un programme international de transfert de savoir-faire et de technologies pour la construction de bâtiments neufs bénéficiant d'une bonne isolation thermique, qui s'appuirait sur les politiques et mesures des pays de l'annexe 1.
Pour accompagner ces différents efforts, il est essentiel de dégager les ressources d'une aide additionnelle au développement durable.
A cet effet, il serait utile de faire progresser l'idée d'une contribution financière prélevée sur les échanges effectués dans le cadre des différents mécanismes de flexibilité.
Troisième enjeu : l'adoption de règles permettant de garantir la fiabilité écologique et la sécurité juridique de chacun des mécanismes de marché.
Ces mécanismes de flexibilité peuvent être, comme la langue d'Esope, la meilleure comme la pire des choses.
La pire, si, non maîtrisés, ils constituent un échappatoire aux obligations souscrites. La meilleure, s'ils permettent d'accélérer la réduction des émissions à un coût minimal. C'est pourquoi les mécanismes devront s'appuyer sur un système fiable de régulation.
Celui-ci devra porter sur la vérification du caractère effectif et durable des réductions.
Il devra assurer la transparence et l'accès aux opportunités de transactions.
Il devra être équitable dans la création et l'allocation des droits à échanger. Un prix plancher de la tonne de carbone pourrait y contribuer.
Enfin, il devra s'accompagner de sanctions avec responsabilité du vendeur et de l'acheteur.
Les récentes crises financières internationales ont rappelé à chacun à quel point la sécurité des transactions était indispensable.
Ces mécanismes ne peuvent relever de la seule bonne volonté des Etats. Ils doivent être définis dans le cadre du protocole de Kyoto. Ils constituent une condition de la efficacité et la crédibilité.
Conclusion
La lutte contre l'effet de serre demande à la fois des politiques publiques fortes, toutes les ressources de la technique, la mobilisation de l'initiative privée et une citoyenneté plus active.
Il nous reste quelques heures pour nous retrouver sur une démarche commune.
Je n'aurai qu'une recommandation : préservons l'équilibre de Kyoto.
Nous progresserons en l'améliorant, pas en le remettant en cause.
Le courage de chacun se nourrira du courage de tous.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 20 septembre 2001)