Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur les rapports entre patrimoine et art contemporain, Romans-sur-Isère le 10 novembre 2000.

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  • Michel Duffour - secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle

Circonstance : Inauguration des vitraux de Georg Ettl à la collégiale Saint-Barnard de Romans-sur-Isère le 10 novembre 2000

Texte intégral

J'ai souvent évoqué, depuis mon arrivée au gouvernement, cette rencontre entre le patrimoine et l'art contemporain, entre le monument et la création, nécessaire à toute culture vivante. Je me réjouis donc d'être parmi vous, à Romans, en terre d'élection si je puis dire tant cette préoccupation vous habite... et s'incarne puisque nous inaugurons, en cette magnifique collégiale Saint-Barnard, l'oeuvre d'un grand artiste Georg Ettl.
Cette rencontre avec l'art contemporain n'est pas nouvelle à Romans. Dès 1984, vous collaboriez avec un FRAC naissant à l'époque dans une salle du musée de la chaussure, puis ce fut Jean-Michel Albérola, et d'autres collaborations avec le FRAC.
Cet épisode n'était pas lui-même un coup d'essai. L'audace et l'ambition culturelle de votre ville ont déjà une longue histoire. Je tiens à vous en féliciter Monsieur le Maire. Tout comme je veux dire mon admiration pour l'opiniâtreté de Mme Christiane Laffont, votre adjointe à la culture, et ma peine devant l'épreuve qui l'empêche d'être parmi nous aujourd'hui. Depuis des dizaines d'années, vous menez inlassablement la restauration du cur historique de votre cité.
Certes, la beauté de ses hôtels particuliers, de ses édifices religieux et de son patrimoine industriel, rendait inconcevable tout autre choix.
Mais, là encore, ce qui me frappe, c'est la "virtuosité" dont vous faîtes preuve pour marier la conservation de toutes les facettes de votre patrimoine et la création contemporaine. Ce qu'il faut de courage et de créativité politique à des élus pour conduire cette aventure, vous l'avez, sur tous les fronts. Dans tous vos gestes, je lis le désir de réinterroger l'identité de votre ville en la revisitant, en la recomposant. Que vous fassiez de la création artistique l'axe de prédilection de ce chantier innovant, me touche particulièrement, je vous prie de le croire. Sans prétendre à l'exhaustivité, permettez-moi tout de même d'évoquer la très belle réalisation contemporaine confiée à l'artiste Jean-Gabriel Coignet, installée au coeur du quartier populaire de la Monnaie. Une politique culturelle, c'est aussi des symboles et des signes tangibles. Vous donnez à tous une belle leçon de démocratie culturelle en permettant l'irruption de l'art contemporain dans le quotidien de ceux à qui trop souvent on le confisque.
La même inspiration moderne est à la source du projet dont nous pouvons goûter cet après-midi l'aboutissement. Je voudrais tout d'abord "dire deux ou trois choses que je sais" de son auteur.
Cher Georg Ettl, la France est très attachée à votre oeuvre. Présentée et soutenue par la galerie Jean-François Dumont à Bordeaux, elle a été régulièrement exposée dans cette ville. Dès 1993, votre première intervention pérenne en France, à la fois discrète et audacieuse, au château d'Oiron, un monument historique classé, a montré votre immense respect pour le patrimoine, votre fine connaissance de l'histoire des formes tout comme la singularité de votre expression artistique.
Pour accompagner votre nouvelle commande publique en France, la ville de Romans vient de vous consacrer une exposition. Celle-ci a permis au public de découvrir votre oeuvre et votre démarche. Le Frac Limousin lui emboîte le pas en s'apprêtant à inaugurer une exposition personnelle intitulée "L'humain après Picasso", réunissant des oeuvres anciennes ainsi que l'ensemble de vos projets pour l'espace public.
En vous confiant cette nouvelle commande, le jury ne s'y est pas trompé. Il n'ignorait sans doute pas votre expérience des lieux de culte.
Vous avez ainsi consacré dix années de travail à l'aménagement et au décor peint et sculpté de l'église du Saint-Esprit de la ville de Neuss en Allemagne.
Outre l'harmonie des tonalités et des proportions qui caractérisent l'ensemble des fresques et des objets que vous avez imaginés pour ce lieu, vous parvenez, avec cette réalisation, tout comme avec les six vitraux que nous regardons en ce moment, à renouveler un genre pictural ancré dans notre histoire, mais que curieusement le 20ème siècle a peu à peu délaissé. Je veux parler de la peinture d'histoire.
Au coeur de la collégiale de Romans, mutilée par les bombardements, vous réhabilitez, avec audace et force, la peinture religieuse et narrative, celle qui livre un message, qui exige de celui qui la regarde de la lire, de la décrypter. Vous y parvenez en manipulant avec aisance une iconographie qui vous est propre.
Teintée d'humour et de sévérité envers votre époque, cette imagerie si particulière, dont l'efficacité est incontestable, est à l'image de votre culture.
A propos de votre peinture, dont les vitraux sont incontestablement le reflet, vous dites d'ailleurs, et je crois que cela est juste pour les compositions qui courent sur ces vitraux, que votre programme théologique, c'est avant tout celui de l'homme, " l'homme dans sa bêtise et sa méchanceté, ses désirs et ses rêves, mais aussi dans son amabilité. "
En effet, votre oeuvre parle de l'homme, de celui de notre époque. Les six compositions monumentales pour Romans qui illustrent, comme cela vous l'a été demandé, les deux derniers chapitres de l'Apocalypse selon Saint-Jean, l'espoir d'une Nouvelle Jérusalem mais aussi l'inévitable épisode de l'Enfer, livrent toute l'actualité de l'alternative entre le bien et le mal, la violence et la générosité, la justice et l'incompréhension. Le traitement éminemment contemporain des motifs -voyez ces accessoires et ces objets issus de notre quotidien comme les billets de banques ou les armes à feu logés dans les panneaux inférieurs- le montrent avec justesse et humour.
A mon sens, la force de ce langage peut atteindre chacun de nous. Et c'est en cela que votre oeuvre est engagée. J'irai jusqu'à qualifier ces compositions, transposées sur verre grâce à l'aide et à la compétence du maître-verrier Thomas, de laïques.
Cette apparente laïcité, due à la modernité de votre langage, rend accessible à un plus grand nombre la valeur et la profondeur de ces épisodes historiques qui ont fondé notre humanité et qui nous concernent tous. C'est là tout leur prix.
Ce prix inestimable, c'est aussi celui que j'accorde à la politique menée en faveur de la conservation et de la réhabilitation de notre patrimoine de vitraux. Je ne vous cacherai pas à quel point j'en mésestimais la richesse avant d'entamer mon tour de la "France culturelle". Sur ce registre de la création, le patrimoine de notre pays est proprement inouï.
Nos territoires recèlent la moitié des vitraux recensés dans le monde. Ce domaine est probablement l'un de ceux où notre politique culturelle a porté ses plus beaux fruits.
Ce n'est pas verser dans l'autosatisfaction, que de souligner l'innovation de la politique patrimoniale en ce domaine. La France fut la première à procéder à un inventaire exhaustif et opérationnel de ses vitraux. Nul doute que la création en 1994 d'un centre des métiers d'art, résultait également de la volonté de promouvoir, de former et d'assurer la survie du beau métier de verrier. Ils sont 500 aujourd'hui, à relever chaque jour le défi de la réhabilitation de ce patrimoine. La réalité de leur travail, nous en avons un bel exemple sous les yeux, balaye les idées reçues quant aux "vieux métiers".
Jean-Dominique Fleury, le maître-verrier qui assista Pierre Soulages, lors de son époustouflante réalisation à l'Abbaye de Concques, a inventé un nouveau verre avec l'aide des ingénieurs du Centre de recherche international sur le verre et les arts plastiques de Marseille. Cette aventure commune a pour moi valeur de symbole : fondre les techniques ancestrales avec les technologies de pointe, afin de mettre la création la plus contemporaine au service du rayonnement et de l'appropriation du patrimoine. A Concques, comme ici, cette détermination a produit des trésors. Le 20ème siècle, qui fut un temps celui de l'oubli du vitrail, s'achève par la renaissance de cet art dans la création contemporaine. Les vitraux de Chagall dans la cathédrale de Metz préfiguraient sans doute cette apothéose.
Cela n'aurait pas été possible sans une politique de commande publique, inédite, qui fut initiée dans les années 1980. Elle est à mes yeux l'incarnation de l'idée, plus que jamais révolutionnaire, d'un service public de la culture. En France, 97 % de la restauration et de la création de vitraux est le fruit d'une commande publique. Ce qui n'exclut pas, d'ailleurs, le recours au mécénat.
A ce titre, j'aimerais saluer la convention passée par Gaz de France avec l'Etat. Depuis 8 ans maintenant, elle a permis la réhabilitation de dizaines de vitraux. Du célèbre vitrail des "signes du zodiaque" de la cathédrale de Chartres, jusqu'à ceux de la cathédrale d'Angers et de celle de Poitiers.
Je veux terminer en adressant mes plus vives félicitations à Christiane Laffont, adjointe à la culture, Abraham Bengio, directeur régional des affaires culturelles, Marie-Claude Jeune, conseillère arts plastiques, sans oublier Annie Delay, chargée de mission à la DAPA et Dominique Ponnau, président de la Commission pour la sauvegarde et l'enrichissement du Patrimoine culturel, ainsi qu'à tous ceux qui ont contribué, où qu'ils se trouvent, à l'éclosion de cette oeuvre que nous contemplons. A ceux qui douteraient encore de l'apport de l'art contemporain à l'art sacré, ces vitraux adressent un superbe démenti.
Le vitrail est un espace de liberté, où les créateurs jouent avec la lumière, lui révèlent ses couleurs, lui montrent la part d'ombre qu'elle comporte. Les vitraux sont pour nous, les destinataires de ces uvres, des fenêtres tantôt largement ouvertes sur le monde, tantôt à peine refermées, pour que n'apparaisse que ce qui nous échappe sans eux.
C'est en tous cas le sentiment que vous me procurez, Cher Georg Ettl, je vous en remercie.

(Source http://www.culture.gouv.fr, le 13 novembre 2000)