Déclaration de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, sur la décentralisation culturelle, notamment les modes d'accès à l'art et à la culture et le pluralisme culturel, Paris le 15 septembre 2000.

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Circonstance : Colloque FNCC à Paris le 15 septembre 2000

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,

Michel Duffour et moi-même sommes particulièrement heureux de répondre à votre invitation.
D'abord parce que ce colloque célèbre le 40ème anniversaire de votre Fédération, dont chacun connaît la part qu'elle prend aux débats sur les politiques culturelles publiques. Dans la diversité de vos responsabilités, dans le pluralisme de vos engagements, vous affirmez, par vos échanges et vos prises de position, la conviction commune que la culture est une dimension tout à fait essentielle des politiques publiques, qui correspond à une demande de plus en plus forte et explicite de nos concitoyens.
Aussi parce que, six mois avant les élections municipales et cantonales de l'an prochain, vous me donnez l'occasion de dire publiquement combien je souhaite que la question culturelle soit bien présente dans les débats destinés à éclairer le choix des électeurs.
Nous pouvons avoir des appréciations différentes sur la nature et le degré de l'intervention publique dans le champ culturel, sur sa forme et ses modalités. Je ne doute pas, notamment après avoir entendu votre profession de foi Monsieur le Président de la FNCC, que nous soyons d'accord sur l'essentiel : sa nécessité. Nous savons qu'il nous faut souvent argumenter pour faire partager cette conviction à nos collègues, vous dans vos assemblées locales, et le ministre de la culture au sein du Gouvernement. Il dépend donc de vous que ces questions soient largement évoquées dans la période qui vient.
Nous savons également que tous les territoires ne vivent pas au même rythme et que des situations culturelles locales peuvent évoluer, voire se développer, parce qu'ailleurs des actions exemplaires auront été menées et sont connues par les réseaux d'élus et les réseaux professionnels. Il s'agit donc de tout faire pour diffuser ces expériences.
Je voudrais maintenant apporter ma contribution à des échanges que je ne pourrai malheureusement pas suivre, mais dont la qualité des intervenants et les thèmes retenus me paraissent garantir l'intérêt et la richesse.
Les questions auxquelles vous allez consacrer vos travaux sont nombreuses et toutes pertinentes. Vous évoquerez je n'en doute pas la question des enseignements artistiques qui sont une de nos responsabilités communes et qui sont un domaine sur lequel nous souhaitons que l'action de notre ministère progresse, le problème de l'émergence de nouveaux espaces culturels, auxquels vous consacrerez une table-ronde. Pour ma part, j'ai choisi de vous parler des modalités et des objectifs du partenariat qui, depuis tant d'années, caractérise les relations entre l'Etat et les collectivités que vous représentez dans le domaine de la culture.
Les décisions et les initiatives du Premier ministre, Lionel Jospin, ont placé au centre du débat public la perspective d'une nouvelle étape de la décentralisation. Vous savez aussi que Pierre Mauroy va très prochainement remettre le rapport de sa commission à ce sujet. Aller plus avant dans la décentralisation culturelle me paraît constituer aujourd'hui une étape nécessaire pour dynamiser les politiques publiques culturelles. Ce sera le premier point de mon propos, puis je préciserai les formes qu'elle me paraît devoir prendre et les écueils qu'elle doit éviter.
1 - Les acquis de la décentralisation
La décentralisation culturelle, vous le savez, et j'y ai été personnellement impliquée, a d'abord été, dans les années soixante/soixante- dix essentiellement une initiative de l'Etat. Elle a été par la suite puissamment relayée, notamment à partir des années quatre-vingt, par l'engagement croissant des collectivités territoriales.
Les acquis de cette démarche commune sont incontestables ; j'en souligne ici deux :
- la présence sur l'ensemble du territoire d'équipes artistiques et d'institutions culturelles, dont la mission est de mieux répartir les initiatives entre Paris et les régions, pour rapprocher la création et la diffusion des publics, pour mieux répondre aux besoins de diversité et de proximité de nos concitoyens. Cette couverture du territoire est assez largement réalisée et, en tout cas, elle a considérablement progressé en même temps avec une exigence de qualité largement partagée.
- Second acquis : un renforcement considérable, au sein de vos collectivités, de la capacité d'expertise, parallèlement à la déconcentration des services de l'Etat, désormais plus proche, dans les directions régionales des affaires culturelles et les services départementaux de l'architecture et du patrimoine.
Ce grand progrès, c'est ensemble que nous l'avons réalisé, par paliers successifs. L'objectif était clair, il nous est commun, c'est l'objectif républicain d'égalité, appliqué au domaine de l'art et de la culture : favoriser l'accès de chacun aux pratiques artistiques et culturelles en plaçant le projet culturel au cur d'un nombre croissant d'initiatives publiques.
Dans ce processus, les rôles respectifs de l'Etat et des collectivités territoriales ont bien sûr bougé.
2 - Une nouvelle étape de la décentralisation est nécessaire.
C'est précisément pour mieux répondre à l'objectif d'égalité qu'il nous faut aujourd'hui nous engager dans une nouvelle étape. Là où ils vivent, nos concitoyens nous demandent :
- d'une part, de trouver dans les politiques culturelles publiques une réponse différenciée, mieux ajustée à leur vie quotidienne, à leurs demandes culturelles spécifiques et aux problèmes auxquels ils sont confrontés dans leur vie familiale et dans leur vie collective,
- d'autre part, de pouvoir mieux identifier les niveaux de responsabilité de ce qui est désormais perçu comme un service collectif culturel constitué par les actions des collectivités locales, celles de l'Etat et souvent par l'addition des actions menées en commun par les collectivités.
Il nous faut donc répondre à cette double demande. Ce sont ces deux points que je développerai successivement.
A) Une action de proximité au service de la diversité.
Sur le premier point, notre action commune doit désormais mieux prendre en compte la variété des modes d'accès à l'art et à la culture et le pluralisme culturel qui caractérise notre société et qui concourt d'ailleurs au renouvellement des formes et des contenus eux-mêmes.
Chacun conçoit que les collectivités territoriales sont le mieux à même d'être à l'écoute de cette diversité et de soutenir les initiatives qui peuvent le plus efficacement y répondre. L'action culturelle publique se situe plus qu'auparavant à l'articulation de l'art et de la culture avec les caractéristiques de chaque territoire et de son patrimoine. Vous êtes bien évidemment au cur d'une telle démarche.
Sur le plan des contenus, progressivement, la vision développée par André Malraux d'un modèle universel de l'art s'est trouvée contestée par les tenants parfois radicaux d'une prise en compte prioritaire des données sociologiques de la culture. Il y a là un faux choix : ces deux ambitions ne peuvent pas s'opposer, il nous appartient de les faire vivre également.
A cet égard, vos collectivités sont situées en quelque sorte en première ligne face à l'enjeu de la relation non seulement avec le public mais avec la population dans sa diversité. Rapport à la création, rapport à la population, ce sont bien les deux enjeux de toute politique culturelle publique.
Il convient toutefois d'être attentif à ce que la relation entre la culture et les territoires serve bien de levier de développement et de progrès et ne mène pas à un repli, voire à un enfermement. Il me paraît utile de rappeler que toute l'action menée depuis un demi-siècle par les pouvoirs publics a été fondée sur le dialogue entre l'universel et le singulier, dans une perspective de partage et d'ouverture. Dans ce cadre l'accent mis de plus en plus souvent, par les responsables politiques et aussi par de très nombreux artistes eux-mêmes, sur la dimension de proximité de leur action doit viser d'abord à rapprocher l'art et la culture de la population sans esprit de localisme.
Une décentralisation bien comprise et bien conduite doit donc se soucier de la nécessaire interaction entre des références et des exigences universelles et la spécificité des territoires et des repères culturels.
C'est en fonction de ces objectifs de proximité, d'accessibilité renforcée, qu'il convient d'élaborer les modalités d'une nouvelle étape de la décentralisation culturelle, que Michel Duffour conduira en concertation étroite avec les collectivités territoriales.
B) La clarification des compétences.
Cette nouvelle étape implique à l'évidence des clarifications de compétences, une meilleure identification des responsabilités des différentes collectivités y compris l'Etat, qui doit faire l'effort de tracer avec vous et avec les acteurs culturels les contours futurs de son intervention dans le champ culturel pour la décennie à venir.
Cela suppose une lisibilité accrue du rôle de chaque collectivité, et, dans certains cas comme vous l'avez évoqué, la désignation d'une collectivité chef de file autour de laquelle s'organise, si nécessaire, le partenariat commun.
Pour conduire cette évolution, il nous faudra esquisser progressivement et de manière pragmatique, un nouveau partage des tâches. La question est en fait assez simple : quelle est à chaque fois la collectivité la mieux à même ou la plus légitime pour assumer telle ou telle compétence ? Il n'y a évidemment pas qu'une seule réponse, qu'un seul modèle, et il nous faudra élaborer cette nouvelle organisation ensemble, sans rupture, à partir d'un examen attentif, domaine par domaine, de l'adéquation entre les fonctions concernées et le bon niveau d'intervention.
Cela vaut d'ailleurs aussi bien pour les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales que pour l'équilibre à trouver entre les collectivités elles-mêmes, dans le cadre de l'évolution rapide que permettent les lois Voynet et Chevènement.
Le ministère de la culture, notamment dans son administration centrale, doit s'inscrire dans cette nouvelle donne, en renforçant ses capacités d'expertise et d'évaluation, et en conservant sa mission d'élaboration d'objectifs d'ensemble, d'impulsion et de solidarité qui est celle de l'Etat républicain.
C) Pour y parvenir, il nous faut de nouveaux outils de coopération décentralisée.
Cette perspective inspire la démarche d'expérimentation que Michel Duffour et moi-même voulons impulser et que le Secrétaire d'Etat mettra en uvre avec un certain nombre de collectivités territoriales dès l'an prochain. Cette évolution doit être conduite à la lumière des acquis des politiques nationales et locales, globales et sectorielles, menées en particulier dans la dernière décennie, et en se projetant dans l'avenir.
Des protocoles de coopération nous permettront de préfigurer un mouvement de décentralisation qui aura à s'amplifier, et de valider sur le terrain des hypothèses de partage nouveau des responsabilités. Ces protocoles, de l'ordre de 6 à 8, dès 2001 proposeront les termes d'un nouveau contrat, visant, dans certains domaines, à dynamiser les politiques publiques et à éviter que le paysage culturel ne se fige sur des situations acquises. Ce paysage est riche, mais nous ne pouvons accepter que le maillage existant soit fermé à l'émergence de nouvelles équipes ou de nouveaux lieux. Ces protocoles devront se bâtir à partir d'une réflexion commune approfondie sur les objectifs, le rôle et les conditions d'intervention de chaque collectivité. Ils devront bien sûr s'inscrire dans les dynamiques territoriales et les cohérences affirmées par les différents contrats déjà passés entre l'Etat et les pouvoirs locaux. Ils auront enfin vocation à améliorer les solidarités entre les collectivités pour combler les écarts et les déséquilibres entre les territoires.
Nous tenons, Michel Duffour et moi-même, à ce que les professionnels, aussi bien les créateurs et les médiateurs que les fonctionnaires de vos collectivités qui sont en relation avec eux, soient étroitement associés à l'élaboration de ces protocoles.
Deux domaines seront sans doute privilégiés, car ils bénéficient d'un important ancrage territorial et d'une véritable antériorité dans le partenariat public. Il s'agit des enseignements artistiques et du patrimoine.
Ces protocoles pour lesquels nous dégageons 15 millions dès 2001 devront permettre, sur une période de trois ans et sur un territoire donné, de conforter et d'éclairer les choix d'une nouvelle répartition des moyens publics.
Le directeur de l'Observatoire des politiques culturelles, René Rizzardo, assurera à notre demande l'animation d'un groupe de suivi et d'évaluation de ces protocoles.
Il nous faudra aussi nous doter des nouveaux outils de cette action partagée. Nous serons bientôt en capacité de faire, comme nous y a engagés le Premier ministre, des propositions précises relatives à la mise en place d'établissements publics de coopération culturelle, que vous attendez depuis longtemps, qui constitueraient un nouvel instrument de partenariat.
3 - Conclusion
Plus nous serons clairs sur nos objectifs, plus nous serons clairs sur la méthode, plus le ministère sera fort pour obtenir des moyens nouveaux.
Pour que cette nouvelle étape de la décentralisation culturelle prenne tout son sens, elle devra tout à la fois, mieux ancrer dans les territoires les actions de création, de diffusion et de formation, favoriser un accès plus large de nos concitoyens à tous ces domaines et viser à une répartition harmonieuse des actions complémentaires de l'Etat et des collectivités territoriales. J'adhère d'ailleurs à vos propos sur le développement de pratiques amateurs ; je travaille avec Marie-Georges Buffet et Jack Lang à les soutenir fortement.
C'est en fonction de ces objectifs, qui sont ceux du service public, que nous devrons entreprendre ce grand chantier. J'ai clairement conscience de la persistance de fortes inégalités dans l'accès à la culture ; je considère donc que toute évolution de nature institutionnelle, tout transfert de compétences, tout développement et transfert de moyens, doit s'inscrire dans cet objectif central de soutien à la vitalité de la création et de réduction des inégalités.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 2 octobre 2000)