Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur la protection du patrimoine, la conservation, la gestion et leur animation, La Rochelle le 13 octobre 2000.

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Circonstance : 3 èmes assises du patrimoine du Grand ouest à La Rochelle le 13 octobre 2000

Texte intégral

Je suis particulièrement heureux de vous rejoindre pour la clôture de ces 3e Assises du patrimoine du Grand Ouest qui ont réuni cinq régions et 24 départements dont le patrimoine est fort riche.
Elus, professionnels, vous avez travaillé ensemble à partir de cinq grands thèmes, tous présentés sous l'angle dynamique des actions nécessaires ou nouvelles, pour la sauvegarde et la conservation du patrimoine, pour son appropriation culturelle par les citoyens, et pour valoriser son insertion dans nos villes, nos paysages naturels et urbains.
Je voudrais en effet en premier lieu, insister sur le formidable développement actuel de l'intérêt des Français pour le patrimoine ; les journées du patrimoine, que nous organisons tous les ans au mois de septembre, nous permettent d'en prendre la mesure. Toutes les formes de patrimoine sont concernées par ce phénomène.
Le temps n'est plus où seul le patrimoine monumental attirait les touristes, aujourd'hui chaque touriste ou habitant d'une cité veut voir les expressions de la culture, construites ou plantées, que sont l'architecture et le paysage. C'est pour moi l'expression la plus spectaculaire de la quête de repères, à la fois gourmande et inquiète, qui caractérise notre époque.
Pour leur part, les communes accompagnent, précèdent même quelquefois ces mouvements d'intérêt en s'impliquant de façon de plus en plus vive et efficace dans la gestion de ce patrimoine et sa valorisation mais aussi dans des démarches d'identification de ce qui pourrait mériter une protection et une mise en valeur, que le patrimoine répertorié d'intérêt national ou plus local. Ces journées et l'ensemble des points discutés, témoignent de votre engagement en ce sens.
Je ne reprendrai pas point par point un tour d'horizon aussi complet, mais je souhaiterai, à cette occasion, vous faire part de nos préoccupations, orientations et projets en la matière, à Catherine Tasca, Ministre de la Culture et de la Communication et à moi-même.
Comme vous le savez, le Ministère de la Culture et de la Communication qui conduit la politique du patrimoine, a pour mission non seulement la protection et la conservation des monuments Historiques, mais également leur gestion et leur animation.
C'est une lourde charge, qui suppose des prévisions à long terme et une véritable planification budgétaire ; alors quand un cataclysme naturel crée des dégâts comme ceux de la tempête des 26 et 27 décembre dernier on peut parler de catastrophe.
Il a fallu la mobilisation de tous, élus, habitants, entreprises, services publics, pour commencer à agir le plus rapidement possible. Je veux insister et dire ici que l'Etat, dans cette situation d'urgence, a fait la démonstration pleine et entière de la modernité, au sens d'efficacité, des services publics autant que de l'engagement des agents.
L'Etat pour sa part, et le Ministère de la Culture et de la Communication, ont tenté de répondre rapidement sur l'ensemble de la France. Cette tempête a profondément affecté l'ouest du pays, et tout particulièrement sa façade maritime. Ce sont les toitures et les parties sommitales des édifices qui ont été le plus souvent endommagées ou détruites de façon spectaculaire. Pour ce qui concerne le patrimoine végétal, les dégâts ont souvent été irrémédiables.
Les Directions Régionales des Affaires Culturelles, les Services Départementaux de l'Architecture et du Patrimoine et les architectes en chef des Monuments Historiques ont permis que soient très rapidement faites les premières évaluations et le collectif budgétaire de printemps de 300 MF pour les monuments de l'Etat et de 200 MF pour les monuments n'appartenant pas à l'Etat, édifices, parcs et jardins a été voté. Il y avait urgence et sans attendre les conservateurs régionaux des Monuments Historiques ont mis en uvre la réparation des dégâts consécutifs à la tempête en retardant l'exécution des programmes de travaux initialement prévue en 2000. C'est ainsi que 66,31 MF ont été affectés à l'ouest, si l'on totalise les 5 régions, Bretagne, Centre, Pays de la Loire, Aquitaine et Poitou-Charentes.
Pour ne reprendre que l'exemple de la région Poitou-Charentes, ce sont plus de 130 opérations qui ont pu être engagées à ce jour.
D'une manière générale, ces chantiers de remise en état devront sans doute s'échelonner sur plusieurs années. D'ailleurs dans bien des cas de monuments privés, et pour des opérations lourdes, des négociations sont encore en cours entre propriétaires et assureurs. Nous procéderons donc dans les mois à venir à un premier bilan.
C'est grâce à la compétence et aux savoirs des professionnels, du BTP aux conservateurs, et avec l'aide de nouvelles techniques dont vous avez fait le point appliqué au patrimoine, que nous parviendrons à conserver ces monuments et bâtiments patrimoniaux qui appellent tous nos efforts.
C'est essentiel car au-delà de son intérêt intrinsèque, le patrimoine représente notre héritage, notre identité. Cette transmission n'enferme pas l'identité dans une conception statique de la tradition. L'identité s'aventure, elle ne se possède pas. Mon action s'inspire de la dimension prospective et dynamique du patrimoine. Il faut " se souvenir de l'avenir " disait Aragon. C'est en considérant notre héritage que nous portons notre regard sur l'avenir. " On ne peut inventer sans avoir fait l'inventaire " dit Leroy-Gourhan.
C'est pourquoi le patrimoine irrigue la ville qui elle même se bâtit sans cesse et modèle un paysage urbain toujours renouvelé. Les citoyens, les habitants doivent apprendre leur ville, ses monuments, son quartier, ses architectures et apprendre ainsi l'histoire et la citoyenneté. Un des axes majeurs de notre politique - c'est à dire donner un accès égalitaire à la culture - passe, en matière de patrimoine, par la sensibilisation et l'éducation permettant d'associer la connaissance et l'analyse de proximité avant celle du patrimoine savant.
Pour nous engager dans cette voie, nous conduisons un certain nombre d'actions, en travaillant de plus en plus avec les collectivités territoriales. Qu'il s'agisse du patrimoine architectural ou des espaces protégés et secteurs sauvegardés, nous avons mis en place des réseaux, question dont vous avez je le sais longuement débattu.
D'ores et déjà deux outils sont mis en uvre aujourd'hui :
- D'une part, l'important réseau des " villes et pays d'art et d'histoire " permettant d'associer projet et ville patrimoniale, qui représente un support d'appropriation et d'actions associatives.
- D'autre part, les conventions de ville pour l'architecture et le patrimoine, délibérées avec les collectivités locales construisant un nouvel espace démocratique avec les habitants, et qui favorisent le développement d'une culture de la ville et de son histoire.
Prenant toujours plus en compte l'attachement patrimonial porté aux espaces avec le souci constant de leur valorisation et de la qualité des usages possibles pour les habitants, des actions ont été lancées sur les espaces publics allant d'une meilleure connaissance (un vocabulaire méthodique de ces espaces est en cours d'élaboration) à des actions de requalification des lieux.
Ainsi, on peut affirmer que les monuments historiques et les espaces protégés, les plans de sauvegarde et de mise en valeur ont une image emblématique dans la définition d'une identité urbaine.
Ils reflètent l'évolution des temps et font aussi émerger des créations plus récentes et c'est un point que je voudrais souligner : une politique des nouveaux champs patrimoniaux portant sur le patrimoine du XXème siècle et sur le patrimoine industriel est aujourd'hui engagée. A l'occasion des récentes Journées du Patrimoine, nous avons innové en créant un label signalant les bâtiments remarquables, label sans incidence juridique, mais dont l'objectif principal est de travailler avec les élus à la sensibilisation des habitants, à la qualité d'un patrimoine récent qu'appelle un nouveau regard sur le monde contemporain et sur sa diversité : architectures et paysages, monuments et sites industriels, habitat et espaces collectifs, mémoire ouvrière, inventions techniques.
Depuis plusieurs années déjà, l'Etat a accompagné ces évolutions mais on sent bien aujourd'hui qu'une accélération est en train de s'opérer et que tous, collectivités locales et Etat, doivent travailler ensemble pour mieux répondre aux aspirations de la société du XXème siècle par rapport à sa demande de " mémoire ".
La notion de patrimoine comme l'a démontré Françoise Choay dans son ouvrage " Allégorie du Patrimoine " ne cesse d'évoluer. En effet, on est passé progressivement :
- de la protection de monuments exceptionnels à celle d'éléments plus quotidiens de notre environnement ;
- de la protection d'objets isolés à des protections d'ensembles urbains ;
- de l'urbain au paysage ;
- de la protection du patrimoine traditionnel au patrimoine contemporain.
Dans cette nouvelle attention, partagée, à ce que certains juristes qualifient de "patrimonalisation" du regard sur le patrimoine de proximité, l'Etat, le ministère de la culture et de la communication et les collectivités territoriales ont à se mobiliser ensemble.
C'est déjà en ce sens que le Ministère de la Culture et de la Communication et le secrétariat d'Etat au Tourisme ont signé une convention en faveur d'une politique commune de tourisme culturel. La valorisation du patrimoine participe de l'offre culturelle et les deux ministères ont décidé de prolonger et amplifier leurs actions communes. La mémoire pourrait en être le fil conducteur, le chemin.
Il faut à cet égard citer le recadrage des missions de l'ancienne Caisse des Monuments Historiques devenue Centre des Monuments nationaux. Le patrimoine historique entre pour une part considérable dans l'attractivité touristique de la France, première destination mondiale, et le développement de véritables projets d'animation culturelle des Monuments Historiques constitue non seulement un accès démocratisé à la connaissance, mais fait jouer au Centre des Monuments nationaux un rôle dans l'aménagement culturel du territoire. Non pas un rôle en soi parisien et esthétique, mais bel et bien dans une relation contractuelle forte avec les collectivités, autour des monuments et de leur restitution aux pratiques sociales : découverte, redécouverte et émerveillement. Plus largement, les deux ministères favorisent le rapprochement de leurs services en région. Des accords sont conclus avec les fédérations nationales, responsables des instances du tourisme en région, pour que la culture soit prise en compte dans les actions conduites par les opérateurs locaux du tourisme.
Dés lors on peut mesurer l'impact économique et local de cette politique patrimoniale, bien sûr avec l'activité du secteur du BTP mobilisé sur la conservation et la restauration du bâti, mais aussi avec les retombées touristiques ou la mise en place de politiques locales concertées.
A ce propos, vous avez longuement parlé de réseaux et notamment de réseaux professionnels de région à région. Je voudrais insister sur la place complémentaire des réseaux territoriaux à l'échelle départementale ou régionale des services de l'Etat. J'ai le souci aujourd'hui d'utiliser au maximum les dispositifs existants. Je souhaite mettre en uvre un certain nombre d'évolutions profondes qui passent par une politique de décentralisation et de déconcentration renforcée afin d'être toujours plus proche du terrain, des réalités de la demande sociale. La réforme de l'Etat et sa modernisation vont, sans conteste dans ce sens.
En matière de déconcentration sur les questions de patrimoine architectural, je voudrais insister sur le rôle des services départementaux de l'architecture et du patrimoine qui représentent la base territoriale et deviennent de plus en plus les partenaires et les conseils des collectivités, des maîtres d'ouvrage et des particuliers et non plus seulement des " contrôleurs " ou censeurs. Cette évolution nécessite une réflexion que j'ai confiée dans le cadre de l'Inspection Générale de l'Architecture et du Patrimoine à Florence Contenay qui m'a rendu très récemment son rapport ; ce rapport, doublé d'un audit plus quantitatif devrait me permettre de " recaler " les moyens nécessaires à ce service essentiel à l'implantation territoriale plus proche des citoyens que doit avoir le Ministère de la Culture et de la Communication, en appui de ces directions régionales.
Nous souhaitons que se développent plus les réseaux entre ces Services Départementaux de l'Architecture et du Patrimoine, les Directions Régionales des Affaires Culturelles, les Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et d'Environnement, qui jouent un rôle tout à fait spécifique dans les missions de conseils (et mon ministère a engagé une réflexion sur ce sujet), les écoles d'architecture, dont les missions croisées doivent concourir avec les collectivités locales et territoriales au développement patrimonial culturel et à la formation des citoyens et des professionnels.
Je citerai par ailleurs les services de l'Inventaire qui travaillent de plus en plus avec les villes.
C'est dans cette orientation, que nous avons envisagé, en 2001, de développer dans quelques régions des expérimentations de plus grandes délégations. Il s'agit de repenser les principes de partage des responsabilités entre l'Etat et les collectivités territoriales et d'en tester quelques modèles, tout en renforçant les Directions Régionales des Affaires Culturelles et les Services Départementaux de l'Architecture et Patrimoine pour leur permettre d'assurer au mieux leurs missions territoriales.
Toujours dans le même but, un grand chantier de réforme de la loi de 1977 sur l'architecture est actuellement en cours. Il doit permettre de développer partout où cela est nécessaire la présence d'architectes.
Je souhaite que l'intérêt porté au patrimoine dans toutes ses dimensions et le souci de fabriquer le patrimoine de demain par des créations contemporaines architecturales ou paysagères de très grande qualité, soit soutenu et facilité par la convergence de pensée et d'actions du plus grand nombre de professionnels, dans les services publics ou exerçant à titre libéral.
Toutes les actions de formation que nous conduisons qu'il s'agisse de formation initiale ou continue des architectes, des paysagistes ou des conservateurs du patrimoine, vont en ce sens.
Enfin, j'évoquerai, à l'inverse de l'échelon local, l'élargissement de l'échelle patrimoniale à l'Europe. Le récent forum sur l'architecture et le patrimoine, qui s'est tenu en juillet à Paris sous la Présidence Française, a mis en exergue des points d'accords très importants entre pays européens, tels que le droit des citoyens à un environnement de qualité ou la nécessaire participation des habitants au développement de qualité durable de l'environnement urbain et bâti, et donc du patrimoine ; une résolution sera prochainement soumise au Conseil des ministres européens de la culture.
Permettez-moi de dire ici combien j'ai été frappé par l'importance et la récurrence du travail en commun sur le thème du patrimoine. C'est vrai dans ces recherches appliquées au matériau dans lesquelles science, déontologie de la restauration et durée se rejoignent. C'est vrai encore dans ce rapport revitalisé du patrimoine à la ville, à l'urbain, au paysage. C'est vrai toujours dans cette appropriation désormais collective du bâti contemporain, dans sa dimension de mémoire, bien sûr, comme dans son réemploi.
Convergence scientifique et technique, rencontres et réseaux, mémoire du bâti et actualité urbaine, nécessairement posent les termes de questionnements vifs des puissances publiques. Lors de mon "Tour de France" des régions, j'ai pu mesurer et mesure à chaque fois l'enjeu contemporain - culturel, social et économique - que constitue en lui même le patrimoine.
C'est de cette vivacité même que j'ai souhaité que notre ministère s'inspire pour proposer aux collectivités territoriales d'engager une réflexion pratique sur ce que pourrait être, dans le domaine du patrimoine, les termes d'une clarification des responsabilités publiques, de la convergence raisonnée des collaborations pour ouvrir - l'expérimentation nous le dira - sur une donne nouvelle de la décentralisation culturelle comme sur de nouvelles modalités de la coopération culturelle.
C'est le sens des protocoles de décentralisation que je me propose de discuter avec les élus, ce pourrait être aussi le sens de nos réflexions aujourd'hui conduites au Ministère de la Culture sur l'Etablissement public de coopération culturelle.
Je vous remercie.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 17 octobre 2000)