Texte intégral
Je suis content de vous retrouver. Nous venons de passer une après midi de la Conférence intergouvernementale en conclave. Nous avions, jusqu'à présent, dans la CIG, évoqué au niveau ministériel deux sujets qui sont, c'est vrai, décisifs et qui sont sans doute les points durs. Nous avons parlé jusqu'à présent de la Commission, de sa composition, de ses méthodes de fonctionnement et vous savez qu'il s'agit là d'un sujet qui est extrêmement difficile, certains états membres estimant que le plafonnement de la Commission est un enjeu d'intérêt général pour l'Union européenne de demain, un problème de principe, de conception européenne, d'autres pensant qu'il est important d'en rester à une réalité qui est la représentation nationale au sein de la Commission. Là dessus, les choses sont assez claires.
Nous avons aussi mené des travaux à la fois techniques au sein du groupe préparatoire présidé par Pierre Vimont, et politiques sur la majorité qualifiée. Ces travaux ont permis d'avancer, mais aussi d'isoler un certain nombre de grandes questions : je pense à la politique fiscale, à la politique sociale, aux questions de visas, d'asile et d'immigration sur lesquelles nous devons encore avancer, pour parvenir à un accord qui permette de concrétiser ce que nous souhaitons, c'est à dire que la majorité qualifiée devienne très largement le mode de décision de l'Union européenne. C'est sans doute un critère de jugement essentiel du traité qui sortira de Nice.
Aujourd'hui, nous avons abordé les trois autres sujets. Nous l'avons fait, là aussi, sur la base des travaux du groupe préparatoire. Il y avait des papiers de la Présidence, à savoir sur la repondération des voix et les coopérations renforcées et puis sur l'article 7.
Sur la repondération des voix, je dirais que, bien sûr, les positions sont encore assez diverses, mais un mouvement, un petit mouvement en faveur de la repondération simple, se confirme. Il y a aujourd'hui une majorité d'Etats membres qui sont favorables à cette repondération, ce qui signifie que, sur ce sujet, contrairement à ce qui se passe à propos de la Commission, le clivage entre grands et petits est dépassé et je crois qu'il faut s'en féliciter. Bien sûr, cela ne signifie pas qu'il ne reste pas de questions de fond. J'en vois notamment deux : il y a le problème du deuxième commissaire justement, la compensation pour la perte du deuxième commissaire, et il y aussi la question de la légitimité démocratique - et donc démographique - de nos décisions. J'observe que l'on est aujourd'hui à un seuil de 58 pour cent pour la population minimale requise pour constituer une majorité qualifiée. Est-on prêt à descendre plus bas demain ? Ca, c'est une question qui est fondamentale, qui est celle de la légitimité démographique des décisions. La deuxième question, c'est la question de la double majorité et, là-dessus, j'ai observé qu'il y avait, parmi les pays qui sont favorables à la double majorité - qui ne constituent pas la majorité des Etats membres - deux options assez différentes et des questions différentes. Il y a les options je dirais démographiques, la question étant de savoir si, lorsque l'on prend une option démographique, il y a une compensation pour le deuxième commissaire ; à mon sens, non bien sûr, car la démographie, elle, opte pour un résultat sec et net, qui ne tient pas compte de ce que cela signifierait pour certains pays de renoncer à un commissaire, qui est aussi une marque d'influence. Je me place dans le raisonnement de ceux qui pensent qu'un commissaire est un signe de pouvoir pour un Etat nation dans l'Union européenne ; et puis il y a l'autre formule, qui est celle de la double majorité avec majorité simple d'Etats membres et là-dessus je veux poser une question : est-ce que cette clause est praticable dans une Union à 27 ou 28 membres ? Et j'ajouterais : est-ce qu'elle est compatible avec la conception que nous avons eue jusqu'à maintenant de la construction européenne ?
Nous n'avons pas parlé chiffres aujourd'hui. On sait qu'il y a des tableaux qui existent : les tableaux de la Suède, de l'Italie, ainsi que ce qui avait été formulé par la Présidence portugaise sur la repondération. Il y a aussi des propositions sur la double majorité. Il y en a plusieurs de complexité inégale : j'ai cité celle de la Commission, qui est la plus simple. La Présidence est prête à examiner ces propositions chiffrées, mais j'ai senti aujourd'hui que les délégations préféraient que l'on creuse davantage les principes avant d'aller plus loin. Je dirais peut-être, et là je m'exprime plus comme Français qu'au nom de la Présidence, que nous avons une petite sympathie pour la solution italienne qui nous paraît la plus réaliste politiquement et ambitieuse à la fois.
Au total, sur la pondération des voix, je dirais que nous avons eu un assez bon échange qui a permis d'enregistrer un mouvement offrant des bases pour le travail de la Présidence.
Deuxième thème dont nous avons parlé, les coopérations renforcées. Là dessus aussi nous avons présenté un papier, une réflexion qui a été considérée comme une bonne base de travail, et je dirais que là aussi apparaissent, et c'est important, des points d'accords assez substantiels, d'abord sur le fait que la coopération renforcée doit être un facteur d'intégration et non d'exclusion dans l'Union Européenne, ensuite sur le fait qu'une coopération renforcée, quelle qu'elle soit, doit avoir un caractère ouvert.
Plusieurs Etats membres - à vrai dire un très grand nombre d'Etats membres - ont dit qu'ils redoutaient une coopération renforcée, s'il s'agissait de dessiner à travers cela un coeur, une avant-garde, quelque chose que l'on appellera comme on voudra, mais qui serait définitif ou fermé. Je crois que, dès lors que l'on affirme le contraire, que les coopérations renforcées sont un processus ouvert, un processus flexible, où l'on commence à quelques uns, mais que les autres peuvent rejoindre, s'ils le veulent ou s'ils en ont la capacité, alors on a de bonnes chances de mettre en place cette souplesse indispensable.
Il y a aussi le souhait, qui est marqué par tous, de respecter le cadre institutionnel, à savoir le rôle de la Commission et le rôle du Parlement européen. Il y a, enfin, dernier point d'accord, le souhait quasi unanime d'exclure certains domaines qui sont le coeur du marché intérieur, pour faire respecter, avant toute chose, le modèle communautaire.
Sur les modalités, il y a du travail à faire : il y encore des nuances, des différences de vues, je pense, par exemple, au nombre d'Etats requis pour constituer une coopération renforcée, ce que l'on appelle la masse critique. Je pense aussi à la procédure de décision : pour certains, on renonce ou on ne renonce pas au droit de veto. Il y a aussi la question du délai de réflexion, là aussi il y a encore du travail à faire. Enfin, sur les coopérations renforcées sur le 2ème pilier, plusieurs délégations, je l'ai observé, maintiennent une réserve, même si l'on met en place des modalités particulières de décision et même si l'on précise que cela s'appliquerait surtout dans la perspective de la mise en oeuvre de stratégies communes. Ces réserves de principe sont plus particulièrement fortes sur la politique de défense. Là encore, il y a des réserves sur les modalités : est-ce que la masse critique en matière de PESC ou de défense est la même que pour d'autres sujets ? Par exemple la France souhaite clairement baisser cette masse critique. Quel est le rôle du haut représentant ? il est vrai que cela peut recouvrir un autre débat qui a été soulevé par le président Prodi dans son intervention remarquée de mardi dernier devant le Parlement européen. Y a-t-il, ou pas, droit de veto dès lors que l'on est dans la PESC ? J'ajoute enfin, dernier point là dessus, que le papier italo-allemand est apparu à beaucoup comme une contribution très utile qui clarifie plusieurs aspects. J'ai indiqué, bien sûr, que la Présidence ne manquerait pas d'en tirer le meilleur parti. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il pourrait constituer une base de départ, mais il enrichit sans nul doute les travaux que nous avons conduits, nous mêmes. Au total, sur ce point, je dirais que nous avons eu une bonne discussion, qui illustre un très net progrès de la conscience que les coopérations renforcées sont à la fois une modalité de décision utile dans l'Europe telle qu'elle est, mais aussi une passerelle pour l'avenir dans l'Europe telle qu'elle sera, dans l'Europe une fois élargie.
Nous avons, enfin, évoqué rapidement la question de l'article 7 et j'ai noté un accord de principe assez large pour compléter l'article 7, avec quelques exceptions, allant d'un léger doute à un fort scepticisme et jusqu'à une franche opposition. En fait, il y avait trois exceptions. Il y a des réactions plus variées quant à la procédure de déclenchement, quant aux recommandations, quant aux modifications des dispositions actuelles de l'article 7. Il y a accord sur les droits de l'Etat concerné, puisqu'il faut bien sûr pouvoir se défendre et sur le pouvoir des recommandations. Là encore, je crois que cela a été une bonne discussion. La Présidence va donc tenir compte de ces réponses et fera le moment venu des propositions de texte de compromis. Je pense, j'espère, j'ai la conviction que nous aurons un article 7 modifié lors du traité de Nice.
Voilà ce que je pouvais dire de cette journée. Nous sommes maintenant à moins d'une semaine du Conseil européen informel de Biarritz qui aura à traiter essentiellement de ces questions. Je crois que sur ces sujets, qui sont des sujets très importants, les choses avancent. Et cela corrobore le sentiment, qui était déjà le mien lors de notre dernière rencontre à Bruxelles, que cette négociation reste très difficile, qu'elle n'a pas encore atteint le degré d'exigence auquel nous sommes en droit de prétendre. Je rappelle qu'il est clair, que pour la Présidence française, il est préférable de ne pas avoir d'accord du tout plutôt qu'un accord au rabais. En même temps, nous sommes maintenant entrés dans le vif du sujet. Les discussions sont des discussions réelles : Il faudra souligner à Biarritz qu'il y a en même temps un premier signe de frémissement et un travail sérieux. Voilà un peu quelle est aujourd'hui mon appréciation d'ensemble sur le point où nous en sommes dans la CIG. Les questions que l'on a évoquées aujourd'hui sont plutôt des questions sur lesquelles nous avançons convenablement. Voilà quelques considérations que je souhaitais faire en introduction, je vous cède la parole.
Q - Y a-t-il eu des progrès sur la question du veto et sur le nombre minimum de pays, pour les coopérations renforcées ?
R - Comme je l'ai dit, ce sont deux sujets sur lesquels il existe encore des appréciations contrastées. Je ne souhaite pas devant vous reprendre les positions de chaque délégation, je ne suis là ni pour donner des bons points à certains, ni pour en dénoncer d'autres. Ce sont deux sujets, encore une fois, sur lesquels il faut qu'on avance, avant de conclure. Si, d'ailleurs, on avait avancé là dessus jusqu'à conclure, on ne serait quand même pas loin de la fin.
Q - Aurez-vous le temps, d'ici à Nice, pour surmonter les difficultés ?
R - Yes, I think so. Nous avons le temps, il est très important qu'à Biarritz, la semaine prochaine, les chefs d'Etat et de gouvernement puissent avoir une discussion très directe, très franche et très complète sur les sujets en débat. Ce sera d'ailleurs, entre eux, je le fais observer, la première rencontre depuis Amsterdam en 1997 sur le sujet de la réforme institutionnelle. Jusque là, il a été abordé au détour de quelques conclusions qui prévoyaient le périmètre de la future CIG ; à présent, il faut absolument que de Biarritz sortent, sinon des instructions, du moins des indications claires pour les négociateurs. Ensuite, je crois effectivement que, si nous poursuivons les travaux de façon assez intensive, on peut arriver à Nice avec un travail bien dégrossi qui permettrait une décision. Ces frémissements, que j'observe, sont indéniables. Il est clair que cela ne bouillonne pas encore et il est important de mettre un petit peu de flammes sous la casserole.
Q - S'agissant de la pondération, est-il vrai que l'Allemagne que ne parle plus de décrochage ?
R - Je ne peux pas parler pour la délégation allemande. J'ai simplement noté que l'Allemagne avait fait un papier commun avec l'Italie, un papier qui avait été salué par beaucoup comme un élément extrêmement utile. Je n'ai pas entendu le représentant allemand, aujourd'hui, faire cette revendication dans notre discussion. Je ne peux pas dire qu'elle n'existe pas dans quelques subconscients, mais, en attendant, la chose n'a encore pas été évoquée. Il est vrai que nous n'avons pas encore parlé chiffres.
Q - Et l'Espagne ?... Et les Pays-Bas ?....
R - Il me semble que je ne vous apprendrai rien en vous disant que les Espagnols souhaitent rester accrochés, en termes de loi, au groupe des grands pays et que les Néerlandais souhaitent que leur spécificité, je vais dire de "pays moyen" - la notion de - "grand", "petit" et "moyen" étant liée, je le précise, uniquement à la taille des populations - que leur spécificité de pays moyen soit reconnue.
Q - Mais l'Espagne accepterait-elle d'être en retrait par rapport aux plus grands Etats membres ?
R - Ce n'est pas tout à fait le cas aujourd'hui. Je ne peux pas être le porte-parole de la délégation espagnole, donc je ne suis pas certain qu'elle demande que ce soit exactement le cas. Mais ce dont je suis certain, c'est qu'elle n'acceptera pas que l'écart des voix entre l'Espagne et l'Allemagne soit celui qui sépare 40 millions d'habitants de 80 millions. Donc, il y a évidemment, de ce point de vue là, une pondération politique qu'il vous reste à respecter. La démographie ne peut pas être l'unique base de la repondération. C'est l'avantage de la proposition italienne en la matière.
Q - Le sommet de Biarritz ne risque-t-il pas d'être perturbé par d'autres sujets d'actualité, comme la crise au moyen orient et l'invitation faite à M. Kostunica ?
R - Vous aurez, après-demain, la lettre de la Présidence. Les travaux de Biarritz seront consacrés pour l'essentiel à la CIG d'une part, et à la Charte des droits fondamentaux ensuite. Ce qui ne signifie pas que les sujets de politique étrangère et de sécurité commune ne seront pas discutés. Vous savez aussi que l'invitation de M. Kostunica est plus qu'envisagée, mais l'essentiel doit rester à l'ordre du jour de ce conseil européen car il s'agit bien sûr de préparer Nice. Parce que si nous faisons l'impasse sur Biarritz, alors là, pour le coup, vous avez raison, nous avons peu de chances de conclure à Nice.
Q - Et sur l'article 7 s'agit-il de répondre à la crise autrichienne ?
R - Il s'agit de souligner que nous avons besoin, dans une Union européenne élargie, d'une procédure pour faire respecter, mieux que cela n'est le cas aujourd'hui, nos valeurs fondamentales ; et de le faire de manière à avoir une action qui soit préventive, juridique, capable d'anticiper davantage que cela n'est le cas aujourd'hui. Donc, ce n'est pas en référence à une situation précise que nous avons évoqué l'article 7, mais c'est bien en référence à un esprit général, qui est celui de mieux faire respecter les valeurs, ce que par ailleurs nous allons affirmer dans un texte, que je crois fort, qui est le texte de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Q - Pour la Charte des Droits fondamentaux, envisagez-vous d'en faire mention dans l'article 6 du traité, ou est-ce une idée personnelle ?
R - Tout le monde, ou à peu près, est aujourd'hui conscient que la Charte ne pourra pas être intégrée dans les traités à Nice. Certaines délégations souhaiteront qu'elle ne soit pas intégrée du tout dans le traité. Dès lors, il me semble qu'il y a une formule, qui est élégante et intéressante qui peut consister à ne pas à l'intégrer, mais du moins à y faire référence dans l'article 6, compte tenu du fait que cet article 6, aujourd'hui, mentionne, comme base, la Convention européenne des Droits de l'Homme. Or, nous aurons un document supplémentaire, cette Charte, qui intègre pour l'essentiel les réflexions de la convention. Donc on pourrait très simplement faire référence à la convention et à la Charte, ce qui serait une manière de mentionner cet acquis moral et politique de l'Union européenne, sans en faire pour autant un élément de contrainte. Cela pourrait constituer une synthèse. Voilà qu'elle est mon idée personnelle. La Présidence pourrait, le cas échéant, le moment venu, la faire sienne. Ce n'est pas encore totalement interdit. La force des idées personnelles, c'est qu'elles deviennent un jour collectives, et l'on n'a jamais vu d'idée collective qui ne soit pas née d'une personne./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2000)
Nous avons aussi mené des travaux à la fois techniques au sein du groupe préparatoire présidé par Pierre Vimont, et politiques sur la majorité qualifiée. Ces travaux ont permis d'avancer, mais aussi d'isoler un certain nombre de grandes questions : je pense à la politique fiscale, à la politique sociale, aux questions de visas, d'asile et d'immigration sur lesquelles nous devons encore avancer, pour parvenir à un accord qui permette de concrétiser ce que nous souhaitons, c'est à dire que la majorité qualifiée devienne très largement le mode de décision de l'Union européenne. C'est sans doute un critère de jugement essentiel du traité qui sortira de Nice.
Aujourd'hui, nous avons abordé les trois autres sujets. Nous l'avons fait, là aussi, sur la base des travaux du groupe préparatoire. Il y avait des papiers de la Présidence, à savoir sur la repondération des voix et les coopérations renforcées et puis sur l'article 7.
Sur la repondération des voix, je dirais que, bien sûr, les positions sont encore assez diverses, mais un mouvement, un petit mouvement en faveur de la repondération simple, se confirme. Il y a aujourd'hui une majorité d'Etats membres qui sont favorables à cette repondération, ce qui signifie que, sur ce sujet, contrairement à ce qui se passe à propos de la Commission, le clivage entre grands et petits est dépassé et je crois qu'il faut s'en féliciter. Bien sûr, cela ne signifie pas qu'il ne reste pas de questions de fond. J'en vois notamment deux : il y a le problème du deuxième commissaire justement, la compensation pour la perte du deuxième commissaire, et il y aussi la question de la légitimité démocratique - et donc démographique - de nos décisions. J'observe que l'on est aujourd'hui à un seuil de 58 pour cent pour la population minimale requise pour constituer une majorité qualifiée. Est-on prêt à descendre plus bas demain ? Ca, c'est une question qui est fondamentale, qui est celle de la légitimité démographique des décisions. La deuxième question, c'est la question de la double majorité et, là-dessus, j'ai observé qu'il y avait, parmi les pays qui sont favorables à la double majorité - qui ne constituent pas la majorité des Etats membres - deux options assez différentes et des questions différentes. Il y a les options je dirais démographiques, la question étant de savoir si, lorsque l'on prend une option démographique, il y a une compensation pour le deuxième commissaire ; à mon sens, non bien sûr, car la démographie, elle, opte pour un résultat sec et net, qui ne tient pas compte de ce que cela signifierait pour certains pays de renoncer à un commissaire, qui est aussi une marque d'influence. Je me place dans le raisonnement de ceux qui pensent qu'un commissaire est un signe de pouvoir pour un Etat nation dans l'Union européenne ; et puis il y a l'autre formule, qui est celle de la double majorité avec majorité simple d'Etats membres et là-dessus je veux poser une question : est-ce que cette clause est praticable dans une Union à 27 ou 28 membres ? Et j'ajouterais : est-ce qu'elle est compatible avec la conception que nous avons eue jusqu'à maintenant de la construction européenne ?
Nous n'avons pas parlé chiffres aujourd'hui. On sait qu'il y a des tableaux qui existent : les tableaux de la Suède, de l'Italie, ainsi que ce qui avait été formulé par la Présidence portugaise sur la repondération. Il y a aussi des propositions sur la double majorité. Il y en a plusieurs de complexité inégale : j'ai cité celle de la Commission, qui est la plus simple. La Présidence est prête à examiner ces propositions chiffrées, mais j'ai senti aujourd'hui que les délégations préféraient que l'on creuse davantage les principes avant d'aller plus loin. Je dirais peut-être, et là je m'exprime plus comme Français qu'au nom de la Présidence, que nous avons une petite sympathie pour la solution italienne qui nous paraît la plus réaliste politiquement et ambitieuse à la fois.
Au total, sur la pondération des voix, je dirais que nous avons eu un assez bon échange qui a permis d'enregistrer un mouvement offrant des bases pour le travail de la Présidence.
Deuxième thème dont nous avons parlé, les coopérations renforcées. Là dessus aussi nous avons présenté un papier, une réflexion qui a été considérée comme une bonne base de travail, et je dirais que là aussi apparaissent, et c'est important, des points d'accords assez substantiels, d'abord sur le fait que la coopération renforcée doit être un facteur d'intégration et non d'exclusion dans l'Union Européenne, ensuite sur le fait qu'une coopération renforcée, quelle qu'elle soit, doit avoir un caractère ouvert.
Plusieurs Etats membres - à vrai dire un très grand nombre d'Etats membres - ont dit qu'ils redoutaient une coopération renforcée, s'il s'agissait de dessiner à travers cela un coeur, une avant-garde, quelque chose que l'on appellera comme on voudra, mais qui serait définitif ou fermé. Je crois que, dès lors que l'on affirme le contraire, que les coopérations renforcées sont un processus ouvert, un processus flexible, où l'on commence à quelques uns, mais que les autres peuvent rejoindre, s'ils le veulent ou s'ils en ont la capacité, alors on a de bonnes chances de mettre en place cette souplesse indispensable.
Il y a aussi le souhait, qui est marqué par tous, de respecter le cadre institutionnel, à savoir le rôle de la Commission et le rôle du Parlement européen. Il y a, enfin, dernier point d'accord, le souhait quasi unanime d'exclure certains domaines qui sont le coeur du marché intérieur, pour faire respecter, avant toute chose, le modèle communautaire.
Sur les modalités, il y a du travail à faire : il y encore des nuances, des différences de vues, je pense, par exemple, au nombre d'Etats requis pour constituer une coopération renforcée, ce que l'on appelle la masse critique. Je pense aussi à la procédure de décision : pour certains, on renonce ou on ne renonce pas au droit de veto. Il y a aussi la question du délai de réflexion, là aussi il y a encore du travail à faire. Enfin, sur les coopérations renforcées sur le 2ème pilier, plusieurs délégations, je l'ai observé, maintiennent une réserve, même si l'on met en place des modalités particulières de décision et même si l'on précise que cela s'appliquerait surtout dans la perspective de la mise en oeuvre de stratégies communes. Ces réserves de principe sont plus particulièrement fortes sur la politique de défense. Là encore, il y a des réserves sur les modalités : est-ce que la masse critique en matière de PESC ou de défense est la même que pour d'autres sujets ? Par exemple la France souhaite clairement baisser cette masse critique. Quel est le rôle du haut représentant ? il est vrai que cela peut recouvrir un autre débat qui a été soulevé par le président Prodi dans son intervention remarquée de mardi dernier devant le Parlement européen. Y a-t-il, ou pas, droit de veto dès lors que l'on est dans la PESC ? J'ajoute enfin, dernier point là dessus, que le papier italo-allemand est apparu à beaucoup comme une contribution très utile qui clarifie plusieurs aspects. J'ai indiqué, bien sûr, que la Présidence ne manquerait pas d'en tirer le meilleur parti. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il pourrait constituer une base de départ, mais il enrichit sans nul doute les travaux que nous avons conduits, nous mêmes. Au total, sur ce point, je dirais que nous avons eu une bonne discussion, qui illustre un très net progrès de la conscience que les coopérations renforcées sont à la fois une modalité de décision utile dans l'Europe telle qu'elle est, mais aussi une passerelle pour l'avenir dans l'Europe telle qu'elle sera, dans l'Europe une fois élargie.
Nous avons, enfin, évoqué rapidement la question de l'article 7 et j'ai noté un accord de principe assez large pour compléter l'article 7, avec quelques exceptions, allant d'un léger doute à un fort scepticisme et jusqu'à une franche opposition. En fait, il y avait trois exceptions. Il y a des réactions plus variées quant à la procédure de déclenchement, quant aux recommandations, quant aux modifications des dispositions actuelles de l'article 7. Il y a accord sur les droits de l'Etat concerné, puisqu'il faut bien sûr pouvoir se défendre et sur le pouvoir des recommandations. Là encore, je crois que cela a été une bonne discussion. La Présidence va donc tenir compte de ces réponses et fera le moment venu des propositions de texte de compromis. Je pense, j'espère, j'ai la conviction que nous aurons un article 7 modifié lors du traité de Nice.
Voilà ce que je pouvais dire de cette journée. Nous sommes maintenant à moins d'une semaine du Conseil européen informel de Biarritz qui aura à traiter essentiellement de ces questions. Je crois que sur ces sujets, qui sont des sujets très importants, les choses avancent. Et cela corrobore le sentiment, qui était déjà le mien lors de notre dernière rencontre à Bruxelles, que cette négociation reste très difficile, qu'elle n'a pas encore atteint le degré d'exigence auquel nous sommes en droit de prétendre. Je rappelle qu'il est clair, que pour la Présidence française, il est préférable de ne pas avoir d'accord du tout plutôt qu'un accord au rabais. En même temps, nous sommes maintenant entrés dans le vif du sujet. Les discussions sont des discussions réelles : Il faudra souligner à Biarritz qu'il y a en même temps un premier signe de frémissement et un travail sérieux. Voilà un peu quelle est aujourd'hui mon appréciation d'ensemble sur le point où nous en sommes dans la CIG. Les questions que l'on a évoquées aujourd'hui sont plutôt des questions sur lesquelles nous avançons convenablement. Voilà quelques considérations que je souhaitais faire en introduction, je vous cède la parole.
Q - Y a-t-il eu des progrès sur la question du veto et sur le nombre minimum de pays, pour les coopérations renforcées ?
R - Comme je l'ai dit, ce sont deux sujets sur lesquels il existe encore des appréciations contrastées. Je ne souhaite pas devant vous reprendre les positions de chaque délégation, je ne suis là ni pour donner des bons points à certains, ni pour en dénoncer d'autres. Ce sont deux sujets, encore une fois, sur lesquels il faut qu'on avance, avant de conclure. Si, d'ailleurs, on avait avancé là dessus jusqu'à conclure, on ne serait quand même pas loin de la fin.
Q - Aurez-vous le temps, d'ici à Nice, pour surmonter les difficultés ?
R - Yes, I think so. Nous avons le temps, il est très important qu'à Biarritz, la semaine prochaine, les chefs d'Etat et de gouvernement puissent avoir une discussion très directe, très franche et très complète sur les sujets en débat. Ce sera d'ailleurs, entre eux, je le fais observer, la première rencontre depuis Amsterdam en 1997 sur le sujet de la réforme institutionnelle. Jusque là, il a été abordé au détour de quelques conclusions qui prévoyaient le périmètre de la future CIG ; à présent, il faut absolument que de Biarritz sortent, sinon des instructions, du moins des indications claires pour les négociateurs. Ensuite, je crois effectivement que, si nous poursuivons les travaux de façon assez intensive, on peut arriver à Nice avec un travail bien dégrossi qui permettrait une décision. Ces frémissements, que j'observe, sont indéniables. Il est clair que cela ne bouillonne pas encore et il est important de mettre un petit peu de flammes sous la casserole.
Q - S'agissant de la pondération, est-il vrai que l'Allemagne que ne parle plus de décrochage ?
R - Je ne peux pas parler pour la délégation allemande. J'ai simplement noté que l'Allemagne avait fait un papier commun avec l'Italie, un papier qui avait été salué par beaucoup comme un élément extrêmement utile. Je n'ai pas entendu le représentant allemand, aujourd'hui, faire cette revendication dans notre discussion. Je ne peux pas dire qu'elle n'existe pas dans quelques subconscients, mais, en attendant, la chose n'a encore pas été évoquée. Il est vrai que nous n'avons pas encore parlé chiffres.
Q - Et l'Espagne ?... Et les Pays-Bas ?....
R - Il me semble que je ne vous apprendrai rien en vous disant que les Espagnols souhaitent rester accrochés, en termes de loi, au groupe des grands pays et que les Néerlandais souhaitent que leur spécificité, je vais dire de "pays moyen" - la notion de - "grand", "petit" et "moyen" étant liée, je le précise, uniquement à la taille des populations - que leur spécificité de pays moyen soit reconnue.
Q - Mais l'Espagne accepterait-elle d'être en retrait par rapport aux plus grands Etats membres ?
R - Ce n'est pas tout à fait le cas aujourd'hui. Je ne peux pas être le porte-parole de la délégation espagnole, donc je ne suis pas certain qu'elle demande que ce soit exactement le cas. Mais ce dont je suis certain, c'est qu'elle n'acceptera pas que l'écart des voix entre l'Espagne et l'Allemagne soit celui qui sépare 40 millions d'habitants de 80 millions. Donc, il y a évidemment, de ce point de vue là, une pondération politique qu'il vous reste à respecter. La démographie ne peut pas être l'unique base de la repondération. C'est l'avantage de la proposition italienne en la matière.
Q - Le sommet de Biarritz ne risque-t-il pas d'être perturbé par d'autres sujets d'actualité, comme la crise au moyen orient et l'invitation faite à M. Kostunica ?
R - Vous aurez, après-demain, la lettre de la Présidence. Les travaux de Biarritz seront consacrés pour l'essentiel à la CIG d'une part, et à la Charte des droits fondamentaux ensuite. Ce qui ne signifie pas que les sujets de politique étrangère et de sécurité commune ne seront pas discutés. Vous savez aussi que l'invitation de M. Kostunica est plus qu'envisagée, mais l'essentiel doit rester à l'ordre du jour de ce conseil européen car il s'agit bien sûr de préparer Nice. Parce que si nous faisons l'impasse sur Biarritz, alors là, pour le coup, vous avez raison, nous avons peu de chances de conclure à Nice.
Q - Et sur l'article 7 s'agit-il de répondre à la crise autrichienne ?
R - Il s'agit de souligner que nous avons besoin, dans une Union européenne élargie, d'une procédure pour faire respecter, mieux que cela n'est le cas aujourd'hui, nos valeurs fondamentales ; et de le faire de manière à avoir une action qui soit préventive, juridique, capable d'anticiper davantage que cela n'est le cas aujourd'hui. Donc, ce n'est pas en référence à une situation précise que nous avons évoqué l'article 7, mais c'est bien en référence à un esprit général, qui est celui de mieux faire respecter les valeurs, ce que par ailleurs nous allons affirmer dans un texte, que je crois fort, qui est le texte de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Q - Pour la Charte des Droits fondamentaux, envisagez-vous d'en faire mention dans l'article 6 du traité, ou est-ce une idée personnelle ?
R - Tout le monde, ou à peu près, est aujourd'hui conscient que la Charte ne pourra pas être intégrée dans les traités à Nice. Certaines délégations souhaiteront qu'elle ne soit pas intégrée du tout dans le traité. Dès lors, il me semble qu'il y a une formule, qui est élégante et intéressante qui peut consister à ne pas à l'intégrer, mais du moins à y faire référence dans l'article 6, compte tenu du fait que cet article 6, aujourd'hui, mentionne, comme base, la Convention européenne des Droits de l'Homme. Or, nous aurons un document supplémentaire, cette Charte, qui intègre pour l'essentiel les réflexions de la convention. Donc on pourrait très simplement faire référence à la convention et à la Charte, ce qui serait une manière de mentionner cet acquis moral et politique de l'Union européenne, sans en faire pour autant un élément de contrainte. Cela pourrait constituer une synthèse. Voilà qu'elle est mon idée personnelle. La Présidence pourrait, le cas échéant, le moment venu, la faire sienne. Ce n'est pas encore totalement interdit. La force des idées personnelles, c'est qu'elles deviennent un jour collectives, et l'on n'a jamais vu d'idée collective qui ne soit pas née d'une personne./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2000)