Texte intégral
Déclaration du 15 novembre :
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président du Conseil Régional et Monsieur le Sénateur Maire de Marseille
Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
I - Soyez les bienvenus en France, à Marseille, où, depuis des millénaires, se rencontrent les peuples et les cultures de la Méditerranée. Marseille qui, une fois encore, manifeste sa chaleureuse hospitalité à l'occasion de cette conférence.
Je remercie pour leur accueil, la ville de Marseille, ses habitants et leurs élus, au premier rang desquels son maire, M. Jean-Claude Gaudin. Je salue également le Conseil régional de Provence Alpes Côte d'Azur et son président, M. Michel Vauzelle, qui ont apporté leur soutien à notre rendez-vous.
La France, vous le savez, attache à ce rendez-vous une très grande importance, en sa double qualité : en tant qu'initiateur, avec l'Espagne, de cette grande coopération, dont elle s'en est toujours fait l'avocat actif, en raison de ses propres liens avec la Méditerranée ; en tant que présidence en exercice de l'Union européenne.
II - A Barcelone, il y a tout juste cinq ans, nous engagions notre rapprochement.
Quelle était notre inspiration ? Il s'agissait, par un dialogue plus étroit et confiant, en prenant l'habitude de travailler ensemble, de nouer une relation de partenariat entre les membres de l'Union et les pays de la rive sud de la Méditerranée, que tant de choses opposent et rapprochent en même temps, avec l'espoir de dédramatiser ainsi, autant que possible, les difficiles rapports de voisinage au Proche-Orient. Nous étions portés par une vision de paix et de stabilité pour toute la région, animés de la volonté de parvenir un jour à une normalisation des relations entre nous tous, fondement de coopération fructueuse, et de créer une Méditerranée nouvelle.
Barcelone, c'était et c'est encore une vision de progrès, l'Union européenne accompagnant et soutenant les pays du Sud dans leurs efforts de modernisation, d'ouverture et d'intégration des grands flux d'échanges mondiaux.
En nouant ce partenariat et en le bâtissant, nous créons progressivement ensemble un ensemble et un pôle nouveau de rayonnement et d'influence, fort de 600 millions d'habitants.
Bien sûr tout cela, nous le savons bien, était inspiré et porté par l'accord historique d'Oslo et la promesse d'une paix juste et durable au Proche-Orient.
III - Or il est clair que le contexte d'aujourd'hui est défavorable à notre démarche.
Alors que le processus de paix cheminait, même avec beaucoup de difficultés, alors que le Sommet de Camp David avait été, pour les partisans de la paix, porteur de grands espoirs, les événements survenus depuis le 28 septembre ont suscité dans chaque camp déception, inquiétude et angoisse. Le travail patient, fondé sur la confiance de chacun dans la capacité de l'autre à tenir ses engagements, s'est brutalement métamorphosé en langage de haine et en actes calculés ou désespérés de violence. Les opinions, arabe et israélienne sont bouleversées. Des victimes, nombreuses, trop nombreuses, en ont payé le prix au cours de ces dernières semaines. Notre compassion est très grande en pensant à toutes ces personnes tuées - près de 230 au moment où je m'exprime - ainsi que toutes celles qui pourraient l'être encore aujourd'hui ou demain.
Pourtant, pour l'Union européenne, il n'y a toujours pas d'autre chemin possible au Proche-Orient que le dialogue et la recherche de la paix entre Israéliens et Palestiniens, ces deux peuples au destin mêlé. Malgré l'émotion suscitée par la douleur et la crainte, il faut tout faire pour tenir les engagements pris, mettre fin aux violences, et revenir au calme et à la raison, recréer une espérance. Nous allons immédiatement après cette ouverture en parler.
Nous savons que, face à cette situation, plusieurs pays arabes se sont interrogés sur leur participation ; deux d'entre eux ont estimé ne pas pouvoir venir à Marseille dans ces conditions. Je regrette leur décision tout en la respectant. Mais l'Union européenne est convaincue que la coopération euro-méditerranéenne est suffisamment importante, en elle-même et pour l'avenir de tous nos peuples, pour qu'elle puisse et même qu'elle doive se poursuivre indépendamment des vicissitudes du processus de paix, même les plus tragiques. Et même s'il est évident que cette coopération ne pourra pleinement s'épanouir que le jour où une paix juste et globale aura été conclue entre Israël et ses voisins palestinien, libanais et syrien, notre partenariat peut aider, sans attendre ce moment espéré, à trouver des solutions, en maintenant et en entretenant un dialogue, si nécessaire en créant des liens, en développant des solidarités concrètes. C'était le pari de Barcelone, cela reste le nôtre. Si vous êtes là ce soir à Marseille, c'est que vous y croyez.
Il faut d'ailleurs reconnaître qu'en cinq ans, notre partenariat a acquis force et légitimité. Un processus de dialogue politique à 27 s'est instauré. Les sociétés civiles de nos pays multiplient leurs échanges avec plus en plus de vitalité. Des accords d'association ont vu le jour. D'autres sont en voie de ratification.
Nous devons d'autant plus veiller à préserver ce capital et à le faire fructifier que certaines évolutions intervenues depuis cinq ans dessinent un nouveau paysage plus favorable. Au sud, nombre de pays ont poursuivi la modernisation de leurs économies. Plusieurs ont engagé de profondes réformes politiques.
Pour sa part, l'Union européenne a continué sa marche. Elle s'est dotée de l'euro, qui s'impose progressivement sur la scène économique mondiale, même si sa valeur est encore sous-évaluée. Elle définit progressivement une Politique étrangère et de sécurité commune. Elle a mis en chantier et devrait conclure dans un mois la rénovation de ses institutions, pour fonctionner plus efficacement dans l'avenir, y compris après son élargissement. Surtout, les Quinze renouent avec une croissance forte qui peut et qui doit jouer un rôle dynamique, d'entraînement et de stimulation, dans toute la Méditerranée.
Voilà pourquoi je vous lance un appel pour que cette conférence renoue avec l'esprit de Barcelone. Pour qu'ensemble, nous allions quand même de l'avant. Dans la définition d'un espace commun de paix et de stabilité. Dans la promotion des échanges humains et culturels entre nos peuples. Vers une coopération économique plus étroite et plus féconde.
IV - Mais, avant de tracer de nouvelles perspectives, nous devons d'abord établir ensemble un bilan lucide et rigoureux des cinq années écoulées.
Vous savez que j'ai veillé à recueillir à ce sujet l'évaluation de chaque pays participant à ce processus euro-méditerranéen, ce qui m'a permis de constater que nous partagions à cet égard le même sentiment.
A l'actif, de notre processus, il y a la réalité du dialogue entre les Etats mais aussi au niveau des sociétés civiles. C'est inestimable, même si les effets ne s'en feront sentir que peu à peu.
Mais au passif, il faut reconnaître le trop faible nombre d'accords d'association entrés en vigueur à ce jour - seulement trois - ; les difficultés des réformes nécessaires à l'ouverture et à la transition vers l'objectif de zone de libre-échange euro-méditerranéenne fixé à Barcelone ; les résultats insuffisants en matière de coopération sociale et culturelle ; les lenteurs sur le volet politique et, plus encore sur le programme MEDA.
Tout cela s'explique par des difficultés objectives nombreuses, sans doute sous estimées à l'origine, et par les espérances irréalistes ou prématurées que le processus avait fait naître. Forts de cette expérience, il nous faut maintenant le recentrer sur des objectifs toujours ambitieux mais atteignables. C'est ce que je vous propose de faire ici à Marseille. Le Commissaire européen Christopher Patten, dans sa communication "Revitaliser le processus de Barcelone" s'est fixé les mêmes objectifs et a formulé des propositions très intéressantes qui nous aideront dans cette voie, par exemple pour développer la coopération régionale et l'investissement. Nous allons travailler dans ces directions.
V - Je voudrais maintenant esquisser et vous proposer quelques orientations pour l'avenir.
Nous savons tous que les circonstances actuelles ne se prêtent pas à l'adoption d'une Charte de paix et de stabilité. Je suis persuadé cependant que les travaux déjà effectués ont été utiles et que le moment venu, elle constituera un cadre propre à asseoir la nécessaire stabilité de toute la région et que nous devons par conséquent continuer à y travailler.
Je sais les réticences de certains d'entre vous à aborder, à l'échelon euro-méditerranéen, les questions de sécurité. Mais je sais aussi les questions que soulève chez les mêmes partenaires la Politique européenne de sécurité et de défense en cours d'élaboration. Une politique dont je souhaite redire ici qu'elle n'est dirigée contre personne. Et dont le champ d'intervention naturel est d'abord l'Europe. Notre dialogue doit s'intensifier sur ces projets. Nous allons en avoir l'occasion là aussi.
Il nous faut aussi adapter les instruments de notre coopération. Je pense d'abord à notre programme de coopération technique et financière MEDA. En 1995, au Sommet de Cannes qui a précédé, sous Présidence française, la Conférence de Barcelone, l'Union européenne s'était doté de moyens financiers pour son engagement en Méditerranée. Un programme de 3,435 milliards d'écus, dont 27 % aujourd'hui décaissés. Mais la mise en oeuvre de MEDA a été laborieuse de part et d'autre, et a fini par engendrer frustrations et critiques. Nous en sommes préoccupés, la Commission au premier chef mais aussi le Conseil des ministres.
Je crois que le message a été compris. Le nouveau programme MEDA II, qui vient d'être approuvé après des mois de discussion, a été conçu pour être plus efficace, et mieux répondre à vos attentes. A charge pour chacun d'entre nous d'en faire effectivement un instrument moins bureaucratique, plus rapide, plus lisible. Mieux ciblé aussi, afin de contribuer réellement à la modernisation des économies, d'accompagner les réformes, y compris dans leurs aspects sociaux, pour mieux préparer ensemble à l'horizon 2010 l'instauration de cette zone de libre-échange entre l'Union et chacun de ses partenaires, et entre ces partenaires eux-mêmes qui reste notre objectif. Davantage concerté aussi, afin de mieux adapter les actions à la situation et aux engagements de chacun, en particulier dans la préparation ou la mise en oeuvre des Accords d'association. Je sais à quel point ce sujet est fondamental pour tous les pays de la rive sud de la Méditerranée.
Au total, MEDA II devrait être notre outil pour développer ensemble cet espace économique commun. C'est pourquoi je suis heureux d'annoncer que l'Union confirme et même va accroître son engagement en Méditerranée puisque les Quinze viennent de décider que le programme MEDA II sera doté de 5,35 milliards d'euros pour les années 2000-2006. C'est-à-dire plus que la reconduction du montant antérieur. Avec MEDA, avec la contribution très importante de la BEI à laquelle les Quinze ont demandé de consacrer 6,4 milliards d'euros de prêts à la région et avec l'action des Etats membres, l'Union dispose de moyens qui confirment que la Méditerranée est un espace privilégié pour son action extérieure.
Cette coopération doit, plus qu'auparavant, être dirigée et suivie au niveau politique. C'est ainsi que nous pourrons mieux prendre en compte les réflexions et les difficultés rencontrées, échanger les expériences et enfin assurer que le meilleur profit sera tiré de nos instruments.
De manière concrète, je propose que nous travaillions à créer une véritable dynamique euro-méditerranéenne dans plusieurs domaines essentiels où notre intérêt est mutuel est évident.
Je pense d'abord à la révolution des nouvelles technologies, dans laquelle l'Union européenne, depuis les Sommets de Lisbonne et de Feira, et certains pays du sud, sont résolument engagés. Nous devrions renforcer entre nous les coopérations technologiques, les investissements, les échanges scientifiques, universitaires, industriels, pour créer des synergies euro-méditerranéennes.
Chacun connaît l'importance de l'image, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, sur tous les plans. Cela serait un immense progrès et une contribution majeure à la souhaitable diversité culturelle du monde, si nous arrivions à développer ensemble un partenariat audiovisuel novateur. Les propositions formulées à Rabat en septembre dernier devraient se traduire dès le début de l'année prochaine, par le lancement du programme "Euromed Audiovisuel II".
Nous devons également mieux relever ensemble certains grands défis du développement. Je pense à l'eau, à sa captation, à sa répartition, à sa gestion. C'est une question essentielle, vitale dans bien des pays méditerranéens, et à laquelle notre partenariat doit s'atteler.
Je pense à l'environnement aussi, aux richesses inestimables de la Méditerranée. Nous savons l'extrême fragilité de cet écosystème qui est notre patrimoine commun. Sa préservation est notre affaire à tous. Agissons maintenant, avant l'irréversible destruction d'un trésor lourdement grevé tant par la pollution que par la pression démographique et la surexploitation des ressources naturelles. Nous devrions renforcer dans ce but les missions et les moyens de notre Programme d'action pour la Méditerranée.
Il appartient aux acteurs de la vie économique, sociale, culturelle de nos pays de nourrir notre ambition politique de projets concrets. Dans cet esprit, je salue le forum civil qui vient de se tenir à Marseille. J'espère qu'il sera suivi de contacts utiles et fructueux entre tous les acteurs : élus des collectivités locales, militants associatifs, syndicalistes, entrepreneurs et chercheurs. Pour notre part, nous pouvons contribuer à ces actions, en relançant dès que possible les programmes euro-méditerranéens de coopération décentralisée.
Enfin, il est essentiel d'organiser la mobilité des hommes et des talents. Et d'abord la mobilité des jeunes, des étudiants notamment, en renforçant le "Programme d'action euro-méditerranéen pour la jeunesse". Mais le problème de la circulation des hommes est plus vaste, et on sait à quel point il est délicat. Sur ce sujet, je souhaite qu'ensemble nous engagions dès maintenant une réflexion dépassionnée sur le moyen et long terme. Comment permettre et organiser au mieux, dans une perspective de co-développement, l'accroissement de nos échanges humains ? Cherchons aujourd'hui à anticiper, à préparer le monde de 2010. Réfléchissons ensemble aux meilleures formules, pour que l'expatriation des travailleurs se fasse dans des conditions légales et humaines et bénéficie tant au pays d'origine qu'au pays d'accueil.
Mesdames et Messieurs, vous le voyez, même aujourd'hui la Présidence française reste ambitieuse avec toute l'Union européenne pour le partenariat euro-méditerranéen. Aujourd'hui, à Marseille, en ouvrant cette Conférence, que je souhaite sérieuse, concrète et utile, j'ai voulu esquisser les moyens de soutenir et faire grandir ce dessein. Mais c'est ensemble, en consacrant une journée de travail au partenariat euro-méditerranéen, que nous allons faire un bilan des cinq premières années et préparer ensemble de nouvelles orientations.
Notre horizon demeure un horizon de paix, le seul concevable dans une région où, comment l'oublier ces jours ci, certains sont et se sentent encore en guerre. Un horizon de développement et de prospérité partagée pour peu que nos nations, surmontant antagonismes, rivalités, méfiance ou indifférence, sachent dialoguer et enraciner l'esprit de coopération. Un horizon de solidarité entre des peuples que les aléas de l'histoire ont éloignés ou séparés, et qui pourtant ont bien des raisons de s'entendre pour progresser ensemble.
VI - Avant de conclure, je vous précise l'organisation de nos travaux.
Après cette séance d'ouverture, je propose aux ministres de tenir dès maintenant une première et brève séance de travail qui sera consacrée au début de la discussion sur les questions politiques, et en particulier à la situation au Proche Orient. Nous poursuivrons notre discussion sur ces sujets immédiatement après entre ministres, au cours de notre dîner de travail.
Dès demain matin, notre session de travail de la matinée sera consacrée au volet économique, commercial et financier du partenariat.
Je vous proposerai ensuite de poursuivre notre discussion relative aux questions politique et de sécurité au cours du déjeuner.
L'après-midi, notre dernière session de travail sera consacrée au volet social, culturel et humain.
Nous devrons impérativement achever nos travaux pour 17 h 30. Je présenterai ensuite à la presse les conclusions qu'en tant que Présidence je tire de nos débats, en veillant à refléter fidèlement leur esprit et les contributions de tous les participants. Chacun, bien entendu, aura la possibilité de présenter à la presse son évaluation de nos discussions.
Je vous propose de nous mettre au travail sans plus attendre..
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2000)
Propos introductifs de la conférence de presse finale du 16 novembre :
Mesdames et Messieurs,
Cette quatrième Conférence euro-méditerranéenne prévue à Marseille se tenait dans un contexte extrêmement difficile, chacun le sait. La situation au Proche-Orient au cours des dernières semaines, ces morts très nombreux, cette tension qui continue faisaient que jamais une réunion du processus de Barcelone n'avait eu à se tenir dans de telles circonstances.
Le processus de Barcelone était et reste une grande idée, une grande idée d'avenir pour donner sa force et sa potentialité concrète à cette relation entre l'Europe et la Méditerranée. Ce processus avait été lancé dans un moment d'optimisme par rapport au processus de paix et là, non seulement l'avenir paraît bouché en ce qui concerne le processus de paix, mais la situation est ce que vous savez, avec tout son cortège de souffrances et de douleurs, de malheur, notamment du côté palestinien, mais il y a aussi des victimes israéliennes, ce qui donne un monde palestinien bouleversé et une société israélienne également traumatisée avec des mécanismes qui se développent de part et d'autre qui vont complètement à l'encontre de ce qu'il faut faire pour rechercher la paix. Et déjà rechercher la paix dans le contexte que l'on connaît au Proche-Orient, cela suppose un courage, cela suppose une capacité à s'élever, au-dessus des drames immédiats qui est théorique souvent. En ce moment, c'est à l'inverse que nous assistons, malheureusement, avec une vraie inquiétude sur la suite, sur les jours et les semaines à venir et pourtant il y avait cette réunion.
Donc la question était posée : est-ce que l'on peut tenir ou non une réunion dans ce contexte ? Mais si on décide que le processus euro-méditerranéen ne peut continuer ou ne peut reprendre que si le processus de paix est quasiment près du but et que les choses sont réglées, on prendrait la responsabilité de casser la mécanique euro-méditerranéenne, alors que pendant ce temps là l'Europe se développe, l'Europe développe ses programmes de coopération, renouvelle les Accords de Lomé, développe un programme pour les Balkans, réforme, sous l'impulsion du commissaire Patten, toute l'action extérieure de l'Union, développe à travers Javier Solana sa politique étrangère et de sécurité commune à travers des actions homogènes de plus en plus nombreuses. Ce n'est pas possible du point de vue de l'Union européenne de faire l'impasse tout simplement sur cet ensemble méditerranéen même si on y trouve le problème à la fois le plus pathétique et le plus difficile de tous ceux que nous avons à traiter.
La Présidence, après avoir consulté ses partenaires européens, a décidé de maintenir cette réunion et nous avons eu un travail de préparation, parce que pour beaucoup de pays arabes, ce n'était pas du tout évident de venir dans ces conditions. D'ailleurs deux d'entre eux, seulement je dirais, ont décidé de ne pas venir mais pour les autres, ce n'était pas évident de venir dans ces conditions. Mais malgré tout, nous avions un travail à faire ensemble, un vrai travail. Car ce processus de Barcelone a déjà fait l'objet d'un bilan sous la Présidence portugaise. En accord avec mon ami Gama, j'avais lancé l'idée d'un vrai bilan critique parce qu'indépendamment de la question terrible du Proche-Orient, nous savions très bien que ces programmes avaient provoqué beaucoup d'attente et d'espérance et qu'en réalité il avait été extraordinairement difficile de les faire démarrer, pour des tas de raisons d'ailleurs qui tiennent aussi bien aux Etats membres de l'Union qu'à la mécanique communautaire, qu'aux projets des pays du sud. Donc le programme MEDA I n'a pas pu du tout être utilisé autant qu'il aurait pu.
Un bilan a été fait, une mission a été envoyée par la Présidence dans tous les pays concernés. On a travaillé, le commissaire Patten anime des réformes, et nous voulions absolument que ce travail ne soit pas perdu et que l'on puisse engranger ces progrès pour la suite. Une grande partie de nos débats a porté sur ces questions.
Je vais être plus précis dans un instant, mais c'est pour vous expliquer par quel cheminement nous avons conclu que nous ne pouvions pas prendre la responsabilité de reporter cette réunion ou de ne pas la tenir, parce que personne ne sait, si on l'avait reportée, à quel moment on aurait pu la tenir.
Nous avons donc assumé la difficulté, nous avons fait front et eu nos débats, difficiles, émouvants à certains moments, ardus, mais toujours dignes, toujours sincères en tout cas. Sincères avec ce que cela comporte de gravité et de douleur, mais quand même chez tout le monde, même dans les moments les plus tendus - il y en a eu -, j'ai senti que cette idée euro-méditerranéenne a une force énorme en elle-même, sinon les participants n'auraient pas été là en fait. Donc, s'ils étaient là malgré tout, c'est que cette idée est une grande, grande idée d'avenir.
Voilà le contexte. Nous avons travaillé hier soir, d'abord dans une séance formelle, puis pendant le dîner de travail. Nous avons fait le point de la situation au Proche-Orient. Evidemment, les temps forts ont été les interventions de Nabil Chaath pour l'Autorité palestinienne, de Shlomo Ben Ami pour Israël, mais tout le monde s'est exprimé à la fois sur la genèse de la crise actuelle et sur l'analyse des tensions accumulées depuis des années qui ont explosé à travers cette crise, sur ce qui pourrait être fait pour faire tomber la tension et arrêter les morts pour parler plus simplement et ce qui pourrait être fait pour reprendre le processus de la discussion.
Sur ce point, je parle maintenant non pas au nom de tout le monde, mais au nom de l'Union européenne. Pour nous, ce qui peut être fait de plus utile, à l'heure actuelle, c'est de mettre en oeuvre les engagements de Charm el-Cheikh et de Gaza et ce sont des engagements précis qui portent sur beaucoup d'aspects y compris la correction des mesures unilatérales qui ont été prises, ce qui permettrait de rétablir d'ailleurs la liberté de circulation à la suite de la mise en uvre, parallèle, des mesures qui relèvent des Israéliens et des mesures qui relèvent des Palestiniens mais plus souvent encore des Israéliens puisque ce sont eux qui ont les moyens étatiques de la décision. Mais les Européens pensent que chacun doit apporter sa contribution avec sa responsabilité propre à cette désescalade. C'est en ces termes qu'il faut parler. Or ces engagements n'ont pas été vraiment tenus jusqu'ici. Ils n'ont pas tenu, ou alors ceux qui voulaient les tenir ne l'ont pas pu, je ne sais pas, mais ils n'ont pas été vraiment tenus et, donc, on en est toujours là.
C'est pour nous la priorité, la priorité des priorités.
Donc, il y a eu une explication très franche, très vraie mais je ne dis pas "franc" au sens diplomatique. D'habitude vous savez quand on parle d'un entretien diplomatique qui a été franc, cela veut dire que cela a été très dur. Là je le dis autrement parce que l'on sait que c'est dur, on n'a pas besoin de l'expliquer, c'est dur et difficile mais avec une intensité.
Ce dîner , je crois, a énormément frappé tous les participants.
Nous avons poursuivi nos travaux et je vous en dit quelques mots sur le reste des débats.
D'abord grâce à la préparation, dont je vous ai dit un mot, nous avons un bilan commun sur Barcelone. Nous sommes d'accord sur le diagnostic, nous avons identifié les défaillances, nous sommes d'accord sur les réformes à apporter. Les conclusions de la Présidence reprennent ces différents volets.
Donc, nous avons un accord sur le diagnostic et nous avons un accord sur les orientations qui permettraient de relancer ce partenariat. Nous avons, en quelque sorte, essuyé les plâtres pendant la première période, MEDA I, et maintenant nous savons comment faire pour que cela marche mieux. D'abord , il y a la question du Proche-Orient. Sur la coopération en général, on y voit assez clair. Vous savez qu'il y a plusieurs volets dans le processus de Barcelone, c'est un processus en même temps global, c'est-à-dire qu'il y a interaction d'un volet à l'autre, les choses ne peuvent pas aller tout à fait bien tant qu'il y a des problèmes graves. Il est clair que cette coopération euro-méditerranéenne ne développera tout son potentiel que le jour où il y aura une vraie paix, une vraie paix juste et globale entre Israël et tous ses voisins : Palestiniens, Libanais, Syriens. Mais, en même temps, le pari fait par le processus de Barcelone depuis le début, c'est que l'on ne peut pas attendre cette situation, que chacun espère et à laquelle chacun voudrait contribuer, pour développer toutes ces relations, donc il faut travailler aussi sur les autres sujets.
Un mot de l'aspect politique. Je ne parle pas du Proche-Orient. Je parle de la coopération politique dans le cadre euro-méditerranéen.
Nous avons décidé de renforcer notre dialogue. Tous les pays du sud de la Méditerranée estiment qu'il n'y a pas assez de dialogue, pas assez d'informations et nous sommes d'accord pour le développer. Il faut le développer sans tabou, c'est à dire que, même pour les sujets les plus compliqués comme le terrorisme, l'émigration, l'Etat de droit et la démocratie - voyez, je prends trois exemples délicats pour différentes raisons, mais délicats quand même -, il faut un dialogue sans tabou.
En matière politique, nous avions tous conclu auparavant que ce n'était pas le moment d'adopter la charte, c'est évident. Il y a eu des travaux très utiles pour cette charte qui nous réunira un jour, et l'on voit bien que les participants veulent parler des sujets que la charte traite, donc il y a un vrai besoin, il y a une vraie demande mais naturellement le contexte rendait totalement impossible l'adoption d'un document formellement. Le projet n'est pas abandonné, nous devons donner mandat aux fonctionnaires de continuer à travailler pour aboutir à un texte que nous adopterons un jour dans un contexte plus favorable.
En ce qui concerne la coopération financière, il fallait que l'Union confirme son engagement puisque des interrogations s'étaient développées : est-il vraiment important pour l'Union européenne qui s'occupe évidemment activement de son élargissement et donc des douze négociations avec les pays candidats à l'Est ? Cela pouvait faire penser à certains au sud que l'Union européenne était entièrement occupée par son élargissement, mais l'Union européenne est un ensemble vaste et puissant, qui est capable de s'occuper de plusieurs choses en même temps, qui est capable d'avoir une politique extérieure qui couvre l'ensemble des sujets. Donc nous pouvons à la fois gérer les négociations d'adhésion avec les douze candidats actuels, développer un programme dans les Balkans qui vise à européaniser les Balkans, en traitant au mieux chaque problème qui s'y trouve, actualiser comme on l'a fait en modernisant les Accords de Lomé et en même temps avoir une vraie politique méditerranéenne.
Cela a posé la question du programme MEDA. Nous avons discuté ces dernières semaines au sein des Quinze sur le montant à accorder au programme MEDA. Il y avait une proposition de la Commission pour MEDA et pour le programme Balkans, mais l'addition débordait beaucoup trop de l'enveloppe financière qui a été adoptée à Berlin, que l'on appelle "l'Agenda 2000", et les pays membres ne veulent pas sortir de cette enveloppe financière. Il a donc fallu ramener les deux programmes à des proportions gérables mais on a maintenu la priorité politique pour ce programme MEDA puisque l'arbitrage final des Quinze, c'est que nous y consacrons 5,35 milliards d'euros de dons sur la période 2000/2006 - je l'ai dit hier à l'ouverture -, mais il faut y ajouter les 6,4 milliards d'euros de prêts de la Banque européenne d'investissements plus 1 milliard d'euros supplémentaires que la BEI nous a annoncé aujourd'hui - et c'était à la demande de la Présidence française. Donc en fait, l'Union européenne, d'une façon ou d'une autre, consacre à ce partenariat euro-méditerranéen 13 milliards d'euros, c'est donc un engagement très fort, significatif. Il y a aussi tout ce qui relève du fonctionnement, ce sont les réformes du commissaire Patten dont je parlais et qui sont très précieuses. Tout est fait en ce moment pour que MEDA II fonctionne mieux, pour que la Présidence soit plus souple et que les déboursements soient accélérés.
Nous avons également beaucoup parlé du volet économique et commercial. La grande question est la progression des économies du sud vers l'accord de libre-échange à l'horizon 2010. C'est à la fois un objectif important pour ces économies et puis, en même temps, c'est un défi parce qu'adapter les économies à cette perspective ne se fait pas comme cela, mais suppose beaucoup de réformes. Qui dit réformes dit conséquences économiques et financières, mais également conséquences sociales, éventuellement graves. Toute la mécanique des accords d'association qui, en plus de MEDA ou en lien avec MEDA, peut être mieux coordonnée d'ailleurs, est là pour faciliter cette transition.
Nous avons rappelé la nécessité de conclure les accords d'association encore en négociation, de signer l'accord avec l'Egypte, d'accélérer la mise en oeuvre de ceux qui sont déjà en vigueur et d'aller plus loin dans nos échanges dans les domaines agricoles et des services. Nous avons insisté sur la nécessité de la coopération régionale dans des secteurs comme l'industrie, l'eau, l'environnement, les transports, l'énergie
Nous avons également travaillé sur ce que l'on appelle la dimension humaine du partenariat, une question très intéressante mais très hétéroclite en quelque sorte, très variée mais couvrant des domaines qui ont une grande importance. Il suffit de les citer : la culture et l'audiovisuel, l'émigration des échanges humains, l'abus contre tous les trafics et la criminalité organisée, le domaine de la justice et des affaires intérieures, la santé, la protection sociale, la formation, l'emploi. Il ne faut pas que cela soit un simple inventaire. Dans ces domaines, il s'agit, à l'intérieur de cette ombrelle globale qu'est ce partenariat, de déterminer des programmes, des approches, des actions concrètes correspondant aux besoins précis des uns et des autres pour avancer. Vous voyez que rien n'est exclu, rien n'est écarté, aucun sujet même vraiment sensible n'est laissé de côté.
Ce qui m'amène à faire une mention du Forum civil, qui s'est tenu à Marseille les 12 et 13 novembre. Les représentants des ONG, des syndicats et des collectivités locales appellent notre attention sur le rôle essentiel des sociétés civiles et de la coopération décentralisée. Nous avons insisté sur ce point. Je crois qu'en effet ce partenariat a besoin d'être relayé par toutes ces forces vives dans les différentes sociétés, que l'émergence, le développement d'une société civile chez tous nos partenaires méditerranéens, est justement un signe de mutation qui est très important et qui est très encourageant.
Nous avons décidé qu'il y aurait une réunion sous la Présidence belge au deuxième semestre 2001, plutôt vers le début de la Présidence, et une autre réunion sous Présidence espagnole plutôt vers la fin de la Présidence espagnole pour garder des écarts à peu près réguliers en 2002.
Donc deux réunions pour montrer que ce dialogue politique doit être intensifié.
Je ne veux pas être trop long, mais je voudrais vraiment vous dire qu'en peu de temps, nous avons abordé un très grand nombre de sujets. Par exemple, dans le déjeuner politique d'aujourd'hui, nous n'avons pas repris la question du Proche-Orient qui a été longuement traitée dans la séance formelle d'hier et dans le dîner. Nous avons parlé d'autres sujets politiquement très importants, justement l'avenir du travail sur la charte mais aussi toute la question de la défense européenne. Il faut savoir que le progrès vers la défense européenne qui est considéré comme une avancée incontestable par les pays de l'Union européenne pose des questions à nos partenaires du sud, certains d'entre eux s'en inquiètent, certains d'entre eux y voient même une réminiscence de tentations coloniales d'autrefois pour appeler les choses par leur nom. Ce n'est pas du tout comme cela que cela s'est passé au sein de l'Union européenne, cela ne correspond pas du tout aux mêmes objectifs, mais il faut savoir que là-dessus, il y a une différence d'approche, une différence d'interprétation qui est fascinante, parce que c'est peut-être le cas où l'on voit le mieux s'illustrer ce fossé entre les perceptions qui donnent naissance à des malentendus qui s'installent s'il n'y a pas un dialogue intense. Et pourtant nous avons l'impression de dialoguer. Javier Solana et moi avons parlé de très nombreuses fois, les ministres de la Défense aussi, et pourtant il y a un risque d'interprétation critique de quelque chose qui, du point de vue de l'Union européenne, est un des progrès dont on est le plus fier dans la construction européenne et qui sera d'ailleurs un des grands résultats, un des grands acquis de la Présidence française. Cela est un exemple typique de la nécessité absolue de se parler plus entre les deux rives de la Méditerranée.
Donc, vous voyez que nous avons beaucoup parlé, nous avons traité de tous les sujets importants. C'est très important que ce processus de Barcelone se poursuive donc, même dans les plus grandes difficultés.
Alors, je voudrais pour terminer, avant d'entendre vos questions, faire une observation sur la nature du document que vous avez (certains d'entre vous sont très habitués au processus euro-méditerranéen et d'autres peut-être moins).
Ce ne sont pas des réunions dans lesquelles il y a un communiqué qui engage mot à mot l'ensemble des participants, parce que les participants sont trop divers, disons les choses comme elles sont. Michel Vauzelle parlait hier de la mosaïque méditerranéenne, il y a une extraordinaire diversité, cela veut dire diversité de sensibilité, de ligne politique, de réactions en raison de l'extrême diversité des sujets. Donc, ce qui vous est distribué maintenant, ce sont les conclusions de la Présidence, sous la responsabilité de la Présidence. Quand on dit les ministres, cela exprime le fait que l'ensemble des pays représentés sont d'accord sur tel ou tel point, mais nous avons parfois à traiter des sujets sur lesquels il n'y a pas d'accord unanime. Dans ces cas là, on s'exprime un peu autrement, en disant : "certains ministres ou un grand nombre de ministres ont pensé que...."
Je vous donne un exemple sur un sujet sensible : à propos de la situation au Proche-Orient.
Nous avons rappelé dans le document de conclusions que tous les ministres estimaient fondamentale la liberté de circulation des biens et des services dans l'ensemble de la zone euro-méditerranéenne, ce qui est conforme à tous les textes adoptés et à la perspective du libre-échange. La délégation palestinienne a souligné que la situation actuelle de blocage des territoires occupés, des entraves à la circulation des biens, en fait, équivalait à une situation d'asphyxie de l'économie palestinienne, qui a déjà les plus grandes difficultés à se développer. Beaucoup de délégations sont d'accord avec cela. Mais on est dans une situation, compte tenu de la configuration des pays participants à l'Euromed, qui fait que cela n'engage pas tous les ministres, donc c'est la délégation palestinienne et de nombreuses délégations qui considèrent en effet qu'il y a une situation intolérable qui devrait être corrigée au plus vite, même si par ailleurs nous entendons les arguments israéliens qui ont été redits et qui consistent à dire que ce sont des mesures qui sont prises pour se protéger en réaction à des attentats ou des risques d'attentats, que ce n'est pas une intention de blocus mais une affaire de sécurité, etc...
Donc, vous voyez que cette réunion Euromed est l'occasion d'échanges très forts de ce type sur des sujets très sensibles. Et en tant qu'honnête président, mon rôle est de vous décrire la diversité des sensibilités sur tel ou tel sujet quand il y a cette différence. Mais il n'y a pas de différence sur l'essentiel qui est que le processus Euromed est important, utile, porteur d'avenir et qu'il doit continuer et qu'il aura franchi à Marseille, en dépit des pronostics dans un contexte difficile une nouvelle et importante étape.
Voilà ce que je voulais vous dire..
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2000)
Conférence de presse finale du 16 novembre (réponses aux questions) :
Q - Monsieur Védrine, vous célébrez les cinq ans du processus de Barcelone, mais on a l'impression que depuis cinq ans, il n'y a aucun projet politique, même à très long terme. Il y a un projet de libre échange, mais ce n'est pas un projet politique cela. Un projet "épicier" comme disait M. Cheysson. On a l'impression que c'est beaucoup plus pour amortir les chocs que pour créer un bloc commun, solidaire, qui puisse créer des solidarités dans tous les domaines économique, politique et autres. Il n'y a aucun projet, même une institution peut-être, prévisible à très long terme ?
Je ne sais pas si une institution serait un projet en soi. Cela pourrait être une bureaucratie de plus aussi. D'autre part, il y a un vrai dialogue politique qui se développe et quand vous pensez à la diversité de ces vingt-sept pays, vous imaginez bien que les choses ne se bâtissent pas en un an, ni même en cinq ans. Barcelone est un processus incroyablement ambitieux, en réalité. Il ne faut pas traiter cela comme si cela était un petit projet qu'on lance et puis deux ans après tout est fait. C'est un projet historique. Les pays de la Méditerranée sont reliés par énormément d'affinités, mais ils se sont constamment opposés historiquement ; les lignes de clivage ont changé, d'ailleurs très souvent. Il y a autant de facteurs de division que de facteurs de rapprochement. Donc faire le pari des facteurs de rapprochement et essayer de décliner cette grande idée sur les terrains politique, économique, financier, social, culturel, c'est une oeuvre de longue haleine. Donc, je vous incite à ne pas tirer de bilan trop tôt, par rapport à ce processus et regardez plutôt comment nous tirons nous-mêmes les leçons des premières phases pour corriger l'approche, la perfectionner, la rendre plus utile.
Quant à la perspective de libre échange, je ne crois pas qu'il faille en parler de façon purement ironique. Les pays du sud veulent se développer, d'ailleurs ils se développent, et se développer aujourd'hui, c'est insérer les économies dans l'économie mondiale. C'est un fait : c'est aussi vrai en Méditerranée que dans le Pacifique ou ailleurs. Simplement ces pays ne veulent pas le faire n'importe comment, ils veulent garder le contrôle de cette mutation, de cette transformation. C'est une nécessité pour des raisons d'identité, d'équilibre politique, culturel et social et nous en Europe, nous ressentons la même chose par rapport à cela. Ils ont accepté l'idée à Barcelone que dans cette très grande transformation, le partenariat avec l'Europe était décisif. Alors si ce n'est pas un projet, je ne sais pas ce que c'est... C'est le projet des projets. On ne peut pas faire un projet plus grand que cela, puisque cela les englobe tous. Alors après, il y a la traduction concrète et nous vous avons donné quelques exemples et vous verrez dans le texte que vous allez lire après, que cela peut justement se décliner dans tous les domaines et que nous avons tout fait dans cette réunion pour que cela devienne de plus en plus concret.
Q - Vous voulez renforcer le niveau de confiance entre les deux rives de la Méditerranée. Comment pouvez-vous nous expliquer le fait que le prochain Sommet se tienne encore en Europe et non pas sur la rive sud ?
R - Ce sont des décisions qui sont prises d'un commun accord ; il n'y a pas eu de candidature autre. Mais ce n'est pas un principe perpétuel, il y aura forcément un jour où les réunions se tiendront quelque part sur la rive sud. Et puis il y a beaucoup de réunions ; là vous jugez sur des réunions ministérielles ou sur des sommets. Mais il y a beaucoup de réunions entre temps : réunions de hauts fonctionnaires, d'experts, de spécialistes, ou sur des thèmes plus particuliers qui se tiennent dans tous les pays tour à tour.
Q - Quand pensez-vous que la Charte pourra être adoptée ?
R - Je n'en sais rien. Il faudrait un contexte plus favorable pour l'adopter. Ce que je sais, c'est que tout le monde était d'accord pour poursuivre les travaux, que le contenu de la charte pose des problèmes, parce que l'on s'attaque à des sujets hautement sensibles, mais nous avons pu constater aujourd'hui, notamment pendant le déjeuner, que tous les participants veulent débattre de ces questions de stabilité, de sécurité en Méditerranée au sens large du terme, pas uniquement à propos du conflit du Proche-Orient, mais plus largement. Donc, c'est un vrai sujet, il y a un vrai intérêt. On a eu raison au début de penser qu'il fallait concevoir un cadre à ce type de coopération. Donc, on continue et l'aboutissement dépend du contexte favorable. Je souhaite le plus tôt possible.
Q - Sur le déploiement d'une force d'observateurs des Nations unies au Proche-Orient ?
R - La situation est telle, qu'il est normal qu'on réfléchisse à toutes les façons de mieux protéger les populations civiles, à commencer par les populations palestiniennes qui sont de loin les plus touchées, mais aussi les populations israéliennes ; ce qui nous renvoie d'ailleurs aussi à l'application des engagements de Charm el-Cheikh qui contiennent des mécanismes pour cela normalement, mais aucune idée ne doit être écartée à priori.
Q - Monsieur le Ministre, j'ai deux questions - la première concerne ce que vous venez d'annoncer que vous sentez que les affrontements vont continuer et...
R - Je n'annonce pas, je ne vais pas annoncer les affrontements, mais je crains que...
Q - Donc est-ce que vous croyez que le processus Barcelone, à Marseille, va permettre de stopper les affrontements et ramener vos deux partenaires palestinien et israélien à la raison et au moins obliger un peu les Israéliens, parce que ce sont eux qui "tapent" le plus, à revenir à la raison ?
R - Mais ce n'est pas l'objet du processus de Barcelone. Le processus de Barcelone serait évidemment facilité par la relance du processus de paix, mais le processus de Barcelone n'a pas été conçu pour réussir à faire la paix au Proche-Orient. Ce partenariat a été conçu parce que cela a une importance en soi d'établir une coopération d'avenir entre l'Europe et la Méditerranée à une époque où le monde se globalise à toute vitesse. Mais vous ne pouvez pas juger le processus de Barcelone à partir de sa contribution à la solution de la paix au Proche-Orient. Ce sera plutôt l'inverse : c'est plutôt la solution de la paix au Proche-Orient qui donnera un dynamisme extraordinaire au processus de Barcelone, à ce moment là, quand cela interviendra.
Il y a quand même un lien, les choses ne sont pas complètement séparées ou indépendantes. Nous avons essayé, pendant cette réunion, d'avoir des échanges qui permettent de mieux identifier les problèmes, les attentes, les actions possibles ; mais nous savons bien et vous savez bien d'ailleurs, que c'est sur d'autres terrains, dans d'autres enceintes, par d'autres mécanismes que nous allons maintenant poursuivre notre travail de tous les instants pour relancer le processus de paix au Proche-Orient.
Q - Sur la question du Proche-Orient, toujours. Il se trouve que les Etats arabes, présents ou absents, sont d'accord cette fois-ci pour vous reprocher, semble-t-il pour la première fois depuis Barcelone, une neutralité dans l'affaire du Proche-Orient. Est-ce que c'est une première "lézarde" dans le processus de Barcelone ?
R - Je ne vois pas le lien direct avec le processus de Barcelone.
Q - C'est à dire que ce sont les partenaires qui sont en train de se défier de ce processus désormais ?
R - Je ne pense pas, compte tenu de la représentation dans cette réunion de Marseille, étant donné que seuls deux pays ont décidé de ne pas venir, enfin plutôt un pays qui a entraîné l'autre, je ne crois pas du tout que l'on puisse poser la question comme vous la posez. Au contraire, il me semble que le fait que tous ces pays aient tenu à être là dans ce contexte très difficile montre qu'ils attachent une grande importance à cette coopération, en dépit des difficultés actuelles. Alors comme les attentes ont été immenses après Barcelone, les espérances ont été considérables, il y a des déceptions parce que les choses ne se concrétisent pas aussi vite que ce que l'on espère. Mais je crois, au contraire, que la réunion de Marseille montre la force du processus.
Quant aux positions de l'Union européenne, en tant que Président, je rappelle régulièrement que l'Union européenne s'exprime sur la base de positions agréées à quinze. Donc, ce qui est dit en tant qu'Union européenne, ce sont les sujets sur lesquels les Quinze sont d'accord. C'est pour cela qu'il peut y avoir des différences entre l'expression à quinze et l'expression de tel ou tel pays membre, naturellement. Il y a quand même un texte très important qui reste la base claire, et je le répète ici, de la position de l'Union européenne, qui est la déclaration de Berlin. Il y a eu, il n'y a pas longtemps, une déclaration à Biarritz, qui était dans la foulée et qui ajoutait d'ailleurs à la déclaration de Berlin les acquis de Camp David. Je crois que la position européenne est aussi forte que lui permet la nécessité d'harmoniser les positions des Quinze. Mais si vous regardez cela au fil des années, la position européenne est plutôt en train de gagner en force, en cohésion et en influence en partant de très peu, parce qu'historiquement ce n'est pas l'Union en tant que telle qui avait une présence ou une influence au Proche-Orient : c'étaient les pays, à commencer par les Etats-Unis qui ont l'influence dominante depuis, disons, 1956. Donc en réalité l'Union européenne gagne plutôt en influence, lentement mais sûrement.
Q - Si j'ai bien prêté attention à ce que le ministre israélien des Affaires étrangères a dit tout à l'heure, il m'a paru qu'il avait en quelque sorte jeté une pierre dans le jardin de l'Elysée, peut être dans le jardin de la Présidence française, et sûrement dans le jardin des européens. Vous venez de souligner à juste titre, le rôle et l'influence des Etats-Unis, mais le ministre des Affaires étrangères israélien a dit qu'en fait les Européens ne souhaitaient pas tellement prendre l'initiative et il l'a reproché au président Chirac d'avoir décliné sa suggestion de présenter des idées au président Clinton, à son homologue américain, en disant et en répondant qu'il ne souhaitait pas présenter des suggestions et des idées sans se référer d'abord aux Etats Unis. Est-ce que au nom de la Présidence française, et non pas au nom du président Chirac en particulier, mais au nom de la Présidence française et au nom des européens, vous auriez un commentaire à faire en réponse aux propos du ministre israélien ?)
R - Je ne suis pas venu pour faire une conférence pour répondre à ces propos et comme je n'ai pas entendu ces propos, c'est encore plus difficile. Je voudrais dire que j'ai apprécié que M. Ben Ami soit présent à cette conférence. Je crois que c'était important et que cela a donné l'occasion, justement de débats intenses dont j'ai parlé tout à l'heure.
Mais, je ne vais évidemment pas rentrer dans les différents commentaires que vous faites. Je vais simplement vous dire dans quel esprit, depuis que nous avons la Présidence, nous avons travaillé : nous avons travaillé dans un esprit d'utilité. Nous n'avons pas recherché à travers la Présidence française, je crois que ce commentaire englobe la façon dont travaille également Javier Solana, nous n'avons pas recherché des effets d'estrade ou des effets de proclamation. Nous avons cherché constamment à apporter le plus de valeur ajoutée au processus de paix ; ce qui veut dire que dans la période entre Camp David et la fin septembre et le début de la séquence tragique que l'on connaît, la France comme Présidence et en contact avec les autres pays européens, a travaillé sans arrêt avec les Américains, avec les Palestiniens, les Israéliens, les Egyptiens et avec d'autres pour avancer des idées, pour faire des commentaires sur les idées qui circulaient, faire des suggestions, être utile. Etre utile : c'est la seule obsession que nous avons eue et nous l'avons fait avec les pays que j'ai cités, qui sont les pays principaux, il y en a eu d'autres bien sûr, qui ont joué un rôle important parce que les Israéliens, mais aussi des Palestiniens, étaient dans ce rapport de travail et de négociation difficiles avec les Etats-Unis. Je suis sur le registre du constat, les Etats-Unis sont en position centrale au Proche-Orient depuis des dizaines d'années. Ils ont été longtemps tout à fait seuls à avoir une influence - je parle de l'influence véritable, je ne parle pas simplement des déclarations - et les Israéliens prennent en compte ce fait, les Palestiniens prennent en compte ce fait, et on comprend très bien pourquoi dans tous les cas. Mais petit à petit, au fil des années, il se développe une influence française, une influence européenne, des prises européennes, je le répète, gagnent en cohérence : la déclaration de Berlin n'aurait pas été possible quelques années avant. C'est une étape.
Il y a évidemment les pays arabes qui souhaitent que ce rôle soit de plus en plus grand, mais cela dépend du degré de cohésion que les Quinze réussissent à établir entre eux. Cela est une chose. Mais les Israéliens étaient farouchement hostiles à toute intervention de ce type ces dernières années, et par exemple dans la période dont je vous parle, cette période de l'été qui a failli être décisive, et bien les Israéliens ne trouvaient pas normale cette intervention. Et les Américains, qui se sont comportés pendant très longtemps comme s'ils étaient vraiment les seuls à avoir le droit d'intervenir sur les questions de la paix au Proche-Orient, petit à petit ont accepté ces autres influences.
Q - Vous avez mentionné tout à l'heure à juste titre le forum civil qui se tenait à Marseille. Je pense que c'est un événement qui n'avait pas moins d'importance que celui que nous concluons aujourd'hui et vous savez que ce forum civil a posé une question de fond en disant que - et c'était parmi les conclusions les plus importantes je crois dans l'esprit des participants - le libre échange n'est pas automatiquement générateur de développement. Comment régissez à tout ce type de réflexions émises par des gens qui sont très liés à la question du développement eux-mêmes, ils sont très actifs et peut être que M. Patten pourrait réagir sur la même question, parce qu'une partie de cette société civile craint que les pays du nord, d'où vient M. Patten, ne seraient peut être pas aussi sensibles qu'il le faudrait à ce type d'approche ?
R - Juste un mot très bref. C'est un objectif qui a été adopté par tous les pays qui ont créé Barcelone en 1995. Donc, l'objectif de la zone de libre échange leur a paru un bon objectif à tous. Ce n'est pas une invention de cette réunion. D'autre part, tout le monde est conscient du fait que quand on part avec des économies pas très ouvertes, le fait d'aller vers l'ouverture pose d'extraordinaires problèmes de transition. C'est pour cela que toute notre mécanique de coopération a pour but d'orienter d'aider cette transition : d'abord il y a une aide financière, puis il y a un transfert de savoir faire, d'expérience, c'est tout un accompagnement de cela ; c'est cela que nous demandent ces pays. Je ne pense pas qu'aucun des représentants des ONG dans ce type de forum ne défende l'idée que ces économies du sud puissent vivre en autarcie, donc c'est une question de degré, c'est une question de rythme, c'est une question de mesures d'accompagnement.
Q - On parlait de la Conférence méditerranéenne comme étant la relance ou l'impasse du processus. Pouvons-nous, comme les Marseillais le disent, appeler à partir d'aujourd'hui la 4ème conférence ministérielle euroméditerranéenne, Marseille 1 au lieu de Barcelone 4 pour une relance du processus ?
R - Si on veut faire plaisir à M. Michel Vauzelle, on dit cela oui. Mais on verra après. Ce serait bien, on serait très content que, en dépit de ce contexte vraiment difficile, on puisse dire après avec le recul que nous sommes arrivés à de très bonnes conclusions : l'addition de toutes les réformes que fait le commissaire Patten, puis tous les projets concrets de notre action, que tout ça a donné un nouvel élan. Mais il vaut mieux le dire avec un peu de recul que de l'annoncer péremptoirement tout de suite.
Q - Monsieur le Ministre, je voudrais vous poser une question qui a été posée précédemment sur la neutralité de l'Europe. Avant l'Intifada il était plus facile de comprendre la position européenne, son cheminement, son évolution, sa cohérence dans le temps. Mais depuis l'Intifada, tous les jours les Palestiniens meurent, il n'y a pas la même émotion en Europe, et même sur le plan diplomatique. C'est ce problème de la neutralité que nous avons du mal à comprendre aujourd'hui.
R - Je crois que le problème est injustement posé en ces termes. Si vous regardez les déclarations européennes - alors d'abord il faut que vous regardiez les déclarations des différents pays européens et puis les déclarations de l'Union européenne, ce n'est pas toujours la même chose - le terme de neutralité est une mauvaise description de ce qui est dit. Par exemple la résolution qui n'a été votée que par certains pays européens mais qui avait été préparée par la présidence pour l'Assemblée générale des Nations unies, avec d'ailleurs des discussions entre les groupes européen et arabe, n'était pas fondée sur un principe d'équivalence. Il est évident que la situation n'est pas la même. Il y a des résolutions internationales, il y a une situation d'occupation, donc on ne met pas les deux choses sur le même plan. Simplement ce qui, je crois, préoccupe les pays européens et qui les réunit quelles que soient leurs sensibilités diverses, c'est la volonté d'être utile. Et ils savent que ce n'est pas par des proclamations ou en se prenant pour des juges qu'ils sont forcément utiles par rapport à cela. Surtout par rapport à des partenaires qui sont engagés dans une discussion, notamment par rapport aux américains. Donc l'Europe aussi veut jouer un vrai rôle, un vrai rôle utile, peser sur les événements et pas simplement énoncer des principes. Donc c'est ça qui peut créer cette différence, mais si vous regardez les textes européens, il n'y en a aucun qui justifie ce jugement.
Merci de votre patience
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le21 novembre 2000)
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président du Conseil Régional et Monsieur le Sénateur Maire de Marseille
Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
I - Soyez les bienvenus en France, à Marseille, où, depuis des millénaires, se rencontrent les peuples et les cultures de la Méditerranée. Marseille qui, une fois encore, manifeste sa chaleureuse hospitalité à l'occasion de cette conférence.
Je remercie pour leur accueil, la ville de Marseille, ses habitants et leurs élus, au premier rang desquels son maire, M. Jean-Claude Gaudin. Je salue également le Conseil régional de Provence Alpes Côte d'Azur et son président, M. Michel Vauzelle, qui ont apporté leur soutien à notre rendez-vous.
La France, vous le savez, attache à ce rendez-vous une très grande importance, en sa double qualité : en tant qu'initiateur, avec l'Espagne, de cette grande coopération, dont elle s'en est toujours fait l'avocat actif, en raison de ses propres liens avec la Méditerranée ; en tant que présidence en exercice de l'Union européenne.
II - A Barcelone, il y a tout juste cinq ans, nous engagions notre rapprochement.
Quelle était notre inspiration ? Il s'agissait, par un dialogue plus étroit et confiant, en prenant l'habitude de travailler ensemble, de nouer une relation de partenariat entre les membres de l'Union et les pays de la rive sud de la Méditerranée, que tant de choses opposent et rapprochent en même temps, avec l'espoir de dédramatiser ainsi, autant que possible, les difficiles rapports de voisinage au Proche-Orient. Nous étions portés par une vision de paix et de stabilité pour toute la région, animés de la volonté de parvenir un jour à une normalisation des relations entre nous tous, fondement de coopération fructueuse, et de créer une Méditerranée nouvelle.
Barcelone, c'était et c'est encore une vision de progrès, l'Union européenne accompagnant et soutenant les pays du Sud dans leurs efforts de modernisation, d'ouverture et d'intégration des grands flux d'échanges mondiaux.
En nouant ce partenariat et en le bâtissant, nous créons progressivement ensemble un ensemble et un pôle nouveau de rayonnement et d'influence, fort de 600 millions d'habitants.
Bien sûr tout cela, nous le savons bien, était inspiré et porté par l'accord historique d'Oslo et la promesse d'une paix juste et durable au Proche-Orient.
III - Or il est clair que le contexte d'aujourd'hui est défavorable à notre démarche.
Alors que le processus de paix cheminait, même avec beaucoup de difficultés, alors que le Sommet de Camp David avait été, pour les partisans de la paix, porteur de grands espoirs, les événements survenus depuis le 28 septembre ont suscité dans chaque camp déception, inquiétude et angoisse. Le travail patient, fondé sur la confiance de chacun dans la capacité de l'autre à tenir ses engagements, s'est brutalement métamorphosé en langage de haine et en actes calculés ou désespérés de violence. Les opinions, arabe et israélienne sont bouleversées. Des victimes, nombreuses, trop nombreuses, en ont payé le prix au cours de ces dernières semaines. Notre compassion est très grande en pensant à toutes ces personnes tuées - près de 230 au moment où je m'exprime - ainsi que toutes celles qui pourraient l'être encore aujourd'hui ou demain.
Pourtant, pour l'Union européenne, il n'y a toujours pas d'autre chemin possible au Proche-Orient que le dialogue et la recherche de la paix entre Israéliens et Palestiniens, ces deux peuples au destin mêlé. Malgré l'émotion suscitée par la douleur et la crainte, il faut tout faire pour tenir les engagements pris, mettre fin aux violences, et revenir au calme et à la raison, recréer une espérance. Nous allons immédiatement après cette ouverture en parler.
Nous savons que, face à cette situation, plusieurs pays arabes se sont interrogés sur leur participation ; deux d'entre eux ont estimé ne pas pouvoir venir à Marseille dans ces conditions. Je regrette leur décision tout en la respectant. Mais l'Union européenne est convaincue que la coopération euro-méditerranéenne est suffisamment importante, en elle-même et pour l'avenir de tous nos peuples, pour qu'elle puisse et même qu'elle doive se poursuivre indépendamment des vicissitudes du processus de paix, même les plus tragiques. Et même s'il est évident que cette coopération ne pourra pleinement s'épanouir que le jour où une paix juste et globale aura été conclue entre Israël et ses voisins palestinien, libanais et syrien, notre partenariat peut aider, sans attendre ce moment espéré, à trouver des solutions, en maintenant et en entretenant un dialogue, si nécessaire en créant des liens, en développant des solidarités concrètes. C'était le pari de Barcelone, cela reste le nôtre. Si vous êtes là ce soir à Marseille, c'est que vous y croyez.
Il faut d'ailleurs reconnaître qu'en cinq ans, notre partenariat a acquis force et légitimité. Un processus de dialogue politique à 27 s'est instauré. Les sociétés civiles de nos pays multiplient leurs échanges avec plus en plus de vitalité. Des accords d'association ont vu le jour. D'autres sont en voie de ratification.
Nous devons d'autant plus veiller à préserver ce capital et à le faire fructifier que certaines évolutions intervenues depuis cinq ans dessinent un nouveau paysage plus favorable. Au sud, nombre de pays ont poursuivi la modernisation de leurs économies. Plusieurs ont engagé de profondes réformes politiques.
Pour sa part, l'Union européenne a continué sa marche. Elle s'est dotée de l'euro, qui s'impose progressivement sur la scène économique mondiale, même si sa valeur est encore sous-évaluée. Elle définit progressivement une Politique étrangère et de sécurité commune. Elle a mis en chantier et devrait conclure dans un mois la rénovation de ses institutions, pour fonctionner plus efficacement dans l'avenir, y compris après son élargissement. Surtout, les Quinze renouent avec une croissance forte qui peut et qui doit jouer un rôle dynamique, d'entraînement et de stimulation, dans toute la Méditerranée.
Voilà pourquoi je vous lance un appel pour que cette conférence renoue avec l'esprit de Barcelone. Pour qu'ensemble, nous allions quand même de l'avant. Dans la définition d'un espace commun de paix et de stabilité. Dans la promotion des échanges humains et culturels entre nos peuples. Vers une coopération économique plus étroite et plus féconde.
IV - Mais, avant de tracer de nouvelles perspectives, nous devons d'abord établir ensemble un bilan lucide et rigoureux des cinq années écoulées.
Vous savez que j'ai veillé à recueillir à ce sujet l'évaluation de chaque pays participant à ce processus euro-méditerranéen, ce qui m'a permis de constater que nous partagions à cet égard le même sentiment.
A l'actif, de notre processus, il y a la réalité du dialogue entre les Etats mais aussi au niveau des sociétés civiles. C'est inestimable, même si les effets ne s'en feront sentir que peu à peu.
Mais au passif, il faut reconnaître le trop faible nombre d'accords d'association entrés en vigueur à ce jour - seulement trois - ; les difficultés des réformes nécessaires à l'ouverture et à la transition vers l'objectif de zone de libre-échange euro-méditerranéenne fixé à Barcelone ; les résultats insuffisants en matière de coopération sociale et culturelle ; les lenteurs sur le volet politique et, plus encore sur le programme MEDA.
Tout cela s'explique par des difficultés objectives nombreuses, sans doute sous estimées à l'origine, et par les espérances irréalistes ou prématurées que le processus avait fait naître. Forts de cette expérience, il nous faut maintenant le recentrer sur des objectifs toujours ambitieux mais atteignables. C'est ce que je vous propose de faire ici à Marseille. Le Commissaire européen Christopher Patten, dans sa communication "Revitaliser le processus de Barcelone" s'est fixé les mêmes objectifs et a formulé des propositions très intéressantes qui nous aideront dans cette voie, par exemple pour développer la coopération régionale et l'investissement. Nous allons travailler dans ces directions.
V - Je voudrais maintenant esquisser et vous proposer quelques orientations pour l'avenir.
Nous savons tous que les circonstances actuelles ne se prêtent pas à l'adoption d'une Charte de paix et de stabilité. Je suis persuadé cependant que les travaux déjà effectués ont été utiles et que le moment venu, elle constituera un cadre propre à asseoir la nécessaire stabilité de toute la région et que nous devons par conséquent continuer à y travailler.
Je sais les réticences de certains d'entre vous à aborder, à l'échelon euro-méditerranéen, les questions de sécurité. Mais je sais aussi les questions que soulève chez les mêmes partenaires la Politique européenne de sécurité et de défense en cours d'élaboration. Une politique dont je souhaite redire ici qu'elle n'est dirigée contre personne. Et dont le champ d'intervention naturel est d'abord l'Europe. Notre dialogue doit s'intensifier sur ces projets. Nous allons en avoir l'occasion là aussi.
Il nous faut aussi adapter les instruments de notre coopération. Je pense d'abord à notre programme de coopération technique et financière MEDA. En 1995, au Sommet de Cannes qui a précédé, sous Présidence française, la Conférence de Barcelone, l'Union européenne s'était doté de moyens financiers pour son engagement en Méditerranée. Un programme de 3,435 milliards d'écus, dont 27 % aujourd'hui décaissés. Mais la mise en oeuvre de MEDA a été laborieuse de part et d'autre, et a fini par engendrer frustrations et critiques. Nous en sommes préoccupés, la Commission au premier chef mais aussi le Conseil des ministres.
Je crois que le message a été compris. Le nouveau programme MEDA II, qui vient d'être approuvé après des mois de discussion, a été conçu pour être plus efficace, et mieux répondre à vos attentes. A charge pour chacun d'entre nous d'en faire effectivement un instrument moins bureaucratique, plus rapide, plus lisible. Mieux ciblé aussi, afin de contribuer réellement à la modernisation des économies, d'accompagner les réformes, y compris dans leurs aspects sociaux, pour mieux préparer ensemble à l'horizon 2010 l'instauration de cette zone de libre-échange entre l'Union et chacun de ses partenaires, et entre ces partenaires eux-mêmes qui reste notre objectif. Davantage concerté aussi, afin de mieux adapter les actions à la situation et aux engagements de chacun, en particulier dans la préparation ou la mise en oeuvre des Accords d'association. Je sais à quel point ce sujet est fondamental pour tous les pays de la rive sud de la Méditerranée.
Au total, MEDA II devrait être notre outil pour développer ensemble cet espace économique commun. C'est pourquoi je suis heureux d'annoncer que l'Union confirme et même va accroître son engagement en Méditerranée puisque les Quinze viennent de décider que le programme MEDA II sera doté de 5,35 milliards d'euros pour les années 2000-2006. C'est-à-dire plus que la reconduction du montant antérieur. Avec MEDA, avec la contribution très importante de la BEI à laquelle les Quinze ont demandé de consacrer 6,4 milliards d'euros de prêts à la région et avec l'action des Etats membres, l'Union dispose de moyens qui confirment que la Méditerranée est un espace privilégié pour son action extérieure.
Cette coopération doit, plus qu'auparavant, être dirigée et suivie au niveau politique. C'est ainsi que nous pourrons mieux prendre en compte les réflexions et les difficultés rencontrées, échanger les expériences et enfin assurer que le meilleur profit sera tiré de nos instruments.
De manière concrète, je propose que nous travaillions à créer une véritable dynamique euro-méditerranéenne dans plusieurs domaines essentiels où notre intérêt est mutuel est évident.
Je pense d'abord à la révolution des nouvelles technologies, dans laquelle l'Union européenne, depuis les Sommets de Lisbonne et de Feira, et certains pays du sud, sont résolument engagés. Nous devrions renforcer entre nous les coopérations technologiques, les investissements, les échanges scientifiques, universitaires, industriels, pour créer des synergies euro-méditerranéennes.
Chacun connaît l'importance de l'image, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, sur tous les plans. Cela serait un immense progrès et une contribution majeure à la souhaitable diversité culturelle du monde, si nous arrivions à développer ensemble un partenariat audiovisuel novateur. Les propositions formulées à Rabat en septembre dernier devraient se traduire dès le début de l'année prochaine, par le lancement du programme "Euromed Audiovisuel II".
Nous devons également mieux relever ensemble certains grands défis du développement. Je pense à l'eau, à sa captation, à sa répartition, à sa gestion. C'est une question essentielle, vitale dans bien des pays méditerranéens, et à laquelle notre partenariat doit s'atteler.
Je pense à l'environnement aussi, aux richesses inestimables de la Méditerranée. Nous savons l'extrême fragilité de cet écosystème qui est notre patrimoine commun. Sa préservation est notre affaire à tous. Agissons maintenant, avant l'irréversible destruction d'un trésor lourdement grevé tant par la pollution que par la pression démographique et la surexploitation des ressources naturelles. Nous devrions renforcer dans ce but les missions et les moyens de notre Programme d'action pour la Méditerranée.
Il appartient aux acteurs de la vie économique, sociale, culturelle de nos pays de nourrir notre ambition politique de projets concrets. Dans cet esprit, je salue le forum civil qui vient de se tenir à Marseille. J'espère qu'il sera suivi de contacts utiles et fructueux entre tous les acteurs : élus des collectivités locales, militants associatifs, syndicalistes, entrepreneurs et chercheurs. Pour notre part, nous pouvons contribuer à ces actions, en relançant dès que possible les programmes euro-méditerranéens de coopération décentralisée.
Enfin, il est essentiel d'organiser la mobilité des hommes et des talents. Et d'abord la mobilité des jeunes, des étudiants notamment, en renforçant le "Programme d'action euro-méditerranéen pour la jeunesse". Mais le problème de la circulation des hommes est plus vaste, et on sait à quel point il est délicat. Sur ce sujet, je souhaite qu'ensemble nous engagions dès maintenant une réflexion dépassionnée sur le moyen et long terme. Comment permettre et organiser au mieux, dans une perspective de co-développement, l'accroissement de nos échanges humains ? Cherchons aujourd'hui à anticiper, à préparer le monde de 2010. Réfléchissons ensemble aux meilleures formules, pour que l'expatriation des travailleurs se fasse dans des conditions légales et humaines et bénéficie tant au pays d'origine qu'au pays d'accueil.
Mesdames et Messieurs, vous le voyez, même aujourd'hui la Présidence française reste ambitieuse avec toute l'Union européenne pour le partenariat euro-méditerranéen. Aujourd'hui, à Marseille, en ouvrant cette Conférence, que je souhaite sérieuse, concrète et utile, j'ai voulu esquisser les moyens de soutenir et faire grandir ce dessein. Mais c'est ensemble, en consacrant une journée de travail au partenariat euro-méditerranéen, que nous allons faire un bilan des cinq premières années et préparer ensemble de nouvelles orientations.
Notre horizon demeure un horizon de paix, le seul concevable dans une région où, comment l'oublier ces jours ci, certains sont et se sentent encore en guerre. Un horizon de développement et de prospérité partagée pour peu que nos nations, surmontant antagonismes, rivalités, méfiance ou indifférence, sachent dialoguer et enraciner l'esprit de coopération. Un horizon de solidarité entre des peuples que les aléas de l'histoire ont éloignés ou séparés, et qui pourtant ont bien des raisons de s'entendre pour progresser ensemble.
VI - Avant de conclure, je vous précise l'organisation de nos travaux.
Après cette séance d'ouverture, je propose aux ministres de tenir dès maintenant une première et brève séance de travail qui sera consacrée au début de la discussion sur les questions politiques, et en particulier à la situation au Proche Orient. Nous poursuivrons notre discussion sur ces sujets immédiatement après entre ministres, au cours de notre dîner de travail.
Dès demain matin, notre session de travail de la matinée sera consacrée au volet économique, commercial et financier du partenariat.
Je vous proposerai ensuite de poursuivre notre discussion relative aux questions politique et de sécurité au cours du déjeuner.
L'après-midi, notre dernière session de travail sera consacrée au volet social, culturel et humain.
Nous devrons impérativement achever nos travaux pour 17 h 30. Je présenterai ensuite à la presse les conclusions qu'en tant que Présidence je tire de nos débats, en veillant à refléter fidèlement leur esprit et les contributions de tous les participants. Chacun, bien entendu, aura la possibilité de présenter à la presse son évaluation de nos discussions.
Je vous propose de nous mettre au travail sans plus attendre..
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2000)
Propos introductifs de la conférence de presse finale du 16 novembre :
Mesdames et Messieurs,
Cette quatrième Conférence euro-méditerranéenne prévue à Marseille se tenait dans un contexte extrêmement difficile, chacun le sait. La situation au Proche-Orient au cours des dernières semaines, ces morts très nombreux, cette tension qui continue faisaient que jamais une réunion du processus de Barcelone n'avait eu à se tenir dans de telles circonstances.
Le processus de Barcelone était et reste une grande idée, une grande idée d'avenir pour donner sa force et sa potentialité concrète à cette relation entre l'Europe et la Méditerranée. Ce processus avait été lancé dans un moment d'optimisme par rapport au processus de paix et là, non seulement l'avenir paraît bouché en ce qui concerne le processus de paix, mais la situation est ce que vous savez, avec tout son cortège de souffrances et de douleurs, de malheur, notamment du côté palestinien, mais il y a aussi des victimes israéliennes, ce qui donne un monde palestinien bouleversé et une société israélienne également traumatisée avec des mécanismes qui se développent de part et d'autre qui vont complètement à l'encontre de ce qu'il faut faire pour rechercher la paix. Et déjà rechercher la paix dans le contexte que l'on connaît au Proche-Orient, cela suppose un courage, cela suppose une capacité à s'élever, au-dessus des drames immédiats qui est théorique souvent. En ce moment, c'est à l'inverse que nous assistons, malheureusement, avec une vraie inquiétude sur la suite, sur les jours et les semaines à venir et pourtant il y avait cette réunion.
Donc la question était posée : est-ce que l'on peut tenir ou non une réunion dans ce contexte ? Mais si on décide que le processus euro-méditerranéen ne peut continuer ou ne peut reprendre que si le processus de paix est quasiment près du but et que les choses sont réglées, on prendrait la responsabilité de casser la mécanique euro-méditerranéenne, alors que pendant ce temps là l'Europe se développe, l'Europe développe ses programmes de coopération, renouvelle les Accords de Lomé, développe un programme pour les Balkans, réforme, sous l'impulsion du commissaire Patten, toute l'action extérieure de l'Union, développe à travers Javier Solana sa politique étrangère et de sécurité commune à travers des actions homogènes de plus en plus nombreuses. Ce n'est pas possible du point de vue de l'Union européenne de faire l'impasse tout simplement sur cet ensemble méditerranéen même si on y trouve le problème à la fois le plus pathétique et le plus difficile de tous ceux que nous avons à traiter.
La Présidence, après avoir consulté ses partenaires européens, a décidé de maintenir cette réunion et nous avons eu un travail de préparation, parce que pour beaucoup de pays arabes, ce n'était pas du tout évident de venir dans ces conditions. D'ailleurs deux d'entre eux, seulement je dirais, ont décidé de ne pas venir mais pour les autres, ce n'était pas évident de venir dans ces conditions. Mais malgré tout, nous avions un travail à faire ensemble, un vrai travail. Car ce processus de Barcelone a déjà fait l'objet d'un bilan sous la Présidence portugaise. En accord avec mon ami Gama, j'avais lancé l'idée d'un vrai bilan critique parce qu'indépendamment de la question terrible du Proche-Orient, nous savions très bien que ces programmes avaient provoqué beaucoup d'attente et d'espérance et qu'en réalité il avait été extraordinairement difficile de les faire démarrer, pour des tas de raisons d'ailleurs qui tiennent aussi bien aux Etats membres de l'Union qu'à la mécanique communautaire, qu'aux projets des pays du sud. Donc le programme MEDA I n'a pas pu du tout être utilisé autant qu'il aurait pu.
Un bilan a été fait, une mission a été envoyée par la Présidence dans tous les pays concernés. On a travaillé, le commissaire Patten anime des réformes, et nous voulions absolument que ce travail ne soit pas perdu et que l'on puisse engranger ces progrès pour la suite. Une grande partie de nos débats a porté sur ces questions.
Je vais être plus précis dans un instant, mais c'est pour vous expliquer par quel cheminement nous avons conclu que nous ne pouvions pas prendre la responsabilité de reporter cette réunion ou de ne pas la tenir, parce que personne ne sait, si on l'avait reportée, à quel moment on aurait pu la tenir.
Nous avons donc assumé la difficulté, nous avons fait front et eu nos débats, difficiles, émouvants à certains moments, ardus, mais toujours dignes, toujours sincères en tout cas. Sincères avec ce que cela comporte de gravité et de douleur, mais quand même chez tout le monde, même dans les moments les plus tendus - il y en a eu -, j'ai senti que cette idée euro-méditerranéenne a une force énorme en elle-même, sinon les participants n'auraient pas été là en fait. Donc, s'ils étaient là malgré tout, c'est que cette idée est une grande, grande idée d'avenir.
Voilà le contexte. Nous avons travaillé hier soir, d'abord dans une séance formelle, puis pendant le dîner de travail. Nous avons fait le point de la situation au Proche-Orient. Evidemment, les temps forts ont été les interventions de Nabil Chaath pour l'Autorité palestinienne, de Shlomo Ben Ami pour Israël, mais tout le monde s'est exprimé à la fois sur la genèse de la crise actuelle et sur l'analyse des tensions accumulées depuis des années qui ont explosé à travers cette crise, sur ce qui pourrait être fait pour faire tomber la tension et arrêter les morts pour parler plus simplement et ce qui pourrait être fait pour reprendre le processus de la discussion.
Sur ce point, je parle maintenant non pas au nom de tout le monde, mais au nom de l'Union européenne. Pour nous, ce qui peut être fait de plus utile, à l'heure actuelle, c'est de mettre en oeuvre les engagements de Charm el-Cheikh et de Gaza et ce sont des engagements précis qui portent sur beaucoup d'aspects y compris la correction des mesures unilatérales qui ont été prises, ce qui permettrait de rétablir d'ailleurs la liberté de circulation à la suite de la mise en uvre, parallèle, des mesures qui relèvent des Israéliens et des mesures qui relèvent des Palestiniens mais plus souvent encore des Israéliens puisque ce sont eux qui ont les moyens étatiques de la décision. Mais les Européens pensent que chacun doit apporter sa contribution avec sa responsabilité propre à cette désescalade. C'est en ces termes qu'il faut parler. Or ces engagements n'ont pas été vraiment tenus jusqu'ici. Ils n'ont pas tenu, ou alors ceux qui voulaient les tenir ne l'ont pas pu, je ne sais pas, mais ils n'ont pas été vraiment tenus et, donc, on en est toujours là.
C'est pour nous la priorité, la priorité des priorités.
Donc, il y a eu une explication très franche, très vraie mais je ne dis pas "franc" au sens diplomatique. D'habitude vous savez quand on parle d'un entretien diplomatique qui a été franc, cela veut dire que cela a été très dur. Là je le dis autrement parce que l'on sait que c'est dur, on n'a pas besoin de l'expliquer, c'est dur et difficile mais avec une intensité.
Ce dîner , je crois, a énormément frappé tous les participants.
Nous avons poursuivi nos travaux et je vous en dit quelques mots sur le reste des débats.
D'abord grâce à la préparation, dont je vous ai dit un mot, nous avons un bilan commun sur Barcelone. Nous sommes d'accord sur le diagnostic, nous avons identifié les défaillances, nous sommes d'accord sur les réformes à apporter. Les conclusions de la Présidence reprennent ces différents volets.
Donc, nous avons un accord sur le diagnostic et nous avons un accord sur les orientations qui permettraient de relancer ce partenariat. Nous avons, en quelque sorte, essuyé les plâtres pendant la première période, MEDA I, et maintenant nous savons comment faire pour que cela marche mieux. D'abord , il y a la question du Proche-Orient. Sur la coopération en général, on y voit assez clair. Vous savez qu'il y a plusieurs volets dans le processus de Barcelone, c'est un processus en même temps global, c'est-à-dire qu'il y a interaction d'un volet à l'autre, les choses ne peuvent pas aller tout à fait bien tant qu'il y a des problèmes graves. Il est clair que cette coopération euro-méditerranéenne ne développera tout son potentiel que le jour où il y aura une vraie paix, une vraie paix juste et globale entre Israël et tous ses voisins : Palestiniens, Libanais, Syriens. Mais, en même temps, le pari fait par le processus de Barcelone depuis le début, c'est que l'on ne peut pas attendre cette situation, que chacun espère et à laquelle chacun voudrait contribuer, pour développer toutes ces relations, donc il faut travailler aussi sur les autres sujets.
Un mot de l'aspect politique. Je ne parle pas du Proche-Orient. Je parle de la coopération politique dans le cadre euro-méditerranéen.
Nous avons décidé de renforcer notre dialogue. Tous les pays du sud de la Méditerranée estiment qu'il n'y a pas assez de dialogue, pas assez d'informations et nous sommes d'accord pour le développer. Il faut le développer sans tabou, c'est à dire que, même pour les sujets les plus compliqués comme le terrorisme, l'émigration, l'Etat de droit et la démocratie - voyez, je prends trois exemples délicats pour différentes raisons, mais délicats quand même -, il faut un dialogue sans tabou.
En matière politique, nous avions tous conclu auparavant que ce n'était pas le moment d'adopter la charte, c'est évident. Il y a eu des travaux très utiles pour cette charte qui nous réunira un jour, et l'on voit bien que les participants veulent parler des sujets que la charte traite, donc il y a un vrai besoin, il y a une vraie demande mais naturellement le contexte rendait totalement impossible l'adoption d'un document formellement. Le projet n'est pas abandonné, nous devons donner mandat aux fonctionnaires de continuer à travailler pour aboutir à un texte que nous adopterons un jour dans un contexte plus favorable.
En ce qui concerne la coopération financière, il fallait que l'Union confirme son engagement puisque des interrogations s'étaient développées : est-il vraiment important pour l'Union européenne qui s'occupe évidemment activement de son élargissement et donc des douze négociations avec les pays candidats à l'Est ? Cela pouvait faire penser à certains au sud que l'Union européenne était entièrement occupée par son élargissement, mais l'Union européenne est un ensemble vaste et puissant, qui est capable de s'occuper de plusieurs choses en même temps, qui est capable d'avoir une politique extérieure qui couvre l'ensemble des sujets. Donc nous pouvons à la fois gérer les négociations d'adhésion avec les douze candidats actuels, développer un programme dans les Balkans qui vise à européaniser les Balkans, en traitant au mieux chaque problème qui s'y trouve, actualiser comme on l'a fait en modernisant les Accords de Lomé et en même temps avoir une vraie politique méditerranéenne.
Cela a posé la question du programme MEDA. Nous avons discuté ces dernières semaines au sein des Quinze sur le montant à accorder au programme MEDA. Il y avait une proposition de la Commission pour MEDA et pour le programme Balkans, mais l'addition débordait beaucoup trop de l'enveloppe financière qui a été adoptée à Berlin, que l'on appelle "l'Agenda 2000", et les pays membres ne veulent pas sortir de cette enveloppe financière. Il a donc fallu ramener les deux programmes à des proportions gérables mais on a maintenu la priorité politique pour ce programme MEDA puisque l'arbitrage final des Quinze, c'est que nous y consacrons 5,35 milliards d'euros de dons sur la période 2000/2006 - je l'ai dit hier à l'ouverture -, mais il faut y ajouter les 6,4 milliards d'euros de prêts de la Banque européenne d'investissements plus 1 milliard d'euros supplémentaires que la BEI nous a annoncé aujourd'hui - et c'était à la demande de la Présidence française. Donc en fait, l'Union européenne, d'une façon ou d'une autre, consacre à ce partenariat euro-méditerranéen 13 milliards d'euros, c'est donc un engagement très fort, significatif. Il y a aussi tout ce qui relève du fonctionnement, ce sont les réformes du commissaire Patten dont je parlais et qui sont très précieuses. Tout est fait en ce moment pour que MEDA II fonctionne mieux, pour que la Présidence soit plus souple et que les déboursements soient accélérés.
Nous avons également beaucoup parlé du volet économique et commercial. La grande question est la progression des économies du sud vers l'accord de libre-échange à l'horizon 2010. C'est à la fois un objectif important pour ces économies et puis, en même temps, c'est un défi parce qu'adapter les économies à cette perspective ne se fait pas comme cela, mais suppose beaucoup de réformes. Qui dit réformes dit conséquences économiques et financières, mais également conséquences sociales, éventuellement graves. Toute la mécanique des accords d'association qui, en plus de MEDA ou en lien avec MEDA, peut être mieux coordonnée d'ailleurs, est là pour faciliter cette transition.
Nous avons rappelé la nécessité de conclure les accords d'association encore en négociation, de signer l'accord avec l'Egypte, d'accélérer la mise en oeuvre de ceux qui sont déjà en vigueur et d'aller plus loin dans nos échanges dans les domaines agricoles et des services. Nous avons insisté sur la nécessité de la coopération régionale dans des secteurs comme l'industrie, l'eau, l'environnement, les transports, l'énergie
Nous avons également travaillé sur ce que l'on appelle la dimension humaine du partenariat, une question très intéressante mais très hétéroclite en quelque sorte, très variée mais couvrant des domaines qui ont une grande importance. Il suffit de les citer : la culture et l'audiovisuel, l'émigration des échanges humains, l'abus contre tous les trafics et la criminalité organisée, le domaine de la justice et des affaires intérieures, la santé, la protection sociale, la formation, l'emploi. Il ne faut pas que cela soit un simple inventaire. Dans ces domaines, il s'agit, à l'intérieur de cette ombrelle globale qu'est ce partenariat, de déterminer des programmes, des approches, des actions concrètes correspondant aux besoins précis des uns et des autres pour avancer. Vous voyez que rien n'est exclu, rien n'est écarté, aucun sujet même vraiment sensible n'est laissé de côté.
Ce qui m'amène à faire une mention du Forum civil, qui s'est tenu à Marseille les 12 et 13 novembre. Les représentants des ONG, des syndicats et des collectivités locales appellent notre attention sur le rôle essentiel des sociétés civiles et de la coopération décentralisée. Nous avons insisté sur ce point. Je crois qu'en effet ce partenariat a besoin d'être relayé par toutes ces forces vives dans les différentes sociétés, que l'émergence, le développement d'une société civile chez tous nos partenaires méditerranéens, est justement un signe de mutation qui est très important et qui est très encourageant.
Nous avons décidé qu'il y aurait une réunion sous la Présidence belge au deuxième semestre 2001, plutôt vers le début de la Présidence, et une autre réunion sous Présidence espagnole plutôt vers la fin de la Présidence espagnole pour garder des écarts à peu près réguliers en 2002.
Donc deux réunions pour montrer que ce dialogue politique doit être intensifié.
Je ne veux pas être trop long, mais je voudrais vraiment vous dire qu'en peu de temps, nous avons abordé un très grand nombre de sujets. Par exemple, dans le déjeuner politique d'aujourd'hui, nous n'avons pas repris la question du Proche-Orient qui a été longuement traitée dans la séance formelle d'hier et dans le dîner. Nous avons parlé d'autres sujets politiquement très importants, justement l'avenir du travail sur la charte mais aussi toute la question de la défense européenne. Il faut savoir que le progrès vers la défense européenne qui est considéré comme une avancée incontestable par les pays de l'Union européenne pose des questions à nos partenaires du sud, certains d'entre eux s'en inquiètent, certains d'entre eux y voient même une réminiscence de tentations coloniales d'autrefois pour appeler les choses par leur nom. Ce n'est pas du tout comme cela que cela s'est passé au sein de l'Union européenne, cela ne correspond pas du tout aux mêmes objectifs, mais il faut savoir que là-dessus, il y a une différence d'approche, une différence d'interprétation qui est fascinante, parce que c'est peut-être le cas où l'on voit le mieux s'illustrer ce fossé entre les perceptions qui donnent naissance à des malentendus qui s'installent s'il n'y a pas un dialogue intense. Et pourtant nous avons l'impression de dialoguer. Javier Solana et moi avons parlé de très nombreuses fois, les ministres de la Défense aussi, et pourtant il y a un risque d'interprétation critique de quelque chose qui, du point de vue de l'Union européenne, est un des progrès dont on est le plus fier dans la construction européenne et qui sera d'ailleurs un des grands résultats, un des grands acquis de la Présidence française. Cela est un exemple typique de la nécessité absolue de se parler plus entre les deux rives de la Méditerranée.
Donc, vous voyez que nous avons beaucoup parlé, nous avons traité de tous les sujets importants. C'est très important que ce processus de Barcelone se poursuive donc, même dans les plus grandes difficultés.
Alors, je voudrais pour terminer, avant d'entendre vos questions, faire une observation sur la nature du document que vous avez (certains d'entre vous sont très habitués au processus euro-méditerranéen et d'autres peut-être moins).
Ce ne sont pas des réunions dans lesquelles il y a un communiqué qui engage mot à mot l'ensemble des participants, parce que les participants sont trop divers, disons les choses comme elles sont. Michel Vauzelle parlait hier de la mosaïque méditerranéenne, il y a une extraordinaire diversité, cela veut dire diversité de sensibilité, de ligne politique, de réactions en raison de l'extrême diversité des sujets. Donc, ce qui vous est distribué maintenant, ce sont les conclusions de la Présidence, sous la responsabilité de la Présidence. Quand on dit les ministres, cela exprime le fait que l'ensemble des pays représentés sont d'accord sur tel ou tel point, mais nous avons parfois à traiter des sujets sur lesquels il n'y a pas d'accord unanime. Dans ces cas là, on s'exprime un peu autrement, en disant : "certains ministres ou un grand nombre de ministres ont pensé que...."
Je vous donne un exemple sur un sujet sensible : à propos de la situation au Proche-Orient.
Nous avons rappelé dans le document de conclusions que tous les ministres estimaient fondamentale la liberté de circulation des biens et des services dans l'ensemble de la zone euro-méditerranéenne, ce qui est conforme à tous les textes adoptés et à la perspective du libre-échange. La délégation palestinienne a souligné que la situation actuelle de blocage des territoires occupés, des entraves à la circulation des biens, en fait, équivalait à une situation d'asphyxie de l'économie palestinienne, qui a déjà les plus grandes difficultés à se développer. Beaucoup de délégations sont d'accord avec cela. Mais on est dans une situation, compte tenu de la configuration des pays participants à l'Euromed, qui fait que cela n'engage pas tous les ministres, donc c'est la délégation palestinienne et de nombreuses délégations qui considèrent en effet qu'il y a une situation intolérable qui devrait être corrigée au plus vite, même si par ailleurs nous entendons les arguments israéliens qui ont été redits et qui consistent à dire que ce sont des mesures qui sont prises pour se protéger en réaction à des attentats ou des risques d'attentats, que ce n'est pas une intention de blocus mais une affaire de sécurité, etc...
Donc, vous voyez que cette réunion Euromed est l'occasion d'échanges très forts de ce type sur des sujets très sensibles. Et en tant qu'honnête président, mon rôle est de vous décrire la diversité des sensibilités sur tel ou tel sujet quand il y a cette différence. Mais il n'y a pas de différence sur l'essentiel qui est que le processus Euromed est important, utile, porteur d'avenir et qu'il doit continuer et qu'il aura franchi à Marseille, en dépit des pronostics dans un contexte difficile une nouvelle et importante étape.
Voilà ce que je voulais vous dire..
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2000)
Conférence de presse finale du 16 novembre (réponses aux questions) :
Q - Monsieur Védrine, vous célébrez les cinq ans du processus de Barcelone, mais on a l'impression que depuis cinq ans, il n'y a aucun projet politique, même à très long terme. Il y a un projet de libre échange, mais ce n'est pas un projet politique cela. Un projet "épicier" comme disait M. Cheysson. On a l'impression que c'est beaucoup plus pour amortir les chocs que pour créer un bloc commun, solidaire, qui puisse créer des solidarités dans tous les domaines économique, politique et autres. Il n'y a aucun projet, même une institution peut-être, prévisible à très long terme ?
Je ne sais pas si une institution serait un projet en soi. Cela pourrait être une bureaucratie de plus aussi. D'autre part, il y a un vrai dialogue politique qui se développe et quand vous pensez à la diversité de ces vingt-sept pays, vous imaginez bien que les choses ne se bâtissent pas en un an, ni même en cinq ans. Barcelone est un processus incroyablement ambitieux, en réalité. Il ne faut pas traiter cela comme si cela était un petit projet qu'on lance et puis deux ans après tout est fait. C'est un projet historique. Les pays de la Méditerranée sont reliés par énormément d'affinités, mais ils se sont constamment opposés historiquement ; les lignes de clivage ont changé, d'ailleurs très souvent. Il y a autant de facteurs de division que de facteurs de rapprochement. Donc faire le pari des facteurs de rapprochement et essayer de décliner cette grande idée sur les terrains politique, économique, financier, social, culturel, c'est une oeuvre de longue haleine. Donc, je vous incite à ne pas tirer de bilan trop tôt, par rapport à ce processus et regardez plutôt comment nous tirons nous-mêmes les leçons des premières phases pour corriger l'approche, la perfectionner, la rendre plus utile.
Quant à la perspective de libre échange, je ne crois pas qu'il faille en parler de façon purement ironique. Les pays du sud veulent se développer, d'ailleurs ils se développent, et se développer aujourd'hui, c'est insérer les économies dans l'économie mondiale. C'est un fait : c'est aussi vrai en Méditerranée que dans le Pacifique ou ailleurs. Simplement ces pays ne veulent pas le faire n'importe comment, ils veulent garder le contrôle de cette mutation, de cette transformation. C'est une nécessité pour des raisons d'identité, d'équilibre politique, culturel et social et nous en Europe, nous ressentons la même chose par rapport à cela. Ils ont accepté l'idée à Barcelone que dans cette très grande transformation, le partenariat avec l'Europe était décisif. Alors si ce n'est pas un projet, je ne sais pas ce que c'est... C'est le projet des projets. On ne peut pas faire un projet plus grand que cela, puisque cela les englobe tous. Alors après, il y a la traduction concrète et nous vous avons donné quelques exemples et vous verrez dans le texte que vous allez lire après, que cela peut justement se décliner dans tous les domaines et que nous avons tout fait dans cette réunion pour que cela devienne de plus en plus concret.
Q - Vous voulez renforcer le niveau de confiance entre les deux rives de la Méditerranée. Comment pouvez-vous nous expliquer le fait que le prochain Sommet se tienne encore en Europe et non pas sur la rive sud ?
R - Ce sont des décisions qui sont prises d'un commun accord ; il n'y a pas eu de candidature autre. Mais ce n'est pas un principe perpétuel, il y aura forcément un jour où les réunions se tiendront quelque part sur la rive sud. Et puis il y a beaucoup de réunions ; là vous jugez sur des réunions ministérielles ou sur des sommets. Mais il y a beaucoup de réunions entre temps : réunions de hauts fonctionnaires, d'experts, de spécialistes, ou sur des thèmes plus particuliers qui se tiennent dans tous les pays tour à tour.
Q - Quand pensez-vous que la Charte pourra être adoptée ?
R - Je n'en sais rien. Il faudrait un contexte plus favorable pour l'adopter. Ce que je sais, c'est que tout le monde était d'accord pour poursuivre les travaux, que le contenu de la charte pose des problèmes, parce que l'on s'attaque à des sujets hautement sensibles, mais nous avons pu constater aujourd'hui, notamment pendant le déjeuner, que tous les participants veulent débattre de ces questions de stabilité, de sécurité en Méditerranée au sens large du terme, pas uniquement à propos du conflit du Proche-Orient, mais plus largement. Donc, c'est un vrai sujet, il y a un vrai intérêt. On a eu raison au début de penser qu'il fallait concevoir un cadre à ce type de coopération. Donc, on continue et l'aboutissement dépend du contexte favorable. Je souhaite le plus tôt possible.
Q - Sur le déploiement d'une force d'observateurs des Nations unies au Proche-Orient ?
R - La situation est telle, qu'il est normal qu'on réfléchisse à toutes les façons de mieux protéger les populations civiles, à commencer par les populations palestiniennes qui sont de loin les plus touchées, mais aussi les populations israéliennes ; ce qui nous renvoie d'ailleurs aussi à l'application des engagements de Charm el-Cheikh qui contiennent des mécanismes pour cela normalement, mais aucune idée ne doit être écartée à priori.
Q - Monsieur le Ministre, j'ai deux questions - la première concerne ce que vous venez d'annoncer que vous sentez que les affrontements vont continuer et...
R - Je n'annonce pas, je ne vais pas annoncer les affrontements, mais je crains que...
Q - Donc est-ce que vous croyez que le processus Barcelone, à Marseille, va permettre de stopper les affrontements et ramener vos deux partenaires palestinien et israélien à la raison et au moins obliger un peu les Israéliens, parce que ce sont eux qui "tapent" le plus, à revenir à la raison ?
R - Mais ce n'est pas l'objet du processus de Barcelone. Le processus de Barcelone serait évidemment facilité par la relance du processus de paix, mais le processus de Barcelone n'a pas été conçu pour réussir à faire la paix au Proche-Orient. Ce partenariat a été conçu parce que cela a une importance en soi d'établir une coopération d'avenir entre l'Europe et la Méditerranée à une époque où le monde se globalise à toute vitesse. Mais vous ne pouvez pas juger le processus de Barcelone à partir de sa contribution à la solution de la paix au Proche-Orient. Ce sera plutôt l'inverse : c'est plutôt la solution de la paix au Proche-Orient qui donnera un dynamisme extraordinaire au processus de Barcelone, à ce moment là, quand cela interviendra.
Il y a quand même un lien, les choses ne sont pas complètement séparées ou indépendantes. Nous avons essayé, pendant cette réunion, d'avoir des échanges qui permettent de mieux identifier les problèmes, les attentes, les actions possibles ; mais nous savons bien et vous savez bien d'ailleurs, que c'est sur d'autres terrains, dans d'autres enceintes, par d'autres mécanismes que nous allons maintenant poursuivre notre travail de tous les instants pour relancer le processus de paix au Proche-Orient.
Q - Sur la question du Proche-Orient, toujours. Il se trouve que les Etats arabes, présents ou absents, sont d'accord cette fois-ci pour vous reprocher, semble-t-il pour la première fois depuis Barcelone, une neutralité dans l'affaire du Proche-Orient. Est-ce que c'est une première "lézarde" dans le processus de Barcelone ?
R - Je ne vois pas le lien direct avec le processus de Barcelone.
Q - C'est à dire que ce sont les partenaires qui sont en train de se défier de ce processus désormais ?
R - Je ne pense pas, compte tenu de la représentation dans cette réunion de Marseille, étant donné que seuls deux pays ont décidé de ne pas venir, enfin plutôt un pays qui a entraîné l'autre, je ne crois pas du tout que l'on puisse poser la question comme vous la posez. Au contraire, il me semble que le fait que tous ces pays aient tenu à être là dans ce contexte très difficile montre qu'ils attachent une grande importance à cette coopération, en dépit des difficultés actuelles. Alors comme les attentes ont été immenses après Barcelone, les espérances ont été considérables, il y a des déceptions parce que les choses ne se concrétisent pas aussi vite que ce que l'on espère. Mais je crois, au contraire, que la réunion de Marseille montre la force du processus.
Quant aux positions de l'Union européenne, en tant que Président, je rappelle régulièrement que l'Union européenne s'exprime sur la base de positions agréées à quinze. Donc, ce qui est dit en tant qu'Union européenne, ce sont les sujets sur lesquels les Quinze sont d'accord. C'est pour cela qu'il peut y avoir des différences entre l'expression à quinze et l'expression de tel ou tel pays membre, naturellement. Il y a quand même un texte très important qui reste la base claire, et je le répète ici, de la position de l'Union européenne, qui est la déclaration de Berlin. Il y a eu, il n'y a pas longtemps, une déclaration à Biarritz, qui était dans la foulée et qui ajoutait d'ailleurs à la déclaration de Berlin les acquis de Camp David. Je crois que la position européenne est aussi forte que lui permet la nécessité d'harmoniser les positions des Quinze. Mais si vous regardez cela au fil des années, la position européenne est plutôt en train de gagner en force, en cohésion et en influence en partant de très peu, parce qu'historiquement ce n'est pas l'Union en tant que telle qui avait une présence ou une influence au Proche-Orient : c'étaient les pays, à commencer par les Etats-Unis qui ont l'influence dominante depuis, disons, 1956. Donc en réalité l'Union européenne gagne plutôt en influence, lentement mais sûrement.
Q - Si j'ai bien prêté attention à ce que le ministre israélien des Affaires étrangères a dit tout à l'heure, il m'a paru qu'il avait en quelque sorte jeté une pierre dans le jardin de l'Elysée, peut être dans le jardin de la Présidence française, et sûrement dans le jardin des européens. Vous venez de souligner à juste titre, le rôle et l'influence des Etats-Unis, mais le ministre des Affaires étrangères israélien a dit qu'en fait les Européens ne souhaitaient pas tellement prendre l'initiative et il l'a reproché au président Chirac d'avoir décliné sa suggestion de présenter des idées au président Clinton, à son homologue américain, en disant et en répondant qu'il ne souhaitait pas présenter des suggestions et des idées sans se référer d'abord aux Etats Unis. Est-ce que au nom de la Présidence française, et non pas au nom du président Chirac en particulier, mais au nom de la Présidence française et au nom des européens, vous auriez un commentaire à faire en réponse aux propos du ministre israélien ?)
R - Je ne suis pas venu pour faire une conférence pour répondre à ces propos et comme je n'ai pas entendu ces propos, c'est encore plus difficile. Je voudrais dire que j'ai apprécié que M. Ben Ami soit présent à cette conférence. Je crois que c'était important et que cela a donné l'occasion, justement de débats intenses dont j'ai parlé tout à l'heure.
Mais, je ne vais évidemment pas rentrer dans les différents commentaires que vous faites. Je vais simplement vous dire dans quel esprit, depuis que nous avons la Présidence, nous avons travaillé : nous avons travaillé dans un esprit d'utilité. Nous n'avons pas recherché à travers la Présidence française, je crois que ce commentaire englobe la façon dont travaille également Javier Solana, nous n'avons pas recherché des effets d'estrade ou des effets de proclamation. Nous avons cherché constamment à apporter le plus de valeur ajoutée au processus de paix ; ce qui veut dire que dans la période entre Camp David et la fin septembre et le début de la séquence tragique que l'on connaît, la France comme Présidence et en contact avec les autres pays européens, a travaillé sans arrêt avec les Américains, avec les Palestiniens, les Israéliens, les Egyptiens et avec d'autres pour avancer des idées, pour faire des commentaires sur les idées qui circulaient, faire des suggestions, être utile. Etre utile : c'est la seule obsession que nous avons eue et nous l'avons fait avec les pays que j'ai cités, qui sont les pays principaux, il y en a eu d'autres bien sûr, qui ont joué un rôle important parce que les Israéliens, mais aussi des Palestiniens, étaient dans ce rapport de travail et de négociation difficiles avec les Etats-Unis. Je suis sur le registre du constat, les Etats-Unis sont en position centrale au Proche-Orient depuis des dizaines d'années. Ils ont été longtemps tout à fait seuls à avoir une influence - je parle de l'influence véritable, je ne parle pas simplement des déclarations - et les Israéliens prennent en compte ce fait, les Palestiniens prennent en compte ce fait, et on comprend très bien pourquoi dans tous les cas. Mais petit à petit, au fil des années, il se développe une influence française, une influence européenne, des prises européennes, je le répète, gagnent en cohérence : la déclaration de Berlin n'aurait pas été possible quelques années avant. C'est une étape.
Il y a évidemment les pays arabes qui souhaitent que ce rôle soit de plus en plus grand, mais cela dépend du degré de cohésion que les Quinze réussissent à établir entre eux. Cela est une chose. Mais les Israéliens étaient farouchement hostiles à toute intervention de ce type ces dernières années, et par exemple dans la période dont je vous parle, cette période de l'été qui a failli être décisive, et bien les Israéliens ne trouvaient pas normale cette intervention. Et les Américains, qui se sont comportés pendant très longtemps comme s'ils étaient vraiment les seuls à avoir le droit d'intervenir sur les questions de la paix au Proche-Orient, petit à petit ont accepté ces autres influences.
Q - Vous avez mentionné tout à l'heure à juste titre le forum civil qui se tenait à Marseille. Je pense que c'est un événement qui n'avait pas moins d'importance que celui que nous concluons aujourd'hui et vous savez que ce forum civil a posé une question de fond en disant que - et c'était parmi les conclusions les plus importantes je crois dans l'esprit des participants - le libre échange n'est pas automatiquement générateur de développement. Comment régissez à tout ce type de réflexions émises par des gens qui sont très liés à la question du développement eux-mêmes, ils sont très actifs et peut être que M. Patten pourrait réagir sur la même question, parce qu'une partie de cette société civile craint que les pays du nord, d'où vient M. Patten, ne seraient peut être pas aussi sensibles qu'il le faudrait à ce type d'approche ?
R - Juste un mot très bref. C'est un objectif qui a été adopté par tous les pays qui ont créé Barcelone en 1995. Donc, l'objectif de la zone de libre échange leur a paru un bon objectif à tous. Ce n'est pas une invention de cette réunion. D'autre part, tout le monde est conscient du fait que quand on part avec des économies pas très ouvertes, le fait d'aller vers l'ouverture pose d'extraordinaires problèmes de transition. C'est pour cela que toute notre mécanique de coopération a pour but d'orienter d'aider cette transition : d'abord il y a une aide financière, puis il y a un transfert de savoir faire, d'expérience, c'est tout un accompagnement de cela ; c'est cela que nous demandent ces pays. Je ne pense pas qu'aucun des représentants des ONG dans ce type de forum ne défende l'idée que ces économies du sud puissent vivre en autarcie, donc c'est une question de degré, c'est une question de rythme, c'est une question de mesures d'accompagnement.
Q - On parlait de la Conférence méditerranéenne comme étant la relance ou l'impasse du processus. Pouvons-nous, comme les Marseillais le disent, appeler à partir d'aujourd'hui la 4ème conférence ministérielle euroméditerranéenne, Marseille 1 au lieu de Barcelone 4 pour une relance du processus ?
R - Si on veut faire plaisir à M. Michel Vauzelle, on dit cela oui. Mais on verra après. Ce serait bien, on serait très content que, en dépit de ce contexte vraiment difficile, on puisse dire après avec le recul que nous sommes arrivés à de très bonnes conclusions : l'addition de toutes les réformes que fait le commissaire Patten, puis tous les projets concrets de notre action, que tout ça a donné un nouvel élan. Mais il vaut mieux le dire avec un peu de recul que de l'annoncer péremptoirement tout de suite.
Q - Monsieur le Ministre, je voudrais vous poser une question qui a été posée précédemment sur la neutralité de l'Europe. Avant l'Intifada il était plus facile de comprendre la position européenne, son cheminement, son évolution, sa cohérence dans le temps. Mais depuis l'Intifada, tous les jours les Palestiniens meurent, il n'y a pas la même émotion en Europe, et même sur le plan diplomatique. C'est ce problème de la neutralité que nous avons du mal à comprendre aujourd'hui.
R - Je crois que le problème est injustement posé en ces termes. Si vous regardez les déclarations européennes - alors d'abord il faut que vous regardiez les déclarations des différents pays européens et puis les déclarations de l'Union européenne, ce n'est pas toujours la même chose - le terme de neutralité est une mauvaise description de ce qui est dit. Par exemple la résolution qui n'a été votée que par certains pays européens mais qui avait été préparée par la présidence pour l'Assemblée générale des Nations unies, avec d'ailleurs des discussions entre les groupes européen et arabe, n'était pas fondée sur un principe d'équivalence. Il est évident que la situation n'est pas la même. Il y a des résolutions internationales, il y a une situation d'occupation, donc on ne met pas les deux choses sur le même plan. Simplement ce qui, je crois, préoccupe les pays européens et qui les réunit quelles que soient leurs sensibilités diverses, c'est la volonté d'être utile. Et ils savent que ce n'est pas par des proclamations ou en se prenant pour des juges qu'ils sont forcément utiles par rapport à cela. Surtout par rapport à des partenaires qui sont engagés dans une discussion, notamment par rapport aux américains. Donc l'Europe aussi veut jouer un vrai rôle, un vrai rôle utile, peser sur les événements et pas simplement énoncer des principes. Donc c'est ça qui peut créer cette différence, mais si vous regardez les textes européens, il n'y en a aucun qui justifie ce jugement.
Merci de votre patience
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le21 novembre 2000)