Texte intégral
Avant toute chose, je voudrais rendre hommage à Laurent Fabius et Jean Glavany pour avoir eu l'heureuse initiative d'organiser cette journée sur la nouvelle politique africaine au moment où, par la volonté du Premier ministre, Lionel Jospin, la coopération française et entreprend sa mutation.
L'initiative est d'autant plus pertinente qu'elle invite l'Assemblée nationale et ses représentants à débattre de la politique africaine de la France à la veille du Sommet Afrique-France. Ce n'est pas dû seulement au hasard du calendrier quoi qu'en auraient pensé certains, je vois là pour ma part, une heureuse convergence. C'est une bonne occasion d'élargir le cercle pour partager nos réflexions en y associant nos partenaires africains.
Mes propos ne sont pas de circonstance. Je crois très profondément qu'il est important de débattre au sein d'une telle enceinte - mais aussi ailleurs - de la politique africaine de la France. D'abord parce qu'elle est encore trop souvent perçue par l'opinion publique, les médias mais aussi par certains responsables politiques, à travers le prisme simplificateur et désormais trompeur des affaires douteuses, des relations post-coloniales obscures... D'un autre côté qui est pour l'essentiel vécu : la multiplication des conflits violents en Afrique, la crainte d'une marginalisation des économies bénéficiant pourtant de l'aide publique au développement ternissent l'image de l'Afrique, et donc celle, bien sûr, de notre coopération. Allons au fond des choses : c'est profondément injuste pour l'Afrique.
Elle change et sa situation dans le monde, sa relation au monde évolue. Elle sera l'un des très rares continents où la croissance demeurera significative dans les prochaines années. Ce sera le seul en 1999, où la croissance se situera souvent largement au-dessus de la progression démographique. C'est particulièrement vrai dans la zone franc.
C'est pourquoi, notre rencontre est utile pour donner de l'Afrique une vision dynamique, elle est aussi utile à la rénovation de la politique française de coopération. Au demeurant, c'est par le débat public que tout cela s'appréhende et se concrétise.
Mesdames et messieurs, le véritable défi, ce qui est en jeu, c'est la légitimité de l'aide publique au développement. On ne convaincra pas tout le monde tout de suite. Une réforme a besoin de temps pour s'épanouir et s'exprimer. Il y a le poids des habitudes, la marque de l'histoire, le rythme de administrations, et la contrainte des aléas politiques... Gramsci l'a observé : "la crise, c'est quand le vieux meurt et que le neuf hésite à naître". Nous vivons avec l'Afrique cette période de transition. Certains s'inquiètent du changement. D'autres s'impatientent. Je crois avoir compris que certains souhaitent demain participer à une manifestation, sur les lisières de la Conférence Afrique-France, percevant plus de continuité dans je ne sais quelle "ancienne" politique africaine de la France, que de signes immédiatement tangibles d'un bouleversement qui tarderait à se faire sentir. Je respecte profondément la pluralité des jugements et je comprends les impatiences. Mais prenons garde de ne pas perdre de vue l'essentiel. L'Afrique est en marche et notre réforme l'accompagne. Saluer les avancées est une façon plus positive de dénoncer les lenteurs...
Votre colloque touche maintenant à sa fin. L'heure est venue de conclure avec vous. Chacun des trois grands thèmes de vos tables rondes reflète tous, une dimension de la nouvelle politique africaine de la France. Le débat sur "le dialogue élargi" a contribué à fonder un principe essentiel : l'ouverture de ce qu'on appelait traditionnellement "le champ". Celui sur "la paix et la sécurité en Afrique" a illustré l'une de nos priorités africaines : la prévention des conflits. Enfin, la dernière table ronde a traité d'une des modalités majeures de la réforme : un nouveau partenariat qui implique, associe les nouveaux acteurs de la coopération française : les ONG, les collectivités territoriales, le monde de l'entreprise, les organisations syndicales.
Et c'est justement sur les principes, les priorités et les acteurs de cette nouvelle coopération avec l'Afrique que je voudrais insister, afin de nous rendre attentifs aux changements qui s'opèrent au mouvement que avons lancé.
Quelques mots sur la reforme tout d'abord si vous le voulez bien. Au-delà de l'image à restaurer, c'est de cohérence et d'efficacité dans un modèle qui change dont la France avait besoin dans l'approche de sa diplomatie et de sa coopération. La France se donne, avec la réforme, les moyens de son adaptation à un monde en pleine évolution et singulièrement à une Afrique en mutation : aspiration à la démocratie politique, ouverture des marchés, acuité des problème environnementaux, (effets de l'intégration européenne...)
La politique africaine de la France doit être insérée dans la politique extérieure française. La politique envers les pays en développement devient dès lors une dimension importante probablement essentielle de notre politique étrangère. Le pôle diplomatique ainsi réunifié gagne en cohérence, en visibilité politique, en lisibilité au yeux de l'opinion, donc en efficacité. C'est la fondation sur laquelle se construit notre nouveau dispositif administratif. C'est aussi le cadre où vivront les principes qui nous guident.
Au premier rang, fidélité et ouverture. Je sais que certains d'entre vous craignent que la nouvelle politique africaine de la France annonce une sorte de désengagement rampant. Je profite de cette occasion pour réaffirmer notre fidélité à l'Afrique Notre relation a été façonnée par les liens de l'histoire. Nous n'y renonçons pas. Mais, je dis aussi que cette fidélité ne doit pas résonner comme une force de l'habitude. La fidélité se nourrit au contraire de la juste appréciation des engagements de chacun et de la critique constructive. C'est clair : nous n'abandonnons pas l'Afrique aux vicissitudes de son mal développement. Nous serons ses partenaires responsables et déterminés : déjà nous en faisons la preuve.
Sur le plan politique, la France est le premier bailleur de fonds pour l'aide au continent africain. En 1997, 49 % de notre APD (aide bilatérale, européenne, multi) s'est concentrée sur l'Afrique.
Sur le plan économique, le niveau de nos investissements et de notre commerce en Afrique fait de celle-ci un partenaire de premier ordre, où se déploie un authentique intérêt mutuel. Nous avons multiplié les initiatives en ce qui concerne la zone franc. Nous avons entrepris de mieux stimuler l'investissement au moment de l'ouverture d'un site Internet "Investir en Zone Franc", plus de 450 investisseurs ont été réunis le 12 octobre dernier.
Pour autant, la fidélité ne signifie pas l'exclusivité. Notre nouvelle approche nous commande de ne plus ignorer le reste du continent africain et c'est bien là le sens des voyages du président de la République, du Premier ministre, d'Hubert Védrine ou de moi-même dans plusieurs pays où notre présence n'avait été jusqu'ici qu'épisodique ou anecdotique. Mais cette ouverture à de nouveaux horizons répond d'ailleurs aux voeux de nos partenaires francophones eux-mêmes, tout autant qu'à ceux des autres pays d'Afrique. Récemment, une délégation de parlementaires, en visite au Ghana, me rapportait par la voix de certains de vos collègues, combien elle avait été frappée de la volonté des Ghanéens de renforcer leur coopération avec la France. Faut-il évoquer le signe que nous adresse le Mozambique ou le Nigeria ?
Fidélité et ouverture, donc. Mais aussi responsabilité, exigence et efficacité, aussi coopérer, c'est agir ensemble dans un dialogue libre et exigeant. Il faut en finir avec les approches paternalistes et indulgentes C'est Hampate Ba qui le disait : "la main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit". C'est désormais l'accompagnement partenaire, qui définit notre démarche. C'est pourquoi notre coopération, avec chaque pays, suscitera dans un accord de partenariat et de développement. Vous en avez parlé cet après-midi. Je voudrais ajouter que ce processus, déjà engagé au Mali et en Mauritanie depuis juin dernier va se poursuivre en décembre avec la Côte d'Ivoire. Vous le voyez, il sera systématique. C'est un principe fort de notre réforme. C'est notamment à travers ces accords de partenariat que nos politique envers les migrants peuvent connaître des avancées significatives.
Dernier principe enfin la non-ingérence. Ce principe découle des précédents. Vouloir rompre avec des pratiques paternalistes et refuser de soutenir des régimes qui, à l'évidence, en prennent à leur aise avec les règles démocratiques, c'est choisir la non-immixion dans les affaires internes des pays. La non-ingérence n'est pas une façon de se réfugier derrière une neutralité plus ou moins bienveillante. Ce n'est pas non plus de l'indifférence. la non-ingérence ne nous dispense pas d'être exigeants et de réviser nos projets de coopération si les Droits de l'Homme et l'Etat de droit ne sont pas respectés. Nous avons pris acte à la fois de la réélection du président Eyadema mais aussi des conditions dans lesquelles le scrutin s'est déroulé et les résultats proclamés, selon les observateurs européens et selon le rapport de la députée Nicole Feidt. Aujourd'hui, notre coopération avec le Togo, comme celle de l'Union européenne, reste en attente d'une reprise de poussées démocratiques.
J'en viens à nos priorités. J'évoquais à l'instant la non-ingérence en vous assurant qu'elle ne signifiait pas le désengagement. La consolidation des institutions de l'Etat, préalable à une véritable stabilité politique, constitue à nos yeux le fondement indispensable, et sans doute premier, du développement. Toute politique de coopération parce qu'elle vise le développement durable est une politique des Droits de l'Homme et de la construction de l'Etat de droit. Mais, nous préférons, et je l'ai déjà dit, une présence critique à une absence moralisatrice, posture souvent confortable mais fondamentalement improductive.
Cette aide à la consolidation de l'Etat de droit passe par la remise en ordre des systèmes judiciaires, la réforme de la fonction publique, la lutte contre la corruption, l'appui à la sécurité et à la protection civile. (La coopération française consacre un milliard de francs au développement institutionnel dont plus de 400 millions pour l'amélioration de l'Etat de droit).
La prévention des conflits est également prioritaire pour nous et les Africains. Nous voulons être les soutiens actifs de leurs politiques à cet égard, tout comme l'Union européenne qui a adopté une position commune le 2 juin 1997 sur la prévention et le règlement des conflits en Afrique. Dans le domaine de la sécurité, je n'insiste pas puisque c'est un thème que vous avez développé ce matin, notre pays apporte une contribution bilatérale active au réglement ou aux efforts de règlements de certaines crises. Dans la région des Grands lacs où la situation requiert toute notre attention, nous avons défendu l'idée d'une conférence sur la paix. Notre objectif est surtout de donner les moyens aux Etats africains pour qu'ils prennent désormais une part déterminante aux opérations de maintien de la paix. Dans le cadre du programme RECAMP, nous finançons dès 1998 un appui de 180 millions de Francs aux Etats africains pour le renforcement de leurs capacités à s'intégrer à des opérations de maintien de la paix.
La prévention des conflits dans un cadre régional constitue d'ailleurs l'un des thèmes nouveaux du volet politique de la future convention qui liera l'Union européenne aux ACP. C'est bien là notre troisième priorité : privilégier une approche régionale des politiques de coopération. La renégociation de la Convention de Lomé constitue à cet égard, une occasion d'adapter cet instrument unique de coopération aux évolutions internationales. Avec nos partenaires européens, nous insistons sur la promotion de l'intégration régionale sur le continent africain et à travers la mise en place d'accord de partenariat économique et commercial avec des groupes sous-régionaux qui émergent comme la SADC, l'UEMOA, la CEMA. J'insiste sur l'UEMOA et la CEMAC parce qu'elles constituent un excellent exemple d'intégration sous-régionale en marche. Grâce à la zone Franc elles bénéficient de l'existence d'une monnaie commune stable jouissant dans quelques jours d'un taux de change fixe par rapport à l'euro, monnaie de référence et facteur de stabilité au sein de marchés de capitaux volatils.
J'ai parlé d'Europe. Laissez moi en profiter pour souligner notre souci de coordination en matière de développement avec nos partenaires européens. C'est l'aspect le plus prometteur d'une démarche générale, celle qui consiste sans cesse à rechercher 1a meilleure synergie entre les aides bilatérale et multilatérale. C'est précisément pourquoi le Premier ministre a confié à Yves Tavernier, député et vice-président de la Commission des finances, une mission sur le sujet. Ses conclusions sont très attendues. Elles seront remises dans les prochains jours.
J'en viens aux nouveaux acteurs de la coopération, ceux d'une société civile associée à la politique de la France, à ses orientations comme à sa mise en oeuvre. J'ai mentionné tout à l'heure les plaintes, les reproches et les critiques qu'avaient suscitées la transparence insuffisante de la politique de coopération notamment en Afrique. De plus l'opinion publique française n'est pas toujours convaincue de la nécessité et de l'efficacité de l'aide publique. C'est une première raison d'associer toujours plus étroitement la société civile à notre action qu'il s'agisse des ONG, des entreprises ou des collectivités territoriales. Le Haut conseil de la coopération internationale sera l'instance appropriée pour ce dialogue puisqu'il les réunira tous aux côtés des syndicats que nous voulons aussi associer.
Car associer, c'est aussi le gage d'une meilleure efficacité, d'une plus grande adéquation aux besoins des acteurs locaux du développement et des citoyens d'Afrique. Je prendrai l'exemple de la coopération décentralisée qui ouvre des perspectives encore mal explorées mais considérables. Les collectivités territoriales multiplient les initiatives, les parrainages de projets, les assistances techniques avec les administrations et les populations locales. C'est une forme d'échange à laquelle la réforme de notre dispositif de coopération donne toute sa place et j'y tiens personnellement beaucoup : les projets de coopération décentralisée dans bien des cas apportent au développement la relation humaine, j'oserai dire charnelle, qui permet des partenariats durables et proches des populations. Des rencontres nationales de la coopération décentralisée se tiendront en avril prochain pour capitaliser l'expérience et ouvrir de nouveaux chantiers. J'aurais pu dire la même chose des organisations internationales de solidarité internationale. Les Assises d'octobre 1997 ont donné un nouveau départ. Les réflexions s'affirment. Les projets se renforcent. Nous poursuivrons dans cette voie. Mais je ne saurais oublier le monde de l'entreprise. Notre concertation avec le secteur privé s'approfondit et se traduit par un engagement désormais partagé.
Je le dis, ici, à l'Assemblée Nationale, l'amélioration dans la définition des priorités et dans l'efficacité des programmes passe aussi par l'attention vigilante des parlementaires et par leur participation active à cette évolution. Les missions qu'ils mènent sont essentielles. J'ai cité celle de M. Tavemier, mais je pense aussi à la Mission d'information sur les événements au Rwanda par exemple.
Je viens de vous rappeler rapidement les nouvelles inflexions que nous souhaitons donner à la politique africaine de la France. Vous me pardonnerez d'avoir été si long, bien que n'ayant qu'effleuré le dossier considérable des instruments multilatéraux, ONU, FMI ou Banque mondiale. J'avais sans doute à l'esprit le jugement d'Emmanuel Berp, dans "la France irréelle" paru en 1957, où il écrit "la politique française me semble moins évoluer comme une histoire que comme une névrose". Cette remarque a pu sonner de façon particulièrement juste si on l'applique à la politique africaine. J'espère que la réforme engagée par le mouvement en accord avec le président de la République contribuera à surmonter cette névrose. Bien servir l'Afrique et son développement, bien servir aussi le rôle éminent que la France veut continuer à jouer dans le domaine de l'aide au développement exige lucidité et sérénité. C'est ainsi que nous voulons conjuguer solidarité et mondialisation.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2001)
L'initiative est d'autant plus pertinente qu'elle invite l'Assemblée nationale et ses représentants à débattre de la politique africaine de la France à la veille du Sommet Afrique-France. Ce n'est pas dû seulement au hasard du calendrier quoi qu'en auraient pensé certains, je vois là pour ma part, une heureuse convergence. C'est une bonne occasion d'élargir le cercle pour partager nos réflexions en y associant nos partenaires africains.
Mes propos ne sont pas de circonstance. Je crois très profondément qu'il est important de débattre au sein d'une telle enceinte - mais aussi ailleurs - de la politique africaine de la France. D'abord parce qu'elle est encore trop souvent perçue par l'opinion publique, les médias mais aussi par certains responsables politiques, à travers le prisme simplificateur et désormais trompeur des affaires douteuses, des relations post-coloniales obscures... D'un autre côté qui est pour l'essentiel vécu : la multiplication des conflits violents en Afrique, la crainte d'une marginalisation des économies bénéficiant pourtant de l'aide publique au développement ternissent l'image de l'Afrique, et donc celle, bien sûr, de notre coopération. Allons au fond des choses : c'est profondément injuste pour l'Afrique.
Elle change et sa situation dans le monde, sa relation au monde évolue. Elle sera l'un des très rares continents où la croissance demeurera significative dans les prochaines années. Ce sera le seul en 1999, où la croissance se situera souvent largement au-dessus de la progression démographique. C'est particulièrement vrai dans la zone franc.
C'est pourquoi, notre rencontre est utile pour donner de l'Afrique une vision dynamique, elle est aussi utile à la rénovation de la politique française de coopération. Au demeurant, c'est par le débat public que tout cela s'appréhende et se concrétise.
Mesdames et messieurs, le véritable défi, ce qui est en jeu, c'est la légitimité de l'aide publique au développement. On ne convaincra pas tout le monde tout de suite. Une réforme a besoin de temps pour s'épanouir et s'exprimer. Il y a le poids des habitudes, la marque de l'histoire, le rythme de administrations, et la contrainte des aléas politiques... Gramsci l'a observé : "la crise, c'est quand le vieux meurt et que le neuf hésite à naître". Nous vivons avec l'Afrique cette période de transition. Certains s'inquiètent du changement. D'autres s'impatientent. Je crois avoir compris que certains souhaitent demain participer à une manifestation, sur les lisières de la Conférence Afrique-France, percevant plus de continuité dans je ne sais quelle "ancienne" politique africaine de la France, que de signes immédiatement tangibles d'un bouleversement qui tarderait à se faire sentir. Je respecte profondément la pluralité des jugements et je comprends les impatiences. Mais prenons garde de ne pas perdre de vue l'essentiel. L'Afrique est en marche et notre réforme l'accompagne. Saluer les avancées est une façon plus positive de dénoncer les lenteurs...
Votre colloque touche maintenant à sa fin. L'heure est venue de conclure avec vous. Chacun des trois grands thèmes de vos tables rondes reflète tous, une dimension de la nouvelle politique africaine de la France. Le débat sur "le dialogue élargi" a contribué à fonder un principe essentiel : l'ouverture de ce qu'on appelait traditionnellement "le champ". Celui sur "la paix et la sécurité en Afrique" a illustré l'une de nos priorités africaines : la prévention des conflits. Enfin, la dernière table ronde a traité d'une des modalités majeures de la réforme : un nouveau partenariat qui implique, associe les nouveaux acteurs de la coopération française : les ONG, les collectivités territoriales, le monde de l'entreprise, les organisations syndicales.
Et c'est justement sur les principes, les priorités et les acteurs de cette nouvelle coopération avec l'Afrique que je voudrais insister, afin de nous rendre attentifs aux changements qui s'opèrent au mouvement que avons lancé.
Quelques mots sur la reforme tout d'abord si vous le voulez bien. Au-delà de l'image à restaurer, c'est de cohérence et d'efficacité dans un modèle qui change dont la France avait besoin dans l'approche de sa diplomatie et de sa coopération. La France se donne, avec la réforme, les moyens de son adaptation à un monde en pleine évolution et singulièrement à une Afrique en mutation : aspiration à la démocratie politique, ouverture des marchés, acuité des problème environnementaux, (effets de l'intégration européenne...)
La politique africaine de la France doit être insérée dans la politique extérieure française. La politique envers les pays en développement devient dès lors une dimension importante probablement essentielle de notre politique étrangère. Le pôle diplomatique ainsi réunifié gagne en cohérence, en visibilité politique, en lisibilité au yeux de l'opinion, donc en efficacité. C'est la fondation sur laquelle se construit notre nouveau dispositif administratif. C'est aussi le cadre où vivront les principes qui nous guident.
Au premier rang, fidélité et ouverture. Je sais que certains d'entre vous craignent que la nouvelle politique africaine de la France annonce une sorte de désengagement rampant. Je profite de cette occasion pour réaffirmer notre fidélité à l'Afrique Notre relation a été façonnée par les liens de l'histoire. Nous n'y renonçons pas. Mais, je dis aussi que cette fidélité ne doit pas résonner comme une force de l'habitude. La fidélité se nourrit au contraire de la juste appréciation des engagements de chacun et de la critique constructive. C'est clair : nous n'abandonnons pas l'Afrique aux vicissitudes de son mal développement. Nous serons ses partenaires responsables et déterminés : déjà nous en faisons la preuve.
Sur le plan politique, la France est le premier bailleur de fonds pour l'aide au continent africain. En 1997, 49 % de notre APD (aide bilatérale, européenne, multi) s'est concentrée sur l'Afrique.
Sur le plan économique, le niveau de nos investissements et de notre commerce en Afrique fait de celle-ci un partenaire de premier ordre, où se déploie un authentique intérêt mutuel. Nous avons multiplié les initiatives en ce qui concerne la zone franc. Nous avons entrepris de mieux stimuler l'investissement au moment de l'ouverture d'un site Internet "Investir en Zone Franc", plus de 450 investisseurs ont été réunis le 12 octobre dernier.
Pour autant, la fidélité ne signifie pas l'exclusivité. Notre nouvelle approche nous commande de ne plus ignorer le reste du continent africain et c'est bien là le sens des voyages du président de la République, du Premier ministre, d'Hubert Védrine ou de moi-même dans plusieurs pays où notre présence n'avait été jusqu'ici qu'épisodique ou anecdotique. Mais cette ouverture à de nouveaux horizons répond d'ailleurs aux voeux de nos partenaires francophones eux-mêmes, tout autant qu'à ceux des autres pays d'Afrique. Récemment, une délégation de parlementaires, en visite au Ghana, me rapportait par la voix de certains de vos collègues, combien elle avait été frappée de la volonté des Ghanéens de renforcer leur coopération avec la France. Faut-il évoquer le signe que nous adresse le Mozambique ou le Nigeria ?
Fidélité et ouverture, donc. Mais aussi responsabilité, exigence et efficacité, aussi coopérer, c'est agir ensemble dans un dialogue libre et exigeant. Il faut en finir avec les approches paternalistes et indulgentes C'est Hampate Ba qui le disait : "la main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit". C'est désormais l'accompagnement partenaire, qui définit notre démarche. C'est pourquoi notre coopération, avec chaque pays, suscitera dans un accord de partenariat et de développement. Vous en avez parlé cet après-midi. Je voudrais ajouter que ce processus, déjà engagé au Mali et en Mauritanie depuis juin dernier va se poursuivre en décembre avec la Côte d'Ivoire. Vous le voyez, il sera systématique. C'est un principe fort de notre réforme. C'est notamment à travers ces accords de partenariat que nos politique envers les migrants peuvent connaître des avancées significatives.
Dernier principe enfin la non-ingérence. Ce principe découle des précédents. Vouloir rompre avec des pratiques paternalistes et refuser de soutenir des régimes qui, à l'évidence, en prennent à leur aise avec les règles démocratiques, c'est choisir la non-immixion dans les affaires internes des pays. La non-ingérence n'est pas une façon de se réfugier derrière une neutralité plus ou moins bienveillante. Ce n'est pas non plus de l'indifférence. la non-ingérence ne nous dispense pas d'être exigeants et de réviser nos projets de coopération si les Droits de l'Homme et l'Etat de droit ne sont pas respectés. Nous avons pris acte à la fois de la réélection du président Eyadema mais aussi des conditions dans lesquelles le scrutin s'est déroulé et les résultats proclamés, selon les observateurs européens et selon le rapport de la députée Nicole Feidt. Aujourd'hui, notre coopération avec le Togo, comme celle de l'Union européenne, reste en attente d'une reprise de poussées démocratiques.
J'en viens à nos priorités. J'évoquais à l'instant la non-ingérence en vous assurant qu'elle ne signifiait pas le désengagement. La consolidation des institutions de l'Etat, préalable à une véritable stabilité politique, constitue à nos yeux le fondement indispensable, et sans doute premier, du développement. Toute politique de coopération parce qu'elle vise le développement durable est une politique des Droits de l'Homme et de la construction de l'Etat de droit. Mais, nous préférons, et je l'ai déjà dit, une présence critique à une absence moralisatrice, posture souvent confortable mais fondamentalement improductive.
Cette aide à la consolidation de l'Etat de droit passe par la remise en ordre des systèmes judiciaires, la réforme de la fonction publique, la lutte contre la corruption, l'appui à la sécurité et à la protection civile. (La coopération française consacre un milliard de francs au développement institutionnel dont plus de 400 millions pour l'amélioration de l'Etat de droit).
La prévention des conflits est également prioritaire pour nous et les Africains. Nous voulons être les soutiens actifs de leurs politiques à cet égard, tout comme l'Union européenne qui a adopté une position commune le 2 juin 1997 sur la prévention et le règlement des conflits en Afrique. Dans le domaine de la sécurité, je n'insiste pas puisque c'est un thème que vous avez développé ce matin, notre pays apporte une contribution bilatérale active au réglement ou aux efforts de règlements de certaines crises. Dans la région des Grands lacs où la situation requiert toute notre attention, nous avons défendu l'idée d'une conférence sur la paix. Notre objectif est surtout de donner les moyens aux Etats africains pour qu'ils prennent désormais une part déterminante aux opérations de maintien de la paix. Dans le cadre du programme RECAMP, nous finançons dès 1998 un appui de 180 millions de Francs aux Etats africains pour le renforcement de leurs capacités à s'intégrer à des opérations de maintien de la paix.
La prévention des conflits dans un cadre régional constitue d'ailleurs l'un des thèmes nouveaux du volet politique de la future convention qui liera l'Union européenne aux ACP. C'est bien là notre troisième priorité : privilégier une approche régionale des politiques de coopération. La renégociation de la Convention de Lomé constitue à cet égard, une occasion d'adapter cet instrument unique de coopération aux évolutions internationales. Avec nos partenaires européens, nous insistons sur la promotion de l'intégration régionale sur le continent africain et à travers la mise en place d'accord de partenariat économique et commercial avec des groupes sous-régionaux qui émergent comme la SADC, l'UEMOA, la CEMA. J'insiste sur l'UEMOA et la CEMAC parce qu'elles constituent un excellent exemple d'intégration sous-régionale en marche. Grâce à la zone Franc elles bénéficient de l'existence d'une monnaie commune stable jouissant dans quelques jours d'un taux de change fixe par rapport à l'euro, monnaie de référence et facteur de stabilité au sein de marchés de capitaux volatils.
J'ai parlé d'Europe. Laissez moi en profiter pour souligner notre souci de coordination en matière de développement avec nos partenaires européens. C'est l'aspect le plus prometteur d'une démarche générale, celle qui consiste sans cesse à rechercher 1a meilleure synergie entre les aides bilatérale et multilatérale. C'est précisément pourquoi le Premier ministre a confié à Yves Tavernier, député et vice-président de la Commission des finances, une mission sur le sujet. Ses conclusions sont très attendues. Elles seront remises dans les prochains jours.
J'en viens aux nouveaux acteurs de la coopération, ceux d'une société civile associée à la politique de la France, à ses orientations comme à sa mise en oeuvre. J'ai mentionné tout à l'heure les plaintes, les reproches et les critiques qu'avaient suscitées la transparence insuffisante de la politique de coopération notamment en Afrique. De plus l'opinion publique française n'est pas toujours convaincue de la nécessité et de l'efficacité de l'aide publique. C'est une première raison d'associer toujours plus étroitement la société civile à notre action qu'il s'agisse des ONG, des entreprises ou des collectivités territoriales. Le Haut conseil de la coopération internationale sera l'instance appropriée pour ce dialogue puisqu'il les réunira tous aux côtés des syndicats que nous voulons aussi associer.
Car associer, c'est aussi le gage d'une meilleure efficacité, d'une plus grande adéquation aux besoins des acteurs locaux du développement et des citoyens d'Afrique. Je prendrai l'exemple de la coopération décentralisée qui ouvre des perspectives encore mal explorées mais considérables. Les collectivités territoriales multiplient les initiatives, les parrainages de projets, les assistances techniques avec les administrations et les populations locales. C'est une forme d'échange à laquelle la réforme de notre dispositif de coopération donne toute sa place et j'y tiens personnellement beaucoup : les projets de coopération décentralisée dans bien des cas apportent au développement la relation humaine, j'oserai dire charnelle, qui permet des partenariats durables et proches des populations. Des rencontres nationales de la coopération décentralisée se tiendront en avril prochain pour capitaliser l'expérience et ouvrir de nouveaux chantiers. J'aurais pu dire la même chose des organisations internationales de solidarité internationale. Les Assises d'octobre 1997 ont donné un nouveau départ. Les réflexions s'affirment. Les projets se renforcent. Nous poursuivrons dans cette voie. Mais je ne saurais oublier le monde de l'entreprise. Notre concertation avec le secteur privé s'approfondit et se traduit par un engagement désormais partagé.
Je le dis, ici, à l'Assemblée Nationale, l'amélioration dans la définition des priorités et dans l'efficacité des programmes passe aussi par l'attention vigilante des parlementaires et par leur participation active à cette évolution. Les missions qu'ils mènent sont essentielles. J'ai cité celle de M. Tavemier, mais je pense aussi à la Mission d'information sur les événements au Rwanda par exemple.
Je viens de vous rappeler rapidement les nouvelles inflexions que nous souhaitons donner à la politique africaine de la France. Vous me pardonnerez d'avoir été si long, bien que n'ayant qu'effleuré le dossier considérable des instruments multilatéraux, ONU, FMI ou Banque mondiale. J'avais sans doute à l'esprit le jugement d'Emmanuel Berp, dans "la France irréelle" paru en 1957, où il écrit "la politique française me semble moins évoluer comme une histoire que comme une névrose". Cette remarque a pu sonner de façon particulièrement juste si on l'applique à la politique africaine. J'espère que la réforme engagée par le mouvement en accord avec le président de la République contribuera à surmonter cette névrose. Bien servir l'Afrique et son développement, bien servir aussi le rôle éminent que la France veut continuer à jouer dans le domaine de l'aide au développement exige lucidité et sérénité. C'est ainsi que nous voulons conjuguer solidarité et mondialisation.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2001)