Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire exécutif,
Mesdames, Messieurs
Je voudrais d'abord vous dire combien je me réjouis d'être avec vous pour ouvrir ce Forum. C'est en ce moment en effet qu'il est essentiel de réflechir à l'évolution et à l'approfondissement des relations entre l'Union européenne et les ACP. Je suis heureux de le faire aux côtés du président de la Commission du Développement du Parlement européen et du secrétaire exécutif de la Coalition mondiale pour l'Afrique, tous deux militants actifs, au quotidien, du partenariat entre leur deux régions.
Le 30 septembre dernier s'ouvrait formellement la négociation entre l'Union européenne et les ACP afin de renouveler la Convention de Lomé. C'est dans ce contexte que s'ouvre ce Forum. La future convention fixera l'architecture de la coopération au développement de l'Union européenne avec les ACP pour la première décennie du siècle à venir. Nous n'avons donc pas le droit à l'erreur. La tâche est pourtant difficile car il s'agit de dessiner une architecture profondément renouvelée de ces relations.
Le gouvernement français a souhaité que l'Union européenne s'engage dans la voie de la rénovation et surtout qu'elle s'y engage dans des conditions favorables. Lorsque j'ai pris mes fonctions, il y a dix-huit mois, la pérennité de la Convention de Lomé était remise en cause par certains gouvernements ou experts. Les discussions autour du très utile "livre vert" de la Commission avaient donné la mesure des interrogations de certains de nos partenaires sur la pertinence d'une relation spécifique. Il est vrai que la Convention de Lomé n'a pas été en mesure de remplir tous ses objectifs. Elle n'a pas su en particulier éviter une marginalisation accrue de nombreux pays ACP. Elle n'a pas réussi non plus à lever les doutes sur l'efficacité de l'aide européenne lestée par la lourdeur et la rigidité de son cadre contractuel.
Le gouvernement français n'a pas été le seul, bien entendu, a souhaité un renouvellement de la Convention de Lomé. Le Parlement européen a joué lui aussi un rôle déterminant, Michel Rocard vous en parlera dans un instant. Mais ce sont aussi en France des associations, des ONG, des chercheurs qui se sont mobilisés (à la suite de débats de grande qualité) pour conclure au maintien nécessaire d'une convention entre l'Union européenne et les ACP.
C'est sur ce thème que je souhaiterai développer mon intervention : pourquoi la France a-t-elle fait le choix de proposer à ses partenaires de maintenir une convention ; comment concevons nous, avec nos partenaires européens, notre dialogue avec les pays ACP ?
1 - Ma première réponse sera en forme de constat. La Convention de Lomé trouve ses fondements dans notre histoire, dans notre géographie mais aussi dans les valeurs de solidarité communes à l'Europe.
1) C'est d'une certaine manière l'héritage de l'histoire qui a conduit aux conventions de Yaoundé puis de Lomé, principal instrument de coopération au développement de la Communauté depuis 1963.
2) Pour l'Europe, la relation avec l'Afrique, les Caraïbes et le Pacifique répond également à des enjeux géographiques majeurs. Le premier tient à la proximité du continent africain, dont les évolutions, l'ampleur des migrations mais aussi hélas certains grands trafics, ont une incidence directe pour l'Union. Quant aux régions plus lointaines de la Caraïbe et du Pacifique, elles présentent une importance particulière pour les pays et territoires d'Outre-mer. Il en va de même pour les régions ultrapériphériques de la Communauté.
Mais le poids des liens historiques et géographiques ne doit pourtant pas être le seul ciment du partenariat UE/ACP.
3) L'Afrique subsaharienne et, à un moindre degré, le Pacifique ou les Caraïbes ne sont certes pas perçus par la plupart des puissances comme des enjeux stratégiques majeurs, mais bien plus comme des zones, marquées par des conflits, situés aux marges des grands ensembles commerciaux en formation, et trop étroitement dépendant de certains produits.
Mais c'est aussi pour cela que le partenariat UE/ACP constitue une des formes les plus avancées de relation avec les pays en voie de développement. Plus qu'au passé, elle tient sa singularité surtout à sa capacité à y intégrer différentes dimensions (dialogue politique, commercial, aide au développement),dans un cadre contractuel, mutuellement agréé. C'est dans les pays ACP, et non dans les grands pays en développement qui bénéficient de la solidarité de l'Union sous d'autres formes, que la coopération européenne dispose de l'effet de levier le plus important, et cela dans tous les compartiments du développement.
Toutes ces raisons plaident pour le maintien d'un partenariat spécifique entre l'Europe et les pays ACP. Mais un partenariat renouvelé.
2 - Et c'est là mon second point. Pour garder sa sève et améliorer son efficacité, notre partenariat doit s'adapter aux mutations de l'économie mondiale.
Tout d'abord, les pays de l'Union européenne et les pays ACP sont liés par des engagements internationaux nouveaux, qui imposent des normes, commerciales, sociales, environnementales. Ces engagements correspondent à une nécessité :qui ont certes des avantages mais aussi des coûts, qui pèsent nécessairement plus lourd en particulier sur les économies en développement. C'est bien pour cette raison que l'Organisation mondiale du commerce doit être en mesure d'assimiler l'esprit de la Convention de Lomé et qu'il nous faut sensibiliser cette organisation et ses pays membres à l'importance des enjeux liés au commerce, mais aussi aux souffrances humaines et sociales, à l'environnement, et trop souvent mal compris par ces derniers.
Bref, le processus de libéralisation des échanges est inéluctable. Notre réponse est ici la promotion de l'intégration régionale et la création de blocs commerciaux qui doivent être au coeur du futur partenariat. A ce titre, les initiatives prises par certaines sous-régions, en particulier par les pays de la zone franc, nous paraissent prometteuses.
Deuxième élément : l'intégration européenne - En effet, l'Europe elle-même change. Le passage à l'euro et le chemin vers l'Europe politique en témoignent. Le renforcement de l'unité économique et monétaire européenne doit créer une zone de stabilité plus résistante aux aléas du système monétaire international et donc sécuriser une part importante du commerce international de l'Afrique. Les pays de la zone franc devraient, là encore, en bénéficier au premier chef, puisque l'euro et le CFA seront directement liés à partir du 1er janvier prochain. De même, en ce qui concerne l'Europe politique, l'action extérieure de l'Union devrait maintenant être en mesure de mettre en oeuvre une politique d'ensemble (affaires étrangères, sécurité, politique de développement, humanitaire).
Enfin, troisième évolution qui découle des deux précédentes. Ces changements sont une conséquence sur l'usage de notre aide publique au développement. Elle doit maintenant être résolument tournée également vers d'autres partenaires :il nous faut aider les entreprises à se mettre au service du développement et favoriser l'action des collectivités locales, des ONG et des organisations syndicales. La nouvelle convention devra le refléter.
3 - Troisième raison de soutenir ce nouveau partenariat en gestation : le mandat européen tient compte de nos préoccupations.
En juin dernier, l'Union européenne a proposé aux ACP un partenariat profondément renouvelé, concentré sur la lutte contre la pauvreté et orienté vers la promotion de leur intégration dans l'économie mondiale. Les propositions européennes répondent au défi d'adaptation aux grands enjeux du développement durable. Elles correspondent aussi aux préoccupations du gouvernement auquel j'appartiens. J'en citerai quelques unes :
- Nous voulons inscrire notre dialogue politique avec les bénéficiaires de l'aide dans un cadre plus large. Les propositions européennes expriment la volonté de renforcer la dimension politique du partenariat. Cette volonté se manifestera dans un dialogue plus soutenu, élargi aux thèmes d'intérêt commun sur lesquels se construisent les valeurs fondamentales du partenariat : Droits de l'Homme, principes démocratiques, Etat de droit, bonne gestion des affaires publiques. De nouveaux thèmes tels que la prévention des conflits, en lien d'ailleurs avec la constitution d'une défense européenne et la réactivation de l'UEO, sont susceptibles de voir le jour dans ce cadre.
Une telle évolution nécessitera néanmoins l'amélioration du fonctionnement de la Politique étrangère et de sécurité commune.
- nous souhaitons maintenir le lien entre commerce et aide au développement. C'est cela l'esprit Lomé, c'est cela la démarche européenne.
L'Union propose de conclure des accords de libre échange avec des sous-ensembles ACP. Cette formule permettrait de donner une impulsion à l'intégration régionale et de stimuler l'intérêt des investisseurs pour des pays encore trop à l'écart des flux générés par le secteur privé. Dans le contexte mondial de l'abaissement des barrières douanières, ce partenariat économique offrira, j'en suis convaincu, de meilleures perspectives d'insertion des pays ACP dans l'économie mondiale que le système actuel des préférences non réciproques.
Vous avez pu noter que la loi sur le commerce et les opportunités en Afrique annoncé à grand bruit lors du voyage du président Clinton n'a finalement pas été adoptée par le Congrès; ce sont en effet les groupes d'intérêt protectionnistes américains qui s'y sont opposés. L'Europe, premier acteur commercial au monde, est aussi la plus généreuse dans les préférences commerciales qu'elle accorde aux pays les moins avancés.
- nous avons voulu prendre en compte la fragilité des économies. Les zones de libre échange avec l'Europe devraient être mise en place de façon graduelle avec des dispositions d'assistance aux Etats. Nombreux étaient ceux qui souhaitaient une mise en conformité rapide avec les règles de l'OMC. Nous avons contribué à faire prévaloir l'idée d'une transition d'une durée de 5 ans au moins et d'une démarche par étapes. Nous ne voulons pas simplement libéraliser les échanges et se mettre en conformité avec les contraintes de l'OMC, mais promouvoir dans le temps la place des pays ACP dans le commerce mondial et leur investissement, en particulier extérieur.
- nous nous sommes inquiétés des répercussions humaines et sociales de cette ouverture au monde. Je pense par exemple à l'impact des fluctuations de prix des matières premières et nous avons obtenu le maintien d'un mécanisme stabilisateur, un Stabex et Sysmin rénové. Les revenus des producteurs doivent être préservés pour permettre une meilleure stabilité des économies.
Une hostilité générale se manifestait à l'encontre des protocoles produits, en particulier sur la banane, qui dégagent des revenus essentiels pour la survie de certaines économies. Nous avons également obtenu leur maintien à ce stade dans la perspective d'un examen ultérieur à la lumière de la mise en place des zones de libre-échange UE-ACP.
4 - Mais renouveler notre partenariat signifie aussi de réviser les méthodes et les procédures de fonctionnement de l'instrument Lomé. Si nous ne savons pas le faire, la légitimité de notre position sur le fond ne sera pas assurée, elle sera contestée et contestable.
J'en témoigne personnellement : mes interlocuteurs, autorités nationales, ONG, parlementaires, s'en plaignent trop souvent. Nous devons améliorer la mise en oeuvre de l'aide communautaire. Il en va de la crédibilité des politiques que nous menons en faveur du développement, tant vis-à-vis de nos opinions publiques que des bénéficiaires de notre effort. Je ne m'appesantirai pas sur le constat ; les affaires récentes sur la gestion d'ECHO l'ont amplement reflété. Il est essentiel de favoriser l'émergence de procédures simplifiées ethomogènes dans la gestion des différents programmes. Je sais que la Commission s'y attelle par la création d'un service commun de gestion de tous les programmes de développement. Elle doit persévérer sur cette voie.
Nous ferions oeuvre utile pour les mêmes raisons en améliorant la coordination au sein de l'Europe, entre pays membres et avec l'Union, je veux dire que nous progressions enfin vers une coordination opérationnelle authentique sur le terrain. J'ai d'ailleurs fait des propositions aux Ministres du développement de l'Union à ce sujet il y a quelques jours.
Il nous faut également trouver les moyens de parler d'une seule voix. L'Europe ne parvient pas à faire entendre ses préoccupations, (voire ses divergences)face aux partisans de la "société de marché", au Fonds monétaire international, la Banque mondiale, ou à l'OMC. Nous parlerons bientôt d'une seule voix lorsqu'il s'agira de la politique de l'euro. Nous pourrions nous y astreindre au sein des organisations économiques internationales dans le domaine de l'aide au développement.
Nous pourrions enfin développer de nouveaux thèmes de coopération qui n'ont pas encore fait l'objet de discussions entre l'Union européenne et les ACP. Je citerai deux exemples. D'abord, le lien entre migrations et développement. Il s'agirait de conduire des actions envers les migrants qui souhaitent réintégrer leur pays d'origine ou vers des populations susceptibles de migrer. Nous pourrions certainement mener un effort ensemble dans le cadre UE/ACP. Ensuite, la coopération monétaire et financière. Les pays ACP, parce qu'ils occupent encore une place marginale pour les investisseurs internationaux ont pu se tenir relativement à l'écart de la crise financière mondiale. Mais cette crise a illustré le besoin d'établir des mécanismes monétaires et financiers stabilisateurs. Nous pourrions ouvrir ce débat avec les pays ACP. La France, qui garantit un mécanisme de change spécifique pour les pays de la zone franc, serait évidemment prête à y contribuer.
Je souhaiterais conclure sur un message : pour assurer le succès de la prochaine convention, il nous faudra maintenir une aide publique suffisante à travers le Fonds européen de développement. La solidarité des gouvernements européens sera essentielle pour y parvenir.
L'Union doit en effet témoigner de la volonté d'accompagner les adaptations importantes que vont devoir engager les pays ACP. Le FED représente 10 % de l'aide publique au développement à l'Afrique, qui est destinataire de plus de85 % des ressources du FED. Parallèlement aux discussions avec les ACP, l'Union devra se mettre d'accord sur la mise en place du prochain Fonds européen de développement pour lequel la France est devenue en 1995 le premier contributeur du FED en fournissant un quart des fonds.
L'attitude de nos partenaires dépendra en particulier de l'acceptation par les ACP d'une réforme du partenariat. C'est pourquoi nous nous efforcerons dans les prochains mois d'expliquer le sens de nos propositions et de les préciser, à la lumière des réactions qu'elles inspirent à nos partenaires. Et je ne doute pas que ce Forum y concourre également aujourd'hui.
L'Union devra se montrer pour sa part attentive aux préoccupations exprimées par les ACP, face à des réformes dont ils ne contestent pas la nécessité. Le contenu de leur propre mandat en témoigne.
La France est ainsi appelée à jouer en 1999 un rôle particulier dans la nécessaire recherche d'un équilibre de part et d'autre. Il nous faut à la fois convaincre que les changements proposés garantiront la pérennité de notre relation privilégiée avec les ACP et maintenir l'engagement européen, y compris financier, en faveur du développement des pays ACP. Telle est la tâche qui nous attend.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2001)
Monsieur le Secrétaire exécutif,
Mesdames, Messieurs
Je voudrais d'abord vous dire combien je me réjouis d'être avec vous pour ouvrir ce Forum. C'est en ce moment en effet qu'il est essentiel de réflechir à l'évolution et à l'approfondissement des relations entre l'Union européenne et les ACP. Je suis heureux de le faire aux côtés du président de la Commission du Développement du Parlement européen et du secrétaire exécutif de la Coalition mondiale pour l'Afrique, tous deux militants actifs, au quotidien, du partenariat entre leur deux régions.
Le 30 septembre dernier s'ouvrait formellement la négociation entre l'Union européenne et les ACP afin de renouveler la Convention de Lomé. C'est dans ce contexte que s'ouvre ce Forum. La future convention fixera l'architecture de la coopération au développement de l'Union européenne avec les ACP pour la première décennie du siècle à venir. Nous n'avons donc pas le droit à l'erreur. La tâche est pourtant difficile car il s'agit de dessiner une architecture profondément renouvelée de ces relations.
Le gouvernement français a souhaité que l'Union européenne s'engage dans la voie de la rénovation et surtout qu'elle s'y engage dans des conditions favorables. Lorsque j'ai pris mes fonctions, il y a dix-huit mois, la pérennité de la Convention de Lomé était remise en cause par certains gouvernements ou experts. Les discussions autour du très utile "livre vert" de la Commission avaient donné la mesure des interrogations de certains de nos partenaires sur la pertinence d'une relation spécifique. Il est vrai que la Convention de Lomé n'a pas été en mesure de remplir tous ses objectifs. Elle n'a pas su en particulier éviter une marginalisation accrue de nombreux pays ACP. Elle n'a pas réussi non plus à lever les doutes sur l'efficacité de l'aide européenne lestée par la lourdeur et la rigidité de son cadre contractuel.
Le gouvernement français n'a pas été le seul, bien entendu, a souhaité un renouvellement de la Convention de Lomé. Le Parlement européen a joué lui aussi un rôle déterminant, Michel Rocard vous en parlera dans un instant. Mais ce sont aussi en France des associations, des ONG, des chercheurs qui se sont mobilisés (à la suite de débats de grande qualité) pour conclure au maintien nécessaire d'une convention entre l'Union européenne et les ACP.
C'est sur ce thème que je souhaiterai développer mon intervention : pourquoi la France a-t-elle fait le choix de proposer à ses partenaires de maintenir une convention ; comment concevons nous, avec nos partenaires européens, notre dialogue avec les pays ACP ?
1 - Ma première réponse sera en forme de constat. La Convention de Lomé trouve ses fondements dans notre histoire, dans notre géographie mais aussi dans les valeurs de solidarité communes à l'Europe.
1) C'est d'une certaine manière l'héritage de l'histoire qui a conduit aux conventions de Yaoundé puis de Lomé, principal instrument de coopération au développement de la Communauté depuis 1963.
2) Pour l'Europe, la relation avec l'Afrique, les Caraïbes et le Pacifique répond également à des enjeux géographiques majeurs. Le premier tient à la proximité du continent africain, dont les évolutions, l'ampleur des migrations mais aussi hélas certains grands trafics, ont une incidence directe pour l'Union. Quant aux régions plus lointaines de la Caraïbe et du Pacifique, elles présentent une importance particulière pour les pays et territoires d'Outre-mer. Il en va de même pour les régions ultrapériphériques de la Communauté.
Mais le poids des liens historiques et géographiques ne doit pourtant pas être le seul ciment du partenariat UE/ACP.
3) L'Afrique subsaharienne et, à un moindre degré, le Pacifique ou les Caraïbes ne sont certes pas perçus par la plupart des puissances comme des enjeux stratégiques majeurs, mais bien plus comme des zones, marquées par des conflits, situés aux marges des grands ensembles commerciaux en formation, et trop étroitement dépendant de certains produits.
Mais c'est aussi pour cela que le partenariat UE/ACP constitue une des formes les plus avancées de relation avec les pays en voie de développement. Plus qu'au passé, elle tient sa singularité surtout à sa capacité à y intégrer différentes dimensions (dialogue politique, commercial, aide au développement),dans un cadre contractuel, mutuellement agréé. C'est dans les pays ACP, et non dans les grands pays en développement qui bénéficient de la solidarité de l'Union sous d'autres formes, que la coopération européenne dispose de l'effet de levier le plus important, et cela dans tous les compartiments du développement.
Toutes ces raisons plaident pour le maintien d'un partenariat spécifique entre l'Europe et les pays ACP. Mais un partenariat renouvelé.
2 - Et c'est là mon second point. Pour garder sa sève et améliorer son efficacité, notre partenariat doit s'adapter aux mutations de l'économie mondiale.
Tout d'abord, les pays de l'Union européenne et les pays ACP sont liés par des engagements internationaux nouveaux, qui imposent des normes, commerciales, sociales, environnementales. Ces engagements correspondent à une nécessité :qui ont certes des avantages mais aussi des coûts, qui pèsent nécessairement plus lourd en particulier sur les économies en développement. C'est bien pour cette raison que l'Organisation mondiale du commerce doit être en mesure d'assimiler l'esprit de la Convention de Lomé et qu'il nous faut sensibiliser cette organisation et ses pays membres à l'importance des enjeux liés au commerce, mais aussi aux souffrances humaines et sociales, à l'environnement, et trop souvent mal compris par ces derniers.
Bref, le processus de libéralisation des échanges est inéluctable. Notre réponse est ici la promotion de l'intégration régionale et la création de blocs commerciaux qui doivent être au coeur du futur partenariat. A ce titre, les initiatives prises par certaines sous-régions, en particulier par les pays de la zone franc, nous paraissent prometteuses.
Deuxième élément : l'intégration européenne - En effet, l'Europe elle-même change. Le passage à l'euro et le chemin vers l'Europe politique en témoignent. Le renforcement de l'unité économique et monétaire européenne doit créer une zone de stabilité plus résistante aux aléas du système monétaire international et donc sécuriser une part importante du commerce international de l'Afrique. Les pays de la zone franc devraient, là encore, en bénéficier au premier chef, puisque l'euro et le CFA seront directement liés à partir du 1er janvier prochain. De même, en ce qui concerne l'Europe politique, l'action extérieure de l'Union devrait maintenant être en mesure de mettre en oeuvre une politique d'ensemble (affaires étrangères, sécurité, politique de développement, humanitaire).
Enfin, troisième évolution qui découle des deux précédentes. Ces changements sont une conséquence sur l'usage de notre aide publique au développement. Elle doit maintenant être résolument tournée également vers d'autres partenaires :il nous faut aider les entreprises à se mettre au service du développement et favoriser l'action des collectivités locales, des ONG et des organisations syndicales. La nouvelle convention devra le refléter.
3 - Troisième raison de soutenir ce nouveau partenariat en gestation : le mandat européen tient compte de nos préoccupations.
En juin dernier, l'Union européenne a proposé aux ACP un partenariat profondément renouvelé, concentré sur la lutte contre la pauvreté et orienté vers la promotion de leur intégration dans l'économie mondiale. Les propositions européennes répondent au défi d'adaptation aux grands enjeux du développement durable. Elles correspondent aussi aux préoccupations du gouvernement auquel j'appartiens. J'en citerai quelques unes :
- Nous voulons inscrire notre dialogue politique avec les bénéficiaires de l'aide dans un cadre plus large. Les propositions européennes expriment la volonté de renforcer la dimension politique du partenariat. Cette volonté se manifestera dans un dialogue plus soutenu, élargi aux thèmes d'intérêt commun sur lesquels se construisent les valeurs fondamentales du partenariat : Droits de l'Homme, principes démocratiques, Etat de droit, bonne gestion des affaires publiques. De nouveaux thèmes tels que la prévention des conflits, en lien d'ailleurs avec la constitution d'une défense européenne et la réactivation de l'UEO, sont susceptibles de voir le jour dans ce cadre.
Une telle évolution nécessitera néanmoins l'amélioration du fonctionnement de la Politique étrangère et de sécurité commune.
- nous souhaitons maintenir le lien entre commerce et aide au développement. C'est cela l'esprit Lomé, c'est cela la démarche européenne.
L'Union propose de conclure des accords de libre échange avec des sous-ensembles ACP. Cette formule permettrait de donner une impulsion à l'intégration régionale et de stimuler l'intérêt des investisseurs pour des pays encore trop à l'écart des flux générés par le secteur privé. Dans le contexte mondial de l'abaissement des barrières douanières, ce partenariat économique offrira, j'en suis convaincu, de meilleures perspectives d'insertion des pays ACP dans l'économie mondiale que le système actuel des préférences non réciproques.
Vous avez pu noter que la loi sur le commerce et les opportunités en Afrique annoncé à grand bruit lors du voyage du président Clinton n'a finalement pas été adoptée par le Congrès; ce sont en effet les groupes d'intérêt protectionnistes américains qui s'y sont opposés. L'Europe, premier acteur commercial au monde, est aussi la plus généreuse dans les préférences commerciales qu'elle accorde aux pays les moins avancés.
- nous avons voulu prendre en compte la fragilité des économies. Les zones de libre échange avec l'Europe devraient être mise en place de façon graduelle avec des dispositions d'assistance aux Etats. Nombreux étaient ceux qui souhaitaient une mise en conformité rapide avec les règles de l'OMC. Nous avons contribué à faire prévaloir l'idée d'une transition d'une durée de 5 ans au moins et d'une démarche par étapes. Nous ne voulons pas simplement libéraliser les échanges et se mettre en conformité avec les contraintes de l'OMC, mais promouvoir dans le temps la place des pays ACP dans le commerce mondial et leur investissement, en particulier extérieur.
- nous nous sommes inquiétés des répercussions humaines et sociales de cette ouverture au monde. Je pense par exemple à l'impact des fluctuations de prix des matières premières et nous avons obtenu le maintien d'un mécanisme stabilisateur, un Stabex et Sysmin rénové. Les revenus des producteurs doivent être préservés pour permettre une meilleure stabilité des économies.
Une hostilité générale se manifestait à l'encontre des protocoles produits, en particulier sur la banane, qui dégagent des revenus essentiels pour la survie de certaines économies. Nous avons également obtenu leur maintien à ce stade dans la perspective d'un examen ultérieur à la lumière de la mise en place des zones de libre-échange UE-ACP.
4 - Mais renouveler notre partenariat signifie aussi de réviser les méthodes et les procédures de fonctionnement de l'instrument Lomé. Si nous ne savons pas le faire, la légitimité de notre position sur le fond ne sera pas assurée, elle sera contestée et contestable.
J'en témoigne personnellement : mes interlocuteurs, autorités nationales, ONG, parlementaires, s'en plaignent trop souvent. Nous devons améliorer la mise en oeuvre de l'aide communautaire. Il en va de la crédibilité des politiques que nous menons en faveur du développement, tant vis-à-vis de nos opinions publiques que des bénéficiaires de notre effort. Je ne m'appesantirai pas sur le constat ; les affaires récentes sur la gestion d'ECHO l'ont amplement reflété. Il est essentiel de favoriser l'émergence de procédures simplifiées ethomogènes dans la gestion des différents programmes. Je sais que la Commission s'y attelle par la création d'un service commun de gestion de tous les programmes de développement. Elle doit persévérer sur cette voie.
Nous ferions oeuvre utile pour les mêmes raisons en améliorant la coordination au sein de l'Europe, entre pays membres et avec l'Union, je veux dire que nous progressions enfin vers une coordination opérationnelle authentique sur le terrain. J'ai d'ailleurs fait des propositions aux Ministres du développement de l'Union à ce sujet il y a quelques jours.
Il nous faut également trouver les moyens de parler d'une seule voix. L'Europe ne parvient pas à faire entendre ses préoccupations, (voire ses divergences)face aux partisans de la "société de marché", au Fonds monétaire international, la Banque mondiale, ou à l'OMC. Nous parlerons bientôt d'une seule voix lorsqu'il s'agira de la politique de l'euro. Nous pourrions nous y astreindre au sein des organisations économiques internationales dans le domaine de l'aide au développement.
Nous pourrions enfin développer de nouveaux thèmes de coopération qui n'ont pas encore fait l'objet de discussions entre l'Union européenne et les ACP. Je citerai deux exemples. D'abord, le lien entre migrations et développement. Il s'agirait de conduire des actions envers les migrants qui souhaitent réintégrer leur pays d'origine ou vers des populations susceptibles de migrer. Nous pourrions certainement mener un effort ensemble dans le cadre UE/ACP. Ensuite, la coopération monétaire et financière. Les pays ACP, parce qu'ils occupent encore une place marginale pour les investisseurs internationaux ont pu se tenir relativement à l'écart de la crise financière mondiale. Mais cette crise a illustré le besoin d'établir des mécanismes monétaires et financiers stabilisateurs. Nous pourrions ouvrir ce débat avec les pays ACP. La France, qui garantit un mécanisme de change spécifique pour les pays de la zone franc, serait évidemment prête à y contribuer.
Je souhaiterais conclure sur un message : pour assurer le succès de la prochaine convention, il nous faudra maintenir une aide publique suffisante à travers le Fonds européen de développement. La solidarité des gouvernements européens sera essentielle pour y parvenir.
L'Union doit en effet témoigner de la volonté d'accompagner les adaptations importantes que vont devoir engager les pays ACP. Le FED représente 10 % de l'aide publique au développement à l'Afrique, qui est destinataire de plus de85 % des ressources du FED. Parallèlement aux discussions avec les ACP, l'Union devra se mettre d'accord sur la mise en place du prochain Fonds européen de développement pour lequel la France est devenue en 1995 le premier contributeur du FED en fournissant un quart des fonds.
L'attitude de nos partenaires dépendra en particulier de l'acceptation par les ACP d'une réforme du partenariat. C'est pourquoi nous nous efforcerons dans les prochains mois d'expliquer le sens de nos propositions et de les préciser, à la lumière des réactions qu'elles inspirent à nos partenaires. Et je ne doute pas que ce Forum y concourre également aujourd'hui.
L'Union devra se montrer pour sa part attentive aux préoccupations exprimées par les ACP, face à des réformes dont ils ne contestent pas la nécessité. Le contenu de leur propre mandat en témoigne.
La France est ainsi appelée à jouer en 1999 un rôle particulier dans la nécessaire recherche d'un équilibre de part et d'autre. Il nous faut à la fois convaincre que les changements proposés garantiront la pérennité de notre relation privilégiée avec les ACP et maintenir l'engagement européen, y compris financier, en faveur du développement des pays ACP. Telle est la tâche qui nous attend.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2001)