Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés et conseillers,
Mesdames, Messieurs,
Le sujet qui nous réunit est grave et difficile. La pandémie de Sida explose de par le monde, même si elle semble mieux contrôlée dans les pays nantis, et le nôtre en particulier. Quelle peut être notre contribution, nous, élus locaux et responsables politiques, à cette lutte qui doit mobiliser toutes les forces de la nation ?
En matière de Sida, le silence est un crime ; l'information est un devoir. Nous devons saisir toutes les occasions de faire circuler la bonne information. C'est pourquoi je tiens à remercier Jean-Luc Romero ainsi que toute l'équipe d'"Elus locaux contre le Sida" pour l'occasion qu'ils nous offrent d'échanger nos expériences et viser ensemble une plus grande efficacité.
Lorsqu'en 1995, j'ai participé, avec Jean-Luc Romero, au lancement des "Elus locaux contre le Sida", j'étais évidemment loin de m'imaginer qu'un jour, je serais en charge de la coopération, et par conséquent de la lutte contre cette terrible maladie dans les pays du Sud. Vous le savez, si la pandémie de Sida touche aujourd'hui toute la planète, c'est l'Afrique qui en vit les conséquences les plus dramatiques. Les épidémies surgissent toujours au plus mauvais moment et le Sida ne déroge pas à ce constat :
Tout d'abord, après plus de trente années d'effort d'éducation et de formation, le continent africain disposait enfin des cadres et des experts qui lui faisaient tant défaut au moment des indépendances. Or ce sont ces adultes formés, actifs, qui ont payé le premier tribut à la maladie. Nous ne pouvons pas ignorer l'immense perte d'investissement humain que représente cette première génération de victimes, perte qui vient amplifier le drame personnel vécu par les victimes et leurs familles.
Ensuite, l'Afrique s'est lancée depuis une dizaine d'années, avec courage, dans un difficile et indispensable exercice de réforme et d'ajustement structurel. En pesant lourdement sur le système de soins, l'épidémie va rendre encore plus difficile la poursuite de l'ajustement et la modernisation du secteur de la santé. Au moment où l'on cherche à mettre en place des modes de financement garantissant la pérennité et l'amélioration des services, le fardeau du Sida apparaît bien lourd pour des solidarités déjà fort sollicitées du fait de la crise économique.
Comment réagir ? C'est de prévention que je voudrais tout d'abord parler. Car, en l'état actuel de la science, en particulier en l'absence à terme prévisible de vaccin efficace, c'est la prévention qui constitue la priorité. Et sur ce point déjà, l'inégalité entre le Nord et le Sud est manifeste.
La lutte contre le Sida nous a obligés à revoir nos habitudes de vie et de travail. Cela est vrai aussi pour le travail en coopération. Il a fallu inventer de nouvelles formes de dialogue avec tous les partenaires : personnes atteintes, personnels soignants et travailleurs sociaux, associations et administrations. Aujourd'hui, en France, à l'occasion de la journée du premier décembre, c'est aux jeunes que nous nous adressons. Dans les pays avec lesquels nous coopérons, les jeunes constituent aussi notre objectif prioritaire. Ils sont à la fois sous la menace directe de l'épidémie, et en même temps des relais efficaces pour diffuser les messages de prévention. Rien ne vaut en effet les actions de proximité au travers des clubs de solidarité, cette "éducation par les pairs" - comme on l'appelle -, pour faire adopter, dès l'adolescence, des comportements et pratiques présentant moins de risques. A condition, bien sûr, que l'information soit juste et adaptée, ce qui rend encore plus important le rôle des centres d'information et de documentation.
Dans nos pays développés, les moyens de la prévention se sont mis en place au fur et à mesure des progrès de la connaissance. L'information qui a circulé dans les médias, les débats ou les polémiques sur telle ou telle campagne de prévention, ont été des facteurs de prise de conscience.
En Afrique et dans l'ensemble du Tiers monde, les responsables de la lutte ont dû franchir de multiples obstacles : le déni de la réalité de l'épidémie d'abord ; puis la difficulté à expliquer une maladie qui ne se manifeste qu'après des années ; puis la nécessité de changer des comportements profondément ancrés dans les habitudes ; et enfin l'obligation de reconsidérer les rapports entre les hommes et les femmes. En fait, ce sont les réalités mêmes du sous-développement : la pauvreté, le manque d'éducation, les inégalités entre hommes et femmes, qui ont été à l'origine de l'enracinement de l'épidémie, sans oublier de vraies résistances culturelles et religieuses. Des réalités auxquelles s'ajoutent la discrimination des personnes atteintes, quand ce n'est pas la diabolisation de l'autre ou de l'étranger. Heureusement, ces obstacles sont en voie d'être dépassés.
Les campagnes d'information et de prévention ne suffisent pas cependant, à elles seules, à enrayer l'expansion de l'épidémie. Je ne vais pas vous assommer de statistiques, mais je crois qu'il est bon de rappeler certains chiffres :
L'épidémie de Sida, c'est aujourd'hui premier décembre 1998, sur le monde entier, déjà plus de 12 millions de décès. Pour la seule année 1998, plus de 2 millions de victimes, plus que ne fera le paludisme. Ce sont 35 millions de personnes qui vivent avec le virus - mais moins de 500 000 qui ont accès aux nouveaux traitements à base d'antirétroviraux.
Ce sont aussi des réalités beaucoup plus concrètes : dans des pays d'Afrique de l'Est, ce sont des villages dont les adultes ont disparu ; dans un pays d'Afrique de l'Ouest, c'est, dans certaines villes, la moitié des lycéens de terminale, pourtant a priori les plus susceptibles de comprendre les campagnes d'information engagées, qui sont atteints.
Il faut aller au delà des campagnes de sensibilisation. Il faut permettre à tous ceux qui souhaitent savoir s'ils ont contracté le virus d'avoir un diagnostic avec la garantie de l'anonymat. Une personne qui connaît son statut sérologique fait courir moins de risques à son entourage et est personnellement moins vulnérable qu'une personne qui l'ignore. C'est pourquoi, dans le cadre de notre coopération, nous avons encouragé et appuyé le développement de centres de dépistage anonyme et volontaire qui constituent la prolongation normale de la prévention.
Mais, on ne peut s'arrêter là, et laisser dans le désarroi le consultant qui vient d'apprendre sa séropositivité. On a dit que le Sida avait été en France un révélateur des dysfonctionnements du système de soin et de prise en charge. Mais, en même temps, l'épidémie a été à l'origine de relations tout à fait nouvelles entre les victimes, leurs proches, le corps médical et la société civile. On n'imagine plus la lutte sans les associations. Beaucoup de malades - mais pas tous, et c'est l'intérêt de cette réunion de le rappeler - ne sont pas seuls face à leur médecin. Ils peuvent compter sur tout un environnement pour les aider à faire face. Dans le Tiers Monde, malgré l'action énorme du milieu associatif, le malade et sa famille vont cacher leur situation, s'isoler, puis s'exclure eux-mêmes de la société.
Cet isolement trop fréquent se conjugue avec la faiblesse des structures de soin. Nous avons tous en tête la vision de ces salles surchargées de malades qui sont le lot de presque tous les hôpitaux aujourd'hui en Afrique. Bien sûr, nous connaissons les difficultés quotidiennes des médecins, des infirmières et de tous les personnels soignants qui constatent leur impuissance face à la maladie. Longtemps, cette impuissance a été partagée avec leurs collègues des pays développés. Mais aujourd'hui, les équipes traitantes des pays industrialisés ont à leur disposition des traitements qui permettent, moyennant un très grand engagement des malades, de stabiliser l'évolution de la maladie et de permettre leur retour dans la société. Dans les pays du Tiers Monde, ce n'est pas le cas. Nous devons constater que, là aussi, le fossé s'est creusé entre pays riches et pays pauvres. L'inégalité des chances dans l'accès au traitement, aujourd'hui la plus visible, est révoltante, d'autant plus que l'information circule vite sur notre planète : chacun sait aujourd'hui que ces traitements existent, même si cette connaissance ne va pas jusqu'aux difficultés et aux pré-requis de ces traitements.
La réflexion sur l'accès aux traitements n'est pas nouvelle. Dès 1994, lors du Sommet de Paris sur le Sida, donc bien avant l'immense espoir des tri-thérapies, la question avait été évoquée en prévision du jour où des traitements efficaces seraient disponibles. En 1996, devant le Parlement européen, mon collègue Bernard Kouchner avait lancé l'idée d'un mécanisme de solidarité thérapeutique. En décembre 1997, à Abidjan, le président Jacques Chirac, constatant sur place l'attente des malades, avait invité les responsables politiques des pays riches à entendre cette demande.
Cette voie est difficile, mais nécessaire. Elle ne pourra réussir sans la participation de tous : industries pharmaceutiques, bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, pays concernés. Nous avons décidé de nous engager dans des "programmes démonstratifs" dans un certain nombre de pays, afin de valider notre démarche. Ces programmes seront mis en oeuvre après discussion au sein d'un Comité international et indépendant prévu à cet effet ; ils seront également réalisés, pour la plupart d'entre eux, en étroite concertation avec ONUSIDA.
Tout au long de l'année 1998, le gouvernement français a donc plaidé auprès de ses homologues de l'Union européenne et du G8 en faveur de la création de ce Fonds de solidarité thérapeutique internationale et les services de la Coopération ont montré l'exemple en faisant adopter, le 5 novembre, par le Comité directeur du FAC, une première contribution de 20 millions de francs. Dès la fin de cette année, elle permettra la prise en charge progressive d'un millier de femmes enceintes en Côte d'Ivoire, de façon d'abord à limiter le risque de transmission à l'enfant à naître, puis à les soigner, y compris avec des anti-rétroviraux, après l'accouchement.
On fera remarquer qu'il s'agit là d'effectifs limités comparés aux besoins qui s'expriment en millions de personnes. Mais l'essentiel est de montrer que cela est faisable pour lever les résistances, très réelles bien que souvent inavouées, de certains bailleurs de fonds. Nous nous employons en effet à convaincre nos partenaires bilatéraux et multilatéraux à réfléchir et à s'engager dans cette approche. Il faut le répéter : les besoins sont tels que la réussite du FSTI est étroitement liée à sa transformation en un instrument multilatéral, exerçant sa mission en étroite liaison avec les instances internationales pertinentes, telles ONUSIDA, l'OMS et l'UNICEF.
Il serait cependant vain de croire que c'est une réponse médicale qui, à elle seule, jugulera l'épidémie dans le Tiers monde. Ce qu'il faut, c'est une réponse sociale et culturelle, et c'est celle du développement.
Nous savons désormais que seul un engagement de longue durée permettra de surmonter l'épidémie. Convainquons-nous que cet engagement est d'autant plus nécessaire qu'il serait immoral, et dangereux pour le développement et le progrès de l'humanité, que les avancées récentes ne profitent qu'aux pays les plus riches. J'ai voulu illustrer, à partir de cet exemple, la véritable course de fond que constitue la mise en oeuvre d'un volet seulement de notre programme Sida. Car la prise en charge thérapeutique ne constituera pas à l'avenir l'exclusivité de notre programme, même si c'est aujourd'hui d'elle dont on parle le plus. Tous les autres aspects de la lutte - la prévention, la sécurité transfusionnelle, l'appui aux associations de prise en charge psycho-sociale et la recherche - continueront de bénéficier de notre soutien.
Aujourd'hui, la Coopération française en matière de lutte contre le VIH/SIDA, ce sont 140 assistants techniques sur le terrain, des projets dans plus de 25 pays, en Afrique mais aussi dans les Caraïbes ou la péninsule indochinoise, des moyens pour les hôpitaux, des bourses de formation, pour un montant total qui dépasse les 100 millions de francs par an, soit 20 % de l'ensemble de notre effort dans le domaine de la santé. L'objectif du ministère délégué à la Coopération et à la Francophonie n'est pas seulement de maintenir cet effort budgétaire, mais de veiller à une bonne adéquation entre les moyens déployés et les objectifs recherchés : le programme de lutte contre l'expansion de la pandémie du Sida en Afrique sur la décennie écoulée (estimé à 500 MF en projets FAC et 200 MF en assistance technique) fait ainsi actuellement l'objet d'une évaluation qui contribuera, sans nul doute, à accroître l'efficacité des actions à venir.
La lutte contre le Sida a ainsi constitué une priorité de tous les ministres de la Coopération qui se sont succédés depuis 1988, date de démarrage du programme. Seule la constance dans l'effort permettra à terme de contrôler l'épidémie. Ayons en mémoire que chaque année, c'est une nouvelle génération de jeunes qu'il faut informer et éduquer.
Cet effort doit être celui de tous et de toutes les instances concernées. La coopération décentralisée qui est, comme vous le savez, l'une des options stratégiques que j'entends valoriser dans le cadre de la réforme de notre dispositif de coopération, a éminemment vocation à se déployer dans le domaine de la lutte contre le VIH/Sida. La contrepartie en est évidemment l'urgente nécessité de veiller à une bonne coordination des efforts.
Les centres régionaux d'information et de prévention du Sida, les CRIPS - bien représentés dans ces Troisièmes Etats généraux d'ELCS -, les comités départementaux et régionaux d'éducation pour la santé, les CODES et les CRES, ont acquis une grande expérience dans l'information auprès des populations d'origine étrangère. Tout ce savoir-faire doit pouvoir bénéficier aux pays d'origine.
D'ores et déjà, la Coopération française a recours à l'expertise du CRIPS d'Ile de France pour la documentation et l'information et je tiens à dire combien cette collaboration est appréciée par mon Département. Les centres de documentation qui se constituent dans les pays partenaires sont à la recherche de correspondants en France. D'autres centres régionaux ou départementaux pourraient ainsi être impliqués, avec l'appui des associations qui gardent le contact avec leur pays d'origine. Avec Internet, de telles coopérations vont être facilitées. Il pourrait être envisagé de réaliser pour l'information et la prévention ce qui se fait déjà dans le domaine du soin avec les jumelages hospitaliers.
Une autre possibilité de coopération doit être envisagée dans les régions de la Caraïbe et de l'Océan indien. J'invite les équipes en place dans les départements français d'Outre-Mer à réfléchir à un partenariat décentralisé avec les pays de ces régions, qui pourrait être d'autant plus efficace qu'ils partagent de nombreuses valeurs culturelles.
J'en appelle à l'imagination et à la volonté des collectivités territoriales pour que se déploie dans ces domaines une coopération décentralisée active et multiforme. Nous la soutiendrons avec détermination.
Après avoir évoqué les grandes lignes de notre programme national et ce qui pourrait être fait dans un cadre plus décentralisé, je voudrais conclure en rappelant la nécessité du soutien politique de toute la nation à cette expression de solidarité entre le Nord et le Sud. La France est observée par ses partenaires occidentaux. Mais surtout, un grand espoir est né parmi les malades et leurs familles que nous ne pouvons décevoir. Il y a un immense chantier devant nous. A vous, les spécialistes qui oeuvrez depuis des années sur tous les aspects de l'épidémie, de fournir les pierre de ce grand édifice : elles serviront à poursuivre et lancer de bons programmes.
Je souhaite plein succès à vos travaux et vous remercie de votre attention.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2001)
Mesdames et Messieurs les députés et conseillers,
Mesdames, Messieurs,
Le sujet qui nous réunit est grave et difficile. La pandémie de Sida explose de par le monde, même si elle semble mieux contrôlée dans les pays nantis, et le nôtre en particulier. Quelle peut être notre contribution, nous, élus locaux et responsables politiques, à cette lutte qui doit mobiliser toutes les forces de la nation ?
En matière de Sida, le silence est un crime ; l'information est un devoir. Nous devons saisir toutes les occasions de faire circuler la bonne information. C'est pourquoi je tiens à remercier Jean-Luc Romero ainsi que toute l'équipe d'"Elus locaux contre le Sida" pour l'occasion qu'ils nous offrent d'échanger nos expériences et viser ensemble une plus grande efficacité.
Lorsqu'en 1995, j'ai participé, avec Jean-Luc Romero, au lancement des "Elus locaux contre le Sida", j'étais évidemment loin de m'imaginer qu'un jour, je serais en charge de la coopération, et par conséquent de la lutte contre cette terrible maladie dans les pays du Sud. Vous le savez, si la pandémie de Sida touche aujourd'hui toute la planète, c'est l'Afrique qui en vit les conséquences les plus dramatiques. Les épidémies surgissent toujours au plus mauvais moment et le Sida ne déroge pas à ce constat :
Tout d'abord, après plus de trente années d'effort d'éducation et de formation, le continent africain disposait enfin des cadres et des experts qui lui faisaient tant défaut au moment des indépendances. Or ce sont ces adultes formés, actifs, qui ont payé le premier tribut à la maladie. Nous ne pouvons pas ignorer l'immense perte d'investissement humain que représente cette première génération de victimes, perte qui vient amplifier le drame personnel vécu par les victimes et leurs familles.
Ensuite, l'Afrique s'est lancée depuis une dizaine d'années, avec courage, dans un difficile et indispensable exercice de réforme et d'ajustement structurel. En pesant lourdement sur le système de soins, l'épidémie va rendre encore plus difficile la poursuite de l'ajustement et la modernisation du secteur de la santé. Au moment où l'on cherche à mettre en place des modes de financement garantissant la pérennité et l'amélioration des services, le fardeau du Sida apparaît bien lourd pour des solidarités déjà fort sollicitées du fait de la crise économique.
Comment réagir ? C'est de prévention que je voudrais tout d'abord parler. Car, en l'état actuel de la science, en particulier en l'absence à terme prévisible de vaccin efficace, c'est la prévention qui constitue la priorité. Et sur ce point déjà, l'inégalité entre le Nord et le Sud est manifeste.
La lutte contre le Sida nous a obligés à revoir nos habitudes de vie et de travail. Cela est vrai aussi pour le travail en coopération. Il a fallu inventer de nouvelles formes de dialogue avec tous les partenaires : personnes atteintes, personnels soignants et travailleurs sociaux, associations et administrations. Aujourd'hui, en France, à l'occasion de la journée du premier décembre, c'est aux jeunes que nous nous adressons. Dans les pays avec lesquels nous coopérons, les jeunes constituent aussi notre objectif prioritaire. Ils sont à la fois sous la menace directe de l'épidémie, et en même temps des relais efficaces pour diffuser les messages de prévention. Rien ne vaut en effet les actions de proximité au travers des clubs de solidarité, cette "éducation par les pairs" - comme on l'appelle -, pour faire adopter, dès l'adolescence, des comportements et pratiques présentant moins de risques. A condition, bien sûr, que l'information soit juste et adaptée, ce qui rend encore plus important le rôle des centres d'information et de documentation.
Dans nos pays développés, les moyens de la prévention se sont mis en place au fur et à mesure des progrès de la connaissance. L'information qui a circulé dans les médias, les débats ou les polémiques sur telle ou telle campagne de prévention, ont été des facteurs de prise de conscience.
En Afrique et dans l'ensemble du Tiers monde, les responsables de la lutte ont dû franchir de multiples obstacles : le déni de la réalité de l'épidémie d'abord ; puis la difficulté à expliquer une maladie qui ne se manifeste qu'après des années ; puis la nécessité de changer des comportements profondément ancrés dans les habitudes ; et enfin l'obligation de reconsidérer les rapports entre les hommes et les femmes. En fait, ce sont les réalités mêmes du sous-développement : la pauvreté, le manque d'éducation, les inégalités entre hommes et femmes, qui ont été à l'origine de l'enracinement de l'épidémie, sans oublier de vraies résistances culturelles et religieuses. Des réalités auxquelles s'ajoutent la discrimination des personnes atteintes, quand ce n'est pas la diabolisation de l'autre ou de l'étranger. Heureusement, ces obstacles sont en voie d'être dépassés.
Les campagnes d'information et de prévention ne suffisent pas cependant, à elles seules, à enrayer l'expansion de l'épidémie. Je ne vais pas vous assommer de statistiques, mais je crois qu'il est bon de rappeler certains chiffres :
L'épidémie de Sida, c'est aujourd'hui premier décembre 1998, sur le monde entier, déjà plus de 12 millions de décès. Pour la seule année 1998, plus de 2 millions de victimes, plus que ne fera le paludisme. Ce sont 35 millions de personnes qui vivent avec le virus - mais moins de 500 000 qui ont accès aux nouveaux traitements à base d'antirétroviraux.
Ce sont aussi des réalités beaucoup plus concrètes : dans des pays d'Afrique de l'Est, ce sont des villages dont les adultes ont disparu ; dans un pays d'Afrique de l'Ouest, c'est, dans certaines villes, la moitié des lycéens de terminale, pourtant a priori les plus susceptibles de comprendre les campagnes d'information engagées, qui sont atteints.
Il faut aller au delà des campagnes de sensibilisation. Il faut permettre à tous ceux qui souhaitent savoir s'ils ont contracté le virus d'avoir un diagnostic avec la garantie de l'anonymat. Une personne qui connaît son statut sérologique fait courir moins de risques à son entourage et est personnellement moins vulnérable qu'une personne qui l'ignore. C'est pourquoi, dans le cadre de notre coopération, nous avons encouragé et appuyé le développement de centres de dépistage anonyme et volontaire qui constituent la prolongation normale de la prévention.
Mais, on ne peut s'arrêter là, et laisser dans le désarroi le consultant qui vient d'apprendre sa séropositivité. On a dit que le Sida avait été en France un révélateur des dysfonctionnements du système de soin et de prise en charge. Mais, en même temps, l'épidémie a été à l'origine de relations tout à fait nouvelles entre les victimes, leurs proches, le corps médical et la société civile. On n'imagine plus la lutte sans les associations. Beaucoup de malades - mais pas tous, et c'est l'intérêt de cette réunion de le rappeler - ne sont pas seuls face à leur médecin. Ils peuvent compter sur tout un environnement pour les aider à faire face. Dans le Tiers Monde, malgré l'action énorme du milieu associatif, le malade et sa famille vont cacher leur situation, s'isoler, puis s'exclure eux-mêmes de la société.
Cet isolement trop fréquent se conjugue avec la faiblesse des structures de soin. Nous avons tous en tête la vision de ces salles surchargées de malades qui sont le lot de presque tous les hôpitaux aujourd'hui en Afrique. Bien sûr, nous connaissons les difficultés quotidiennes des médecins, des infirmières et de tous les personnels soignants qui constatent leur impuissance face à la maladie. Longtemps, cette impuissance a été partagée avec leurs collègues des pays développés. Mais aujourd'hui, les équipes traitantes des pays industrialisés ont à leur disposition des traitements qui permettent, moyennant un très grand engagement des malades, de stabiliser l'évolution de la maladie et de permettre leur retour dans la société. Dans les pays du Tiers Monde, ce n'est pas le cas. Nous devons constater que, là aussi, le fossé s'est creusé entre pays riches et pays pauvres. L'inégalité des chances dans l'accès au traitement, aujourd'hui la plus visible, est révoltante, d'autant plus que l'information circule vite sur notre planète : chacun sait aujourd'hui que ces traitements existent, même si cette connaissance ne va pas jusqu'aux difficultés et aux pré-requis de ces traitements.
La réflexion sur l'accès aux traitements n'est pas nouvelle. Dès 1994, lors du Sommet de Paris sur le Sida, donc bien avant l'immense espoir des tri-thérapies, la question avait été évoquée en prévision du jour où des traitements efficaces seraient disponibles. En 1996, devant le Parlement européen, mon collègue Bernard Kouchner avait lancé l'idée d'un mécanisme de solidarité thérapeutique. En décembre 1997, à Abidjan, le président Jacques Chirac, constatant sur place l'attente des malades, avait invité les responsables politiques des pays riches à entendre cette demande.
Cette voie est difficile, mais nécessaire. Elle ne pourra réussir sans la participation de tous : industries pharmaceutiques, bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, pays concernés. Nous avons décidé de nous engager dans des "programmes démonstratifs" dans un certain nombre de pays, afin de valider notre démarche. Ces programmes seront mis en oeuvre après discussion au sein d'un Comité international et indépendant prévu à cet effet ; ils seront également réalisés, pour la plupart d'entre eux, en étroite concertation avec ONUSIDA.
Tout au long de l'année 1998, le gouvernement français a donc plaidé auprès de ses homologues de l'Union européenne et du G8 en faveur de la création de ce Fonds de solidarité thérapeutique internationale et les services de la Coopération ont montré l'exemple en faisant adopter, le 5 novembre, par le Comité directeur du FAC, une première contribution de 20 millions de francs. Dès la fin de cette année, elle permettra la prise en charge progressive d'un millier de femmes enceintes en Côte d'Ivoire, de façon d'abord à limiter le risque de transmission à l'enfant à naître, puis à les soigner, y compris avec des anti-rétroviraux, après l'accouchement.
On fera remarquer qu'il s'agit là d'effectifs limités comparés aux besoins qui s'expriment en millions de personnes. Mais l'essentiel est de montrer que cela est faisable pour lever les résistances, très réelles bien que souvent inavouées, de certains bailleurs de fonds. Nous nous employons en effet à convaincre nos partenaires bilatéraux et multilatéraux à réfléchir et à s'engager dans cette approche. Il faut le répéter : les besoins sont tels que la réussite du FSTI est étroitement liée à sa transformation en un instrument multilatéral, exerçant sa mission en étroite liaison avec les instances internationales pertinentes, telles ONUSIDA, l'OMS et l'UNICEF.
Il serait cependant vain de croire que c'est une réponse médicale qui, à elle seule, jugulera l'épidémie dans le Tiers monde. Ce qu'il faut, c'est une réponse sociale et culturelle, et c'est celle du développement.
Nous savons désormais que seul un engagement de longue durée permettra de surmonter l'épidémie. Convainquons-nous que cet engagement est d'autant plus nécessaire qu'il serait immoral, et dangereux pour le développement et le progrès de l'humanité, que les avancées récentes ne profitent qu'aux pays les plus riches. J'ai voulu illustrer, à partir de cet exemple, la véritable course de fond que constitue la mise en oeuvre d'un volet seulement de notre programme Sida. Car la prise en charge thérapeutique ne constituera pas à l'avenir l'exclusivité de notre programme, même si c'est aujourd'hui d'elle dont on parle le plus. Tous les autres aspects de la lutte - la prévention, la sécurité transfusionnelle, l'appui aux associations de prise en charge psycho-sociale et la recherche - continueront de bénéficier de notre soutien.
Aujourd'hui, la Coopération française en matière de lutte contre le VIH/SIDA, ce sont 140 assistants techniques sur le terrain, des projets dans plus de 25 pays, en Afrique mais aussi dans les Caraïbes ou la péninsule indochinoise, des moyens pour les hôpitaux, des bourses de formation, pour un montant total qui dépasse les 100 millions de francs par an, soit 20 % de l'ensemble de notre effort dans le domaine de la santé. L'objectif du ministère délégué à la Coopération et à la Francophonie n'est pas seulement de maintenir cet effort budgétaire, mais de veiller à une bonne adéquation entre les moyens déployés et les objectifs recherchés : le programme de lutte contre l'expansion de la pandémie du Sida en Afrique sur la décennie écoulée (estimé à 500 MF en projets FAC et 200 MF en assistance technique) fait ainsi actuellement l'objet d'une évaluation qui contribuera, sans nul doute, à accroître l'efficacité des actions à venir.
La lutte contre le Sida a ainsi constitué une priorité de tous les ministres de la Coopération qui se sont succédés depuis 1988, date de démarrage du programme. Seule la constance dans l'effort permettra à terme de contrôler l'épidémie. Ayons en mémoire que chaque année, c'est une nouvelle génération de jeunes qu'il faut informer et éduquer.
Cet effort doit être celui de tous et de toutes les instances concernées. La coopération décentralisée qui est, comme vous le savez, l'une des options stratégiques que j'entends valoriser dans le cadre de la réforme de notre dispositif de coopération, a éminemment vocation à se déployer dans le domaine de la lutte contre le VIH/Sida. La contrepartie en est évidemment l'urgente nécessité de veiller à une bonne coordination des efforts.
Les centres régionaux d'information et de prévention du Sida, les CRIPS - bien représentés dans ces Troisièmes Etats généraux d'ELCS -, les comités départementaux et régionaux d'éducation pour la santé, les CODES et les CRES, ont acquis une grande expérience dans l'information auprès des populations d'origine étrangère. Tout ce savoir-faire doit pouvoir bénéficier aux pays d'origine.
D'ores et déjà, la Coopération française a recours à l'expertise du CRIPS d'Ile de France pour la documentation et l'information et je tiens à dire combien cette collaboration est appréciée par mon Département. Les centres de documentation qui se constituent dans les pays partenaires sont à la recherche de correspondants en France. D'autres centres régionaux ou départementaux pourraient ainsi être impliqués, avec l'appui des associations qui gardent le contact avec leur pays d'origine. Avec Internet, de telles coopérations vont être facilitées. Il pourrait être envisagé de réaliser pour l'information et la prévention ce qui se fait déjà dans le domaine du soin avec les jumelages hospitaliers.
Une autre possibilité de coopération doit être envisagée dans les régions de la Caraïbe et de l'Océan indien. J'invite les équipes en place dans les départements français d'Outre-Mer à réfléchir à un partenariat décentralisé avec les pays de ces régions, qui pourrait être d'autant plus efficace qu'ils partagent de nombreuses valeurs culturelles.
J'en appelle à l'imagination et à la volonté des collectivités territoriales pour que se déploie dans ces domaines une coopération décentralisée active et multiforme. Nous la soutiendrons avec détermination.
Après avoir évoqué les grandes lignes de notre programme national et ce qui pourrait être fait dans un cadre plus décentralisé, je voudrais conclure en rappelant la nécessité du soutien politique de toute la nation à cette expression de solidarité entre le Nord et le Sud. La France est observée par ses partenaires occidentaux. Mais surtout, un grand espoir est né parmi les malades et leurs familles que nous ne pouvons décevoir. Il y a un immense chantier devant nous. A vous, les spécialistes qui oeuvrez depuis des années sur tous les aspects de l'épidémie, de fournir les pierre de ce grand édifice : elles serviront à poursuivre et lancer de bons programmes.
Je souhaite plein succès à vos travaux et vous remercie de votre attention.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2001)