Texte intégral
S. Paoli Combien de temps la Vème République résistera-t-elle au choc répété des affaires ? Les explications que donnera peut-être le Président de la République ce soir sur TF1 suffiraient-elles à mettre fin à la suspicion qui pèse désormais sur le système politique français et sur ses ambitions européennes. Est-ce que le sommet de Nice a souffert de tout cela, a souffert de ces affaires et d'une cohabitation qui évidemment en est affectée.
- "Je ne suis pas sûr que le sommet de Nice ait souffert des problèmes de la cohabitation. En réalité, je pense que si le sommet de Nice a donné un résultat un peu riquiqui, c'est parce que dès le départ il y avait un vice de construction. En posant mal les questions, on a apporté de mauvaises réponses. Il y avait une absence de vision d'avenir, d'ambition et de souffle. Il n'y avait pas vraiment une volonté de construire et d'imaginer la grande Europe. On a cherché à faire rentrer la grande Europe de demain dans les institutions de la petite, je crois que c'était un vice de construction. Cela étant, il est sûr, franchement, quand vous êtes ici à Strasbourg ou quand j'étais à Nice à discuter avec un certain nombre de chefs d'Etat ou de ministres représentants d'autres pays européens, que l'image de la France a pris un sacré coup."
Est-ce qu'on trouvera une réponse ce soir ? Vous attendez-vous à ce que le Président de la République, ce soir, voulant s'expliquer, le fasse pour de bon. Comment peut-il faire ? Qu'est-ce qu'il va faire à votre avis ?
- "Je n'en sais rien, et je n'ai aucun commentaire à faire sur ce point. J'ai bien vu le petit ballet de ceux qui demandaient au Président de la République de s'expliquer et qui faisaient ainsi peser sur lui une sorte de présomption de culpabilité. Maintenant, c'est au Président de la République de dire ce qu'il a envie de dire, je n'ai pas de commentaires à faire."
Mais vous pensez que l'on peut tourner la page. Je reprends une des formules que l'on retrouve à peu près dans tous les quotidiens ce matin : comment tourner la page ?
- "Non, vous ne pouvez pas tourner la page. Vous pourrez tourner la page quand la justice aura fait son travail, comment voulez-vous faire autrement ? J'entends ici ou là, revenir la petite musique de l'amnistie, c'est de la blague ! Si vous faisiez cela, vous vous rendez compte à quel point il y aurait un désordre social. Comment voulez-vous condamner le petit acte de violence ou la petite dérobade dans une banlieue, si dans le même temps vous donnez le sentiment qu'au sommet de l'Etat ceux qui ont pu organiser des marchés de la corruption s'auto-amnistient. Ceci n'est pas pensable, donc il faudra que la justice passe, qu'on donne des explications - très bien !. C'est à la justice de faire son travail dans la sérénité."
Que la justice fasse son travail, mais il reste le système politique. Il est très affecté, on peut parler d'une crise politique majeure, voire d'une crise de la Vème République. Comment allez-vous gérer cela ?
- "Il faut passer à la VIème République."
Comment ?
- "Quand vous dites que c'est une crise de la Vème République, c'est une crise de confiance effectivement dans des institutions. Tout le monde comprend aujourd'hui qu'on a une société française qui est formidable, qui est en pleine ébullition, qui imagine, qui innove, qui bouge. Et puis on a un système politique hérité des institutions de la Vème République qui est en crise, qui est bloqué. Ces affaires de corruption sont au fond la queue de comète - parce que je crois que cela n'existe plus aujourd'hui - d'un système de concentration des pouvoirs au sommet, de non-séparation du pouvoir. Regardez autour de vous ! Je suis à Strasbourg, donc on peut regarder ce qui se passe ailleurs dans le monde ou ce qui se passe en Europe. Nous avons eu des affaires comme celle-là en Italie, touchant la démocratie chrétienne italienne et le système politique italien. Nous avons eu des affaires comme celle-là un peu en Allemagne et nous avons des affaires comme celle-là en France. Là où vous avez de vrais régimes de diffusion des pouvoirs, de séparation des pouvoirs, on n'a pas eu les mêmes affaires. Donc, la leçon que je tire, c'est qu'il faut remettre non pas le calendrier électoral à l'endroit, mais les institutions à l'endroit. Nous n'avons pas eu en France, avec les institutions de la Vème République, une vraie séparation des pouvoirs. Souvenez-vous que cette Vème République est née dans la confusion des pouvoirs. Tous les pouvoirs, le pouvoir présidentiel, le Gouvernement, l'administration, le Parlement et puis même au début la télévision, la justice, étaient dans les mêmes mains, ce qui a donné à une partie de classe politique l'impression qu'il y avait une sorte d'impunité. Et puis nécessité de financement aidant, puisqu'il n'y avait pas de loi sur le financement des partis politiques à ce moment là, on a mis en place des systèmes qui ont perduré beaucoup, beaucoup trop longtemps."
Mais si on ne touche pas au calendrier électoral, cette VIème République dont vous évoquez la possible naissance bientôt, ce serait plutôt une VIème République parlementaire dans ce cas ?
- "De séparation des pouvoirs. Vous pouvez regarder les Etats-Unis. C'est un choix qu'il faudra faire le moment venu et je crois que ce sera le choix essentiel de la campagne présidentielle qui vient. Sans me prononcer aujourd'hui, aux Etats-Unis, vous avez un système présidentiel, mais vous avez une séparation des pouvoirs. Qu'il soit parlementaire ou présidentiel, c'est un choix qui reste à faire, l'essentiel c'est d'avoir une vraie séparation des pouvoirs. Quand tous les pouvoirs vont au même et quand il y a une confusion des pouvoirs, ce n'est pas une bonne chose pour la démocratie."
Un mot sur la présidentielle américaine. Dominique Bromberger y revenait à l'instant, en disant "voilà un homme qui vient d'être élu, peut-être sans l'avoir voulu, mais dont on peut peut-être espérer qu'il s'entoure bien." Vous dites quoi de cette présidentielle ?
-"Les Français ont découvert le système fédéral américain, un système par Etat, et c'est une leçon intéressante au moment où l'on parle de l'union de l'Europe. Certains voudraient faire de l'Europe une sorte de super Etat fédéral où il y aurait des responsables politiques qui seraient désignés directement par un peuple européen. Même aux Etats-Unis on n'a pas fait cela, et pourtant on parle la même langue et pourtant il n'y a pas les disparités qui existent en Europe. La deuxième leçon que je tire, c'est que le pouvoir du Président des Etats-Unis, vous le voyez, est un pouvoir extrêmement limité. Il est déjà limité par la constitution et les institutions, il le sera d'autant plus lorsqu'on a été élu au fond à 50/50."
Vous qui êtes en quête de nouvelles idées, quel commentaire portez-vous sur le fait qu'aux Etats-Unis, comme en Europe et en tout cas comme en France, on mesure de plus en plus le décalage entre la façon dont les citoyens perçoivent les enjeux de la politique et la façon dont les politiques eux-mêmes la pratique.
- "Je ne sais pas si on peut dire cela. Aux Etats-Unis, vous avez bien vu que malgré tout, il y a eu une absence d'émotion quant à l'issue des élections présidentielle parce que je crois qu'aux Etats-Unis, il existe une plus grande séparation entre le pouvoir politique et la vie de la société. Or, en France, la politique c'est tout. Tout se résume à la politique, tout est politique, ce qui donne une importance aux enjeux beaucoup plus grande. A mon avis, c'est une erreur de la France, parce que tout n'est pas politique. Un des enjeux des décennies qui viennent, c'est de dépolitiser la société française : que la politique fasse son boulot, la justice, la sécurité, la politique étrangère, la construction européenne etc. , mais pour le reste, de grâce, qu'on laisse vivre la société, respirer les citoyens."
Juste un mot sur le courage politique, on a l'impression qu'il manque : dire les choses et les reconnaître. La classe politique française, qu'elle soit à droite comme à gauche, n'a pas beaucoup parlé sur les affaires. On renvoie toujours, d'ailleurs vous-même à l'instant vous dites que la justice n'a qu'à faire son boulot.
- "C'est un principe là aussi de saine séparation des pouvoirs. Qu'est-ce que vous voulez que je dise ? Que je dise à la justice ce qu'elle doit faire ?"
Non, sûrement pas !
- "Alors ? Je suis depuis toujours pour l'existence d'une société d'équilibre et de séparation des pouvoirs. Si on avait fait cela depuis longtemps, croyez-moi ceci ne se serait pas produit. Une des erreurs, c'est la concentration des pouvoirs au sommet de la Vème République, qui a donné un sentiment d'impunité à une partie de la classe politique. La deuxième erreur, c'est une décentralisation, celle qu'ont faite les socialistes, mal conduite, qui n'a pas institué les contre-pouvoirs et les pouvoirs de contrôles nécessaires. Voilà les vices de construction. Que la justice maintenant fasse son travail et que les hommes politiques sachent en tirer les conclusions pour la réforme des institutions. J'ai combattu suffisamment dans ma vie politique le douteux mélange de la politique et des affaires. Je suis partisan de mettre l'économie dans sa sphère - les règles du jeu - : on ne mélange pas les genres. Ce n'est pas moi qui ait défendu un système dit d'économie mixte où on mélangeait par nature les affaires et la politique. A chaque fois que vous mélangez les affaires et la politique, cela conduit toujours à l'affairisme."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 14 décembre 2000)
- "Je ne suis pas sûr que le sommet de Nice ait souffert des problèmes de la cohabitation. En réalité, je pense que si le sommet de Nice a donné un résultat un peu riquiqui, c'est parce que dès le départ il y avait un vice de construction. En posant mal les questions, on a apporté de mauvaises réponses. Il y avait une absence de vision d'avenir, d'ambition et de souffle. Il n'y avait pas vraiment une volonté de construire et d'imaginer la grande Europe. On a cherché à faire rentrer la grande Europe de demain dans les institutions de la petite, je crois que c'était un vice de construction. Cela étant, il est sûr, franchement, quand vous êtes ici à Strasbourg ou quand j'étais à Nice à discuter avec un certain nombre de chefs d'Etat ou de ministres représentants d'autres pays européens, que l'image de la France a pris un sacré coup."
Est-ce qu'on trouvera une réponse ce soir ? Vous attendez-vous à ce que le Président de la République, ce soir, voulant s'expliquer, le fasse pour de bon. Comment peut-il faire ? Qu'est-ce qu'il va faire à votre avis ?
- "Je n'en sais rien, et je n'ai aucun commentaire à faire sur ce point. J'ai bien vu le petit ballet de ceux qui demandaient au Président de la République de s'expliquer et qui faisaient ainsi peser sur lui une sorte de présomption de culpabilité. Maintenant, c'est au Président de la République de dire ce qu'il a envie de dire, je n'ai pas de commentaires à faire."
Mais vous pensez que l'on peut tourner la page. Je reprends une des formules que l'on retrouve à peu près dans tous les quotidiens ce matin : comment tourner la page ?
- "Non, vous ne pouvez pas tourner la page. Vous pourrez tourner la page quand la justice aura fait son travail, comment voulez-vous faire autrement ? J'entends ici ou là, revenir la petite musique de l'amnistie, c'est de la blague ! Si vous faisiez cela, vous vous rendez compte à quel point il y aurait un désordre social. Comment voulez-vous condamner le petit acte de violence ou la petite dérobade dans une banlieue, si dans le même temps vous donnez le sentiment qu'au sommet de l'Etat ceux qui ont pu organiser des marchés de la corruption s'auto-amnistient. Ceci n'est pas pensable, donc il faudra que la justice passe, qu'on donne des explications - très bien !. C'est à la justice de faire son travail dans la sérénité."
Que la justice fasse son travail, mais il reste le système politique. Il est très affecté, on peut parler d'une crise politique majeure, voire d'une crise de la Vème République. Comment allez-vous gérer cela ?
- "Il faut passer à la VIème République."
Comment ?
- "Quand vous dites que c'est une crise de la Vème République, c'est une crise de confiance effectivement dans des institutions. Tout le monde comprend aujourd'hui qu'on a une société française qui est formidable, qui est en pleine ébullition, qui imagine, qui innove, qui bouge. Et puis on a un système politique hérité des institutions de la Vème République qui est en crise, qui est bloqué. Ces affaires de corruption sont au fond la queue de comète - parce que je crois que cela n'existe plus aujourd'hui - d'un système de concentration des pouvoirs au sommet, de non-séparation du pouvoir. Regardez autour de vous ! Je suis à Strasbourg, donc on peut regarder ce qui se passe ailleurs dans le monde ou ce qui se passe en Europe. Nous avons eu des affaires comme celle-là en Italie, touchant la démocratie chrétienne italienne et le système politique italien. Nous avons eu des affaires comme celle-là un peu en Allemagne et nous avons des affaires comme celle-là en France. Là où vous avez de vrais régimes de diffusion des pouvoirs, de séparation des pouvoirs, on n'a pas eu les mêmes affaires. Donc, la leçon que je tire, c'est qu'il faut remettre non pas le calendrier électoral à l'endroit, mais les institutions à l'endroit. Nous n'avons pas eu en France, avec les institutions de la Vème République, une vraie séparation des pouvoirs. Souvenez-vous que cette Vème République est née dans la confusion des pouvoirs. Tous les pouvoirs, le pouvoir présidentiel, le Gouvernement, l'administration, le Parlement et puis même au début la télévision, la justice, étaient dans les mêmes mains, ce qui a donné à une partie de classe politique l'impression qu'il y avait une sorte d'impunité. Et puis nécessité de financement aidant, puisqu'il n'y avait pas de loi sur le financement des partis politiques à ce moment là, on a mis en place des systèmes qui ont perduré beaucoup, beaucoup trop longtemps."
Mais si on ne touche pas au calendrier électoral, cette VIème République dont vous évoquez la possible naissance bientôt, ce serait plutôt une VIème République parlementaire dans ce cas ?
- "De séparation des pouvoirs. Vous pouvez regarder les Etats-Unis. C'est un choix qu'il faudra faire le moment venu et je crois que ce sera le choix essentiel de la campagne présidentielle qui vient. Sans me prononcer aujourd'hui, aux Etats-Unis, vous avez un système présidentiel, mais vous avez une séparation des pouvoirs. Qu'il soit parlementaire ou présidentiel, c'est un choix qui reste à faire, l'essentiel c'est d'avoir une vraie séparation des pouvoirs. Quand tous les pouvoirs vont au même et quand il y a une confusion des pouvoirs, ce n'est pas une bonne chose pour la démocratie."
Un mot sur la présidentielle américaine. Dominique Bromberger y revenait à l'instant, en disant "voilà un homme qui vient d'être élu, peut-être sans l'avoir voulu, mais dont on peut peut-être espérer qu'il s'entoure bien." Vous dites quoi de cette présidentielle ?
-"Les Français ont découvert le système fédéral américain, un système par Etat, et c'est une leçon intéressante au moment où l'on parle de l'union de l'Europe. Certains voudraient faire de l'Europe une sorte de super Etat fédéral où il y aurait des responsables politiques qui seraient désignés directement par un peuple européen. Même aux Etats-Unis on n'a pas fait cela, et pourtant on parle la même langue et pourtant il n'y a pas les disparités qui existent en Europe. La deuxième leçon que je tire, c'est que le pouvoir du Président des Etats-Unis, vous le voyez, est un pouvoir extrêmement limité. Il est déjà limité par la constitution et les institutions, il le sera d'autant plus lorsqu'on a été élu au fond à 50/50."
Vous qui êtes en quête de nouvelles idées, quel commentaire portez-vous sur le fait qu'aux Etats-Unis, comme en Europe et en tout cas comme en France, on mesure de plus en plus le décalage entre la façon dont les citoyens perçoivent les enjeux de la politique et la façon dont les politiques eux-mêmes la pratique.
- "Je ne sais pas si on peut dire cela. Aux Etats-Unis, vous avez bien vu que malgré tout, il y a eu une absence d'émotion quant à l'issue des élections présidentielle parce que je crois qu'aux Etats-Unis, il existe une plus grande séparation entre le pouvoir politique et la vie de la société. Or, en France, la politique c'est tout. Tout se résume à la politique, tout est politique, ce qui donne une importance aux enjeux beaucoup plus grande. A mon avis, c'est une erreur de la France, parce que tout n'est pas politique. Un des enjeux des décennies qui viennent, c'est de dépolitiser la société française : que la politique fasse son boulot, la justice, la sécurité, la politique étrangère, la construction européenne etc. , mais pour le reste, de grâce, qu'on laisse vivre la société, respirer les citoyens."
Juste un mot sur le courage politique, on a l'impression qu'il manque : dire les choses et les reconnaître. La classe politique française, qu'elle soit à droite comme à gauche, n'a pas beaucoup parlé sur les affaires. On renvoie toujours, d'ailleurs vous-même à l'instant vous dites que la justice n'a qu'à faire son boulot.
- "C'est un principe là aussi de saine séparation des pouvoirs. Qu'est-ce que vous voulez que je dise ? Que je dise à la justice ce qu'elle doit faire ?"
Non, sûrement pas !
- "Alors ? Je suis depuis toujours pour l'existence d'une société d'équilibre et de séparation des pouvoirs. Si on avait fait cela depuis longtemps, croyez-moi ceci ne se serait pas produit. Une des erreurs, c'est la concentration des pouvoirs au sommet de la Vème République, qui a donné un sentiment d'impunité à une partie de la classe politique. La deuxième erreur, c'est une décentralisation, celle qu'ont faite les socialistes, mal conduite, qui n'a pas institué les contre-pouvoirs et les pouvoirs de contrôles nécessaires. Voilà les vices de construction. Que la justice maintenant fasse son travail et que les hommes politiques sachent en tirer les conclusions pour la réforme des institutions. J'ai combattu suffisamment dans ma vie politique le douteux mélange de la politique et des affaires. Je suis partisan de mettre l'économie dans sa sphère - les règles du jeu - : on ne mélange pas les genres. Ce n'est pas moi qui ait défendu un système dit d'économie mixte où on mélangeait par nature les affaires et la politique. A chaque fois que vous mélangez les affaires et la politique, cela conduit toujours à l'affairisme."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 14 décembre 2000)