Interview de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, à RTL le 15 novembre 2000, sur la préparation d'un plan d'aide à la filière bovine et le stockage des farines animales.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle Après l'annonce du plan du Gouvernement, les éleveurs disent : "et nous" ?
- "Et eux ? Ils savent que nous travaillons depuis plusieurs jours à un plan de soutien à l'ensemble de la filière, qui concernera les éleveurs bovins ,bien sûr, mais aussi les aviculteurs qui sont touchés assez directement par l'interdiction des farines animales. Mais aussi pour les entreprises en aval - les abattoirs, les transformateurs - qui sont peut-être encore plus touchées à l'heure qu'il est. Ils le savent, parce qu'hier, j'ai réuni un Conseil supérieur d'orientation, j'ai présenté les grandes lignes d'un plan de soutien à la filière qui sera annoncé dans les prochains jours. Le Premier ministre a souhaité rencontrer les organisations professionnelles agricoles - cela commence aujourd'hui. Nous sommes donc en train de travailler sur ce plan qui sera rendu public avant la fin de la semaine."
Mais à quelle hauteur ? Combien de milliards ?
- "Je sais bien que chez certaines organisations professionnelles agricoles, on n'est sérieux que lorsqu'on a affiché un certain nombre de milliards. Permettez-moi simplement de dire que nous travaillons sur ce sujet, que le plan sera, à certains égards, assez comparable à ce qui avait été en 1996 au moment de la précédente crise de l'ESB. Il couvrira l'ensemble des problèmes et mettra - comme l'a dit hier le Premier ministre dans sa conférence de presse - "des moyens importants.""
Sentez-vous l'urgence d'agir ?
- "Oui, je la sens. Chez les éleveurs, le problème est un petit peu différent, parce que sachant que le marché s'effondre, ils gardent leurs bêtes et ne les mènent plus à l'abattoir ; les marchés sont donc un peu arrêtés. Par contre, dans les abattoirs, il y a du chômage technique ; dans les industries de transformation, il n'y a plus d'approvisionnement... Donc, les filières de production sont arrêtées : il faut aider ces entreprises à passer ce mauvais cap, et il y a effectivement urgence."
Les éleveurs vous diront que quand ils gardent leurs bêtes, ils n'ont pas les rentrées financières qu'ils attendaient.
- "C'est vrai, mais c'est plus un problème de trésorerie qu'un problème de baisse de revenu. Mais il faut aussi les aider, bien entendu."
On va continuer à produire les farines : pourquoi ? Et où va-t-on les stocker pour éviter la pollution des sols et des rivières ?
- "On ne va pas continuer à les produire ! Les farines sont des transformations de déchets. On va continuer à avoir ces déchets de viande et d'os de bovins sous ces formes de tas de farine qu'il va falloir traiter, parce que c'est sous la forme de farine qu'ils brûlent le mieux. Ce ne sera donc plus une production en vue d'une utilisation pour l'alimentation animale, mais une production moins rigoureuse en vue d'un stockage et d'une incinération."
Quel stockage pour éviter la pollution des sols et des rivières ?
- "C'est un très gros problème qui nous est posé, sur lequel nous avons travaillé pendant plusieurs semaines. C'est pour cela que ça a pris un peu de temps, notamment parce qu'il fallait trouver des capacités de stockage. On va se trouver grosso modo avec un peu moins d'un million de tonnes de déchets supplémentaires à traiter."
Avez-vous trouvé ces capacités de stockage ?
- "Nous avons fait un inventaire avec l'aide des différents ministères, à partir des aires de stockage existantes, mais aussi d'autres aires de stockage potentielles - je pense à des sites désaffectés du ministère de la Défense. Il y aura donc une mission qui sera dirigée le préfet J.-P. Proust, qui - à partir d'hier soir - va gérer l'ensemble du problème de ces farines - leur transport, leur stockage, leur incinération - dans des conditions de sécurité maximum pour nos concitoyens."
Allez-vous aider à la création de nouvelles usines d'incinération ? Financièrement, en termes d'allégement fiscaux ?
- "Bien entendu. Ce qu'il faut, c'est augmenter notre capacité de stockage et d'incinération pour faire face à cet afflux de déchets."
Dans quels délais ?
- "On a déjà des capacités de stockage et d'incinération qui nous permettent tout de suite de faire face à cette montée en régime. Dans le plan annoncé hier par L. Jospin, il y a un horizon de 2001 pour avoir, et des capacités de stockage supplémentaires et des capacités d'incinération supplémentaires."
Sur la consommation de la viande elle-même, j'ai entendu hier un député de l'opposition qui posait la question suivante : "faut-il interdire la viande de boeuf dans les cantines scolaires ?"
- "Non, très sincèrement. Hier en même temps que le Premier ministre annonçait ce plan en sept volets, donc un plan de grande envergure pour assurer, compléter et renforcer la sécurité sanitaire des aliments face à ce fléau de l'ESB, il était fait référence à un avis de l'Agence française de la sécurité sanitaire des aliments qui dit que dans l'état actuel des connaissances, il n'y aucune espèce de risque à manger de la viande rouge, ni évidemment à boire du lait, par exemple. C'est un avis qui a été répété hier par les scientifiques de l'Afssa. Donc aujourd'hui, face à cette peur collective qu'il ne faut surtout pas mésestimer ou mépriser, je pense qu'il faut revenir un peu d raison et dire : face à cette peur, ce n'est pas l'interdiction de la viande qui est la bonne solution, ce sont des exigences supplémentaires sur la transparence et la traçabilité de cette viande. Je pense que dans les cantines scolaires, peut-être que trop de parents d'élèves, trop de gestionnaires, trop d'élus - qui jusqu'à maintenant ne se souciaient pas de la qualité de la viande, ni de son origine ni de la manière dont elle avait été produite -, il serait bien que tous ceux-ci se montrent exigeants dans le sens d'une consommation citoyenne, en étant très exigeants sur leurs fournisseurs."
Autre question relative à la distorsion de concurrence : pourquoi ne pas interdire par exemple l'importation de viande en provenance de pays où des contrôles analogues à ceux qui sont pratiqués en France n'ont pas lieu ?
- "Ce sera le cas pour les farines animales. C'est-à-dire que nous prenons une mesure d'interdiction des farines animales en France, ce qui veut dire que l'on va prendre une mesure d'interdiction à l'importation. Mais pour ce qui concerne les viandes d'animaux nourris à l'extérieur..."
Ils peuvent être nourris avec des farines animales.
- "Exactement. D'où deux démarches : la première est effectivement, dès la semaine prochaine, de monter à l'assaut à Bruxelles pour essayer de convaincre le Conseil Agriculture que les mesures que nous avons prises et qui ne concernent pas que uniquement les farines animales - je sais bien que le débat s'est beaucoup focalisé là-dessus - mais d'une certaine manière, les autres points évoqués par L. Jospin hier dans son plan sont presque plus importants en termes de santé publique que les farines animales. Il faut donc obtenir en Europe une harmonisation par le haut, sur la base des propositions françaises qui sont - tout le monde le sait - très en avance par rapport à l'ensemble des pays européens. Il faut qu'on monte cette réglementation européenne par le haut pour qu'on ait cette harmonisation."
Cela va être dur.
- "Cela va être dur, - cela fait un peu plus de deux ans que je suis dans Conseil Agriculture - mais la France est suivie avec retard, mais systématiquement suivie. Parce que les autres pays face à leurs consommateurs et à leurs concitoyens sont aussi interpellés en ce moment. Qu'est-ce qui se passe en Italie, par exemple, où des consommateurs disent : mais pourquoi ils prennent ces mesures et pas vous en Italie ? Et les Italiens y viennent et commencent aussi à parler d'interdiction de farines animales. Il faut cette harmonisation et le deuxième volet, c'est qu'il faut de l'information ; en particulier sur les porcs et les volailles qui pourraient continuer à être produits avec les farines animales en Allemagne, par exemple, qu'on marque sur les viandes qui viennent d'Allemagne "importée d'Allemagne" et que le consommateur sache que cette viande-là est nourrie avec des farines animales."
La production de protéines végétales en Europe. La France va le faire malgré les accords internationaux ?
- "C'est-à-dire qu'on a des possibilités de monter notre production en France, à ce stade. Et je compte bien agir en trois points : premièrement, développer des productions d'oléoprotéagineux en France - nous avons un plan de soja de pays et un plan tournesol. Il faut monter en puissance. On a les moyens de monter en franco-français les productions d'oléoprotéagieux. Deuxièmement, il faut là aussi venir à Bruxelles sur une modification de la PAC, des accords de Berlin, parce qu'en 1999 aux accords de Berlin, la France a dénoncé les mesures de restriction prises sur les productions oléoprotéagineux. Je me suis battu jusqu'au bout. J'avais obtenu à la dernière minute un rendez-vous en 2002. Il faut l'anticiper. Quant aux importations qui seront nécessaires, je ne vois pas du tout de fatalité à ce que ce soient des importations de soja OGM. On peut importer du soja non OGM. Il y a des possibilités sur le marché international."
Divergences au sein du Gouvernement ? On dit que c'est vous qui avez ralenti la prise de décision alors que L. Fabius disait qu'il fallait accélérer en disant "attention à ne pas répéter l'erreur du sang contaminé !"?
- "Je ne sais pas d'où sort cette information. J'ai été le premier ministre de l'Agriculture de l'Union européenne, il y a près de deux ans, à dire qu'il me semblait qu'il fallait aller vers l'interdiction des farines animales. Je suis très soulagé de cette décision d'hier, car c'était mon cap depuis longtemps. Je ne vois pas en quoi j'aurai freiné la décision du Gouvernement. Simplement, je me suis inscrit dans la logique du Premier ministre de faire les chose tranquillement, sérieusement, en leur temps, méthodiquement. Le plan qui a été révélé hier montre bien que cela ne pouvait pas se faire d'un coup de baguette magique."
Les commentateurs disent ce matin que Chirac comprend l'opinion et Jospin a beau dire qu'il faut savoir écouter l'opinion, qu'il reste fidèle à sa raison et ne voit pas ce qui se passe ?
- "La différence entre les deux ne se situe pas exactement dans ces termes. Le Président de la République peut se contenter de parler alors que le Premier ministre, lui, il faut qu'il fasse. C'est une différence essentielle. Quand on est au Gouvernement, on ne peut pas se contenter du gouvernement de la parole. Il faut parler, certes, mais il faut faire aussi. Le plan qui a été révélé, hier, je le répète, est un plan sérieux, complet."
J. Chirac a marqué un point dans l'opinion ?
- "Je n'en suis pas sûr. La vie est longue. Surfer sur l'opinion, c'est peut-être marquer un point à court terme, mais dans le long terme il faudra assurer devant l'opinion que c'était exactement cela, ce que l'opinion attend d'un chef d'Etat."
"Démagogue", aurait dit L. Jospin en parlant du Président de la République ?
- "Je ne sais pas s'il a employé ce mot-là. Je ne sais si c'est "l'amour vache", comme vous le disiez. Je crois que ce n'est ni l'amour ni vache. Cette cohabitation est une cohabitation que vous connaissez très bien, où deux hommes sont différents, porteurs de politiques différentes et qui essayent de gérer les intérêts du pays au mieux de l'intérêt général, chacun ayant une conception particulière de l'intérêt général. On le voit bien, y compris dans la gestion de cette crise."
(Source http :sig.premier-ministre.gouv.fr, le 15 novembre 2000)