Interviews de Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat au droits des femmes et à la formation professionnelle, à France 2 et dans "Le Parisien", le 28 novembre 2000, sur le travail de nuit des femmes, notamment le vote d'un amendement gouvernemental à l'Assemblée nationale.

Prononcé le

Média : France 2 - Le Parisien - Télévision

Texte intégral

F. David - Une longue journée s'annonce pour vous, qui se terminera très tard cette nuit, puisqu'on va aborder une nouvelle fois, à l'Assemblée, le problème du travail de nuit pour les femmes. Le Gouvernement s'apprête à l'autoriser. Pourtant, j'ai retrouvé une déclaration de vous, qui date du 3 octobre dernier, où vous disiez que "le travail de nuit n'est pas un progrès social." Avez-vous changé d'avis ?
- "Pas du tout, je le maintiens. Le travail de nuit n'est pas un progrès social, ni pour les hommes, ni pour les femmes. Mais il existe. La vérité, c'est 3 millions de salariés, dont près de 800 000 femmes, qui travaillent de nuit. Ce que j'ai remarqué, c'est que pour le Code du travail, le travail de nuit est non-sujet, il n'existe pas aujourd'hui une définition claire de ce qu'est le travailleur de nuit."
Il est quand même un peu encadré ?
- "Très peu. Le but du Gouvernement est donc, justement, de mettre en place des mesures qui permettent de beaucoup mieux protéger le travailleur de nuit, de faire en sorte que la loi reconnaisse des nécessaires garanties, des contreparties, sous forme de repos compensateurs, sous forme de salaires. Bien définir aussi ce qu'est une durée maximale, hebdomadaire du travail de nuit. Prendre aussi en compte, ce qui n'est pas du tout aujourd'hui le cas, la dimension nécessaire entre l'articulation de sa vie familiale - que l'on soit homme ou femme - et de sa vie professionnelle. Est-ce que, par exemple, les chefs d'entreprise qui souhaitent introduire ..."
Le travail de nuit arrange certaines femmes ou certains hommes d'ailleurs...
- "Cela les arrange, mais comme je travaille avec eux, ils reconnaissent qu'ils ont besoin d'une excellence dans leur production. Ils redoutent les accidents de travail qui sont évidemment beaucoup plus nombreux la nuit que le jour."
Vous le dites vous-même : c'est fatigant, c'est dangereux, c'est usant, on sait que pour un travail posté vingt ans, on perd sept ans d'espérance de vie."
- "Tout cela est vrai."
Alors pourquoi ne pas plutôt - comme vous le demandent certains syndicats et certains partis politiques notamment à gauche d'ailleurs - interdire le travail de nuit pour tout le monde, les hommes et les femmes ? Ce serait une mesure égalitaire de plus ? Et puis effectivement, concevoir après des petites dérogations ? Pourquoi l'autoriser ?
- "Reconnaissez avec moi qu'il n'est pas possible de rêver à une société où personne ne travaille la nuit. Regardez dans le système de santé : une femme qui vient accoucher soudain la nuit ne va pas se retrouver toute seule. Il faut donc voir la réalité de ce que sont aujourd'hui les besoins de notre société. Je ne sous-estime pas l'affichage politique. Nous, nous disons : "il ne faut surtout pas banaliser le travail de nuit." Il faut donner aux salariés de vraies garanties, de vraies contreparties, les mettre dans la loi, ce qui n'existe pas aujourd'hui. Nous parlons de "travail exceptionnel" et d'autre part, de "travail interdit", pour lequel nous pourrions faire toute une liste de dérogations. Au-delà de l'affichage - et j'en tiens compte -, nous avons un objectif commun : mieux protéger le travailleur de nuit, que ce soit un homme ou une femme."
Cela provoque quand même un tollé, vous êtes bien d'accord ? Vos partenaires sont souvent les syndicats. La CFDT est pour l'égalité, la CGT dit que c'est nuisible, FO parle de régression sociale, la CFTC est contre aussi, le Parti communiste à l'Assemblée va voter contre ce texte. On ne sait même pas si les Verts et si vos autres partenaires de la majorité plurielle vont l'adopter. Peut-être ce texte ne passera même pas. Pourquoi ne pas essayer de trouver un terrain commun ?
- "Il existe ce terrain commun : ce sont les objectifs fixés. Tout le monde est d'accord pour les garanties, pour les contreparties, que j'ai rapidement évoquées. Le reste est une question de symbolique, d'affichage. Disons-nous que le travail doit rester exceptionnel la nuit ; disons-nous qu'il doit être interdit, mais en faisant une liste de dérogations. C'est un choix de signe politique que j'entends bien. Pour moi, l'essentiel, c'est que nous nous mettions d'accord sur de fortes garanties, de fortes contreparties, pour les hommes comme pour les femmes, qui travaillent de nuit."
Si ce texte n'est pas adopté cette nuit, ce qui sera peut-être le cas, des décisions seront à prendre dans la journée pour certains de vos
partenaires...
- "Franchement, je le regretterais pour les 3 millions de salariés. Car certains d'entre eux, grâce à des conventions collectives, des accords, ont déjà de véritables protections. D'autres n'ont pas de protection et connaissent des conditions de travail que je trouve indignes. Continuons donc vraiment à réfléchir, on a encore quelques heures pour se mettre d'accord, obtenir une majorité. Le but étant vraiment de protéger le travailleur de nuit."
Cet amendement - puisque ce sera un amendement gouvernemental - s'inscrit dans un texte plus vaste qui concerne l'égalité professionnelle entre hommes et femmes. On sait qu'il existe maintenant des discriminations politiques. Est-ce si difficile que cela ? Au plan politique, on a l'impression d'avoir fait des progrès...
- "Un grand pas."
Oui, avec la parité. Au niveau de l'entreprise, est-ce toujours aussi difficile pour les femmes ?
- "Je regarde les chiffres : 17 ans après une loi qu'on appelle la loi Roudy, de 1983, malheureusement les statistiques ont très peu bougé. Un petit plus de temps permettrait de regarder cela secteur par secteur. Mais que ce soit dans la fonction publique, que ce soit dans le monde privé, il y a toujours aussi peu de femmes dans les postes de décisions. Je me suis engagée à rendre cette loi de 1983 plus contraignante afin, peut-être, que les choses bougent. Aujourd'hui, il y a une volonté réelle chez les partenaires sociaux d'aller de l'avant. Ils considèrent qu'encore 20 % d'écart entre les salaires des hommes et les salaires des femmes en l'an 2000, vraiment, est une chose qu'on ne peut plus accepter."
Vous parlez aussi du patronat dans ces cas-là : qu'est-il prêt à mettre en avant ? Car c'est quand même lui qui embauche ?
- "Je lance d'abord un appel aux syndicats car c'est quand même eux qui, dans notre société, doivent défendre avant tout les droits des salariés et des salariées. Je sens aujourd'hui une volonté de se ressaisir de cette loi et de faire en sorte que l'on aille vraiment vers une égalité professionnelle."

(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 28 novembre 2000)