Texte intégral
Monsieur le Maire,
Messieurs les Préfets,
Monsieur le Ministre, Président du Conseil général de la Haute-Loire,
Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Président du SIVOM Vivarais-Lignon,
Monsieur le Ministre, Maire de Saint-Agrève,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Cet après-midi, comme vous le savez, sans quitter le plateau Vivarais-Lignon ni par conséquent le territoire du SIVOM, je franchirai cependant la frontière entre les départements de la Haute-Loire et de l'Ardèche et entre les régions Auvergne et Rhône-Alpes, pour me rendre à Saint-Agrève afin d'assister à la signature de la première convention " pays-lecture " jamais signée en France et à la présentation de la publication d'un superbe numéro de la collection Images du patrimoine consacré aux cantons de Tence et de Saint-Agrève.
J'aurai alors l'occasion de revenir plus longuement sur la genèse de ces projets. Tout en m'efforçant de ne pas anticiper sur mon propos rhônalpin, je dois cependant en dire ici quelques mots, tant cette belle aventure, placée sous le signe du patrimoine, de l'intercommunalité et de la défense et illustration des valeurs républicaines me paraît exemplaire et rejoint quelques-unes des priorités les plus urgentes de l'action que je m'efforce de conduire.
Votre SIVOM présente en effet quelques caractéristiques peu banales. Le fait qu'il soit interdépartemental et interrégional est intéressant mais s'explique sans doute par des raisons historiques ; cela vous donne, monsieur le Président, le privilège - dont je suis sûr que vous êtes conscient -, d'apposer votre signature à côté de celles de deux préfets, au bas d'une convention préparée avec le concours de deux directions régionales des affaires culturelles
Mais que ce SIVOM ait choisi la culture comme l'une de ses compétences principales, à l'heure où tant d'agglomérations parfois importantes hésitent avant de franchir le pas, témoigne d'une maturité peu commune et pour tout dire d'une capacité rare à aller à l'essentiel. J'ajouterais même volontiers : à l'essentiel de l'essentiel, puisque dans le domaine de la culture, vous avez choisi d'unir vos forces pour les mettre au service du livre et de la lecture, d'une part, c'est-à-dire du premier de tous les apprentissages culturels, celui sans lequel presque rien n'est possible, et du patrimoine d'autre part, c'est-à-dire de votre identité dans ce qu'elle a de plus authentique - du moins lorsque, comme vous, l'on se fait une conception ouverte, généreuse et inventive du patrimoine.
Dire cela au Chambon-sur-Lignon : que le patrimoine, c'est le contraire d'un repli frileux sur soi-même, d'une défense crispée d'on ne sait quelle pureté originelle ; que c'est au contraire le mouvement qui nous entraîne, par fidélité à nos valeurs les plus profondes, vers l'autre, l'étranger, celui dont les différences vont nous révéler à nous-mêmes tout en nous permettant de nous ouvrir à la richesse infinie des êtres ; oui, dire cela ici, c'est peut-être inutile pour vous qui l'entendez, mais cela n'est pas neutre pour celui qui parle et qui sait qu'il n'est pas beaucoup d'endroits au monde où ces mots si galvaudés de courage, de générosité, d'ouverture, ne s'évaporent pas comme une vaine buée aussitôt qu'on les prononce mais s'élèvent au contraire dans les airs avec la légèreté de l'évidence et comme s'ils entraient en harmonie avec le paysage qui nous entoure.
J'ai dit " le Chambon-sur-Lignon ". C'est un cri du cur, monsieur le Maire, que vous voudrez bien me pardonner : je sais en effet que la modestie des habitants de votre commune répugne à une personnalisation excessive de leur attitude pendant les années noires de l'Occupation. Non seulement ils considèrent n'avoir fait que leur devoir, mais encore, si on leur parle du Chambon-sur-Lignon, ils corrigent aussitôt et vous expliquent que la tradition d'accueil des réfugiés existait, existe toujours, dans toutes les communes du Plateau Vivarais-Lignon. A notre époque de guerre médiatique à outrance, où chacun se hausse du col pour retenir l'attention, tant de discrétion, tant de dignité surprennent et on se souvient encore avec émotion, dans les services des DRAC d'Auvergne et de Rhône-Alpes, de l'avertissement que vous avez tenu à faire figurer dès le préambule de l'avant-projet de ce qui s'appelait alors, en 1997, " Centre international Charles-Guillon - résistance, accueil, tolérance sur le plateau Vivarais-Lignon " : " il ne s'agit nullement de glorifier un passé exemplaire, mais bien d'utiliser les leçons de l'Histoire pour mieux comprendre, faire comprendre et contrecarrer les menaces qui pèsent aujourd'hui à nos portes et dans le monde ".
" S'appuyer sur les faits marquants de l'Histoire récente du Plateau Vivarais-Lignon, en particulier l'accueil des réfugiés pendant la période 1939-1945, pour porter un regard plus citoyen sur le temps présent ", telle était l'ambition qui vous guidait alors et, après de nombreuses réunions et quelques études de faisabilité, c'est elle toujours qui vous anime dans votre désir de créer un lieu propice à la réflexion et à la formation sur l'identité, la tolérance, la résistance et l'accueil. Un lieu qui sera intimement lié à l'histoire du Plateau, depuis le XVIe siècle et l'apparition de la Réforme jusqu'à nos jours.
En effet, ce sont des siècles de militantisme et d'attention portée à l'éducation populaire ou à l'internationalisme, des siècles aussi de résistance à l'oppression sur la " Montagne " et de lutte pour la liberté de conscience, qui expliquent l'inexplicable, pour ne pas dire le miraculeux : je veux dire le fait que tant de résistants, de réfractaires, de juifs aient pu être accueillis sur le Plateau et soient repartis sains et saufs alors qu'il aurait suffi d'une seule indiscrétion - comme on l'a vu hélas si souvent à travers le pays tout entier - pour que le sort de tous ces hommes, de toutes ces femmes, de tous ces enfants fût scellé. Et cette culture de la résistance ne s'est pas éteinte ici avec la fin de la guerre, comme on l'a vu par exemple avec le soutien à l'objection de conscience pendant la guerre d'Algérie. Un lieu enfin où le public jeune sera prioritaire : jeunes du Plateau, bien sûr, venus se réapproprier un patrimoine précieux entre tous, fondateur d'une identité dont ils peuvent légitimement être fiers et qu'il s'agit aussi de faire fructifier demain ; mais aussi jeunes venus de France et de l'étranger pour participer à ce que vous appelez superbement des " classes citoyennes ".
C'est pourquoi ce lieu, hanté par l'histoire, n'en sera pas moins attentif à toutes les formes modernes de l'injustice, du racisme ou de l'exclusion. J'étais avant-hier à Ferney-Voltaire, dans l'Ain, où un centre culturel de rencontre vient d'ouvrir à l'enseigne de l'Auberge de l'Europe : il accueillera notamment des artistes persécutés pour leurs opinions. Je sais que des contacts existent déjà entre vous, ainsi qu'avec la Maison d'Izieu qui abrite le Mémorial des enfants juifs exterminés ou avec de nombreux musées de la Résistance et de la Déportation : ce réseau des lieux de mémoire et de lutte en faveur des droits de l'homme, réseau très dense et dynamique dans cette interrégion, s'enrichira donc avec vous d'un nouveau membre et de cela aussi je me réjouis.
Parce qu'il sera le plus bel emblème de l'identité du Plateau, ce lieu sera très logiquement un des pôles forts du pays d'art et d'histoire que vous ambitionnez de créer et dont les services du ministère de la Culture suivent la gestation avec un très vif intérêt. De même, mes services soutiendront la candidature du centre et de son " cybermusée " au label " espace culture multimédia ".
Je sais également que la démarche que vous entreprenez se veut rigoureuse et scientifique, ce dont je vous félicite. C'est pourquoi je souhaite que le projet continue d'être suivi avec toute l'attention qu'il mérite par les conseillers pour les musées des DRAC d'Auvergne et de Rhône-Alpes, car la qualité du programme scientifique et de la scénographie sera le gage du succès de cet équipement culturel. S'agira-t-il pour autant d'un musée, au sens technique du mot ? Vous le souhaitez, et même si cela ne m'apparaît pas comme une condition nécessaire à la réussite de votre projet, il va de soi que nos services examineront le moment venu votre demande, à la lumière de la qualité des collections que vous serez parvenus à rassembler.
En signant aux côtés des collectivités territoriales la convention cadre 2000-2002, qui vaut préfiguration du Centre du Plateau Vivarais-Lignon pour l'accueil et les résistances, l'Etat s'engage à participer au comité de pilotage et au comité scientifique et à cofinancer les travaux scientifiques et les études nécessaires ainsi que les actions de préfiguration. Je forme ici le voeu solennel qu'à la fin de cette période, nous soyons en mesure de passer ensemble à la mise en oeuvre du projet définitif. Pour la République, et dût votre modestie une nouvelle fois en souffrir, il s'agit là d'une dette d'honneur. Mais pour nous tous, il s'agit de la défense de nos valeurs les plus hautes. Parlant des vertus de la commémoration, Victor Hugo observait : " quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates comme on allume des flambeaux "
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 19 décembre 2000)