Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la mise en oeuvre des Droits de l'homme, notamment par la récompense d'actions en faveur des Droits de l'homme, Paris le 10 décembre 1998.

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Circonstance : Remise du prix des Droits de l'homme à Paris le 10 décembre 1998

Texte intégral

Monsieur le Vice-Président,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Excellences,
Monsieur le Président de la Commission Consultative des Droits de l'Homme,
Mesdames, Messieurs,
La remise du prix des droits de l'Homme qui nous réunit aujourd'hui est pour moi un rendez-vous important. C'est l'occasion de vous manifester à nouveau tout l'intérêt que le Gouvernement attache à vos travaux et de vous renouveler ses encouragements pour votre action. Il y a cinquante ans, jour pour jour, la Déclaration universelle des droits de l'Homme était adoptée, à Paris. La commémoration de cet anniversaire confère cette année à notre rencontre une portée particulière -celle de la mémoire, qui irrigue notre combat au présent. Lors de la réunion de clôture du colloque de Paris, il y a deux jours, j'ai tenu à souligner l'importance de la contribution de la société civile à ce combat toujours renouvelé pour les droits de l'Homme. Aujourd'hui, avant de remettre les récompenses décernées par l'Etat à des acteurs des droits de l'Homme, je voudrais vous faire partager deux convictions.
I. Le combat pour le respect des droits de l'Homme fait de la vigilance une responsabilité partagée par l'Etat et la société civile.
D'abord parce que le monde change. Des progrès s'accomplissent : les nouvelles technologies et les sciences de la vie élargissent les possibilités qui s'offrent à l'homme. Mais elles suscitent aussi de nouveaux dangers pour les droits fondamentaux. Elles doivent par conséquent mobiliser une attention accrue.
Nous devons aussi regretter des régressions. La pauvreté et l'exclusion s'étendent et s'enracinent. Des discours de haine et d'intolérance se font entendre. Leur influence insidieuse sur la pensée nous invite tous à approfondir l'examen des consciences et à rester sur nos gardes.
Au côté de l'Etat, des instances indépendantes sont les plus aptes à assumer cette fonction de veille. La Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme, rattachée fonctionnellement aux services du Premier ministre, mais indépendante dans les avis qu'elle émet, est un lieu utile de rencontre entre la société civile et le Gouvernement. L'échange qui s'y déroule entre les associations et les administrations comme le travail qui s'y accomplit sont fructueux.
Ce travail est d'ailleurs reconnu à travers le monde. Plusieurs pays ont décidé de créer des instances semblables ou envisagent de le faire. Votre commission oeuvre pour la promotion de ce modèle. Le séminaire international des institutions nationales qui s'est tenu la semaine dernière à Paris en témoigne.
Qu'il me soit donc permis de rendre un hommage collectif au travail considérable et quotidien que vous accomplissez de façon bénévole. Je souhaite aussi rendre un hommage particulier à votre président, Jean KAHN, qui, malgré les problèmes de santé qui l'affectent, poursuit avec énergie, constance et conviction, un idéal d'humanité. Et qui nous fait l'amitié d'être avec nous ce matin.
Mais un Etat ne peut véritablement défendre les droits fondamentaux de la personne sans soutenir ceux et celles, associations et individus, qui oeuvrent pour la promotion et la protection de ces droits.
II. Il lui revient en particulier de favoriser l'éveil des consciences et d'encourager l'action collective.
Eveiller les consciences, transmettre aux générations futures la culture des droits de l'Homme : telle est la première mission de l'Etat. L'année qui s'achève a été riche en commémorations. Outre celle de la déclaration de 1948, nous avons célébré le cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage et le quatre centième anniversaire de l'édit de Nantes. Ces cérémonies ont rappelé la profondeur de l'enracinement historique des valeurs des droits de l'Homme dans notre pays. Elles ont été aussi l'occasion de diffuser auprès des jeunes générations cette culture des droits fondamentaux de la personne humaine.
Préparer la " relève " des droits de l'Homme, c'est faire en sorte que le droit à l'éducation serve l'affirmation de tous les autres droits. L'éducation à la citoyenneté et à la morale civique est une responsabilité primordiale de l'école. Faire visiter à des écoliers les anciens camps de concentration, faire lire les livres de Primo LEVI ou de Robert ANTELME, sont les meilleures réponses aux discours de haine et d'exclusion. Récompenser la mobilisation autour de cette cause des élèves, écoliers, collégiens et lycéens sert le même but.
Pour la première fois aujourd'hui, en même temps que le Prix des droits de l'homme, seront remises les médailles René CASSIN. Elles portent le nom d'un homme dont le rôle, chacun le sait, a été fondamental dans la rédaction et l'adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Ces médailles attribuées par l'Education Nationale sont destinées à récompenser des projets relatifs aux droits de l'homme menés à bien dans des établissements scolaires par des classes d'élèves de tous âges.
Je suis donc particulièrement heureux d'accueillir dans cet Hôtel de Matignon où le Gouvernement travaille, les jeunes de LA MENITRE, de LIFFRÉ, de CHAUMONT et de VITROLLES, et de récompenser par cette médaille, décernée au nom de la République, leur mobilisation contre la haine et l'exclusion, pour la tolérance et la paix, -source d'espoir et de confiance en l'avenir. Je vous souhaite de toujours garder votre enthousiasme et votre intransigeance : ils vous seront indispensables pour prendre un jour la relève de quelques grands témoins ici présents.
Encourager l'action collective en faveur des droits de l'Homme, c'est récompenser ses succès. Chaque année, depuis sa création par Laurent FABIUS, votre commission est chargée d'attribuer le Prix des droits de l'Homme de la République française, doté par le Premier ministre, à des lauréats - personnes ou associations - distingués pour " des actions de terrain ou des projets portant sur la protection et la promotion des Droits de l'Homme dans l'esprit de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme ".
Sans les militants des droits de l'Homme qui portent la parole de ceux qui en sont privés, qui permettent à ceux qui en sont exclus d'accéder à la connaissance et à l'exercice de leurs droits fondamentaux, l'universalité des droits resterait lettre morte. C'est pourquoi je veux saluer votre initiative, Monsieur le Président, de décerner, au nom de la commission, des " prix des défenseurs des droits de l'Homme ". Vous les aiderez ainsi à faire entendre plus loin et plus fort le message de 1948.
Protéger des communautés victimes de guerre civile, prévenir les atteintes sexuelles aux jeunes enfants, dispenser les formations aux droits de l'homme, protéger leurs défenseurs, aider à la réinsertion de populations jeunes traumatisées par des conflits armés, lutter contre la discrimination raciale et sexuelle : toutes ces actions porteuses d'espoir et de paix sont aujourd'hui récompensées. Elles expriment avec force la permanence des principes consacrés par la Déclaration Universelle.
Mesdames, Messieurs, je tiens à exprimer à chacune et à chacun d'entre vous notre reconnaissance pour la constance de votre engagement, pour l'opiniâtreté de votre combat au service des droits de la personne humaine. Cette " personne humaine " n'est pas abstraite, mais s'incarne dans ces hommes et ces femmes, victimes d'une oppression bien concrète, auxquelles vous apportez une aide irremplaçable.
C'est en ayant une pensée fraternelle pour ces femmes et ces hommes que je veux achever mon propos.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 29 mai 2001)