Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur les emplois du développement durable, notamment la situation du programme "Nouveaux services" dans les domaines de l'environnement et de l'aménagement du territoire, Paris le 15 décembre 1998.

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Intervenant(s) : 
  • Dominique Voynet - Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement

Circonstance : Colloque "Emploi et développement durable" à l'Assemblée nationale le 15 décembre 1998

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,


Votre colloque me donne l'occasion de faire le point sur la situation du programme "Nouveaux Services" dans les domaines correspondant à ma compétence ministérielle, un an et demi à peine après le lancement de ce programme.
Je profiterai aussi de l'occasion pour vous dire quelques mots sur la vision que j'ai de la relation entre développement durable et emploi, d'une manière plus générale.
S'agissant du programme " Nouveaux Services " dans les domaines de l'aménagement du territoire et de l'environnement, je crois pouvoir dire, sans triomphalisme, que les choses sont plutôt bien engagées.
Bien sûr, les chiffres ne prouvent pas en eux-mêmes la qualité. Mais nous avons quand même atteint les 8 500 jeunes en poste, soit, comme cela était prévu, un emploi sur sept (hors dispositifs Education Nationale et Police). Mille nouveaux arrivent chaque mois environ.
Cela témoigne de la mobilisation positive des différents intervenants sur le terrain. Cela confirme l'intuition de départ selon laquelle un coup de pouce financier de l'Etat peut débloquer l'initiative, en accompagnant la prise de risque.
J'ai employé l'expression " coup de pouce ", mais si vous calculez bien, vous verrez que l'incitation financière globale de l'Etat pour l'emploi des jeunes dans ces secteurs aura avoisiné les 700 millions de francs en 1998, et qu'il fera plus que doubler l'an prochain.
Pour les mois qui viennent, il y aura peut être un ralentissement du rythme de création, mais des opérateurs de poids comme les Agences de l'eau ou Eco-emballage viennent de s'engager avec des moyens assez importants. L'Ademe devrait en principe également déployer quelques efforts.
Nous confirmerons donc notre rang et resterons parmi les secteurs les plus porteurs. Depuis l'opération Emploi-Formation-Environnement et les Emplois verts, il est vrai qu'il y a une expérience assez établie sur ces sujets. Les observations faites par les chargés de mission Diren permettent d'affirmer que les projets les plus solides sont souvent issus des organismes qui avaient utilisé les dispositifs antérieurs.
Dans tout cela, quelques secteurs sont en pointe : l'entretien des espaces naturels, l'éducation à l'environnement, les éco-conseillers, par exemple en matière d'agriculture durable, les agents de développement local. Quelques autres sont en retrait : la gestion des pollutions, celle des déchets, mis à part les " ambassadeurs du tri ".
D'une façon plus générale, l'environnement en grande ville et en banlieue paraît manquer d'opérateurs et de projets, malgré l'apparition ici ou là d'éco-développeurs ou d'animateurs d'Agenda 21.
Nous en venons donc à une deuxième phase, au cours de laquelle nous allons faire un effort particulier de veille qualitative.
Ma préoccupation, vous vous en doutez, est de réunir les conditions d'une pérennisation effective des emplois créés ou à venir.
Je souhaite tout d'abord parvenir à un plus grand équilibre en termes d'employeurs.
La pente naturelle, la plus facile, c'est la municipalisation des emplois. Elle représente aujourd'hui 45 % des postes.
Certains sont d'excellente qualité : ils contribuent à rendre de véritables services ; ils verdissent les équipements, ils écologisent les politiques communales d'habitat ou d'urbanisme ; ils rajeunissent les pyramides démographiques.
On doit alors s'assurer qu'ils vont s'inscrire dans les grilles de qualification, et que les jeunes seront aidés pour accéder aux concours et à la titularisation ultérieure.
D'autres emplois tirent un peu les salaires et les qualifications vers le bas. Ils renvoient davantage à une problématique de public en insertion qu'à une logique " Nouveaux Services ". Ils ont un taux élevé de rotation, et surtout ils sont vulnérables aux aléas des retournements budgétaires pesant sur les communes. Enfin, ils font parfois de l'ombre à une offre existante, en particulier à certaines associations.
Je demande donc sans ambiguïté que les services d'accompagnement et d'instruction rejettent cette seconde catégorie de dossiers, les orientent vers d'autres dispositifs, et s'attachent à la première catégorie, plus prometteuse.
Il m'apparaît ensuite nécessaire de raisonner en termes de réseaux régionaux d'acteurs :
Ce n'est qu'en coordonnant mieux la pratique des uns et des autres qu'on parviendra à limiter les doublons.
Je n'ai pas la manie de la planification ; mais il n'y a pas de raison qu'on ait quinze animateurs d'éducation à l'environnement dans un canton de 5 000 habitants, et zéro agent de développement local en Seine-Saint-Denis, qui compte nettement plus d'un million d'habitants.
J'ai donc invité récemment les Diren à prendre l'initiative de réunions régulières de concertation sur ces sujets, non seulement avec les membres de la galaxie environnement de l'Etat, mais aussi avec les réseaux associatifs concernés.
Dans six régions, en liaison avec les ministère de l'Emploi et de la Solidarité et la Caisse des dépôts, nous allons installer en 1999 un dispositif expérimental de mise en réseau plus systématique, auprès des cellules de professionnalisation. En fonction des résultats, ce dispositif sera généralisé. Nous verrons alors quels acteurs avancent, quels autres stagnent. Nous prendrons la mesure des difficultés rencontrées dans chaque cas en termes d'accueil, d'ingénierie et d'accompagnement.
À cet égard, je formulerais une troisième préoccupation, qui touche à l'expertise :
Dans beaucoup de départements, les organismes d'accompagnement, quels que soient leurs mérites, ne connaissent pas bien les thématiques " développement durable ". Même quand on en est un bon généraliste, ce n'est pas évident de s'y mettre.
Qui plus est, il s'agit de filières montantes, dans lesquelles les professions sont en cours d'organisation : l'expertise n'existe pas toujours sur place.
De ce fait, nous manquons d'un dispositif national de ressource, qui ait plusieurs fonctions : recenser et vérifier les compétences d'expertise, les faire connaître, organiser l'échange et la diffusion des savoirs, y compris avec des moyens de communication modernes, élargir les partenariats.
Je pense, comme le suggérait déjà le rapport Hascoët, à l'implication plus grande, dans le financement de la précaution, de ceux qui versent aujourd'hui des milliards pour la réparation des dégâts naturels ou humains liés à l'environnement.
Je crois savoir que, dès cette semaine, mon cabinet et les services de mon ministère opéreront un premier tour de table pour favoriser les conditions de création d'un tel dispositif.
Ce dispositif national de ressource est évidemment décisif : le problème posé est celui du passage à l'activité économique durable, le mot durable étant employé ici au sens de solidité.
Sur cette question, nous devons nous mettre en situation de jouer la même partition, sur des registres un peu variés.
Le premier de ces registres nous renvoie à la coopération avec les grands groupes industriels privés et avec le secteur public.
Bien sûr, à court terme, on pourrait croire que ces secteurs ne sont pas concernés.
Chacun sait au contraire que, dès maintenant, ils peuvent contribuer localement à aider des projets, en termes de compétences et de financement.
On sait aussi qu'un certain nombre de jeunes poursuivront leur cursus vers ces employeurs.
Dès à présent, les passerelles doivent donc s'établir. Il serait du plus mauvais effet que, comme cela se passe parfois dans le BTP, une espèce de distinction, de division des tâches s'opère entre des grandes puissances d'un côté, et des micro-initiatives éparpillées ou des collectivités locales, les premières disant aux autres : " à nous les gros marchés, la technologie, la valeur ajoutée, l'aval des filières ; à vous la main-d'uvre, les interstices, les marges réduites, la sous-traitance ".
Sur des marchés où les commandes publiques ne sont pas négligeables, une telle partition ne serait ni convenable, ni efficace.
Pour cette raison, il devient assez important de rattraper le retard que nous avons pris sur les deux autres registres, à savoir le soutien aux PME-PMI environnementales, d'une part, et au troisième secteur d'économie sociale ou solidaire, d'autre part.
Lors de la remise récente des trophées France Active, puis à l'occasion du récent congrès du Réseau d'économie alternative et solidaire (RÉAS), j'ai annoncé l'installation de groupes de travail sur chacun de ces deux sujets :
Dans un cas comme dans l'autre, on doit partir non seulement des besoins, mais aussi de l'offre existante, pour examiner ce qui s'oppose à la reproduction des réussites, et construire à partir de là des politiques publiques adaptées.
En effet, nous avons tout intérêt à nous inscrire dans le schéma d'une économie diversifiée, pluridimensionnelle, dans laquelle l'économie classique d'entreprise, le secteur public et le tiers secteur constituent trois facettes de la même durabilité.
J'en profite donc, pour vous faire partager, en conclusion, quelques réflexions sur la relation entre le développement durable et l'emploi. C'est un sujet sur lequel Environnement et Aménagement du Territoire fonctionnent bien ensemble.
Comme vous tous, je lis les journaux, j'allume parfois la télévision ou la radio. Sur le front de l'activité des entreprises, on a entendu des informations contrastées. Elles n'ont bien sûr, en apparence, aucun rapport les unes avec les autres !
Quel rapport pourrait-il bien y avoir entre l'annonce de concentrations gigantesques dans la chimie, la banque, l'assurance et l'aéronautique, et des licenciements dans des entreprises comme SEB, la Seita, la Navale, Weil ou Thomson ? Aucun, bien sûr.
Alors, on dira, comme rituellement, que tout cela illustre la place bien entendu excessive faite à la rentabilité à tout prix, à la spéculation, à la globalisation
On se plaindra du fait que les murs se dégradent dans les relations entre les entreprises et leurs actionnaires, qu'elles ressemblent de plus en plus à un champ de bataille, de raids et de rapines
Mais peut être faut-il encore aller plus loin et revisiter, dans notre représentation du développement, les modèles que nous avons en tête quant à l'organisation de la production et des marchés.

Nous payons aujourd'hui la facture, en termes de chômage et de précarité, des modalités par lesquelles se sont opérées les vagues successives de l'industrialisation dans l'hexagone, à savoir :

  • soit des mono-activités d'accumulation lourde, à fort ancrage régional (la sidérurgie, la navale), flanquées de sous-traitants éparpillés.
  • soit ce qu'Alain Lipietz appelait " la fordisme à la française ", c'est-à-dire l'installation sur des créneaux de moindre qualité que nos concurrents, faisant accéder rapidement les populations à des objets de consommation produits en grande série, maintenant la main-d'uvre dans un état de sous-qualification chronique et de faible capacité à la mobilité.
  • soit enfin, des filières technologiques de très haut de gamme, portées par le colbertisme d'Etat, dévoreuse du capital socialisé, concentrant, à l'opposé, de très hauts niveaux de qualification dans des formes d'organisation productive très hiérarchisées, peu décentralisables.

Si vous examinez l'une, l'autre ou la troisième de ces formes d'accumulation, vous verrez deux choses :

  • le fait qu'elles sont toutes très fortement exposées depuis 20 ans à la concurrence internationale et aux phénomènes de concentration que j'évoquais ;
  • et surtout, le fait que notre " arrière-pays productif ", local ou spécialisé, a été extraordinairement négligé pendant la même période.

Regardez la stagnation du nombre d'entreprises créées ; regardez celles qui ferment parce que les dirigeants ne trouvent pas de successeurs ; comptez celles qui mettent la clef sous la porte non parce qu'elles sont déséquilibrées économiquement, mais parce qu'elles sont financièrement sous-capitalisées.
Nous sommes donc placés devant l'impérieuse nécessité, non seulement de penser l'emploi de demain et d'après-demain, mais encore la transition vers ces nouveaux tissus d'activité, à moins de passer en pertes et profits des dizaines de milliers de femmes et d'hommes.
Tel est le défi de la phase nouvelle dans laquelle entre l'aménagement de notre territoire.
Les emplois du développement durable sont antinomiques avec des professions dominées par des oligopoles, des régions asséchées par des mono-activités, des productions excessivement dépendantes d'un seul marché, des systèmes de commandement et d'organisation trop verticaux et trop hiérarchisés.
À l'inverse, il m'apparaît qu'il y a un rapport étroit entre la qualité écologique de la production, la durabilité des produits, la capacité à limiter le gaspillage ou, comme disent les économistes, " les externalités ", et un autre modèle de diffusion territoriale de l'activité et de la richesse.
Articuler mobilité et sécurité, diversifier les circuits d'accès au travail et à l'emploi, repenser la transférabilité des compétences professionnelles et techniques d'un métier à un autre, jouer sur le temps de travail, de non-travail et de formation, voilà, d'après moi, quelques aspects d'une véritable politique d'emploi placée sous le signe du développement durable.
Cela implique des priorités fortes, dont beaucoup figurent dans le calendrier de travail du gouvernement : une réflexion sur les conditions de l'innovation technologique, l'aide à la création et à la reprise d'entreprises, l'accompagnement des projets dormants, la réforme de la formation professionnelle et, bien sûr, les différents chantiers appelés à venir dès le printemps devant le Parlement : la réforme de la LOADT, la coopération intercommunale, l'action économique des collectivités territoriales
Probablement est-il utile, dans la même direction, d'approfondir la réflexion et l'expérimentation sur ce qui relève de la veille et de l'intelligence économiques : les systèmes productifs locaux, de même que les systèmes en réseau, en sont une intéressante illustration.
Enfin, la prospective introduite il y a quelques années par le Commissariat au Plan sur les nouveaux cadres d'emploi me paraîtrait devoir être relancée, et remise en perspective avec les thématiques du développement durable.
Toutes ces directions décrivent une sorte d'horizon qui guide notre action.
Mais elles nous aident aussi à réfléchir, dès à présent, aux conditions de réussite de notre dispositif " Nouveaux Services ".
Ses enjeux, vous l'aurez perçu, sont très importants.
Ce dispositif peut constituer un point d'appui pour commencer à faire autrement, à repenser l'emploi et les territoires.
Je suis sûre, qu'ensemble, nous avancerons dans cette direction.
Je vous remercie.

(source http://www.environnement.gouv.fr, le 20 septembre 2001)