Déclaration de Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, sur la modernisation de la gestion publique, notamment l'articulation entre les budgets et les comptes, Paris les 13 et 14 novembre 2000.

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Circonstance : Symposium sur la comptabilité des Etats à Paris les 13 et 14 novembre 2000

Texte intégral

Je me réjouis d'accueillir à Bercy des hauts fonctionnaires de près de trente nationalités pour ce symposium, dont la tenue est le fruit d'une excellente coopération entre le secrétariat de l'OCDE et le ministère français de l'économie des finances et de l'industrie.
Cette initiative répond à notre souci d'ouverture aux expériences étrangères, sur des sujets dont la difficulté est bien connue de vous tous. La modernisation de la gestion publique, quand on veut la mettre en uvre concrètement, est une tâche en perpétuel renouvellement, et la mise en commun de nos succès et de nos échecs est précieuse.
Je saisis cette occasion pour rendre hommage aux travaux de l'OCDE qui tirent de la diversité de nos modèles administratifs et politiques les principaux axes d'amélioration du management public.
Les réflexions menées sur l'articulation entre le budget et les comptes ne sont pas nouvelles. Le PUMA y a déjà consacré de nombreux travaux. Mais il me semble que nous sommes maintenant en situation de tirer profit des expériences déjà menées pour mieux mesurer l'intérêt d'outils que les administrations publiques n'avaient pas, jusqu'il y a quelques années, l'habitude de manier.
Ce symposium se tient précisément au moment où nous travaillons à préparer la réforme de la loi organique qui organise la présentation, le vote et l'exécution des lois de finances. L'initiative de cette réforme a été prise par l'Assemblée nationale, à l'époque où Laurent Fabius, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, en était le Président. Les thèmes que vous aborderez lors de ces deux journées sont au cur des discussions actuelles dans mon pays entre le Parlement et le Gouvernement. J'y reviendrai tout à l'heure.
La modernisation de la gestion publique doit permettre de répondre à une triple exigence :
Garantir la soutenabilité des politiques publiques ;
Accroître la performance des politiques publiques et de la gestion des services ;
Rendre plus transparente l'action publique tant à l'égard du Parlement que de l'opinion publique.
C'est dans cette triple perspective qu'il convient de resituer les initiatives françaises prises en matière de modernisation de la gestion publique. C'est également à l'aune de ces critères qu'il convient d'apprécier et de mesurer les évolutions en matière de comptabilité.
Tout d'abord, je voudrais rappeler que la politique de finances publiques française s'inscrit dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance adopté au sommet d'Amsterdam de juin 1997, que l'UE a adopté dans le cadre de la création de la monnaie unique, l'Euro et qui se traduit par la transmission à la Commission européenne d'un programme pluriannuel de finances publiques. C'est un instrument essentiel de maîtrise de la dépense publique. Il implique pour la France un exercice de réduction des déficits publics principalement axé sur la stabilisation des dépenses publiques en volume. Cette discipline favorise l'émergence au sein des ministères de stratégies d'évolution de leurs missions et de leurs moyens. Il s'agit d'accompagner ce mouvement et de mettre en place les outils qui permettent de mettre en uvre efficacement les politiques publiques.
Dans les années récentes, nous avons pris plusieurs initiatives.
- Nous avons rénové les documents budgétaires pour qu'ils ne se résument plus à la simple description des dotations des ministères. A cet égard, le projet de loi de finances pour 2001 a constitué une étape décisive d'une budgétisation orientée vers les résultats, qui s'appuie sur une identification plus claire des acteurs et des programmes publics. C'est ainsi que les quelque 800 enveloppes limitatives que nous appelons chapitres budgétaires sont regroupés en une centaine d'agrégats construits selon une logique d'acteurs et de programmes. Face à chaque agrégat doivent figurer l'estimation de leur coût, les objectifs poursuivis et le niveau de performance atteint sur la base d'un panel d'indicateurs reflétant la performance socio-économique, la qualité de service à l'usager et la qualité de la gestion.
- Nous avons encouragé la mesure de la performance, pour passer progressivement d'une culture de moyens à une culture de résultats. Ce passage est loin d'être évident : il est progressif et s'inscrit dans la durée. L'approche que nous avons retenue est une approche pragmatique, qui s'appuie sur le développement de la contractualisation et du contrôle de gestion ainsi que sur la professionnalisation de certaines fonctions de gestion. Le développement de la contractualisation est un puissant levier potentiel de modernisation dans la mesure où il formalise la responsabilisation des gestionnaires, qui disposent d'une souplesse de gestion et d'une visibilité sur l'évolution pluriannuelle de ses moyens accrues, en contrepartie d'engagement en matière de qualité de service et d'efficacité.
La généralisation du contrôle de gestion est à cet égard essentielle. Une première action a été conduite : l'établissement d'un guide d'auto-évaluation du développement du contrôle de gestion au sein des administrations. La seconde étape réside dans l'utilisation de ce guide pour établir un diagnostic, puis un plan de développement triennal du contrôle de gestion.
- Nous avons structuré de véritables fonctions de gestion. La fonction immobilière a été la première concernée car le parc immobilier est une source de dépenses massives, sans que pour autant nous ayons la certitude que notre patrimoine soit suffisamment entretenu.
- Nous avons veillé à améliorer l'information du Parlement, qualitativement et quantitativement. L'effort a été mis sur l'extension des délais d'examen des projets de lois de finances, sur la simplification de la nomenclature budgétaire et sur la communication des données mensuelles de l'exécution budgétaire. En outre, parallèlement à la communication des données comptables relatives à l'exercice écoulé, le Parlement se voit communiquer des comptes rendus de gestion qui reflètent l'efficacité de la dépense publique sur une structure identique à celle du projet de loi de finances. Cette transmission a été effectuée cette année en même temps que la " loi de règlement " de 1999, qui approuve l'exécution du budget et les comptes de l'année écoulée.
L'ensemble de ces chantiers ont été conduits à cadre juridique constant.
Nous travaillons actuellement pour aller plus loin, dans le cadre de la réforme de la loi organique relative aux lois de finances dont je vous parlais tout à l'heure. Outre le débat qu'elle génère sur l'équilibre institutionnel entre le Parlement et le Gouvernement en matière d'élaboration et de discussion du projet de loi de finances, cette réforme est aussi l'occasion de poser au fond la question de l'articulation entre le budget et les comptes.
- L'autorisation budgétaire serait fondée non plus sur des crédits répartis selon leur nature, en 800 chapitres, mais sur les programmes publics afin d'améliorer la lisibilité de l'allocation budgétaire et de constituer un cadre de reporting adapté à la gestion de la performance. Le nombre de ces programmes n'est pas encore défini, mais il pourrait être de l'ordre de 150.
- A l'intérieur de ces programmes, les crédits seraient fongibles, c'est à dire que les gestionnaires disposeraient de la possibilité d'arbitrer librement entre les différents moyens mis à leur disposition. A titre d'exemple, les possibilités de choisir entre utiliser des moyens internes ou sous traiter seraient accrues.
- Des plans annuels d'objectifs accompagneraient le projet de loi de finances alors que des rapports de performance seraient joints au projet de loi arrêtant les comptes de l'exercice écoulé.
Mme Sophie MAHIEUX, Directrice du Budget, aura l'occasion demain de développer plus amplement l'incidence qu'aura cette réforme sur l'amélioration de la gestion publique.
Quelle doit être la place de la comptabilité dans ce contexte ? Elle ne m'apparaît pas comme une fin en soi, mais comme un outil d'information qui doit être mis au service des finalités que j'ai énoncées au début de mon exposé : soutenabilité des politiques budgétaires, mesure des performances et transparence de la situation financière de l'Etat. Les choix comptables doivent être guidés par ces préceptes, en évitant qu'ils ne soient confisqués par les techniciens.
C'est en grande partie pour satisfaire ces diverses finalités que la France a fait le choix de maintenir son budget en base de caisse et de rendre ses comptes en base d'exercice, à l'instar d'un grand nombre de pays.
J'ai en effet le sentiment que, si l'évolution vers des comptes en base d'exercice est souhaitable, voire nécessaire, le maintien d'un budget en base de caisse présente des avantages certains.
En premier lieu, la logique de la comptabilité d'exercice peut s'avérer peu adaptée à la description des activités de l'Etat à deux titres : sauf marginalement, l'Etat n'a pas vocation à mettre en regard l'utilisation d'actifs et les revenus générés par ces actifs ; il n'a pas non plus vocation à valoriser financièrement un patrimoine investi.
En outre, le suivi de l'exécution du budget en caisse, du moins tel qu'il est pratiqué en France, permet une parfaite maîtrise de la dépense et offre une bonne visibilité de la stratégie des finances publiques. En effet, la dépense fait l'objet d'un enregistrement dès que l'engagement du gestionnaire est validé par le comptable, ce qui permet de garantir le respect des plafonds de dépenses. Par ailleurs, l'engagement du gouvernement français auprès de ses partenaires de l'Euroland au travers d'un programme pluriannuel de finances public est l'assurance d'une stratégie claire des finances publiques.
J'ajouterai que l'information en caisse présente des qualités intrinsèques : fiabilité, coût de production réduit, simplicité à exprimer les priorités gouvernementales, comparabilité d'année en année.
Néanmoins, c'est bien l'enrichissement des comptes de l'Etat qui conditionnera la mise en uvre de nouveaux modes de gestion publique et apportera un éclairage nouveau sur les finances publiques.
Sans m'étendre sur les limites de la comptabilité de caisse, que nous avons ici tous à l'esprit, je mettrai en avant son incapacité à mesurer des coûts et donc de la performance réelle et son insuffisance à éclairer le moyen terme et a fortiori le long terme. Il y a par ailleurs un intérêt réel à produire une information financière qui puisse être aisément compréhensible par les partenaires de l'Etat et qui repose sur une base de conventions communes.
La France s'est engagée dans la mise en uvre de la comptabilité d'exercice. A cet égard, l'année 1999 a constitué une première étape que j'ai d'ailleurs eu l'occasion de détailler lors de la session du Comité du secteur public de l'IFAC qui s'est tenue à Paris au mois d'avril. Je ne le ferai pas ici, d'autant plus que M. Jean-Louis ROUQUETTE, représentant la direction générale de la comptabilité publique, devrait vous faire part tout à l'heure de l'état de ces travaux.
Les points figurant à l'ordre du jour du symposium reflètent parfaitement des interrogations que tout Etat se pose en matière d'évolution de sa comptabilité.
La première question est celle du choix entre un système dual, alliant un budget en base de caisse et des comptes en base d'exercice, et un système moniste dans lequel la base d'exercice est appliquée à la fois au budget et aux comptes.
J'ai présenté la position française, qui s'inscrit dans le premier cas de figure. Il n'en demeure pas moins que d'autres facteurs de choix d'ordre plus politique peuvent intervenir : nature de l'autorisation parlementaire, mode d'action publique retenu ou structure administrative existante.
A titre d'exemple, si un gouvernement estime que la conduite de tout ou partie de l'action publique est susceptible de relever du domaine marchand ou quasi-marchand, ses choix comptables et budgétaires s'aligneront naturellement sur les pratiques en usage dans le secteur marchand. De même, la structure administrative existante et ses domaines d'intervention peuvent influencer ces choix : une structure composée principalement d'agences, avec des secteurs d'interventions circonscrits, se prête sans doute plus à des modes de gestion financière fondés sur la base de l'exercice.
La question des évaluations des actifs et des passifs est, bien entendu, au centre des réflexions comptables, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Au demeurant, les premières questions à se poser sont celles de la reconnaissance d'un actif, comme source de bénéfices économiques futurs ou d'un potentiel de service, et du périmètre des passifs de l'Etat. On peut à ce sujet légitimement s'interroger sur la signification de l'équilibre du bilan pour un Etat.
Il reste à résoudre le problème plus technique posé par l'évaluation. Or, si les méthodes d'évaluation sont connues, elles se prêtent parfois mal aux caractéristiques du patrimoine des Etats, qui recouvrent des éléments aussi divers que des immeubles de bureau, des infrastructures diverses, des monuments historiques ou des parcs nationaux.
Le processus de normalisation comptable mérite une attention particulière. Les options sont multiples et comportent chacune leurs avantages et leurs inconvénients.
L'idée d'une définition d'un référentiel international est séduisante, mais se heurte, à mon avis, à des difficultés importantes du fait des spécificités propres aux états et des différences dans le périmètre d'intervention de ceux-ci.
Toutefois, une certaine harmonisation n'est sans doute pas hors de portée, notamment entre pays présentant des caractéristiques patrimoniales comparables.
La mise en uvre de la comptabilité d'exercice requiert par ailleurs une mobilisation durable en ressources à la fois humaines et financières. Trois domaines doivent faire l'objet d'une évolution considérable : les systèmes d'information, l'organisation comptable et la formation. Sur ce dernier point, la formation, la perspective de création d'un Institut de la Gestion Publique, dont la responsabilité a été confiée à Benoît Chevauchez, ici présent, est prometteur.
Enfin, et c'est le point principal, la question se pose de l'utilisation de ces données financières. En effet, pourquoi mobiliser du temps, de l'argent et des hommes s'il ne s'agit que d'une construction intellectuelle ? Avant de construire les outils et les mettre en uvre, il convient de s'interroger sur les finalités qu'on leur assigne. Les réponses seront différentes selon qu'un Etat utilise la base d'exercice à la fois dans ses comptes et dans son budget ou non.
Je ne saurai conclure sans remercier encore l'OCDE de nous avoir fait le plaisir de tenir ce symposium dans les locaux du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je suis certaine que les débats qui se dérouleront aujourd'hui et demain seront fructueux et pourront nourrir nos propres travaux en matière de comptabilité.
Et n'oublions pas qu'à travers ces débats hautement techniques, c'est au service de l'Etat que nous nous plaçons, afin qu'il puisse, dans un environnement complexe et en constante évolution, jouer tout son rôle de garant des équilibres économiques et sociaux.
(source http://www.finances.gouv.f, le 17 novembre 2000)