Déclaration de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, sur la politique française d'accès aux soins des plus démunis, notamment la couverture maladie universelle, Paris le 16 décembre 2000.

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Circonstance : Colloque européen : "Accès aux soins des plus démunis", à Paris - La Villette le 16 décembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Ministre, Monsieur le représentant de la Commission
Monsieur le Directeur du Bureau OMS Europe,
Mesdames et Messieurs,
Je me réjouis au nom du Gouvernement français de vous accueillir à ce Colloque européen, que vous soyez :
professionnels membres de la Société européenne de santé publique,
ou membres d'associations oeuvrant dans le champ sanitaire ou social auprès des personnes très démunies,
ou encore que vous soyez investis de responsabilités administratives ou électives dans l'un des 15 pays de l'Union ou de ceux qui ont fait acte de candidature à l'Union européenne.
Il y a moins d'une semaine, à Nice, dans le cadre de l'agenda social, le Conseil européen a affirmé la nécessité de mettre en oeuvre rapidement et complètement les principes introduits par le traité d' Amsterdam qui prévoit un haut niveau de protection de la santé humaine dans la définition et la mise en uvre de toutes les politiques et actions de la Communauté.
Le Conseil européen a, dans le même cadre, approuvé les objectifs de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
Ces résolutions éclairent d'une lumière particulière le thème de ce colloque européen sur l'accès aux soins des plus démunis. Elles soulignent le fait que désormais, les préoccupations de santé, qui étaient déjà au premier plan pour la grande majorité des citoyens européens, deviennent un enjeu prioritaire pour les dirigeants européens.
Le thème du colloque qui nous réunit aujourd'hui concerne l'accès aux soins des plus démunis. C'est un problème important parce qu'il concerne aujourd'hui, dans l'Union européenne près de 68 millions de personnes qui vivent en situation de précarité.
Il importe de dire d'emblée que nous ne pouvons accepter dans nos pays, développés et riches, qu 'il y ait encore aujourd'hui tant de personnes dépourvues des moyens nécessaires pour vivre dignement, que c'est l'exclusion et la précarité qu'il faut faire reculer.
L'Europe est et doit être toujours davantage synonyme d'espoir.
Nous le savons, ceux qui sont les plus démunis ont perdu l'espoir, l'estime de soi, la confiance en eux et dans les autres, cette confiance, sans laquelle affronter la vie et ses difficultés devient impossible. L'exclusion les confine dans un abandon qui les soustrait à toute forme de confiance en l'avenir.
Nous devons d'abord rendre à ces femmes et à ces hommes leur droit à une vie digne. Pour que l'avenir ait un sens à leurs yeux. Pour qu 'ils réinvestissent le respect et l'estime d'eux-mêmes, pour qu'ils recouvrent le courage de se battre,
Et pour cela, nous devons tout faire pour que les droits fondamentaux des personnes les plus démunies soient garantis : le droit à la santé, le droit à des soins de qualité est un de ceux-là, autant que le droit à l'emploi et le droit au logement, le droit à la culture.
Ces droits fondamentaux ont été réaffirmés avec force au Sommet de Nice par l'adoption de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; elle deviendra un instrument précieux pour développer la citoyenneté à l'échelle de l'Europe.
Je ne peux évoquer la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sans avoir une pensée particulière pour le Professeur Moncef Marzouki, militant des Droits de l'homme et spécialiste internationalement reconnu de santé publique, qui devait être présent à ce colloque et qui en est empêché en raison des poursuites judiciaires dont il fait l'objet en ce moment même en Tunisie.
Je tiens à lui manifester du haut de cette tribune mon soutien et ma solidarité.
Dans le combat pour aider au recouvrement de la dignité et des droits fondamentaux de la personne chez ceux qui en sont démunis, je veux dire ici le rôle irremplaçable des associations et des travailleurs sociaux qui, à travers toute l'Europe, dans chaque pays, se battent pour maintenir les liens sociaux, pour que nos sociétés soient plus humaines et plus ouvertes, qu'elles deviennent plus attentives et plus accueillantes à ceux qui ont des besoins spécifiques.
La politique française d'accès aux soins des plus démunis
En France, la situation du système de soins est assez contrastée : d'un côté, l'OMS place la France en tête de la plupart des pays développés en ce qui concerne ses performances en matière de système de santé. Et dans l'enquête que des chercheurs de l'INSERM ont publié en septembre dernier, l'appréciation selon laquelle les Français sont globalement bien soignés est confirmée. C'est d'ailleurs ce que traduit l'allongement global de l'espérance de vie que nous enregistrons année après année.
En revanche, ces chercheurs soulignent aussi que les inégalités sociales en matière de santé perdurent. Et les indicateurs de santé pris en compte dans cette enquête montrent que dans notre pays tout le monde ne profite pas de la même manière des progrès de la médecine, de la modernisation du système de santé et de soins.
Cette analyse recoupe celle que le Gouvernement français avait faite en 1998 quand il a décidé des grandes lois contre les exclusions, et notamment quand il s'était appuyé sur les difficultés rencontrées dans l'accès aux soins pour les plus démunis. Ce sont ces difficultés qui expliquent l'écart entre ceux dont le niveau de vie et l'aisance sociale permettent un bon accès aux soins et ceux que l'exclusion tient en marge de notre système.
Face à cette situation, le gouvernement a adopté d'importantes mesures pour lutter contre les effets de l'exclusion en matière de santé et réduire les inégalités ; il en a fait une priorité gouvernementale.
Ainsi la loi sur la Couverture médicale universelle permet depuis le 1er janvier 2000, la gratuité des soins pour les personnes les plus démunies et une couverture complémentaire. A terme, six millions de personnes à faibles revenus seront concernés.
Désormais, l'ensemble de nos concitoyens bénéficie d' un accès aux soins de santé non strictement conditionné par sa propre situation financière.
Dans le même esprit, la loi relative à la lutte contre les exclusions de 1998 a permis et permet de prendre des mesures spécifiques au niveau du logement, de l'emploi, de la formation, de l'éducation tout facteur déterminant de l'état de santé.
Dans le domaine des établissements de santé, le dispositif repose sur un système d'allocation différenciée des ressources basé sur les besoins de santé publique s'appuyant sur des indicateurs démographiques et tenant compte de priorités préalablement définies. Depuis 3 ans, la politique d'allocation de ressources poursuit l'effort de réduction des inégalités entre régions et entre établissements.
Chaque citoyen doit avoir un égal accès à des soins de qualité. Il s'agit là d'un devoir de solidarité nationale et d'équité fondamentale. La loi de lutte contre les exclusions, dans son volet santé, répond à cette préoccupation. C'est ainsi que dans chaque région des programmes régionaux d'accès aux soins (PRAPS) ont été mis en place pour répondre aux besoins des personnes en situation de grande difficulté et permettre une prise en charge globale, en liaison avec les associations d'insertion qui ont vocation à accompagner ces personnes à faciliter leur parcours vers les dispositifs de droits communs.
De même, la loi renforce la mission sociale de l'hôpital pour que, dans la pratique, les personnes en difficulté accèdent effectivement aux filières de prévention et de soins de droit commun. Les PASS (Permanences d'Accès aux Soins de Santé), dispositifs de prise en charge médico-sociale qui facilitent l' accès des personnes démunies à l'hôpital sont progressivement mises en place (près de 250 actuellement).
Cette politique, nous en sommes persuadés, va dans la bonne direction. Mais les différences économiques et sociales continuent à peser sur la santé des français, sur leur morbidité et sur leur mortalité.
Nous avons mis l'accent, sur les situations les plus extrêmes, car c'était l'urgence. Mais nous ne devons pas négliger les actions de prévention. La prévention, et en particulier l'éducation pour la santé, a une importance essentielle d'autant plus que la différence culturelle et sociale de la perception de certains risques et de la prévention de certaines pathologies, augmente les effets des inégalités sociales. Nous devons donc développer une véritable égalité d'accès, d'appréhension, dans le domaine de la prévention car nous savons que les programmes préventifs efficaces profitent encore plus aux catégories sociales supérieures, celles qui ont déjà une habitude, une préoccupation d'attention et de leur déterminant de santé.
Les inégalités sociales de santé s'expriment aussi sur les conséquences de la maladie et du handicap ; alors que le nombre de pathologies mortelles diminue, les séquelles qui en résultent encore malgré tout sont souvent aggravées par la situation sociale.
Il nous faut enfin appréhender la réduction des inégalités en santé sous un angle élargi : une meilleure santé publique, c'est aussi le renforcement du droit au logement, la mise en place d'un dispositif innovant de veille sociale et un effort sans précédent à accomplir en faveur de l'insertion professionnelle et de l'aide au retour à l'emploi permis par la loi.
Il faut aussi favoriser les orientations sur un aspect clé de la mise en débat des questions de santé : l'implication de la population dans le s choix réalisés. Nous attendons beaucoup des échanges entre pays sur ce point. Pour nous, aujourd'hui les dispositifs renforcés d'accès à la santé ne doivent pas se limiter au public exclu, mais à l'ensemble des situations précaires. La démarche de prévention de l'exclusion nécessite cette approche large car la santé est souvent en jeu lorsque des conditions de fragilité sociale sont réunies. A l'inverse une démarche de retour sur soi, sur sa santé facilite le regain d'estime de soi et peut être un levier d'insertion.
Au plan européen, l'action menée dans le cadre de ce colloque est conforme au mandat fixé par le Conseil Européen de Lisbonne qui a souhaité que soient prises des mesures pour donner un élan décisif à l'élimination de la pauvreté.
Le Conseil des ministres de l'emploi et de la politique sociale a adopté sous la Présidence française des " objectifs appropriés de lutte contre la pauvreté et l'exclusion " au niveau communautaire et prévu la mise en place de plans d'actions nationaux à partir de 2001. Le Conseil a également adopté un programme d'action communautaire de lutte contre les exclusions pour encourager la coopération entre les États membres, dont le budget a été fixé à 70 M d'Euros sur 5 ans.
La contribution française vise à inciter les partenaires européens à s'engager, au-delà de la lutte contre l'exclusion, à la mise en place d'un programme ambitieux concerté de lutte contre les inégalités de santé, car c'est ainsi que l'on peut prévenir de nombreuses situations d'exclusion ou construire de vrais parcours de réinsertion.
Nous avons décidé ensemble de laisser une large place aux propositions effectuées lors de plusieurs colloques européens sur le thème de la santé dans les semaines qui ont précédé ce colloque.
Nous pensons que la moisson a été fructueuse grâce notamment à la mobilisation du tissu associatif puissant vecteur d'approche, d'alerte et d'expertise indispensable aux gouvernants.
C'est à la synthèse et à la conclusion politique de tous ces efforts que sera consacrée cette journée, avant que le relais ne soit passé à la Présidence suédoise.
Nous souhaitons que ce colloque nous permette d'avancer sur quatre objectifs :
1 Valider un constat et partager un enjeu
Il s'agit, à partir des travaux récents dont il sera fait état aujourd'hui, de prendre acte du fait qu'un certain nombre des problèmes qui se posent maintenant aux pays membres de l'Union en matière d'accès aux soins des populations démunies sont connus, et qu'il y a donc un intérêt et une nécessité de démarche commune.
2 Affirmer des principes
Il conviendra à l'issue de ce constat d'affirmer quelques principes communs qui devront inspirer les politiques de nos divers gouvernements pour lutter contre les inégalités sociales en matière de santé.
3 dégager des objectifs d'action
Au-delà des principes, les analyses qui nous seront fournies par les conclusions des diverses réunions dont ce colloque est la résultante permettront de dégager un certain nombre d'objectifs d'action permettant d'élaborer des plans qui entreront pour les deux ans à venir dans les " objectifs appropriés " tracés par les gouvernements des États membres de l'Union.
4 Développer une méthode et créer une dynamique
Là encore, un certain nombre de mesures incombant directement aux gouvernements, ou d'orientations que pourrait proposer la Commission, pourront être dorénavant organisées par une méthode commune appuyée sur la mutualisation qui nous permette de mieux bénéficier des actions et de l'expérience des uns et des autres.
La matinée sera plus particulièrement consacrée à l'inégalité d'accès à la santé en Europe, à partir des travaux de la Société européenne de santé publique (EUPHA), puis des conclusions des récents colloques sur " la précarité en milieu rural " et sur " l'accès à la santé des populations Roms-Sintés-Kalés, Tsiganes en Europe ".
Je remercie à cette occasion les intervenants pour le travail qu'ils vont nous présenter, comme les participants à la table ronde qui suivra : responsables politiques européens, représentants d'associations travaillant avec les populations concernées, expert de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) avec lesquels vous pourrez débattre jusqu'à l'heure du déjeuner.
Cet après-midi, sera étudié un aspect des inégalités sociales de santé qui apparaît chaque jour plus déterminant, celui des interactions entre la santé mentale et l'exclusion, par la présentation de deux colloques européens récents.
Sera également évoquée la relation entre le soignant et le soigné issu de milieu social défavorisé.
La table ronde qui suivra verra débattre des professionnels de santé de plusieurs pays européens ayant une forte expérience de terrain dans des champs divers, entre eux puis avec la salle.
De la qualité des débats de cette journée entre usagers, spécialistes et politiques, dépendra en partie l'avancée de l'Union européenne dans cette voie difficile. Il me reste donc à vous souhaiter un travail fructueux pour que la réalisation soit à la hauteur de nos espérances : la construction d'un haut niveau de protection de la santé dans la définition et la mise en uvre de toutes les politiques communautaires dans le sens de la conclusion du conseil santé du 14 décembre dernier.
Dans quelques jours, la France transmettra à la Suède le relais de la Présidence européenne. J'aimerai, à cette occasion, vous faire part, en conclusion, de ma conviction profonde. Poussée par l'actualité, mais poussée surtout par la volonté des femmes et des hommes européens d' en faire une question politique majeure, la santé progresse dans la conscience des dirigeants européens.
Toutes les questions de santé, celle de la sécurité sanitaire, mais aussi celle de la prévention et celle de l'éducation pour la santé, prendront une importance croissante. C'est un domaine qui plus que tout autre appelle transparence et dynamisme. Parce que nous voulons construire une Europe juste, responsable et solidaire, nous devons contribuer à mettre la santé au premier plan.
Je vous remercie.


(Source http://www.social.gouv.fr, le 28 décembre 2000)