Interview de M. Christian Poncelet, président du Sénat, à France 2 le 4 janvier 2001, sur le financement des réformes, le contrôle du Conseil constitutionnel et la stratégie d'alternance de l'opposition parlementaire.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

G. Morin Vous allez voir le Président de la République, lui présenter les vux du Sénat ce matin. Le Président a reçu le Gouvernement hier. On parle beaucoup d'ambiance d'action utile, de sérénité nécessaire ; vous êtes dans cet esprit, utilité et sérénité ?
- "Le Sénat, qui est la haute assemblée où règnent la sagesse et la sérénité, est partisan d'une action constructive. Il ne faut pas prêter le flanc à toutes ces querelles d'hommes. Nous devons nous engager aujourd'hui dans un grand combat d'idées, nous devons élaborer des projets et présenter aux Français, à la veille de consultations, le choix entre différentes orientations."
Quand on dit au Gouvernement qu'il faut faire des actions utiles, qu'il faut des réformes, est-ce qu'on le critique parce qu'il n'en fait pas assez ? Vous pensez qu'il n'en fait pas assez actuellement ?
- "Sans vouloir être critique - ce n'est pas dans mon tempérament - je dois dire que le Gouvernement a pris certaines mesures concernant le PACS, concernant la parité, mais les réformes de fond, objectivement, demeurent. Je me souviens d'une déclaration de M. Michel Rocard, à l'époque où il était Premier ministre, qui déclarait : " Nous allons vers une situation explosive si dans les délais les plus brefs nous ne réglons pas le problème des retraites "."
C'était il y a 10 ans.
- "On a demandé un rapport à M. Charpin, on a demandé à M. Teulade d'en faire un autre, aujourd'hui on fait un conseil d'orientation mais rien ne se règle."
Les retraites sont selon vous une des urgences ?.
- "Ce problème est une urgence. A côté de cela il y a aussi un autre problème urgent : l'insécurité ou la sécurité, selon que la façon dont vous l'interprétez. Nous avons des cas qui sont signalés tous les jours d'agressions, de vols, de voitures incendiées, etc. Il y a vraiment un climat d'insécurité qui appelle à ce que nous prenions des réformes dans ce domaine."
Vous trouvez que la France n'est pas sûre en ce moment ?
- "Je n'irais pas jusque là mais il y a quand même des agressions qui se renouvellent, il y a quand même des manifestations agressives. Ce n'est pas sain."
La réforme de la justice qui est en cours de mise en place va dans ce sens ou dans un sens contraire ?
- "On a fait une réforme et quelle était la première réaction de celles et de ceux qui ont mission d'appliquer cette réforme, c'est-à-dire les magistrats ? Ils ont dit " Nous n'avons pas les moyens ". Par conséquent, on a mis un peu la charrue avant les bufs. Il aurait fallu dès le départ prévoir les moyens nécessaires pour appliquer cette réforme. Vous le voyez bien, en ce qui concerne la Chambre d'Accusation, ils disent : " Nous sommes dans l'impossibilité de faire face à nos obligations ". Donc, cette réforme risque d'être sans effet si nous n'avons pas les moyens pour l'appliquer."
Sur un autre sujet qui vous tient à cur, la mise en place des 35 heures notamment dans les PME, est-ce que vous dites la même chose à savoir que l'on n'a pas donné les moyens avant de décider la chose ?
- "Je suis inquiet. Je suis inquiet financièrement et je ne suis pas le seul d'ailleurs. Le ministre actuel de l'Economie et des Finances, M. L. Fabius, l'a déclaré avant qu'il n'accède aux responsabilités qui sont les siennes aujourd'hui. En 1999 cela a coûté 60 milliards, 64 milliards ; en l'an 2000, 67 milliards et en période de croisière 100 milliards. On n'a rien prévu. On a essayé de prendre, de prélever sur les fonds des caisses, cela a été refusé par le Conseil constitutionnel ; on a voulu élargir l'écotaxe ..."
La taxe sur les activités polluantes.
- "Voilà une taxe dont le produit aurait du être affecté aux industriels pour qu'ils puissent corriger la pollution. Or, où va le produit de la taxe ? Cette taxe va financer les 35 heures. On s'est rendu compte que c'était une inégalité de l'impôt et par conséquent qu'il fallait corriger. Le Conseil constitutionnel l'a annulée"
C'est parce que des parlementaires de droite ont saisi le Conseil constitutionnel ; d'une certaine façon, ils ont contribué à faire capoter ces éléments.
- "Le Conseil constitutionnel sert à cela. Dans le passé, l'opposition l'a saisi à plusieurs reprises, permettez-moi de le faire remarquer. "
C'était la gauche.
- "C'était la gauche. Il faudrait que nous réfléchissions peut-être à une autre méthode de fonctionnement de nos institutions. Aujourd'hui, la majorité construit son budget, elle construit sa politique en amont, dans le cadre bien sûr de concertations au sein de la majorité où certaines tendances de cette majorité dite plurielle s'expriment, mettent des vetos. Pour l'opposition, il ne lui reste qu'à agir en aval, c'est-à-dire le recours devant le Conseil constitutionnel. Peut-être y a-t-il à réfléchir"
Un manque de place pour les propositions de loi, pour les niches que l'on donne à l'opposition ?
- "Il y a matière à réfléchir pour avoir une meilleure méthode de travail du Parlement."
Vous parliez de la gauche plurielle, certains parlent de l'union de la droite. M. le président du Sénat, que pensez-vous de ce projet d'union de la droite cher à E. Balladur ?
- "J'y souscris. J'y souscris puisque dès le lendemain de mon élection à la présidence du Sénat, je me suis efforcé de rassembler régulièrement les présidents des groupes parlementaires de l'opposition, Assemblée et Sénat, pour que nous réfléchissions ensemble comment nous pouvions travailler ensemble mais surtout comment nous pouvions élaborer un projet que nous présenterions à l'appréciation du peuple souverain le moment venu. Nous avons fait des ateliers d'alternance - c'est ainsi que je les ai appelés - où nous sommes réunis avec la société civile, avec les experts, pour élaborer un projet concernant la réforme précisément de la justice, qui a comme vous le savez, pour partie, avortée. On a des ateliers d'alternance pour les retraites ; nous avons fait des propositions sur ce point. Actuellement, nous travaillons sur un autre sujet d'actualité qui s'impose, c'est la sécurité ou l'insécurité. Donc, je voudrais que l'opposition soit prête à présenter aux Français toute une série de grandes réformes qui s'imposent. Les retraites, pas de réforme ; en ce qui concerne la sécurité, pas de réforme ; en ce qui concerne l'Education Nationale, le mammouth qu'il faut dégraisser, rien n'a été fait ; la réforme fiscale, tout reste à faire. Il y a beaucoup de choses."
A propos de la réforme du calendrier électoral, l'inversion du calendrier électoral, le Sénat n'est pas très chaud. Est-ce que vous allez faire en sorte que cette réforme traîne et ne soit pas votée avant l'été ?
- "A la veille d'une élection, on vient nous dire : " Il faut changer l'ordre ". Pourquoi ne pas avoir déposé la proposition qui est actuellement soumise à l'appréciation du Parlement au lendemain de la dissolution, en disant : l'ordre est inversé, il faut le faire aujourd'hui. C'est parce qu'on approche des échéances. Il me semblerait que le Gouvernement a la crainte de présenter son bilan à l'appréciation du peuple souverain, à la veille d'une élection présidentielle. Par conséquent, permettez-moi de vous dire que cela, vraiment, s'apparente à la magouille électorale."
Cette affaire ne presse pas ?
- "Je ne comprends pas les raisons de cette inversion. D'ailleurs, le Premier ministre lui-même y était opposé. Il a changé d'avis."

(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 5 janvier 2001)