Déclaration de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, sur la diversité culturelle notamment, la nécessité de préserver des politiques culturelles spécifiques dans le cadre des négociations de l'OMC, Paris le 12 décembre 2000.

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Circonstance : Table ronde des ministres de la culture à l'Unesco, Paris le 12 décembre 2000

Texte intégral

Depuis deux ans, le thème de la diversité culturelle est au coeur de la réflexion de nombreuses enceintes internationales. On peut citer en particulier le Conseil de l'Europe, la Francophonie, le G8, le Réseau international sur les Politiques Culturelles mis en place par le Canada, et, bien sûr, au premier plan, l'UNESCO.
Je me félicite de cette multiplication des lieux de rencontres et de débat. Elle traduit à l'évidence une prise de conscience forte, de la part des Etats, que nos cultures sont menacées d'uniformisation en particulier dans le domaine des médias et qu'une mobilisation internationale est donc nécessaire. Le fait que la Table Ronde des Ministres de la Culture de l'UNESCO ait porté, l'an dernier sur les liens de la diversité culturelle avec la mondialisation, et cette année sur ses liens avec les enjeux du marché, est à cet égard révélateur. Je veux profiter de cette occasion pour remercier l'UNESCO et son Directeur Général d'avoir su accorder à ce sujet l'importance qu'il mérite.
La teneur de ces débats montre aussi la nécessité de sortir la réflexion d'enceintes purement commerciales comme l'OMC. Certes, nos échanges culturels ont une dimension commerciale importante, et ces deux journées de débats en ont donné des exemples. C'est pourquoi il reste absolument nécessaire que, dans le cadre des négociations au sein de l'OMC, les Etats préservent justement leur liberté de mener des politiques culturelles en continuant à ne pas prendre d'engagement de libéralisation dans ce secteur.
D'un point de vue économique, la notion de diversité culturelle est intimement liée à la conscience partagée que les biens et services culturels, s'ils offrent à l'évidence des débouchés économiques, ne sont cependant pas des marchandises comme les autres. Ils sont porteurs d'identités, et leur accès doit être ouvert à tous. Ils ne sont donc pas réductibles aux seules lois de l'économie de marché.
Nos discussions, depuis deux ans, ont bâti de plus en plus clairement un constat commun : la diversité culturelle ne revêt pas seulement une dimension économique. Le maintien de la diversité n'est pas en contradiction avec la concurrence. Elle y met des bornes, elle est l'alternative indispensable à un modèle dominant imposé par le marché.
Elle est nécessaire, car elle a des liens étroits avec les libertés fondamentales - liberté de création et d'expression, liberté d'accès à sa propre culture et à celle des autres -. La diversité culturelle fait partie des droits de l'homme. Elle ne trouve son véritable sens que dans le dialogue entre les cultures, qui est la raison même de l'existence de l'UNESCO. En cela, elle participe au progrès de la démocratie et au maintien de la paix.
Notre conception de la diversité culturelle ne se résume pas à une confrontation entre l'Europe et les Etats-Unis : c'est une question de portée universelle, qui concerne chacun de nos pays et de nos peuples, et sur laquelle tous doivent s'exprimer. Elle est donc pour moi inséparable d'un effort de solidarité en faveur des pays en développement, pour améliorer la circulation des créateurs, mieux protéger leurs droits et faciliter l'accès de leurs oeuvres aux circuits de distribution internationaux. Loin d'être assimilable à un quelconque protectionnisme, la diversité culturelle signifie, d'abord et avant tout, capacité de création, ouverture aux autres, échange avec les autres et accès à l'universalité des cultures.
L'enjeu politique que nous voulons tous réaffirmer est le maintien de la capacité des Etats à intervenir par les moyens qu'ils jugent appropriés, pour promouvoir la diversité culturelle comme enjeu de société. C'est en effet aux Etats, ou aux communautés d'Etats, qu'il revient de créer l'environnement propice à la création et à l'expression des diverses formes de culture nationales.
Libertés fondamentales, enjeux sociaux, culturels, économiques et politiques : voilà, selon moi, ce qui est en question lorsque l'on parle de promotion de la diversité culturelle. C'est d'ailleurs en ces termes que la France est intervenue lors de la réunion d'experts du mois de septembre dont M. Rudder rappelait les principales conclusions à l'instant. Je tiens ici à saluer l'excellente qualité des travaux de ce groupe. Je regrette que ses propositions n'ait pas toutes été reprises dans le document transmis hier par le Secrétariat de l'UNESCO, alors même que le rapport du groupe d'experts me paraît contenir des pistes de réflexion particulièrement utiles.
Tout comme ces experts, je suis très favorable à ce que nous invitions le Directeur général de l'UNESCO à envisager dès maintenant la préparation d'une Déclaration en ce sens.
Ce texte pourrait notamment prendre appui sur les grandes lignes qui se dégagent de nos débats. Il devrait être ciblé sur quelques principes précis, afin de présenter une valeur ajoutée par rapport à l'ensemble des textes existants et de servir de référence internationale sur le thème de la diversité culturelle.
Le moment me paraît opportun pour lancer cette initiative : notre réflexion commune a beaucoup mûri grâce aux travaux de l'ensemble des enceintes internationales. Le Réseau informel sur les politiques culturelles a d'ailleurs joué un rôle moteur, et je souhaite que sa réflexion continue à alimenter les futurs travaux de l'UNESCO. De plus, nous devons profiter du temps qui nous sépare des prochains débats de l'OMC pour consolider notre réflexion en vue d'une déclaration sur la diversité culturelle à l'UNESCO.
Je souhaite vivement que nos travaux, cet après midi, puissent nous conduire sur cette voie.

(Source http://www.culture.gouv.fr, le 14 décembre 2000)