Texte intégral
Tous les Parisiens ont pu observer, depuis quelques mois, une recrudescence de la prostitution d'autant plus spectaculaire qu'elle concerne des secteurs de la capitale jusqu'ici préservés de cette forme particulièrement dégradante de l'exploitation humaine. Outre les alentours des bois de Boulogne et de Vincennes, où l'on assiste à la multiplication des camionnettes et minibus, ce qui provoque la colère des élus - Michel Herbillon, député-maire DL de Maisons-Alfort, et Pierre-Christophe Baguet, député des Hauts-de-Seine et premier maire adjoint de Boulogne, viennent d'écrire au ministre de l'Intérieur pour se plaindre de la situation - les principaux périphériques parisiens et les boulevards des Maréchaux sont de plus en plus envahis par des prostituées originaires de Sierra Leone et surtout des Balkans, en particulier du Kosovo et d'Albanie.
Pour enrayer la progression du phénomène, Claude Goasguen, juriste de formation, vient de déposer sur le bureau de l'Assemblée une proposition de loi visant à renforcer l'arsenal répressif à la disposition de la police et de la justice. Selon le porte-parole du groupe parlementaire DL, il est impératif et urgent que notre société montre qu'elle n'accepte pas cette forme d'esclavagisme moderne et que le seuil de tolérance a été dépassé. Il s'en explique à Valeurs actuelles.
Vous venez de déposer une proposition de loi "tendent à sanctionner les diverses formes de racolage sur la voie publique". Pour quelles raisons ?
Soyons clair : il y a toujours eu de la prostitution à Paris, notamment dans le bois de Boulogne, et il serait irréaliste de vouloir l'éradiquer. Il n'en est pas moins préoccupant de constater que cette prostitution a changé de nature ces derniers temps : elle a pris un tour beaucoup plus violent depuis l'arrivée de femmes souvent très jeunes en provenance des Balkans et d'Europe de l'Est.
Après la crise du Kosovo notamment, on a vu affluer des prostituées albanaises, qui sont soumises à des traitements dégradants par des proxénètes visiblement jeunes et sans vergogne. Elles vivent le plus souvent dans des situations d'esclavage et de détresse personnelle effrayantes. Il est d'autant plus difficile de leur venir en aide qu'elles sont surveillées en permanence par des types qui les battent s'ils les voient discuter avec des policiers ou avec des responsables d'associations humanitaires. Le préfet de police de Paris, que j'avais interpellé à ce sujet, m'a d'ailleurs expliqué que cette prolifération dans tout Paris, notamment sur les périphériques parisiens, comme les boulevards Murat, Suchet et Lannes, dans le XVIème arrondissement, et le long des boulevards des Maréchaux des XIIe, XVIIe, XVIIIe, XIXe et XX arrondissements, s'est produite à la suite de règlements de comptes entre proxénètes intervenus dans le XVIIIe arrondissement.
Rien que pour le XVIe arrondissement de Paris, dont je suis l'élu, on trouve des prostituées depuis plusieurs mois devant deux lycées, La Fontaine et Claude-Bernard, devant l'école du Parc des Princes, et à la sortie de l'église Sainte-Jeanne-de-Chantal. Cela soulève une indignation réelle et bien compréhensible. D'autant que cela s'accompagne d'une recrudescence des exhibitions sexuelles à l'orée du bois de Boulogne, qui prennent désormais une tournure d'une agressivité rare, et qui mettent les gens dans une situation de peur et de malaise. Tout cela méritait une enquête...
Et vous avez découvert...
Contrairement à ce que j'imaginais, je me suis aperçu que ces prostituées, bien qu'étrangères, n'étaient pas en situation irrégulière, mais qu'elles bénéficiaient le plus souvent de l'asile politique et du statut de réfugié. Il s'agit de l'une des failles du système administratif français, où il n'y a en pratique aucun contrôle a priori de l'asile politique et du statut de réfugié, et où par conséquent, le permis de séjour est octroyé automatiquement. Ce qui m'a été confirmé par un rapport du préfet de police en date du 17 octobre dernier : Philippe Massoni y précise que "sur les cent soixante-quatre étrangères contrôlées depuis le 4 septembre" par ses services, "aucune d'elles n'était en situation administrative irrégulière", la plupart bénéficiant de l'asile politique.
Dans le même rapport, il est précisé que depuis le début de l'année, seize proxénètes, "qui vivaient des gains de prostituées pour la plupart d'origine bulgare, kosovare et moldave qu'ils avaient installées sur les boulevards des Maréchaux", ont été arrêtés et déférés devant la justice.
En approfondissant le dossier, je me suis rendu compte que ce phénomène était européen, et non pas seulement français : nous sommes en plein détournement du droit d'asile et nous sommes d'autant plus démunis qu'au bout de quelques mois, ces filles partent à Bruxelles et deviennent des réfugiées politiques belges. Elles y travaillent pendant six mois, puis partent à Milan, et font ainsi le tour de l'Europe. Sachant que celles qui exercent actuellement à Paris sont le plus souvent déjà passées par l'Italie, où elles ont été massivement régularisées, avant d'arriver en France par Lyon.
Si l'on ne marque pas une volonté forte d'arrêter le phénomène au niveau européen, on ne résoudra rien. D'autant que, normalement, un contrôle d'Europol ou d'Interpol devrait permettre de détecter les proxénètes, qui ne sont généralement pas des enfants de choeur et qui ont des casiers judiciaires en Albanie ou dans les pays de l'Est. Le problème, le plus souvent, c'est que la durée des enquêtes administratives pratiquées pour régulariser leur situation fait qu'ils bénéficient de papiers temporaires qui sont prolongés, ce qui rend le travail de la police quasi impossible.
Qu'en est-il des textes en vigueur en France pour réprimer la prostitution ?
La police a attiré mon attention sur le fait qu'elle ne disposait pas des moyens juridiques suffisants pour procéder à des interpellations efficaces. Il faut distinguer trois étapes : en 1946, on ferme les maisons closes, et comme on est persuadé que la prostitution va envahir les trottoirs, on promulgue des lois dissuasives. C'est ainsi que le racolage devient un délit.
Une décennie plus tard, la magistrature, qui est débordée par les demandes et les interventions, signale qu'elle ne peut plus faire face. Ce qui se traduit par l'ordonnance de 1958, qui établit la distinction entre le racolage actif et racolage passif. Le caractère répressif est atténué puisque, dans le deuxième cas, on passe à des contraventions de première classe, doit à peine 250 francs.
La troisième et dernière étape date de 1993 : la justice étant débordée par les contraventions de première classe, on supprime la notion de racolage passif. Il ne reste plus désormais que des contraventions de cinquième classe (amende de 2.500 à 5.000 francs) pour racolage actif. Mais il faut vraiment pour caractériser ce délit, que la femme soit à demi nue, que l'agression soit totale et que la victime se plaigne. En clair, le racolage actif n'est plus sanctionné dans les faits, à part dans le bois de Boulogne, où il pourrait d'ailleurs l'être davantage.
Que proposez-vous très concrètement ?
Je suggère que l'on revienne à la législation de 1946, mais en se donnant les moyens de l'appliquer. Je propose que le racolage actif redevienne un délit passible de correctionnelle, ce qui serait réellement dissuasif pour la prostituée, avec 20.000 francs d'amende et entre vingt et cent vingt heures de travaux d'intérêt général.
Pour le racolage passif, c'est-à-dire "l'attitude sur la voie publique de nature à provoquer la débauche", je propose que l'on revienne à la contravention de cinquième classe.
A lui seul, cet arsenal répressif ne suffit pas, j'en suis bien conscient. Il faut également s'attaquer à une réforme de l'asile territorial, assorti de contrôles préventifs. Sans oublier de favoriser le travail remarquable des associations de réinsertion des prostituées, qui patrouillent sur le terrain pour les aider à s'en sortir.
Et concernant les proxénètes ?
In fine, je crois qu'il faut aggraver les peines pour proxénétisme, même si le nouveau code pénal prévoit déjà, dans son article 225-5, cinq ans d'emprisonnement et un million de francs d'amende. Je suis également partisan de durcir encore les peines prévues pour exhibitionnisme, qui sont théoriquement de un an de prison et de 100.000 francs d'amende, sachant que dans la pratique, les poursuites sont excessivement rares.
(Source http://www.claude-goasguen.org, le 11 décembre 2000).
Pour enrayer la progression du phénomène, Claude Goasguen, juriste de formation, vient de déposer sur le bureau de l'Assemblée une proposition de loi visant à renforcer l'arsenal répressif à la disposition de la police et de la justice. Selon le porte-parole du groupe parlementaire DL, il est impératif et urgent que notre société montre qu'elle n'accepte pas cette forme d'esclavagisme moderne et que le seuil de tolérance a été dépassé. Il s'en explique à Valeurs actuelles.
Vous venez de déposer une proposition de loi "tendent à sanctionner les diverses formes de racolage sur la voie publique". Pour quelles raisons ?
Soyons clair : il y a toujours eu de la prostitution à Paris, notamment dans le bois de Boulogne, et il serait irréaliste de vouloir l'éradiquer. Il n'en est pas moins préoccupant de constater que cette prostitution a changé de nature ces derniers temps : elle a pris un tour beaucoup plus violent depuis l'arrivée de femmes souvent très jeunes en provenance des Balkans et d'Europe de l'Est.
Après la crise du Kosovo notamment, on a vu affluer des prostituées albanaises, qui sont soumises à des traitements dégradants par des proxénètes visiblement jeunes et sans vergogne. Elles vivent le plus souvent dans des situations d'esclavage et de détresse personnelle effrayantes. Il est d'autant plus difficile de leur venir en aide qu'elles sont surveillées en permanence par des types qui les battent s'ils les voient discuter avec des policiers ou avec des responsables d'associations humanitaires. Le préfet de police de Paris, que j'avais interpellé à ce sujet, m'a d'ailleurs expliqué que cette prolifération dans tout Paris, notamment sur les périphériques parisiens, comme les boulevards Murat, Suchet et Lannes, dans le XVIème arrondissement, et le long des boulevards des Maréchaux des XIIe, XVIIe, XVIIIe, XIXe et XX arrondissements, s'est produite à la suite de règlements de comptes entre proxénètes intervenus dans le XVIIIe arrondissement.
Rien que pour le XVIe arrondissement de Paris, dont je suis l'élu, on trouve des prostituées depuis plusieurs mois devant deux lycées, La Fontaine et Claude-Bernard, devant l'école du Parc des Princes, et à la sortie de l'église Sainte-Jeanne-de-Chantal. Cela soulève une indignation réelle et bien compréhensible. D'autant que cela s'accompagne d'une recrudescence des exhibitions sexuelles à l'orée du bois de Boulogne, qui prennent désormais une tournure d'une agressivité rare, et qui mettent les gens dans une situation de peur et de malaise. Tout cela méritait une enquête...
Et vous avez découvert...
Contrairement à ce que j'imaginais, je me suis aperçu que ces prostituées, bien qu'étrangères, n'étaient pas en situation irrégulière, mais qu'elles bénéficiaient le plus souvent de l'asile politique et du statut de réfugié. Il s'agit de l'une des failles du système administratif français, où il n'y a en pratique aucun contrôle a priori de l'asile politique et du statut de réfugié, et où par conséquent, le permis de séjour est octroyé automatiquement. Ce qui m'a été confirmé par un rapport du préfet de police en date du 17 octobre dernier : Philippe Massoni y précise que "sur les cent soixante-quatre étrangères contrôlées depuis le 4 septembre" par ses services, "aucune d'elles n'était en situation administrative irrégulière", la plupart bénéficiant de l'asile politique.
Dans le même rapport, il est précisé que depuis le début de l'année, seize proxénètes, "qui vivaient des gains de prostituées pour la plupart d'origine bulgare, kosovare et moldave qu'ils avaient installées sur les boulevards des Maréchaux", ont été arrêtés et déférés devant la justice.
En approfondissant le dossier, je me suis rendu compte que ce phénomène était européen, et non pas seulement français : nous sommes en plein détournement du droit d'asile et nous sommes d'autant plus démunis qu'au bout de quelques mois, ces filles partent à Bruxelles et deviennent des réfugiées politiques belges. Elles y travaillent pendant six mois, puis partent à Milan, et font ainsi le tour de l'Europe. Sachant que celles qui exercent actuellement à Paris sont le plus souvent déjà passées par l'Italie, où elles ont été massivement régularisées, avant d'arriver en France par Lyon.
Si l'on ne marque pas une volonté forte d'arrêter le phénomène au niveau européen, on ne résoudra rien. D'autant que, normalement, un contrôle d'Europol ou d'Interpol devrait permettre de détecter les proxénètes, qui ne sont généralement pas des enfants de choeur et qui ont des casiers judiciaires en Albanie ou dans les pays de l'Est. Le problème, le plus souvent, c'est que la durée des enquêtes administratives pratiquées pour régulariser leur situation fait qu'ils bénéficient de papiers temporaires qui sont prolongés, ce qui rend le travail de la police quasi impossible.
Qu'en est-il des textes en vigueur en France pour réprimer la prostitution ?
La police a attiré mon attention sur le fait qu'elle ne disposait pas des moyens juridiques suffisants pour procéder à des interpellations efficaces. Il faut distinguer trois étapes : en 1946, on ferme les maisons closes, et comme on est persuadé que la prostitution va envahir les trottoirs, on promulgue des lois dissuasives. C'est ainsi que le racolage devient un délit.
Une décennie plus tard, la magistrature, qui est débordée par les demandes et les interventions, signale qu'elle ne peut plus faire face. Ce qui se traduit par l'ordonnance de 1958, qui établit la distinction entre le racolage actif et racolage passif. Le caractère répressif est atténué puisque, dans le deuxième cas, on passe à des contraventions de première classe, doit à peine 250 francs.
La troisième et dernière étape date de 1993 : la justice étant débordée par les contraventions de première classe, on supprime la notion de racolage passif. Il ne reste plus désormais que des contraventions de cinquième classe (amende de 2.500 à 5.000 francs) pour racolage actif. Mais il faut vraiment pour caractériser ce délit, que la femme soit à demi nue, que l'agression soit totale et que la victime se plaigne. En clair, le racolage actif n'est plus sanctionné dans les faits, à part dans le bois de Boulogne, où il pourrait d'ailleurs l'être davantage.
Que proposez-vous très concrètement ?
Je suggère que l'on revienne à la législation de 1946, mais en se donnant les moyens de l'appliquer. Je propose que le racolage actif redevienne un délit passible de correctionnelle, ce qui serait réellement dissuasif pour la prostituée, avec 20.000 francs d'amende et entre vingt et cent vingt heures de travaux d'intérêt général.
Pour le racolage passif, c'est-à-dire "l'attitude sur la voie publique de nature à provoquer la débauche", je propose que l'on revienne à la contravention de cinquième classe.
A lui seul, cet arsenal répressif ne suffit pas, j'en suis bien conscient. Il faut également s'attaquer à une réforme de l'asile territorial, assorti de contrôles préventifs. Sans oublier de favoriser le travail remarquable des associations de réinsertion des prostituées, qui patrouillent sur le terrain pour les aider à s'en sortir.
Et concernant les proxénètes ?
In fine, je crois qu'il faut aggraver les peines pour proxénétisme, même si le nouveau code pénal prévoit déjà, dans son article 225-5, cinq ans d'emprisonnement et un million de francs d'amende. Je suis également partisan de durcir encore les peines prévues pour exhibitionnisme, qui sont théoriquement de un an de prison et de 100.000 francs d'amende, sachant que dans la pratique, les poursuites sont excessivement rares.
(Source http://www.claude-goasguen.org, le 11 décembre 2000).