Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur le débat passé et à venir sur la réforme des institutions communautaires, Paris le 15 janvier 2001.

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Circonstance : Voeux à la presse de M. Pierre Moscovici, le 15 janvier 2001

Texte intégral

Je suis très heureux de vous retrouver pour la quatrième année consécutive. Je ne m'en lasse pas, d'autant plus que cette heureuse tradition des vux a, cette fois, un sens particulier à l'aube du nouveau millénaire.
Mais rassurez-vous, je ne succomberai pas au vertige du passage du siècle, en jetant un regard rétrospectif - pour paraphraser Eric-John Hobsbawm - sur ce court et souvent tragique 20ème siècle. Parfois une année peut se résumer en quelques mois, voire en quelques nuits sur la côte d'Azur. Vous l'aurez compris, j'en viens d'emblée à la présidence française de l'Union européenne qui nous a tous, chacun à sa place, beaucoup mobilisé.
C'est tout d'abord une formidable chance que de vivre une telle expérience, que l'on en soit acteur, analyste ou commentateur. Elle ne se reproduira pas avant longtemps pour notre pays, sans doute aux alentours de 2007/2008, tout dépendra du rythme de l'élargissement.
C'était pour moi, aux fonctions qui sont les miennes, en étant au cur de cet exercice, une opportunité passionnante même si elle était parfois éprouvante compte tenu du rythme intense sur une période très courte et des difficultés de l'agenda.
Car l'Europe en devenir, avec ses projets, ses espoirs et ses interrogations, avait fixé la barre très haut et la France était attendue. Sans revenir trop en arrière, rappelons-nous simplement l'impasse complète sur la réforme des institutions à Amsterdam en 1997, les risques de blocage du processus d'élargissement en cas de nouvel échec, la nécessité d'affirmer les valeurs de l'Europe et sa place sur la scène internationale, de la conforter comme espace de croissance, d'emploi et de cohésion sociale. Il fallait, enfin, donner des "preuves d'Europe" à nos concitoyens, qui attendent des réponses à leurs problèmes quotidiens.
Et, bien sûr, beaucoup d'espoirs reposaient sur la France qui avait la responsabilité de conclure à Nice la Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions.
Alors, avec quelques semaines de recul, quelle appréciation porter sur ses résultats ?
Je n'occulterai pas les commentaires critiques, parfois très durs, émis, ici ou là, sur le Traité de Nice.
Aujourd'hui, sans amertume ou ressentiment, sans non plus aucune autosatisfaction, mais simplement habité par le sentiment du devoir accompli, je voudrais essayer de faire la part des choses.
Souligner tout d'abord que l'action de la présidence française ne se résume pas à la CIG. Sa moisson est exceptionnelle dans de multiples domaines. Je mentionnerai tout particulièrement les avancées politiques majeures que représentent l'adoption de la Charte des droits fondamentaux ou les progrès de l'Europe de la Défense - sans précédent depuis l'échec de la CED - sans qu'il soit même besoin de mentionner les considérables résultats engrangés dans les autres domaines.
Il ne s'agit en aucune manière de mettre en balance des résultats très divers. Une présidence forme un tout, traduit une mobilisation et une ambition globales.
Pour en venir à la CIG, le mandat a été rempli. Il ne s'agissait pas, je le rappelle, même si certains le regrettent, de refonder l'Europe, de remettre tout à plat, mais de mettre l'Union en état de fonctionner dans la perspective de l'élargissement. Réaliser les engagements du passé
- faire ce qui n'avait pas pu être fait depuis 5 ans - et préserver l'avenir, telle était notre mission. Nous l'avons assurée.
Certes, il faut évidemment reconnaître des ambitions déçues, notamment concernant le champ de la majorité qualifiée et la composition de la Commission.
Pour le reste, les avancées ne manquent pas, avec en particulier l'assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées qui constitue un progrès réel et prometteur. Et surtout, nous avons fait de la place aux pays candidats. Au-delà de la mécanique institutionnelle, il faut souligner la valeur symbolique du résultat. Pour la première fois, la dimension concrète de ce processus historique prend forme : des voix au Conseil, des sièges au Parlement européen attendent les futurs membres. On peut railler cela ; les pays candidats, eux, ont bien reçu le message.
C'est à la lumière de ces éléments que la signification profonde du Traité de Nice doit apparaître. Il ne marque ni un recul ni un point d'arrivée. Cette remise à niveau institutionnelle, attendue depuis longtemps, est une étape, qui permet d'ouvrir l'avenir de l'Europe élargie.
J'en viens ainsi à jeter un regard sur la nouvelle année. Après Nice, la vie continue, du moins la vie de l'Europe, et elle sera très active.
Le temps est ainsi venu de reprendre et d'approfondir le débat sur l'avenir de l'Europe. La déclaration adoptée à Nice évoque quatre sujets (répartition des compétences, statut de la Charte, simplification des traités, rôle des parlements nationaux), des indications sur le calendrier (travaux sous présidences suédoise, et surtout, belge, convocation d'une nouvelle Conférence en 2004) et enfin des éléments sur la méthode (large débat avec milieux politiques, économiques, société civile, ...).
Ces thèmes portent sur l'architecture institutionnelle et l'organisation des pouvoirs en Europe. Sans épuiser le sujet, ils nous renvoient tous, en fait, à des questions majeures : quelle Europe voulons-nous ? Avec quel degré d'intégration ? Quelle articulation entre le niveau fédéral et les Etats nations ?
Vous avez tous en tête les interventions multiples et stimulantes de l'année dernière, avec notamment l'écho du discours de Joschka Fischer. Nous n'avons jamais cherché à esquiver le débat, durant notre semestre de présidence, mais à bien distinguer les différents horizons temporels. Il y avait le temps court, celui de la négociation de la CIG, sans l'aboutissement de laquelle toutes les réflexions sur l'Europe future étaient vaines. Et puis le temps plus long, orienté par la perspective de l'Europe à 30. Nous y sommes désormais.
Je forme le vu que le débat prenne maintenant toute son ampleur. J'observe d'ailleurs que le calendrier européen coïncide dans une certaine mesure avec les échéances politiques, chez nous comme chez nombre de nos partenaires. C'est une bonne chose. Enfin, les idées qui flottent ici ou là vont, en quelque sorte, atterrir aussi dans le champ du débat politique intérieur que dans celui de la négociation communautaire. Nous y prendrons une part active.
Comme vous pouvez le constater, la nouvelle période qui s'ouvre sera riche. C'est à vous qu'il reviendra d'analyser, de rendre compte, de commenter cette vie communautaire. La tâche sera passionnante et ardue. En effet, d'un côté les implications de l'Europe pour nos concitoyens sont de plus en plus fortes. L'introduction physique de l'euro, au 1er janvier 2002, l'illustrera de manière éclatante ; de l'autre, le débat sur l'Europe, ses finalités et ses moyens, va s'épanouir comme jamais. Il faut espérer qu'il ne prenne pas un tour trop institutionnel, qu'il ne tourne pas à la querelle talmudique entre spécialistes de ces questions, et que les vraies, les grandes questions politiques soient posées pour aller de l'avant. Pour ma part, je m'y emploierai.
Je suis certain que, chacun à notre place, nous ne ménagerons pas nos efforts dans cette période exaltante, qui nous permettra enfin de nous rapprocher, ensemble, de l'épreuve de vérité sur l'Europe politique dont parlait Jacques Delors.
Mes meilleurs vux.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 janvier 2001)