Texte intégral
Monsieur le Ministre, cher Günter,
Monsieur le Délégué de la Commission européenne,
Mesdames et Messieurs,
Je veux, tout d'abord, remercier M. Bunz, qui nous accueille dans les locaux de la délégation de la Commission européenne, et vous dire que je suis très heureux d'être parmi vous, pour cette intervention commune avec mon collègue et ami, Günter Verheugen.
J'ai terminé, il y a quelques minutes, une intervention devant le public du Centre d'études sur l'intégration européenne, où nous avons beaucoup parlé de « l'Europe après l'euro ». En français, on dirait que nous avons « tiré des plans sur la comète » ; c'est dire non seulement que les perspectives ouvertes par le passage à l'euro sont nombreuses et prometteuses ; c'est dire aussi quelles s'inscrivent dans la durée.
Mon intervention ici, après celle de Günter Verheugen, va nous ramener sur terre. Cette Europe politique, plus unie, plus forte, plus à même de peser sur la scène internationale, certes, nous la voulons ; mais nous savons aussi quelle devra se construire, présidence après présidence, et c'est en ce sens que nous attendons beaucoup de la présidence allemande qui s'est ouverte le 1er janvier dernier.
Je n'insisterai pas sur la « densité » de cette nouvelle année, dont vous connaissez les échéances, que Günter Verheugen a rappelées : l'euro, le Traité d'Amsterdam, « l'Agenda 2000 », les premières réflexions sur la réforme institutionnelle, les négociations d'élargissement, les élections au Parlement européen, ainsi que le renouvellement de la Commission et la désignation du « Monsieur » ou « Madame » PESC. Le nombre de ces échéances est, d'abord, comme un hommage rendu à l'Allemagne dont nous, les Français, sommes mieux à même que d'autres dévaluer l'immense contribution à la construction européenne.
Cela n'est peut-être qu'un symbole, cher Günter, mais je me félicite vraiment qu'il revienne à l'Allemagne, avec l'euro, avec le nouveau traité, avec le nouveau Parlement européen et la désignation du président de la future Commission, de faire entrer l'Union européenne, si j'ose dire, dans le siècle prochain, avant même la fin de cette année. Et c'est pourquoi, je te le dis avec amitié, je te souhaite de tout coeur le succès de la présidence allemande, dans laquelle, en tant que ministre des Affaires européennes, tu auras un rôle essentiel à jouer.
Tu viens d'exposer les priorités de la présidence allemande. Comme pour toute présidence, il y a les sujets dont on hérite et certains, parmi ceux-ci, ne seront pas faciles à régler, je pense tout particulièrement à l'Agenda 2000. Mais il y a aussi les sujets sur lesquels une présidence peut donner une impulsion forte. Sur tous ces sujets, je veux d'abord dire à Günter Verheugen et, à travers lui, au gouvernement allemand, que, comme par le passé, la France appuiera les efforts de son grand partenaire au service dune Union européenne plus forte.
J'en viens donc à présent à la façon dont nous, Français, nous voyons les principaux dossiers de la présidence allemande.
I - L'Agenda 2000 d'abord. C'est le sujet que je veux évoquer en premier, parce que, comme chacun le sait ici, sa gestion sera des plus délicates. L'Allemagne a une ambition forte, qui est de boucler la négociation de ce dossier à l'occasion d'un Conseil européen spécial à la fin du mois de mars.
Quel est l'état des lieux aujourd'hui ? Sans entrer dans le détail, je crois d'abord qu'il faut admettre qu'en dépit des efforts, de la France et de l'Allemagne notamment, le débat du Conseil européen de Vienne, s'est finalement limité à un tour de table qui a, une nouvelle fois, constaté les divergences.
En gros, ce qu'on peut dire, c'est que les pays partisans de la stabilisation des dépenses à Quinze, parmi lesquels la France et l'Allemagne, ont trouvé face à eux les quatre pays de la cohésion qui ont insisté, pour leur part, sur la nécessaire solidarité au profit de membres les plus pauvres de l'Union.
Il n'est pas étonnant, dans ce contexte, que les conclusions de Vienne soient pour le moins laconiques : confirmation de l'objectif de conclure un accord en mars, accord sur l'idée qu'il s'agira d'un paquet global, accord aussi sur le principe que tous les éléments de l'Agenda 2000 doivent être mis sur la table de négociations, enfin, invitation à tous les Etats membres de participer à un accord équilibré fondé sur deux principes : la solidarité certes, mais aussi la rigueur budgétaire. Il revient désormais à la présidence allemande de trouver le cheminement pour parvenir à un tel accord.
Le moins qu'on puisse dire aujourd'hui, c'est que l'Allemagne entend ne pas être avare de moyens : outre les réunions techniques et celles des formations du Conseil concernées, les Allemands envisagent donc un Conseil européen informel à la fin mars, qui pourrait être précédé, si nécessaire, dune autre réunion des chefs d'Etat et de gouvernement à la fin février et d'un conclave au niveau des ministres des Affaires étrangères et européennes. Par ailleurs, le chancelier Schröder fera, pour sa part, une tournée des capitales de l'Union.
Le gouvernement français souhaite vivement que ces efforts aboutissent. En ce qui nous concerne, nous ferons tous les efforts possibles afin de parvenir à un compromis politique et nous espérons, de la part de tous nos partenaires, le même engagement.
Ce message, cela va de soi, s'adresse aussi à l'Allemagne elle-même qui, en dépit de ses responsabilités particulières en tant que présidence, n'entend pas renoncer - et c'est bien légitime - à ses objectifs nationaux : je pense tout particulièrement à sa volonté de réduire sa contribution nette au budget de l'Union.
Par exemple, lors de sa déclaration au Bundestag du 10 décembre, le Chancelier a souligné que l'Allemagne refuserait désormais de résoudre les problèmes européens par son « carnet de chèques ». Je ne veux pas poursuivre sur ce terrain ; j'ai été, je crois, l'un des premiers en France à reconnaître l'existence du problème allemand et à suggérer des pistes pour contribuer à le résoudre.
Mais il y a deux choses que je veux dire ici. La première, c'est que nous comprenons que l'Allemagne appelle ses partenaires, notamment la France, à un partage du fardeau budgétaire plus équitable. Mais, pour nous, ce rééquilibrage passe d'abord par un effort de maîtrise de la dépense, y compris de la dépense agricole. C'est, je crois, un principe qui devrait finir par prévaloir.
Mais, je veux dire une deuxième chose, c'est qu'il ne faut pas se tromper de moyens pour parvenir à ce résultat :
- - d'abord, la France ne pense pas que l'écrêtement des soldes nets soit une bonne solution, car elle serait contraire au fondement même de la construction européenne ; certes nous lavons accepté en 1982 pour un Etat membre, dans les conditions que chacun connaît ; mais nous pensons qu'il serait dangereux de généraliser une telle formule ;
- - ensuite, sur la Politique agricole commune : sur ce chapitre encore, je vous dois la franchise.
Certes, la dépense agricole représente 47 ou 48 % de la dépense communautaire totale, alors que la part de l'agriculture constitue 3% du PNB de l'Union. Certes, aussi, la Politique agricole commune est aujourd'hui la seule politique qui ne fasse pas l'objet d'un cofinancement par les Etats membres.
Faut-il, pour autant, banaliser cette politique ? C'est un point de vue que nous ne partageons pas. Il faut, bien entendu, continuer à réduire la proportion des dépenses agricoles dans le volume total des dépenses, comme nous lavons déjà fait en 1992. Et, sur ce point essentiel, la France a fait des propositions sérieuses de maîtrise de la dépense agricole, y compris par la dégressivité des aides directes aux agriculteurs, que nous demandons à la présidence allemande d'étudier sans tarder.
Ceci posé, je suis absolument convaincu que la PAC représente une dimension essentielle du « modèle social européen » ; son adaptation doit certes viser à la maîtrise de la dépense globale, mais aussi pour à la protection de notre cadre de vie, de notre environnement et de l'aménagement de notre espace. C'est cette approche que nous avons dores et déjà retenue en France, dans le cadre dune nouvelle « loi d'orientation agricole ».
En revanche, qu'on ne compte pas sur la France pour envisager la renationalisation, fut-elle partielle, de la PAC.
Que chacun sache ici que nous considérerions l'introduction d'un cofinancement de la dépense agricole comme l'amorce d'un démantèlement de cette grande politique, qui est au coeur du pacte fondateur de l'Union européenne et, si j'ose dire, du pacte franco-allemand.
II - Deuxième priorité de la présidence allemande : l'emploi et la dimension sociale de la construction européenne
Je ne peux évidemment pas sous-estimer le changement de majorité parlementaire qui est intervenu ici en septembre dernier. Comme vous le savez, nos contacts avec la nouvelle équipe gouvernementale allemande se sont multipliés depuis cette date. Ce que nous, Français, avons ressenti, cest la volonté forte de rapprocher l'Europe des préoccupations exprimées par le peuple allemand, au premier rang desquelles la question de l'emploi.
C'est une préoccupation dans laquelle, comme vous le savez, le gouvernement de la France se retrouve pleinement. Et c'est pourquoi, lors du Conseil européen de Vienne, les 11 et 12 décembre dernier, les autorités françaises et allemandes ont agi avec la même ferveur pour faire de la lutte contre le chômage la priorité de chaque Etat membre et pour renforcer l'action de l'Union dans ce domaine.
Ainsi, au-delà des dispositions prévues par le traité d'Amsterdam et mises en oeuvre lors du Conseil européen de Luxembourg, en novembre 1997 - je pense aux plans nationaux et aux lignes directrices pour l'emploi - les Quinze ont reconnu, à l'instigation du chancelier Schröder et des autorités françaises, le besoin de renforcer ces instruments et de les faire converger vers une stratégie cohérente, qui prendrait la forme d'un « Pacte européen pour l'emploi ».
C'est, comme vous le savez, un domaine dans lequel le gouvernement français entend ne pas être en reste. Dès le Conseil européen de Vienne, le Premier ministre avait fait part à ses partenaires de certaines suggestions : le renforcement du dialogue social, l'incitation à des conventions collectives européennes, la définition de recommandations au niveau européen sur la durée du travail, le principe d'un minimum salarial, la formation permanente, la mise en place d'objectifs quantifiés et vérifiables.
Ces idées ont reçu un accueil favorable de la part de nos partenaires. Ainsi se met en place, progressivement, l'idée d'un équivalent en matière sociale au Pacte de stabilité et de croissance adopté en 1997 dans le domaine économique.
Le « Pacte européen sur l'emploi » est donc en chantier. Il sera, à terme, une composante essentielle de la coordination des politiques économiques et donc de la stratégie coordonnée en faveur de la croissance et de l'emploi en Europe. Nous ne pouvons que nous en féliciter et nous aiderons la présidence allemande à progresser rapidement dans ce domaine, de même que, par exemple, dans les travaux relatifs à l'harmonisation fiscale, que l'Allemagne souhaite également faire avancer.
III. Troisième grande priorité de la présidence allemande : l'élargissement de l'Union. Ce n'est pas, à proprement parler, une priorité nouvelle, puisque le processus, lancé en mars dernier, est engagé, et que, selon la formule consacrée, chacune des six négociations qui ont été ouvertes a désormais son rythme propre.
Il est clair cependant que nous entrons à présent dans le vif de la négociation. Je ne veux pas paraphraser ce qua dit Günter Verheugen sur ce chapitre important, qui est au coeur de la réunification du continent. Ce qui est sûr, c'est que 1999 marquera l'entrée de l'Union dans le coeur des négociations. Il y a là une dynamique qui est lancée et qui justifie aussi l'accent que l'Allemagne a décidé de mettre sur la question de la réforme des institutions de l'Union.
IV - Je fais ainsi le lien avec la question institutionnelle, qui constitue en effet, la quatrième grande priorité de la présidence allemande.
Sur ce point, je crois que la réflexion de nos partenaires a évolué, notamment depuis la nomination du nouveau gouvernement allemand, qui partage notre analyse sur la nécessité de procéder à cette réforme avant les prochains élargissements.
Je n'entrerai pas ici dans le détail de cette problématique. Ce que je retiens, c'est que la question du fonctionnement des institutions commence à s'imposer à l'ensemble de nos partenaires de l'Union. Ainsi, comme vous le savez, le Conseil européen de Vienne a permis d'entériner plusieurs décisions qui avaient été adoptées dans leur principe lors de la réunion informelle de Pörtschach, en octobre dernier.
On parle désormais dune « Stratégie de Vienne pour l'Europe », consistant en une liste de travaux à accomplir par l'Union tout au long de l'année 1999, assortie de rendez-vous précis, soit pour le Conseil européen de Cologne, en juin, soit pour celui d'Helsinki, sous présidence finlandaise, en décembre prochain, avec la réunion, aussi, d'un Conseil européen extraordinaire, à Tampéré, sur les affaires intérieures et de justice.
Il en va de même des orientations pour la mise en oeuvre du principe de subsidiarité, qui seront appliquées avant même l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam, ainsi que des améliorations du fonctionnement du Conseil (coordination des Conseils, préparation des Conseils européens, diminution du nombre des Conseils, etc) et des réformes internes à la Commission européenne.
Surtout, les Allemands ont obtenu, à Vienne, un mandat pour proposer à Cologne une procédure en vue de la reprise de l'examen des questions qui n'ont pu être résolues à Amsterdam, sur la taille de la Commission, sur le champ de la majorité qualifiée et sur la repondération des voix.
Ainsi, vous le voyez, petit à petit, notre préoccupation fait son chemin et je me félicite que les Allemands nous rejoignent désormais sur ce terrain : à charge, pour eux, de proposer une méthode de travail, peut-être un calendrier ; à charge, bien entendu, pour les présidences suivantes, de conduire les réflexions de fond et, à cet égard, je pense que la future présidence française de l'Union, au second semestre de lan 2000, occupera une place importante.
V - Cinquième priorité de la présidence allemande : la question de la PESC et ses prolongements avec la question dune défense commune.
1.Il est inutile, je crois, de faire le récit de la dernière crise internationale que nous avons dû affronter avec les frappes anglo-américaines sur l'Iraq, pour faire, une fois encore, le procès de la Politique étrangère et de Sécurité commune.
Après tout, faire dès maintenant le procès dune PESC que chacun sait balbutiante, et dont chacun s'accorde à penser que sa mise en oeuvre exigera autant de volonté politique que de temps et d'énergie, n'aide guère à faire progresser la réflexion. Le diagnostic est unanime : la PESC ne fonctionne pas comme elle le devrait et son dysfonctionnement peut jeter le discrédit sur la construction européenne elle-même.
Je suis extrêmement soucieux des critiques qui nous sont adressées, à nous les gouvernements de l'Europe, le massacre de Racak constituant, à cet égard, une nouvelle illustration de notre impuissance à prévenir, à agir, à réprimer. C'est dire que, comme les Allemands, nous pensons qu'il est temps que la PESC sorte du champ déclaratoire pour se doter des moyens nous permettant d'exister davantage sur la scène internationale et, surtout, de contribuer à la prévention ou à la gestion des crises, notamment celles qui se produisent à nos portes.
Là encore, je n'entrerai pas dans le détail des instruments dont disposera la PESC avec le Traité d'Amsterdam. Certes « Monsieur » ou « Madame PESC » personnifiera l'Union ; certes les « stratégies communes » permettront de mobiliser l'ensemble des moyens dont dispose l'Union et ses Etats membres.
Mais nous sommes conscients que, dans ce domaine aussi, Amsterdam ne va pas assez loin, ou, du moins, ses potentialités devront être développées.
Comme Joshka Fischer le disait fort justement il y a quelques jours, devant le Parlement européen, à Strasbourg, « l'Union devra développer la capacité de gérer les crises au plan militaire, dans les cas où (...) une action s'impose ». A cet égard, je me félicite que l'Allemagne souscrive à l'approche qu'avec les Britanniques, la France a commencé à développer.
Comme vous le savez en effet, les déclarations des autorités françaises - qui tracent la perspective dune intégration progressive de l'UEO dans l'Union européenne - et celles, aussi, du Premier ministre britannique, posent les nouveaux jalons dune réflexion fondamentale pour l'avenir de l'Europe.
Comment, dans une Union européenne qui aura bientôt une monnaie unique, qui a engagé le processus de son élargissement, qui, enfin, comme la France le souhaite, réformera ses institutions pour devenir un ensemble plus efficace et plus crédible, comment donc doivent s'inscrire la défense et la sécurité ?
Voilà le défi auquel nous sommes, dès à présent, confrontés et que permettront d'éclairer, je l'espère vivement, les échéances prévues en 1999 : l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam, mais aussi le Sommet de l'Alliance atlantique à Washington et le Conseil européen de Cologne. C'est pourquoi nous suivrons attentivement les initiatives que pourra prendre la présidence allemande, qui exerce également la Présidence de l'Union de l'Europe occidentale.
Je m'arrêterai là, en espérant ne pas avoir trop paraphrasé ce qua dit Günter Verheugen juste avant moi. Si telle est cependant votre impression, c'est sans doute, après tout, le signe que, sur nombre de sujets, le processus de convergence de nos deux pays se poursuit. Et tout ceci est, finalement, de bonne augure, puisque, je vous le rappelle, nous commémorerons demain le 36ème anniversaire de la signature du Traité de l'Elysée, ce pacte d'amitié et de coopération qui nous lie depuis les premières années de la construction européenne.
Je vous remercie de votre attention et, encore une fois, je souhaite bonne chance à la présidence allemande en l'assurant de tout l'appui du gouvernement français../.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)