Déclaration de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur le travail que le parti communiste désire entreprendre avec les associations dans la lutte contre les inégalités, sur le bilan du gouvernement dans ce domaine, sur la nécessité de mieux répartir les fruits de la croissance et de procéder à de profondes réformes structurelles, La Courneuve, le 16 septembre 2000.

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Circonstance : Fête de l'Humanité à La Courneuve du 15 au 17 septembre 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, cher(e)s ami(e)s,
Je veux d'abord, en mon nom et au nom de la direction du parti communiste, vous souhaiter la bienvenue à la fête de l'Humanité, et vous dire combien nous sommes heureux de votre participation à l'initiative qui nous réunit ce soir.
Elle s'inscrit, vous le savez, dans la continuité d'une démarche amorcée au printemps dernier.
J'avais en effet, fin mars lors de notre 30ème congrès, avancé l'idée d'engager un vaste mouvement national pour faire reculer les inégalités et pour construire une société citoyenne de partage.
Permettez-moi d'en rappeler rapidement les raisons. Il y a en France, à l'aube du 21ème siècle, une terrible et massive réalité: les inégalités sociales ne cessent de croître et de s'aggraver.
Je pense d'abord, bien sûr, à celles que génèrent le chômage, la précarité et leurs conséquences dramatiques pour les millions de nos concitoyennes et concitoyens qui n'ont pour subsister que les scandaleusement trop maigres minima sociaux.
Je pense à ce que vient de confirmer, dans le domaine de la santé, un récent rapport de l'INSERM. Le niveau sanitaire de notre pays s'élève certes, et c'est tant mieux. Mais les disparités liées à l'appartenance sociale se renforcent très sensiblement face aux causes de mortalité et de maladies, et c'est insupportable!
Il y a aussi - vous le savez d'expérience par vos travaux d'analyse, par vos engagements sur le terrain - le cortège des discriminations, des ségrégations, de la marginalité dans lesquelles sont encore enfermées des millions de Françaises et de Français. Il y a le racisme et l'homophobie; les inégalités persistantes entre hommes et femmes, dans la société et dans le travail; il y a la peur de celles et ceux, privés de papiers, qui vivent dans la clandestinité et risquent à tout moment l'expulsion. Il y a le droit de vote toujours refusé à des millions de femmes et d'hommes installés dans notre pays - parfois depuis longtemps - et qui contribuent par leur travail à sa prospérité. Il y a les profondes disparités du système éducatif et les multiples ségrégations urbaines.
De tout cela - et de beaucoup d'autres choses car la liste n'est pas exhaustive - nous avons commencé à discuter. De nombreuses rencontres ont déjà eu lieu, qui nous ont permis de constater l'intérêt suscité par la démarche que nous avons initiée. J'ai participé à quelques-unes d'entre elles. Je les ai trouvées, toutes, très fructueuses et toutes m'ont beaucoup appris. J'en retire, en particulier, la certitude d'un grand nombre de préoccupations partagées, et donc de la possibilité de pousser plus loin, ensemble, le travail débuté. Ensemble, c'est-à-dire dans un véritable effort de réflexion commune et de co-élaboration. Réflexion pour mieux cerner les causes et les mécanismes qui produisent et entretiennent les inégalités. Et co-élaboration afin de formuler des propositions susceptibles de les faire reculer concrètement.
Nous tenons tout particulièrement à ce que cette co-élaboration vive réellement et soit fructueuse. Cela implique le respect mutuel permettant à toutes les organisations et personnalités qui s'engagent dans ce processus d'y être pleinement à l'aise, et de faire valoir leur spécificité, leurs idées, leurs propositions.
C'est dans cet esprit que nous élaborons une synthèse de nos premières réunions que nous vous adresserons très prochainement. Elle s'efforcera de mettre en évidence quelques-unes des idées force qui émergent de nos réflexions croisées. Ce sera, je crois, un premier document utile à tous.
Réflexion et co-élaboration communes, donc. Et aussi, chaque fois que nous en serons d'accord, prises d'initiatives. A tous les niveaux utiles: au plan local, départemental et régional, et au plan national. C'est-à-dire partout où, ensemble, nous pouvons agir pour arracher des succès afin de réduire, dans les faits, les inégalités.
Je tenais à vous dire cela, cher(e)s ami(e)s, et à vous assurer de notre totale disponibilité à poursuivre avec vous, dans la durée, le travail que nous avons, je le crois, bien commencé ensemble.
Vous comprendrez que je veuille, à présent, vous faire part des réflexions qu'inspire aux communistes la situation de notre pays en cette rentrée. Mon propos sera d'ailleurs en rapport très étroit avec ce qui nous occupe et que je viens de rappeler.
Plusieurs sondages montrent que l'action du Premier ministre - et donc, à travers lui, celle du gouvernement de la gauche plurielle - est jugée sévèrement par une très large partie de l'opinion publique.
Je tiens à le dire avec une certaine solennité: l'avertissement est très sérieux. Mieux vaut le considérer comme tel. Il serait grave - grave pour le pays, grave pour le gouvernement, grave pour la gauche tout entière - de considérer qu'il ne s'agirait que d'un mouvement d'humeur passager de l'opinion, que quelques annonces habilement présentées pourraient calmer.
Pour moi, le message des Françaises et des Français est clair: il invite la gauche plurielle à un véritable examen de conscience.
Personne ne conteste que beaucoup a déjà été réalisé depuis 1997. Le bilan n'est pas négligeable, et les communistes y ont pleinement contribué.
Il en est résulté une amélioration de la situation économique et, avec une certaine croissance retrouvée, des surplus très appréciables - les fameuses " cagnottes " - de recettes fiscales.
Je confirme ce que j'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises ces dernières semaines: l'heure est venue de répartir plus largement et de façon plus significative les fruits de cette croissance. Et pour cela, il est impératif de prendre tout de suite des décisions fortes qui doivent marquer une véritable réorientation de la politique de la gauche plurielle.
Les Françaises et les Français n'ont pas le sentiment que le gouvernement va vraiment dans ce sens. Ils estiment que le train de mesures fiscales annoncé il y a quelques jours ne répond pas à leurs attentes. Et en effet ce plan fait encore la part belle aux patrons, aux très hauts revenus, tandis que les catégories moyennes et modestes ne reçoivent que trop peu. Quant aux millions de citoyennes et citoyens en situation de grande précarité ou d'exclusion, ils sont une nouvelle fois les oubliés des mesures gouvernementales.
Tout cela alors qu'une avalanche de chiffres faramineux confirme l'éclatante santé des fortunes. Celles des 500 familles les plus riches de France ont progressé de 440 milliards -plus 58 %- en un an, de 1999 à 2000.
La France est le premier pays d'Europe pour les stock options; le deuxième dans le monde après les Etats-Unis.
La compagnie pétrolière Total a réalisé 22 milliards de bénéfices supplémentaires, en hausse de 168%, ces derniers mois.
A un pôle une insolente explosion de la richesse; à l'autre une dramatique explosion des inégalités, de la précarité, de l'exclusion et la stagnation générale des salaires.
Ça ne va pas, ça ne va pas du tout.
C'est très exactement ce que les Françaises et les Français sont en train de dire au gouvernement. Et je dis au Premier ministre: il faut les écouter; il faut les entendre. Il faut, d'urgence, apporter des réponses fortes à leurs attentes sociales.
Il faut bien apprécier ce qui bouge dans l'opinion comme dans la société. Il faut bien voir que nous sommes entrés dans une nouvelle période.
En matière de salaires, de minima sociaux et de retraites, le gouvernement doit passer aux actes dans les domaines qui relèvent de sa compétence.
Je le maintiens: le SMIC doit être de nouveau revalorisé, exceptionnellement, dès le 1er octobre.
De même que je maintiens mes propositions d'un relèvement très significatif des minima sociaux. Dans un grand pays comme la France, il est scandaleux que plus de 3 millions d'hommes et de femmes vivent encore sous le seuil de pauvreté. Il m'est insupportable de devoir constater que le gouvernement de la gauche persiste à ne pas vouloir mettre fin à ce scandale.
Oui, il est urgent que le gouvernement lance une grande politique de revalorisation des salaires, des retraites et des minima sociaux. Ce sera, aussi, un encouragement à ce que la question des salaires soit posée dans le secteur privé. Le gain de pouvoir d'achat distribué jusqu'à présent - très insuffisamment - l'a été par une légère réduction de la fiscalité.
On a même parlé de réforme fiscale à propos des récentes mesures gouvernementales. C'est un abus de langage et précisément: il s'agit maintenant et sans attendre d'ouvrir le chantier de cette réforme. J'ai montré l'étendue et la progression incroyables des fortunes et des produits financiers.
Comment parler de fiscalité équitable si l'on continue de les épargner, pour l'essentiel, d'une véritable contribution à la solidarité nationale par l'impôt? C'est pourquoi les communistes vont mettre en forme pour les soumettre à la discussion leurs propositions concrètes en la matière, dans la perspective d'une réforme fiscale de grande ampleur s'attaquant enfin aux revenus financiers.
Et les emplois-jeunes? Ils ont bien sûr été très utiles à des dizaines de milliers de jeunes. Tant mieux. Mais à présent, il reste à créer les conditions de leur pérennité, avec des salaires et des statuts à la hauteur des aspirations et des besoins de la jeunesse. Ce chantier ne démarre pas, et c'est préoccupant. Là encore, rien ne serait pire que de tergiverser. Il faut du concret, et vite. Sinon, personne ne devra s'étonner de la colère des jeunes devant des promesses non tenues.
Enfin les communistes continuent d'exiger une baisse du prix de l'essence et un mécanisme permettant d'en plafonner le prix à la pompe. Pour cela, il faut réduire les taxes qui le grèvent lourdement et opérer un prélèvement - jusqu'à 50 % - sur les bénéfices des compagnies pétrolières. Et demain, lors du meeting de la fête de l'Humanité, Dominique Grador fera une proposition pour faire grandir cette exigence jusqu'à ce qu'elle soit effectivement entendue.
Vous le voyez, cher(e)s ami(e)s, pour les communistes la situation présente ne souffre pas les demi-mesures, les atermoiements, le saupoudrage social, comme c'est trop souvent le cas actuellement.
J'ai la conviction que c'est ce que ressent une majorité de notre peuple. Même confusément, les Françaises et les Français marquent leurs vives réticences à l'offensive sociale-libérale qui veut leur refaire le coup des " contraintes ". Déficits, inflation et, bientôt peut-être, pourquoi pas, nouveau " choc pétrolier ": il y aurait des obstacles insurmontables qui interdiraient de faire réponse à leurs aspirations, leurs attentes. Et ce discours leur est tenu alors que - à la différence d'autres époques - la croissance est là et les fortunes, les plus-values boursières, les profits, les stock-options enflent démesurément.
J'ajoute - c'est aussi l'actualité - que leur besoin d'un vrai débat politique sur les choix à accomplir est bien malmené aujourd'hui.
Or c'est avec les Français qu'il faut dialoguer; c'est eux qu'il faut écouter, bien davantage que les prétendus experts, les technocrates coupés des réalités, qui peuplent les antichambres du pouvoir et se tiennent à distance hautaine des salariés, des chômeurs et des précaires, des citoyens en général.
Voyez, de ce point de vue l'affligeante pauvreté de la campagne référendaire menée par les promoteurs du quinquennat " sec "! Et les voilà aujourd'hui qui admonestent les Français parce qu'ils n'acceptent pas le marché de dupes qui leur est proposé et s'apprêtent, pour le signifier, à s'abstenir massivement. En vérité, la société française a besoin d'une ambitieuse réforme de ses institutions et d'un nouvel élan de la démocratie.
A l'heure de la révolution informationnelle les citoyennes et les citoyens veulent disposer de droits nouveaux, de plus de responsabilités dans la vie quotidienne et au travail. Ils veulent contribuer effectivement à faire la politique, et non pas à subir.
Pour toutes ces raisons, je le dis ce soir: si elle continue ainsi la gauche va dans le mur.
Depuis 1997 les communistes, leurs ministres n'ont pas ménagé leurs efforts et sont pour beaucoup dans les premiers succès de la gauche plurielle. Mais, et je ne cesse de répéter: il faut entreprendre de grandes réformes structurelles pour répondre vraiment aux attentes de notre peuple; pour réduire de façon significative les inégalités.
On peut reprendre mes propos lors des universités d'été du Parti communiste tenues depuis trois ans; ou à l'occasion des vux que j'adresse à la presse en début d'année; ou encore ici même, il y a un an, à la fête de l'Humanité. J'ai constamment alerté sur les risques politiques que fait courir à la gauche, à toute la gauche, la frilosité face aux dogmes du libéralisme, qui font des salaires, de la dépense publique et de l'emploi des variables d'ajustement; des coûts à contenir absolument et, si possible, à faire baisser.
Je l'ai dit souvent au Premier Ministre: attention que l'opinion ne considère pas comme déplacé ce qui peut lui apparaître, parfois, de la part des gouvernants, comme une tendance à l'autosatisfaction, voire à une certaine suffisance.
J'ai toujours mis en garde contre la tentation d'une gestion " tranquille " des acquis - et ils ne sont pas contestables - de la gauche plurielle.
La droite est à bien des égards disqualifiée, c'est vrai. Elle n'en demeure pas moins présente, et prompte à prendre sa revanche si l'opportunité lui en est offerte. Les communistes ne feront rien, jamais, pour lui faire un pareil cadeau.
Je veux mettre les points sur les i: c'est pour cela - et uniquement pour cela - que "roule" le parti communiste, que " roule " son secrétaire national et non pour la réussite de telle ou telle personnalité ou de telle ou telle candidature. Et c'est pour cela - parce que notre objectif c'est que la gauche réussisse à faire la vraie politique de gauche que l'on attend d'elle - que nous ne passons pas notre temps à menacer de claquer la porte mais bien plutôt à ouvrir largement la porte vers les réformes audacieuses plus que jamais nécessaires.
Cher(e)s ami(e)s,
Vous le voyez, nous sommes sérieusement préoccupés par la situation que traverse notre pays. Les débats, avant-hier, de notre Conseil national en ont attesté.
C'est pourquoi je veux, en concluant mon propos, vous dire ce soir que dès la semaine prochaine je compte m'adresser aux responsables des formations de la majorité de gauche plurielle.
Je pense que le moment est venu pour elle, de reprendre l'initiative. Il lui faut, impérativement, immédiatement, engager une dynamique nouvelle. Il nous faut en discuter très sérieusement, très précisément. Et je dis aux responsables de la majorité plurielle: les coups de théâtre, les opérations médiatiques savamment calculés, la gestion des intérêts partisans, les tentations hégémoniques: tout cela est à bannir absolument.
Le gouvernement est au pied du mur: pour réussir vraiment et du même coup pour conserver la confiance des Français, il faut changer de braquet. L'autosatisfaction proclamée ne fait pas le compte. Le saupoudrage de mesures partielles non plus. Il faut travailler dur, et travailler vite pour réaliser les indispensables réformes de gauche que je viens d'évoquer. Nous ferons tout pour qu'il en soit ainsi. Et chacun le comprend bien, c'est là une contribution du parti communiste au mouvement qui nous intéresse ici pour faire reculer les inégalités et pour une société de partage pour la transformation sociale.

(source http://www.pcf.fr, le 17 septembre 2000)