Texte intégral
Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Ces assises de la Protection judiciaire de la jeunesse arrivent à point nommé. La Justice des mineurs a fait parfois l'objet d'assauts violents et, même si tout nuage n'est pas écarté, nous pouvons aujourd'hui prendre le temps d'une réflexion plus sereine.
Nous avons besoin d'analyser la situation de la jeunesse et les missions de la Justice des mineurs, à l'abri de la pression de l'urgence.
L'exigence de réponses immédiates est légitime. Mais, il nous faut également envisager la Justice des mineurs dans une perspective à plus long terme et clarifier nos choix fondamentaux.
En ma qualité de ministre de la ville, je suis confronté à une réalité multiple que j'ai toujours refusé de réduire à "la délinquance des mineurs". Les enfants et adolescents de nos quartiers populaires endurent des situations de souffrances qui sont souvent peu perçues.
Les jeunes filles doivent trouver leur place entre pression de l'entourage et de la famille et insertion dans le monde des études et du travail. Les enfants manquent de loisirs dans leur quartier. Les écoles n'offrent pas toujours un cadre épanouissant pour ces jeunes. Les soins parfois les plus élémentaires ne sont pas assurés pour certaines familles. Les jeunes des quartiers souffrent aussi des discriminations raciales et de rejets lorsqu'ils recherchent un stage ou un emploi.
Il ne s'agit pas de donner une image lénifiante des jeunes, mais de comprendre les causes de leur attitude et d'y répondre de manière adéquate.
Il me paraît essentiel aussi d'entendre les plaintes des autres habitants, qui redoutent les regroupements d'adolescents au bas des immeubles, des enseignants qui subissent les injures, des forces de l'ordre qui supportent des attitudes agressives.
Sans viser à l'exhaustivité, je veux cependant répondre à ce triple enjeu :
- comment agir le plus en amont possible des problèmes en favorisant l'éducation sous toutes ses formes ?
- comment agir le plus globalement possible, en impliquant tous ceux qui, à l'échelle d'un quartier ou d'une ville, sont concernés par la situation des enfants et des adolescents ?
- comment développer des modes de relation dans l'espace public qui facilitent la vie de tous les jours et respectent la place de chacun ?
1) Tout d'abord l'éducation
Pour dépasser cette stérile opposition qui sépare les souffrances subies par les jeunes, qui relèveraient de la médecine, et les violences, qui relèveraient du traitement judiciaire, j'ai demandé à quatre chercheurs d'approfondir l'étude du lien entre souffrances et violences à l'adolescence.
Marie Choquet, Xavier Pommereau, Patrick Baudry et Eric Debarbieux m'ont remis il y a quelques jours ce rapport.
Je voudrais seulement en exposer quelques éléments.
Premier constat : la violence d'un jeune n'est jamais gratuite, elle est le signe d'une souffrance importante. Souffrances au sein de la famille, souffrances à l'école où le mode de compétition et l'échec scolaire entraînent perte de confiance et desinvestisement de la vie sociale.
La dérive vers la délinquance apparaît beaucoup plus liée aux facteurs éducatifs qu'au contexte social ou qu'à l'origine étrangère.
1.1) Premiers concernés : les parents
Leur rôle a été aussi au cur de bien des débats passionnés et je crois nécessaire de souligner combien leur responsabilité est grande.
La qualité de la relation aux parents, ainsi que leur implication dans l'éducation de leurs enfants sont présentés par tous comme déterminants du bien être de l'enfant, et par conséquent, constituent un des modes les plus efficaces de prévention de la délinquance.
Certains parents peinent à remplir leur rôle. Certes, quelques adultes instrumentalisent leur progéniture à des fins criminelles et des sanctions sont nécessaires. Mais, l'immense majorité des parents qui rencontrent des difficultés éducatives sont bien plus souvent dépassés par la situation qu'ils ne la provoquent. Et, il me semble évident que les stigmatiser un peu plus, les disqualifie encore plus aux yeux de leurs enfants.
Les parents doivent être soutenus, avec exigence, et non montrés du doigt.
Un réseau associatif d'aide, d'accompagnement et de soutien aux parents a été mis en place depuis maintenant trois ans, c'est un support utile et efficace. Il faut encore le développer.
1.2) Mais, je voudrais aujourd'hui insister sur un axe qui me paraît déterminant : l'enjeu de l'éducation, c'est aussi sa continuité.
Je suis frappé de voir les conséquences de la fin de l'obligation scolaire à 16 ans. Des milliers de jeunes, issus des familles les plus pauvres, se retrouvent sans qualification, sans encadrement, sans perspective et aussi sans ressources.
L'inégalité est grande entre ceux dont les familles peuvent garantir un cadre protecteur, une sorte de " matelas " de sécurité et ceux qui doivent se débrouiller tout seuls. Leur insécurité matérielle renforce le caractère chaotique de leur parcours.
Comment pouvons-nous admettre de dire qu'à 16 ans, un adolescent n'est bon à rien ? Notre école est-elle bien adaptée à la diversité de nos enfants ? Pourquoi n'offrir qu'une voie d'excellence ? Bien des talents, bien des compétences sont brimées par un système par trop monolithique.
Des efforts importants ont été accomplis par l'Education Nationale pour diversifier ses modes d'enseignement. Il faut poursuivre : créer plus de lieux relais, d'établissements alternatifs, d'écoles de la deuxième chance.
Je crois nécessaire aujourd'hui, alors que nos enfants ont vocation à vivre cent ans, d'affirmer un droit à l'éducation qui va au-delà de 16 ans et de garantir une continuité éducative qui ne se limite pas à l'action de l'école.
Je souhaite que cette notion de continuité éducative puisse progresser. Je proposerai prochainement aux différents ministères et partenaires concernés l'élaboration des mesures concrètes qui en découlent.
2) Ensuite, deuxième axe de ma politique, il nous faut privilégier une approche globale et partenariale
La responsabilité collective de l'éducation doit trouver sa traduction concrète au sein des outils que constituent les contrats éducatifs locaux et les contrats de ville.
Ils doivent aboutir à l'élaboration d'un projet éducatif local, qui permettra de donner cohérence aux initiatives parfois éparses, et surtout, de mieux repérer les manques dans la prise en charge des jeunes localement.
A ce titre, je veux souligner aujourd'hui la qualité de l'implication des directions départementales de la protection judiciaire de la jeunesse dans la politique de la ville.
La direction de la PJJ s'est engagée résolument dans l'action partenariale, dans l'ouverture aux autres cultures professionnelles, dans une approche plus territoriale des sujets. Sur le terrain, les éducateurs de la PJJ constituent des partenaires solides et très présents de la politique de la ville.
2.1) Privilégier une approche globale et partenariale, c'est surmonter la coupure entre action judiciaire et non judiciaire
Je crois beaucoup à la nécessité de décloisonner l'action entre intervenants judiciaires et non judiciaires. Bien sûr, le mandat de justice fixe un cadre déontologique et légal impératif. Bien sûr, il doit être correctement identifié et insusceptible de confusion dans l'esprit des familles, dans la mesure où il emporte un caractère coercitif.
Pour autant, ne pourrait-on imaginer de mobiliser autour du magistrat et de l'éducateur d'autres compétences, plus hétéroclites.
Soutenir dans la recherche d'un stage, aider aux devoirs, accompagner au sport, tout ce qui peut contribuer à renforcer la présence d'adultes, bienveillants, autour de l'enfant ne devrait-il pas être développé ?
Ne pouvons-nous imaginer la Justice comme " chef d'équipe " de ces adultes environnant le jeune ? Ces interventions quotidiennes ne relèvent pas forcément d'une qualification professionnelle spécifique. Plutôt que de superposer les actions, je propose que ces différentes compétences se valorisent dans une plus grande cohérence.
Il faut éviter en effet que les différents groupes d'adultes ne s'accusent réciproquement d'insuffisance, voire d'indifférence.
2.2) Le partenariat ne peut être saisi comme prétexte pour dénoncer ou remettre en cause les valeurs professionnelles, ou bénévoles, des uns et des autres. Il doit favoriser la confrontation des points de vue et l'enrichissement mutuel.
L'instance du conseil communal de prévention de la délinquance a prouvé qu'il pouvait offrir ce cadre. Les comités de pilotage du contrat de ville, du contrat éducatif local ou du contrat local de sécurité peuvent également le permettre. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai insisté lors du Conseil de sécurité intérieure de juin 1999 sur la nécessité d'intégrer les acteurs de la prévention dans le CLS.
3) Enfin, troisième axe de ma politique, bien des tensions de la vie quotidienne peuvent être améliorées par la médiation.
Le terme de médiation est galvaudé, nous le savons. Néanmoins, le développement de l'usage de ce terme me paraît avant tout le signe d'un besoin profond de régir les relations entre individus, entre groupes ou avec les institutions, sous un autre mode que ceux existants.
3.1 - Les différentes pratiques de médiation sociale me paraissent devoir être développées pour assurer une plus forte présence des adultes auprès des enfants et adolescents et pour faciliter leurs relations avec leur environnement.
La médiation s'est beaucoup développée dans le domaine judiciaire, qu'il s'agisse de médiation pénale, de médiation réparation pour les mineurs ou de médiation familiale.
En amont de toute intervention judiciaire, la médiation sociale apporte d'autres réponses. Mais, ce champ reste encore flou, c'est pourquoi, j'ai voulu mieux l'organiser.
Tout d'abord, en facilitant l'implication des adultes des quartiers populaires, en renforçant leur présence auprès des enfants et adolescents. 10 000 postes d'adultes relais ont été créés. Pris en charge à 80% par l'Etat, ces postes doivent bénéficier aux adultes des quartiers.
Leurs missions sont diverses : aide et soutien aux parents, résolution des conflits, accueil en centres sociaux ou maisons de quartier, action en faveur de l'intégration des populations étrangères etc 1000 de ces postes sont réservées au domaine scolaire et doivent contribuer à prévenir les violences à l'école.
D'autres formes de médiation sociale ont été développées : médiateurs de quartier, agents locaux de médiation sociale, agents d'ambiance.
Leurs missions doivent être clarifiées et mieux distinguées de celles des autres métiers. Un médiateur social n'est pas policier, et ne dispose donc pas de la capacité coercitive. Un médiateur social n'est pas travailleur social et ne peut donc prétendre au suivi éducatif d'un adolescent ou de sa famille.
Aujourd'hui, je crois nécessaire de construire ce champ de la médiation autour d'une formation, de diplômes, de cadres d'emploi et de cadre déontologique précis.
C'est le travail auquel je me suis attelé avec les ministères et partenaires concernés. D'ici quelques mois, tout en conservant à ces activités leur diversité et leur richesse, nous aurons consolidé ces métiers émergents.
3.2 - La médiation doit être également développée pour les relations des jeunes avec les institutions : les habitants des quartiers populaires éprouvent dans une large proportion un sentiment d'injustice dans leurs relations avec les institutions.
Les difficultés de relations entre population et institutions représentent un enjeu essentiel, car elles minent le pacte républicain et la cohésion sociale. Ces conséquences sont clairement visibles en ce qui concerne les rapports entre les jeunes des quartiers populaires et la police.
Je refuse d'opposer police et jeunes comme deux entités auxquelles il faudrait donner tort ou raison. Le sentiment d'injustice et de révolte ne se limite d'ailleurs pas aux forces de l'ordre, mais inclus assez largement les instances judiciaires.
Là encore, impossible d'y répondre d'une seule manière. S'il appartient aux instances compétentes de réprimer les actes de violence, il faut à tout prix rétablir la confiance dans les institutions.
La citoyenneté ne se limite pas au respect de droits et devoirs. C'est avant tout un sentiment d'appartenance à une entité collective. Ce sentiment est fondé sur le respect de l'égalité de traitement et la justice.
Pour un jeune, être contrôlé plusieurs fois dans la journée par les mêmes agents, ne pas se sentir écouté au tribunal correctionnel, entendre des propos méprisants à l'école, être accueilli avec suspicion dans le bus constituent des violences importantes qui aliment la propre violence du jeune.
Pour certains agents des services publics, travailler dans les quartiers est devenu synonyme de déclassement et de peur.
Pour vaincre ces incompréhensions et rétablir des conditions de travail normales, ainsi que des conditions d'accès au services publics normales, plusieurs actions ont été entreprises : formation des agents, projets départementaux de services publics, mais aussi médiation.
Mais, dans les relations quotidiennes, il m'a semblé nécessaire de recourir à un médiateur légitime pour tous, crédible aux yeux de la population, indépendant mais reconnu des services et enfin accessible.
C'est pourquoi, plutôt qu'ajouter encore une couche au " mille feuilles " des médiateurs, j'ai sollicité le Médiateur de la République, Bernard Stasi, dont la mission répondait à ces objectifs.
300 nouveaux délégués du Médiateur seront installés d'ici 3 ans, nous en avons déjà installés 100 cette année, dans les quartiers de la politique de la ville. Ils tiennent leur permanence dans des structures de proximité : plates formes de services publics, maisons de la justice et du droit, mairies annexes etc
D'ici quelques semaines, nous tirerons le bilan de cette première année. Mais, des quelques visites auxquelles j'ai déjà pu procéder, il ressort clairement que leur présence répond à un besoin qui n'était pas comblé.
Mesdames et Messieurs,
Si je crois que nos débats, tout comme les recherches approfondies menées sur ce champ ne peuvent que vous conforter dans le caractère éducatif de votre mission, je crois aussi nécessaire de poursuivre l'évolution des modalités d'action dans trois directions principales :
- une action plus proche du territoire, car c'est sur le lieu de vie du jeune que vous êtes attendus ;
- une action plus à l'écoute des parents, car de leur investissement éducatif dépend beaucoup la réussite de votre action ;
- une action plus liée à l'environnement général des jeunes et de leurs familles, car de nombreuses compétences existent dans la ville et doivent être mobilisées.
La Justice des mineurs en France est d'une grande qualité. Les compétences professionnelles des éducateurs et magistrats spécialisés sont largement reconnues et on fait largement appel à leur excellence dans d'autres domaines.
Cette formidable richesse ne doit pas être remise en cause, mais ne doit pas non plus se figer. Ces Assises doivent nous permettre à tous de progresser.
Je vous remercie.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 1er décembre 2000)
Mesdames et Messieurs,
Ces assises de la Protection judiciaire de la jeunesse arrivent à point nommé. La Justice des mineurs a fait parfois l'objet d'assauts violents et, même si tout nuage n'est pas écarté, nous pouvons aujourd'hui prendre le temps d'une réflexion plus sereine.
Nous avons besoin d'analyser la situation de la jeunesse et les missions de la Justice des mineurs, à l'abri de la pression de l'urgence.
L'exigence de réponses immédiates est légitime. Mais, il nous faut également envisager la Justice des mineurs dans une perspective à plus long terme et clarifier nos choix fondamentaux.
En ma qualité de ministre de la ville, je suis confronté à une réalité multiple que j'ai toujours refusé de réduire à "la délinquance des mineurs". Les enfants et adolescents de nos quartiers populaires endurent des situations de souffrances qui sont souvent peu perçues.
Les jeunes filles doivent trouver leur place entre pression de l'entourage et de la famille et insertion dans le monde des études et du travail. Les enfants manquent de loisirs dans leur quartier. Les écoles n'offrent pas toujours un cadre épanouissant pour ces jeunes. Les soins parfois les plus élémentaires ne sont pas assurés pour certaines familles. Les jeunes des quartiers souffrent aussi des discriminations raciales et de rejets lorsqu'ils recherchent un stage ou un emploi.
Il ne s'agit pas de donner une image lénifiante des jeunes, mais de comprendre les causes de leur attitude et d'y répondre de manière adéquate.
Il me paraît essentiel aussi d'entendre les plaintes des autres habitants, qui redoutent les regroupements d'adolescents au bas des immeubles, des enseignants qui subissent les injures, des forces de l'ordre qui supportent des attitudes agressives.
Sans viser à l'exhaustivité, je veux cependant répondre à ce triple enjeu :
- comment agir le plus en amont possible des problèmes en favorisant l'éducation sous toutes ses formes ?
- comment agir le plus globalement possible, en impliquant tous ceux qui, à l'échelle d'un quartier ou d'une ville, sont concernés par la situation des enfants et des adolescents ?
- comment développer des modes de relation dans l'espace public qui facilitent la vie de tous les jours et respectent la place de chacun ?
1) Tout d'abord l'éducation
Pour dépasser cette stérile opposition qui sépare les souffrances subies par les jeunes, qui relèveraient de la médecine, et les violences, qui relèveraient du traitement judiciaire, j'ai demandé à quatre chercheurs d'approfondir l'étude du lien entre souffrances et violences à l'adolescence.
Marie Choquet, Xavier Pommereau, Patrick Baudry et Eric Debarbieux m'ont remis il y a quelques jours ce rapport.
Je voudrais seulement en exposer quelques éléments.
Premier constat : la violence d'un jeune n'est jamais gratuite, elle est le signe d'une souffrance importante. Souffrances au sein de la famille, souffrances à l'école où le mode de compétition et l'échec scolaire entraînent perte de confiance et desinvestisement de la vie sociale.
La dérive vers la délinquance apparaît beaucoup plus liée aux facteurs éducatifs qu'au contexte social ou qu'à l'origine étrangère.
1.1) Premiers concernés : les parents
Leur rôle a été aussi au cur de bien des débats passionnés et je crois nécessaire de souligner combien leur responsabilité est grande.
La qualité de la relation aux parents, ainsi que leur implication dans l'éducation de leurs enfants sont présentés par tous comme déterminants du bien être de l'enfant, et par conséquent, constituent un des modes les plus efficaces de prévention de la délinquance.
Certains parents peinent à remplir leur rôle. Certes, quelques adultes instrumentalisent leur progéniture à des fins criminelles et des sanctions sont nécessaires. Mais, l'immense majorité des parents qui rencontrent des difficultés éducatives sont bien plus souvent dépassés par la situation qu'ils ne la provoquent. Et, il me semble évident que les stigmatiser un peu plus, les disqualifie encore plus aux yeux de leurs enfants.
Les parents doivent être soutenus, avec exigence, et non montrés du doigt.
Un réseau associatif d'aide, d'accompagnement et de soutien aux parents a été mis en place depuis maintenant trois ans, c'est un support utile et efficace. Il faut encore le développer.
1.2) Mais, je voudrais aujourd'hui insister sur un axe qui me paraît déterminant : l'enjeu de l'éducation, c'est aussi sa continuité.
Je suis frappé de voir les conséquences de la fin de l'obligation scolaire à 16 ans. Des milliers de jeunes, issus des familles les plus pauvres, se retrouvent sans qualification, sans encadrement, sans perspective et aussi sans ressources.
L'inégalité est grande entre ceux dont les familles peuvent garantir un cadre protecteur, une sorte de " matelas " de sécurité et ceux qui doivent se débrouiller tout seuls. Leur insécurité matérielle renforce le caractère chaotique de leur parcours.
Comment pouvons-nous admettre de dire qu'à 16 ans, un adolescent n'est bon à rien ? Notre école est-elle bien adaptée à la diversité de nos enfants ? Pourquoi n'offrir qu'une voie d'excellence ? Bien des talents, bien des compétences sont brimées par un système par trop monolithique.
Des efforts importants ont été accomplis par l'Education Nationale pour diversifier ses modes d'enseignement. Il faut poursuivre : créer plus de lieux relais, d'établissements alternatifs, d'écoles de la deuxième chance.
Je crois nécessaire aujourd'hui, alors que nos enfants ont vocation à vivre cent ans, d'affirmer un droit à l'éducation qui va au-delà de 16 ans et de garantir une continuité éducative qui ne se limite pas à l'action de l'école.
Je souhaite que cette notion de continuité éducative puisse progresser. Je proposerai prochainement aux différents ministères et partenaires concernés l'élaboration des mesures concrètes qui en découlent.
2) Ensuite, deuxième axe de ma politique, il nous faut privilégier une approche globale et partenariale
La responsabilité collective de l'éducation doit trouver sa traduction concrète au sein des outils que constituent les contrats éducatifs locaux et les contrats de ville.
Ils doivent aboutir à l'élaboration d'un projet éducatif local, qui permettra de donner cohérence aux initiatives parfois éparses, et surtout, de mieux repérer les manques dans la prise en charge des jeunes localement.
A ce titre, je veux souligner aujourd'hui la qualité de l'implication des directions départementales de la protection judiciaire de la jeunesse dans la politique de la ville.
La direction de la PJJ s'est engagée résolument dans l'action partenariale, dans l'ouverture aux autres cultures professionnelles, dans une approche plus territoriale des sujets. Sur le terrain, les éducateurs de la PJJ constituent des partenaires solides et très présents de la politique de la ville.
2.1) Privilégier une approche globale et partenariale, c'est surmonter la coupure entre action judiciaire et non judiciaire
Je crois beaucoup à la nécessité de décloisonner l'action entre intervenants judiciaires et non judiciaires. Bien sûr, le mandat de justice fixe un cadre déontologique et légal impératif. Bien sûr, il doit être correctement identifié et insusceptible de confusion dans l'esprit des familles, dans la mesure où il emporte un caractère coercitif.
Pour autant, ne pourrait-on imaginer de mobiliser autour du magistrat et de l'éducateur d'autres compétences, plus hétéroclites.
Soutenir dans la recherche d'un stage, aider aux devoirs, accompagner au sport, tout ce qui peut contribuer à renforcer la présence d'adultes, bienveillants, autour de l'enfant ne devrait-il pas être développé ?
Ne pouvons-nous imaginer la Justice comme " chef d'équipe " de ces adultes environnant le jeune ? Ces interventions quotidiennes ne relèvent pas forcément d'une qualification professionnelle spécifique. Plutôt que de superposer les actions, je propose que ces différentes compétences se valorisent dans une plus grande cohérence.
Il faut éviter en effet que les différents groupes d'adultes ne s'accusent réciproquement d'insuffisance, voire d'indifférence.
2.2) Le partenariat ne peut être saisi comme prétexte pour dénoncer ou remettre en cause les valeurs professionnelles, ou bénévoles, des uns et des autres. Il doit favoriser la confrontation des points de vue et l'enrichissement mutuel.
L'instance du conseil communal de prévention de la délinquance a prouvé qu'il pouvait offrir ce cadre. Les comités de pilotage du contrat de ville, du contrat éducatif local ou du contrat local de sécurité peuvent également le permettre. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai insisté lors du Conseil de sécurité intérieure de juin 1999 sur la nécessité d'intégrer les acteurs de la prévention dans le CLS.
3) Enfin, troisième axe de ma politique, bien des tensions de la vie quotidienne peuvent être améliorées par la médiation.
Le terme de médiation est galvaudé, nous le savons. Néanmoins, le développement de l'usage de ce terme me paraît avant tout le signe d'un besoin profond de régir les relations entre individus, entre groupes ou avec les institutions, sous un autre mode que ceux existants.
3.1 - Les différentes pratiques de médiation sociale me paraissent devoir être développées pour assurer une plus forte présence des adultes auprès des enfants et adolescents et pour faciliter leurs relations avec leur environnement.
La médiation s'est beaucoup développée dans le domaine judiciaire, qu'il s'agisse de médiation pénale, de médiation réparation pour les mineurs ou de médiation familiale.
En amont de toute intervention judiciaire, la médiation sociale apporte d'autres réponses. Mais, ce champ reste encore flou, c'est pourquoi, j'ai voulu mieux l'organiser.
Tout d'abord, en facilitant l'implication des adultes des quartiers populaires, en renforçant leur présence auprès des enfants et adolescents. 10 000 postes d'adultes relais ont été créés. Pris en charge à 80% par l'Etat, ces postes doivent bénéficier aux adultes des quartiers.
Leurs missions sont diverses : aide et soutien aux parents, résolution des conflits, accueil en centres sociaux ou maisons de quartier, action en faveur de l'intégration des populations étrangères etc 1000 de ces postes sont réservées au domaine scolaire et doivent contribuer à prévenir les violences à l'école.
D'autres formes de médiation sociale ont été développées : médiateurs de quartier, agents locaux de médiation sociale, agents d'ambiance.
Leurs missions doivent être clarifiées et mieux distinguées de celles des autres métiers. Un médiateur social n'est pas policier, et ne dispose donc pas de la capacité coercitive. Un médiateur social n'est pas travailleur social et ne peut donc prétendre au suivi éducatif d'un adolescent ou de sa famille.
Aujourd'hui, je crois nécessaire de construire ce champ de la médiation autour d'une formation, de diplômes, de cadres d'emploi et de cadre déontologique précis.
C'est le travail auquel je me suis attelé avec les ministères et partenaires concernés. D'ici quelques mois, tout en conservant à ces activités leur diversité et leur richesse, nous aurons consolidé ces métiers émergents.
3.2 - La médiation doit être également développée pour les relations des jeunes avec les institutions : les habitants des quartiers populaires éprouvent dans une large proportion un sentiment d'injustice dans leurs relations avec les institutions.
Les difficultés de relations entre population et institutions représentent un enjeu essentiel, car elles minent le pacte républicain et la cohésion sociale. Ces conséquences sont clairement visibles en ce qui concerne les rapports entre les jeunes des quartiers populaires et la police.
Je refuse d'opposer police et jeunes comme deux entités auxquelles il faudrait donner tort ou raison. Le sentiment d'injustice et de révolte ne se limite d'ailleurs pas aux forces de l'ordre, mais inclus assez largement les instances judiciaires.
Là encore, impossible d'y répondre d'une seule manière. S'il appartient aux instances compétentes de réprimer les actes de violence, il faut à tout prix rétablir la confiance dans les institutions.
La citoyenneté ne se limite pas au respect de droits et devoirs. C'est avant tout un sentiment d'appartenance à une entité collective. Ce sentiment est fondé sur le respect de l'égalité de traitement et la justice.
Pour un jeune, être contrôlé plusieurs fois dans la journée par les mêmes agents, ne pas se sentir écouté au tribunal correctionnel, entendre des propos méprisants à l'école, être accueilli avec suspicion dans le bus constituent des violences importantes qui aliment la propre violence du jeune.
Pour certains agents des services publics, travailler dans les quartiers est devenu synonyme de déclassement et de peur.
Pour vaincre ces incompréhensions et rétablir des conditions de travail normales, ainsi que des conditions d'accès au services publics normales, plusieurs actions ont été entreprises : formation des agents, projets départementaux de services publics, mais aussi médiation.
Mais, dans les relations quotidiennes, il m'a semblé nécessaire de recourir à un médiateur légitime pour tous, crédible aux yeux de la population, indépendant mais reconnu des services et enfin accessible.
C'est pourquoi, plutôt qu'ajouter encore une couche au " mille feuilles " des médiateurs, j'ai sollicité le Médiateur de la République, Bernard Stasi, dont la mission répondait à ces objectifs.
300 nouveaux délégués du Médiateur seront installés d'ici 3 ans, nous en avons déjà installés 100 cette année, dans les quartiers de la politique de la ville. Ils tiennent leur permanence dans des structures de proximité : plates formes de services publics, maisons de la justice et du droit, mairies annexes etc
D'ici quelques semaines, nous tirerons le bilan de cette première année. Mais, des quelques visites auxquelles j'ai déjà pu procéder, il ressort clairement que leur présence répond à un besoin qui n'était pas comblé.
Mesdames et Messieurs,
Si je crois que nos débats, tout comme les recherches approfondies menées sur ce champ ne peuvent que vous conforter dans le caractère éducatif de votre mission, je crois aussi nécessaire de poursuivre l'évolution des modalités d'action dans trois directions principales :
- une action plus proche du territoire, car c'est sur le lieu de vie du jeune que vous êtes attendus ;
- une action plus à l'écoute des parents, car de leur investissement éducatif dépend beaucoup la réussite de votre action ;
- une action plus liée à l'environnement général des jeunes et de leurs familles, car de nombreuses compétences existent dans la ville et doivent être mobilisées.
La Justice des mineurs en France est d'une grande qualité. Les compétences professionnelles des éducateurs et magistrats spécialisés sont largement reconnues et on fait largement appel à leur excellence dans d'autres domaines.
Cette formidable richesse ne doit pas être remise en cause, mais ne doit pas non plus se figer. Ces Assises doivent nous permettre à tous de progresser.
Je vous remercie.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 1er décembre 2000)