Texte intégral
A. Chabot Vous venez tout juste d'arriver de Nice, dans quel état êtes-vous, si je puis me permettre cette question ?
- "Je suis fatigué mais en même temps assez content. Fatigué parce que, comme parfois dans la dramaturgie européenne, ça a été une nuit blanche pour chercher un accord. Content, parce que cet accord est là, parce que je crois qu'il marquera la réussite d'une présidence française qui a été critiquée mais qui a obtenu de beaux résultats, des résultats qui resteront, à commencer par ce Traité de Nice, traité de l'Europe politique qui doit permettre à l'Union européenne de mieux fonctionner tout en étant capable de s'élargir. Puisque ce qui nous attend maintenant, c'est l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale."
Vous êtes satisfait mais vous allez entendre les commentaires de C. Pasqua dans un instant, mais aussi ceux la presse de ce matin qui est extrêmement sceptique. Elle parle d'un accord a minima, loin des ambitions initiales, bref d'un accord qu'on a voulu conclure à tout prix.
- "J'admire beaucoup C. Pasqua par avance de parler de quelque chose qu'il ne connaît pas puisqu'il n'y était pas. Tout cela - je le rappelle - s'est conclu à 6 heures du matin. Pour ce qui est du reste et du scepticisme, il faut comprendre comment est l'Europe : elle regroupe des Etats - quinze Etats, quinze pays - qui ont chacun leurs intérêts, leurs conceptions, leur ligne rouge. Le rôle d'une présidence est d'arriver à trouver un compromis tout en maintenant un certain niveau d'ambitions. Nous avons maintenu ce niveau d'ambitions. Nous avions pour notre part quelques lignes directrices stratégiques : nous souhaitions que la Commission européenne - cet organe d'impulsion qui anime l'Europe - soit resserrée et elle le sera à terme ; nous souhaitions que le vote à la majorité qualifiée devienne la règle, c'est-à-dire qu'on ne soit pas bloqué, paralysé par l'unanimité - parfois utile dans certaines matières, comme en politique commerciale extérieure - sur tous les sujets ; nous souhaitions que le poids de chaque pays dans le Conseil des ministres reflète un peu mieux la démographie et nous y sommes parvenus..."
... Mais vous vouliez que la Commission soit plafonnée à 20 et on ira quand même jusqu'à 27 ! Sur le vote à l'unanimité, c'est vrai que la Grande-Bretagne maintient aussi le veto...
- "Il y avait 50 sujets sur lesquels nous souhaitions qu'on passe à la majorité qualifiée et il y en a 40 sur lesquels on passe, y compris des sujets importants..."
Pardonnez-moi, mais on à l'impression qu'on est dans un gigantesque marchandage sur la pondération des voix - j'en veux une de plus, je cède cela mais je ne donne pas autre chose...
- "Cela fait partie du jeu, mais je rappellerais quand même ce qu'est l'Europe. Si nous avions imposé notre vision, si nous avions bâti l'Europe à la française, on aurait dit que la France est impérialiste, qu'elle n'écoute pas les autres, qu'elle ne respecte pas ses partenaires... Et quand nous respectons nos partenaires, quand nous tenons compte de ce que sont leurs parlements, leurs opinions publiques, leurs besoins - qui ne sont pas les nôtres - alors on parle de "traité a minima." Non, c'est un bon traité. Et il a un très grand mérite : celui d'exister. N'oublions pas qu'il y a trois et demi, à Amsterdam, par une autre nuit - j'y étais aussi -, nous nous étions séparés beaucoup plus tristement, sur un échec. Cette fois-ci, sur la base de ce Traité de Nice, nous allons pouvoir élargir l'Europe et lui permettre de mieux fonctionner. Je voudrais aussi rappeler que dans ce Conseil européen de Nice, on ne s'est pas contenté de ce traité, qu'il y a eu aussi un accord sur la société européenne - sujet qui traînait depuis trente ans - ; la création d'une autorité alimentaire européenne ; qu'on a eu pour la première fois une déclaration sur les services publiques. Bref, on a réalisé toute une série d'avancées absolument majeures. Et je pourrais aussi parler de la sécurité maritime, avec la perspective de l'élimination des navires à simple coque..."
On se dit que c'est déjà tellement compliqué à quinze, qu'est-ce que ce sera quand ce sera à vingt et à vingt-sept ? Ce sera impossible, chacun garde forcément l'envie de défendre ses intérêts.
- "Encore une fois, nous sommes devant cette contradiction, nous, Français : nous aimons l'Europe, nous aimons la France. Nous aimons ce continent, cette entité politique, et nous aimons notre patrie. Eh bien il faut vivre avec cette contradiction, parce que nous savons que l'élargissement est là. Voulez-vous que l'on tourne le dos à ces pays qui sortent depuis dix ans du joug communiste, qui ont connu le totalitarisme, en leur disant "non, désolé, c'est trop compliqué, vous ne pouvez pas entrer dans la maison commune.""
N'avez-vous pas créé une usine à gaz ?
- "C'est la contradiction qui existe depuis l'origine, entre ce qu'on appelle l'élargissement, c'est-à-dire le fait que nous sommes conduits à avoir une Europe de plus en plus vaste, et l'approfondissement, c'est-à-dire le souhait de conserver des politiques communes. C'est vrai que l'Europe est de plus en plus compliquée. C'est d'ailleurs pour cela qu'il fallait ce Traité de Nice, pour réinventer de la simplicité, pour être capable de la faire fonctionner. Et pourtant, comme disait Galilée de la Terre, "elle tourne", et cette Europe compliquée, contradictoire, va continuer à tourner. C'est en même temps l'Europe que nous aimons, c'est l'Europe qui est notre espace pour développer la croissance, le progrès, pour nous permettre de retrouver le plein-emploi... Je connais cette complexité, je la vis, je connais les contradictions, et en même temps, c'est là notre espace naturel de développement."
La cohabitation a bien fonctionné et le Premier ministre a eu un mot : "il y a eu fusion humaine et intellectuelle." Qu'est-ce que cela veut dire ?
- "Cela veut dire que nous étions quatre dans cette salle, J. Chirac, L. Jospin, H. Védrine et moi-même, entourés de diplomates - qui ont fait un travail absolument formidable -, et dans cette affaire, nous avions tout simplement la sensation de représenter notre pays dans un moment - je pèse mes mots - historique. Alors est-ce la petite ou la grande histoire ? L'avenir tranchera... Dans ces moments-là, on ne se demande pas qui est de gauche, qui est de droite, ce qui se passe dans le pays, etc. On travaille pour son pays, et c'est ce qui s'est produit. Maintenant
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 11 décembre 2000)
- "Je suis fatigué mais en même temps assez content. Fatigué parce que, comme parfois dans la dramaturgie européenne, ça a été une nuit blanche pour chercher un accord. Content, parce que cet accord est là, parce que je crois qu'il marquera la réussite d'une présidence française qui a été critiquée mais qui a obtenu de beaux résultats, des résultats qui resteront, à commencer par ce Traité de Nice, traité de l'Europe politique qui doit permettre à l'Union européenne de mieux fonctionner tout en étant capable de s'élargir. Puisque ce qui nous attend maintenant, c'est l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale."
Vous êtes satisfait mais vous allez entendre les commentaires de C. Pasqua dans un instant, mais aussi ceux la presse de ce matin qui est extrêmement sceptique. Elle parle d'un accord a minima, loin des ambitions initiales, bref d'un accord qu'on a voulu conclure à tout prix.
- "J'admire beaucoup C. Pasqua par avance de parler de quelque chose qu'il ne connaît pas puisqu'il n'y était pas. Tout cela - je le rappelle - s'est conclu à 6 heures du matin. Pour ce qui est du reste et du scepticisme, il faut comprendre comment est l'Europe : elle regroupe des Etats - quinze Etats, quinze pays - qui ont chacun leurs intérêts, leurs conceptions, leur ligne rouge. Le rôle d'une présidence est d'arriver à trouver un compromis tout en maintenant un certain niveau d'ambitions. Nous avons maintenu ce niveau d'ambitions. Nous avions pour notre part quelques lignes directrices stratégiques : nous souhaitions que la Commission européenne - cet organe d'impulsion qui anime l'Europe - soit resserrée et elle le sera à terme ; nous souhaitions que le vote à la majorité qualifiée devienne la règle, c'est-à-dire qu'on ne soit pas bloqué, paralysé par l'unanimité - parfois utile dans certaines matières, comme en politique commerciale extérieure - sur tous les sujets ; nous souhaitions que le poids de chaque pays dans le Conseil des ministres reflète un peu mieux la démographie et nous y sommes parvenus..."
... Mais vous vouliez que la Commission soit plafonnée à 20 et on ira quand même jusqu'à 27 ! Sur le vote à l'unanimité, c'est vrai que la Grande-Bretagne maintient aussi le veto...
- "Il y avait 50 sujets sur lesquels nous souhaitions qu'on passe à la majorité qualifiée et il y en a 40 sur lesquels on passe, y compris des sujets importants..."
Pardonnez-moi, mais on à l'impression qu'on est dans un gigantesque marchandage sur la pondération des voix - j'en veux une de plus, je cède cela mais je ne donne pas autre chose...
- "Cela fait partie du jeu, mais je rappellerais quand même ce qu'est l'Europe. Si nous avions imposé notre vision, si nous avions bâti l'Europe à la française, on aurait dit que la France est impérialiste, qu'elle n'écoute pas les autres, qu'elle ne respecte pas ses partenaires... Et quand nous respectons nos partenaires, quand nous tenons compte de ce que sont leurs parlements, leurs opinions publiques, leurs besoins - qui ne sont pas les nôtres - alors on parle de "traité a minima." Non, c'est un bon traité. Et il a un très grand mérite : celui d'exister. N'oublions pas qu'il y a trois et demi, à Amsterdam, par une autre nuit - j'y étais aussi -, nous nous étions séparés beaucoup plus tristement, sur un échec. Cette fois-ci, sur la base de ce Traité de Nice, nous allons pouvoir élargir l'Europe et lui permettre de mieux fonctionner. Je voudrais aussi rappeler que dans ce Conseil européen de Nice, on ne s'est pas contenté de ce traité, qu'il y a eu aussi un accord sur la société européenne - sujet qui traînait depuis trente ans - ; la création d'une autorité alimentaire européenne ; qu'on a eu pour la première fois une déclaration sur les services publiques. Bref, on a réalisé toute une série d'avancées absolument majeures. Et je pourrais aussi parler de la sécurité maritime, avec la perspective de l'élimination des navires à simple coque..."
On se dit que c'est déjà tellement compliqué à quinze, qu'est-ce que ce sera quand ce sera à vingt et à vingt-sept ? Ce sera impossible, chacun garde forcément l'envie de défendre ses intérêts.
- "Encore une fois, nous sommes devant cette contradiction, nous, Français : nous aimons l'Europe, nous aimons la France. Nous aimons ce continent, cette entité politique, et nous aimons notre patrie. Eh bien il faut vivre avec cette contradiction, parce que nous savons que l'élargissement est là. Voulez-vous que l'on tourne le dos à ces pays qui sortent depuis dix ans du joug communiste, qui ont connu le totalitarisme, en leur disant "non, désolé, c'est trop compliqué, vous ne pouvez pas entrer dans la maison commune.""
N'avez-vous pas créé une usine à gaz ?
- "C'est la contradiction qui existe depuis l'origine, entre ce qu'on appelle l'élargissement, c'est-à-dire le fait que nous sommes conduits à avoir une Europe de plus en plus vaste, et l'approfondissement, c'est-à-dire le souhait de conserver des politiques communes. C'est vrai que l'Europe est de plus en plus compliquée. C'est d'ailleurs pour cela qu'il fallait ce Traité de Nice, pour réinventer de la simplicité, pour être capable de la faire fonctionner. Et pourtant, comme disait Galilée de la Terre, "elle tourne", et cette Europe compliquée, contradictoire, va continuer à tourner. C'est en même temps l'Europe que nous aimons, c'est l'Europe qui est notre espace pour développer la croissance, le progrès, pour nous permettre de retrouver le plein-emploi... Je connais cette complexité, je la vis, je connais les contradictions, et en même temps, c'est là notre espace naturel de développement."
La cohabitation a bien fonctionné et le Premier ministre a eu un mot : "il y a eu fusion humaine et intellectuelle." Qu'est-ce que cela veut dire ?
- "Cela veut dire que nous étions quatre dans cette salle, J. Chirac, L. Jospin, H. Védrine et moi-même, entourés de diplomates - qui ont fait un travail absolument formidable -, et dans cette affaire, nous avions tout simplement la sensation de représenter notre pays dans un moment - je pèse mes mots - historique. Alors est-ce la petite ou la grande histoire ? L'avenir tranchera... Dans ces moments-là, on ne se demande pas qui est de gauche, qui est de droite, ce qui se passe dans le pays, etc. On travaille pour son pays, et c'est ce qui s'est produit. Maintenant
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 11 décembre 2000)