Texte intégral
Je suis pour l'inversion du calendrier parce que je veux que Jospin gagne les présidentielles. Tout ce qui affaiblit la droite est bon. Donc il faut inverser le calendrier. C'est l'intérêt de Lionel Jospin. Il faut être franc en politique . Ces propos, on s'en sera, je l'espère, douté, ne sont pas les miens. Ce sont ceux de Daniel Cohn Bendit il y a quelques jours à la télévision.
D'ailleurs votre ministre de l'Equipement, du transport et du logement, Jean-Claude Gayssot, s'il se refuse à parler de magouille - solidarité gouvernementale oblige- ne dit pas autre chose lorsqu'il reconnaît que l'on peut y voir une " manoeuvre ".
Et il est vrai que cette modification du calendrier électoral qui nous vaut aujourd'hui ce débat sur les institutions a toutes les apparences d'une manipulation électorale. En octobre dernier, Monsieur le Premier Ministre, vous affirmiez devoir conduire votre mission jusqu'aux élections législatives, pour ne parler des élections présidentielles qu'après. Après les élections législatives. Un mois plus tard, voici que vous proposez de repousser les élections législatives. Vous étiez contre. Vous voici pour.
Un changement si rapide qu'il laissa le site Internet de votre parti, le parti Socialiste, afficher encore quelque temps la position officielle qui était jusqu'alors la votre : " Pas question pour nous de demander une modification que nos concitoyens pourraient considérer comme une modification de circonstance ou de convenance ".
Une modification de convenance ? Comment expliquer un tel revirement ? Par un souci de clarté, avez-vous dit. Pourtant on murmure, on dit, on écrit que cette modification du calendrier serait votre riposte à la demande de retrait - d'ailleurs justifiée- des farines animales que vous a faite le Président de la République et dont la forme publique vous aurait profondément déplu. Je n'ose y croire.
On explique, on raconte qu'il s'agit là d'un coup monté avec la participation, bienveillante pour les uns, involontaires pour les autres, d'une petite fraction de l'opposition. Je n'ose pas davantage l'imaginer.
Je ne saurais d'ailleurs mettre en cause, bien évidemment, les convictions des uns et des autres, lorsqu'elles sont réfléchies et sincères.
Mais dans votre cas, Monsieur le Premier ministre, je crains de pouvoir affirmer que cette modification du calendrier électoral n'est pas l'affirmation d'une grande conviction mais le résultat d'un petit calcul d'intérêt.
Oui, votre intérêt, comme l'a dit cruement Daniel Cohn Bendit, qui à l'instar du patriarche de Constantinople au IV ème siècle, joue au sein de votre majorité plurielle le rôle de Saint Jean Bouche d'Or .
Je veux bien convenir, Monsieur le premier ministre, que le hasard et les circonstances nous ont fabriqué pour le Printemps 2002 un curieux calendrier électoral. J'avais moi-même, il y a déjà quelque temps, parlé du bogue des élections de 2002.
Mais nous avons une tradition républicaine, une vertu républicaine, qui veulent que l'on mette le calendrier politique à l'abri des manipulations de circonstance.
Et les questions posées par ce calendrier, renforcées par l'adoption du quinquennat, ne sauraient trouver leur solution dans la seule prolongation de quelques semaines du mandat de notre Assemblée.
Nous avons dit " oui " au quinquennat. Notre " oui " n'était pas un point d'arrivée mais un point de départ. Pas un " oui " sec, ou un " oui " point final, mais un " oui " -disions nous alors- pour aller plus loin, un " oui " pour ouvrir le chemin à d'autres réformes institutionnelles.
Nous étions en effet convaincu que poser la question de la durée du mandat présidentiel nous amènerait inéluctablement à poser la question de la nature du pouvoir présidentiel, et de la nécessité de redistribuer et rééquilibrer les pouvoirs trop concentrés au sommet de l'Etat. Et le débat sur l'avenir de nos institutions que nous aurions du avoir au moment du quinquennat, voici qu'il s'ouvre aujourd'hui, enfin !. Non pas sur le fond, pour éclairer une réforme d'avenir, mais par commodité pour accompagner une " modification " que vous qualifiiez, il y a un mois à peine, " de circonstance ou de convenance ".
Ce débat nécessaire c'est celui de la reconstruction des institutions modernes d'une France moderne et on ne saurait le limiter à l'adoption du quinquennat en septembre et à la modification d'un calendrier électoral en décembre ; Une modification qui, nous dit-on, doit nous permettre de " revenir aux origines de la Vème République ", de retrouver l' " esprit des institutions ".
Curieux débat, curieux chassé croisé où l'on voit les héritiers du Gaullisme être contre, quand les héritiers de Lecanuet et de Mitterrand sont pour. Quant à moi, héritier de la tradition de séparation et d'équilibre des pouvoirs, du courant républicain, libéral et indépendant, j'ai la conviction qu'un tel retour aux sources de la Vème ne constituerait pas aujourd'hui un progrès mais un recul. Au moment ou nous devrions faire plusieurs pas en avant sur le chemin de la modernisation de nos institutions, nous ferions un pas en arrière.
Les institutions de la Vème République, faut-il le rappeler, ont été forgée dans des circonstances historiques exceptionnelles, celles de 1958, à la mesure d'une personnalité exceptionnelle, celle du Général De Gaulle. Mais depuis, le monde a évolué, la société a évolué, nos institutions elles-mêmes ont évolué. Et ce n'est pas remettre en cause les vertus des institutions de la Vème République que de dire que le modèle d'origine ne constitue pas un modèle d'équilibre des pouvoirs satisfaisant pour la France d'aujourd'hui.
Car les institutions de la Vème République sont aussi celles qui ont permis le développement de cette extraordinaire concentration des pouvoirs au sommet de l'Etat si caractéristique de ce qu'on appelle le mal Français et ans équivalent dans aucune autre démocratie. L'Elysée, Matignon, l'Administration, l'Assemblée Nationale, et même la Justice et la Télévision au tout début de la Vème République, tous ces pouvoirs en une seule main. Certes, une telle concentration des pouvoirs correspond à un moment compliqué de l'histoire de France dans un monde de guerre froide.
Certes, cette concentration a été tempérée, au plan politique, par les vertus des premiers présidents de la Vème République, mais elle a entraîné une confiscation des pouvoirs par la haute administration. Et c'est ainsi que la France a été de plus en plus étatisée. On a ajouté les lois aux lois, les règlements aux règlements, les impôts aux impôts, les dépenses aux dépenses, les fonctionnaires aux fonctionnaires.
Super Etat, à l'efficacité décroissante, incapable de se réformer lui-même, " l'absolutisme inefficace " diagnostiquera et écrira Jean-François Revel. " Omnipotence présidentielle " dont François Mitterrand restera le symbole, et si bien décrite par Alain Peyrefitte: " La présidentialisation progressive du régime s'est faite omnipotence, l'Elysée interfère dans toutes les décisions, il forme un obscur super gouvernement, dont les compétences sont d'autant plus envahissantes qu'elles ne sont nulle part définies. Au pouvoirs que lui donne la Constitution, le chef de l'Etat a ajouté l'autorité qu'il détient sur le parti dont il a su faire sa chose. La liberté de manoeuvre de l'Elysée est sans limite ; On ne connaît rien de tel dans les grandes démocraties ; la France est devenue au fil des temps une monarchie, élective certes, mais quasi absolue. La toute puissance à l'abri de l'irresponsabilité. L'Etat touche à tout. On a vu le propre fils du président chargé de mission à l'Elysée. Jamais on a vu pareille colonisation sous la Vème République. L'esprit de parti est le parti du Président "
Certes, nos institutions ont évolué au fil du temps. La Justice a affirmé son indépendance. Le Conseil Constitutionnel est venu borner le pouvoir du législateur. Le droit européen s'est imposé. Des autorités indépendantes de régulation se sont affirmées. La cohabitation est venue changer la nature de nos institutions.
A la lecture présidentielle des institutions, celle qui faisait dire au Général De Gaulle, " n'employez pas l'expression Chef du gouvernement pour parler du premier ministre, le chef du gouvernement c'est moi. Car le gouvernement procède de mon choix, il n'agit que moyennant ma confiance " a succédé avec la cohabitation une lecture parlementaire de notre constitution qui donne sa pleine dimension à son article 20, " le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ", confinant le Président de la République dans un rôle accessoire et un domaine réservé.
Au terme d'une troisième cohabitation, il est temps que nos institutions trouvent le moyen d'un meilleur équilibre qui nous évite de passer d'un extrême à l'autre.
Il est temps aussi de remettre en question cette centralisation excessive du pouvoir de l'Etat qui apparaît aujourd'hui d'autant plus insupportable et archaïque que la France s'ouvre sur le monde et sur l'Europe et que les vieilles structures autoritaires, hiérarchisée, jacobines, craquent de toutes part, remises en cause par une nouvelle société et une nouvelle économie.
La crise que nous vivons n'est pas une crise de la société française, c'est essentiellement une crise politique, la crise de tout un système de pouvoir et de décision aujourd'hui usé, incapable de se réformer et qui suscite la défiance.
Oui, une crise de défiance face à une classe politique qui apparaît trop souvent coupée de la vie, repliée sur elle-même ; face à un Etat qui semble trop souvent assurer le triomphe des intérêts particuliers sur l'intérêt général, et renoncer à faire respecter la loi ; face à une corruption que l'on croit généralisée et des abus de bien public qui ne trouvent jamais ni responsable ni coupable.
Si nous voulons que cette démocratie de défiance fasse place à une démocratie de confiance, il nous mettre fin aux excès et aux dérives de cette concentration des pouvoirs, mieux séparer et équilibrer les pouvoirs, les redistribuer vers les citoyens, les collectivités locales, les partenaires sociaux.
Voilà les vrais enjeux d'une vraie réforme des institutions.
Et convenez Monsieur le Premier Ministre que face à de tels enjeux, alors que nous changeons de siècle, nous changeons de monde, nous changeons d'économie et qu'il nous faut changer d'institutions, il y aurait de votre part un vrai manque d'ambition, un vrai manque de vision à nous proposer de changer seulement la date des élections.
J'entends bien, au delà du calcul d'intérêt qui est le votre, Monsieur le Premier ministre, les arguments qui, chez d'autres, plaident en faveur d'une telle modification.
On dit nécessaire, dans une situation de concomitance de fait des calendriers électoraux, législatifs et présidentiels, de donner la priorité au choix présidentiel. Mais vouloir que l'élection législative suive l'élection présidentielle n'est-ce pas prendre le risque d'absorber la majorité législative par la majorité présidentielle, et donc de renforcer la confusion des pouvoirs au risque d'aggraver le mal Français ? Et vouloir de plus pérenniser ce calendrier là, comme le proposent certains, serait à coup sûr pérenniser cette absorption et cette confusion.
Au reste, dans l'histoire de la Veme République nous n'avons connue cette situation que deux fois à l'initiative de François Mitterrand en 1981 et 1988. Et je ne pense pas que dans un cas comme dans l'autre, en dehors de toute considération politique, nous ayons à nous féliciter des conséquences institutionnelles d'un tel choix.
On dira aussi que ce nouveau calendrier là est de nature à écarter les risques d'une nouvelle cohabitation. On peut le penser, mais c'est présumer du choix des Français. Et il y aurait quelque illusion à prétendre vouloir forcer leur choix par quelque astuce de calendrier.
Un régime présidentiel équilibré à la française
Oui, répétons-le, le véritable enjeu institutionnel est ailleurs : redistribuer les pouvoirs, mieux les séparer, mieux les équilibrer. Il ne s'agit pas d'inventer d'idéales institutions, mais à partir de notre pratique et notre réalité constitutionnelle de modifier nos institutions sur tel ou tel point afin de les moderniser. " On ne doit toucher aux lois qu'avec des mains tremblantes ", disait Montesquieu et cela est encore plus vrai lorsqu'il s'agit de lois fondamentales Deux modèles viennent à l'esprit.
Nous devons, disent les uns, nous doter d'un vrai régime présidentiel, à l'instar des Etats-Unis, c'est-à-dire un exécutif autour du Président, un exécutif qui ne peut être renversé par le parlement, un parlement puissant qui ne peut être dissout, un droit de veto du président et la disparition du poste de premier ministre. Une telle révolution institutionnelle est-elle souhaitable est-elle possible ? Conviendrait-elle à la France ? Je ne le pense pas.
Le régime présidentiel à l'américaine est lié à un système bi-partisan étranger à notre tradition, lié aussi à une culture de l'Etat de droit et une pratique des contres pouvoirs qui nous fait aujourd'hui défaut.
D'autres avancent que nous devrions revenir à un vrai régime parlementaire, à l'instar de l'Allemagne, de l'Angleterre ou de l'Italie, où le véritable chef de l'exécutif est issu des élections législatives. Dans cette hypothèse, le Président de la république qui resterait élu au suffrage universel - comme en Finlande ou au Portugal- verrait ses pouvoirs limités, réduit à des fonctions protocolaires et représentatives, son rôle essentiel consistant à tirer les leçons des échéances électorales en nommant le Premier ministre. Le premier ministre représenterait seul la France au Conseil Européen.
Je pense cependant que si le régime parlementaire n'est pas en soi une mauvaise chose, il a toujours été en France, comme l'a noté le Président Valéry Giscard d'Estaing, " un régime faible, du fait de la division de la majorité et du poids des coalitions ". Un gouvernement parlementaire chez nous entreprend rarement de grandes réformes. C'est pourquoi nous avons du en changer au moment de la décolonisation et des grandes crises institutionnelles de la Vème République.
Au moment ou la France a tant de réforme à accomplir après tant de retard, elle ne saura s'accommoder d'un d'un pouvoir politique à faible capacité d'action.
Oui, comme vous l'avez noté Monsieur le Président, " le convoi politique Français a besoin d'être tiré par une locomotive ".
Dès lors que nous avons fait le choix d'élire le Président de la République au suffrage universel, dès lors que nous refusons tant l'omnipotence présidentielle que le régime parlementaire qui condamne le Président à l'impuissance, il nous faut trouver la voie d'un régime présidentiel équilibré à la française.
Et je voudrais ici brosser rapidement le tableau de cette modernisation de nos institutions : Un président qui préside. Un gouvernement qui gouverne et qui collabore avec le Parlement pour l'élaboration de la Loi. Un parlement qui légifère et qui contrôle. Une Justice indépendante et impartiale. Des collectivités locales responsables. Un droit plus clair et plus léger qui laisse une plus large part au contrat (A commencer par le contrat des partenaires sociaux).
Première modernisation : retrouver l'unité de l'exécutif
Sous la Vème République, l'essence même du pouvoir présidentiel c'est d'éclairer les Français sur leur destin et les grands choix auxquels ils se trouvent confrontés, de tracer un futur souhaitable, un futur possible, et de définir une orientation dont il est le garant.
L'élection présidentielle n'est pas l'affaire des partis politiques, disait le Général De Gaulle. En tout cas elle les transcendent. Elle permet la constitution d'un rassemblement ouvert qui déborde les frontières traditionnelles des partis politiques. Car le Président se doit d'être respectueux de la diversité française, garant de l'unité de la nation, du respect de l'Etat de Droit, et de la cohésion sociale, gardien des institutions et des grands principes de la République.
C'est pourquoi, la sagesse, la tradition et notre pratique de la fonction présidentielle veulent qu'on distingue celle-ci de la fonction de Premier ministre. Dans cette perspective de régime présidentiel équilibré à la française, le Président nomme le Premier ministre -le premier des ministres- et le gouvernement en conformité avec les orientations qu'il a définies et qui l'on fait élire afin d'assurer la nécessaire unité du pouvoir exécutif. Cette unité du pouvoir exécutif ne signifie pas pour autant que le Président commande l'action du gouvernement au quotidien. S'il doit inspirer, conseiller le gouvernement, il doit le laisser agir. Il serait sage de donner de la souplesse à nos institutions et de laisser aux hommes, à leur tempérament, aux circonstances et au moment de l'histoire, le soin de définir les rôles respectifs du Président et du premier des ministres.
Car l'histoire nous apprend qu' il y a dans la vie des sociétés des périodes de remise en ordre et des périodes de remise en cause. L'autorité politique suprême remplit tantôt une fonction d'arbitrage, tantôt une fonction d'entraîneur. Saint-Louis rendant la Justice sous son chêne à Vincennes, Bonaparte entraînant la victoire au Pont D'Arcole pour reprendre la distinction imagée de Bertrand de Jouvenel. Ces deux formes de pouvoir ont chacune leur vertu. Dans le premier cas il s'agit de consolider l'ordre social, une fois celui-ci fondé. C'est là une mission d'équilibre où l'on demande à l'autorité politique des qualités de sagesse, une capacité de conciliation et d'apaisement. Dans le second, on exigera de l'autorité qu'elle fasse davantage preuve d'ardeur et de capacité d'entraînement pour fonder des choses nouvelles. Ainsi, les qualités que l'on demande à ceux qui ont à conduire le destin d'un pays varie selon les moments de l'histoire.
Tantôt on verra le président de la République davantage entraîneur. Tantôt on le souhaitera davantage arbitre.
Deuxième modernisation : équilibrer la relation Parlement Gouvernement
Un régime présidentiel équilibré, c'est celui qui sait organiser la coopération entre les deux grands pouvoirs issus du suffrage universel direct. D'un côté le gouvernement qui procéderait du seul Président de la République ; de l'autre, l'Assemblée Nationale, qui doivent être associées sur un pied d'égalité, à la confection et à l'adoption des lois à la manière de la co-décision législative européenne.
Dans cette perspective le Parlement verrait ses moyens de contrôle renforcés, l'opposition mieux associée (présidence de commission, droit de tirage en matière de commission d'enquête), le rôle du Sénat qui ne saurait être une assemblée législative bis devrait être revalorisé dans sa contribution à la confection des lois et à la nécessaire recodification.
Reste la question du droit de dissolution qui devrait disparaître ou être limité en contre partie de la disparition du droit de censure.
Quant aux conflits importants pouvant surgir entre le pouvoir exécutif et le Parlement, il reviendrait aux Français de les trancher, la cas échéant, par référendum.
Troisième modernisation : assurer une Justice indépendante et impartiale
Un régime présidentiel équilibré, c'est encore l'affirmation d'une justice indépendante et impartiale ( ce qui pose le problème de son recrutement, de sa formation et de ses contre pouvoirs de contrôle) qu'on ne saurait réduire à l'application pure et simple de la loi.
Quatrième modernisation : redistribuer les pouvoirs vers les collectivités locales et les partenaires sociaux
Un régime présidentiel équilibré, c'est, enfin, un régime qui sait redistribuer les pouvoirs. Il faut équilibrer le pouvoir central par le pouvoir donné aux régions. Vouloir une vraie régionalisation, donner vie au principe de libre administration des collectivités locales inscrit dans la Constitution, suppose une pleine dévolution de blocs de compétence dans un certain nombre de domaines comme l'urbanisme, le logement, l'aménagement du territoire, l'environnement, la culture, l'éducation, la sécurité, les transports, la santé, le tourisme, l'agriculture, les infrastructures Cette dévolution doit s'accompagner de ressources fiscales propres à rebours de la confiscation aujourd'hui organisée par l'Etat, et d'un " pouvoir normatif " délégué.
Il faut équilibrer le pouvoir de l'Etat par un vrai espace de liberté contractuelle donné aux partenaires sociaux. Oui, il faut donner aux acteurs de la vie économique et sociale, aux partenaires sociaux, la possibilité de définir, dans le cadre de lois générales, leurs propres règles du jeu en fonction des réalités locales, économiques et professionnelles.
Voici Monsieur le Premier ministre, comme vous nous y avez invité en organisant ce débat sur l'avenir de nos institutions, quelques pistes pour demain.
J'ai bien conscience que mettre en chantier les institutions modernes d'une France moderne, que définir un régime présidentiel équilibré à la française sont des taches difficiles qui exigent de longs débats au-delà de cette courte matinée que vous nous avez offerte ;
Je sais que de telle réformes exigent de rassembler, au-delà des clivages politiques, et qu'il nous faut convaincre les Français de la nécessité de telles réformes pour, le moment venu, obtenir leur aval au moyen d'un ou plusieurs référendum.
Mais aujourd'hui, le chantier est ouvert. Et que le calendrier électoral soit bousculé ou non, voilà un débat qui sera au cur du rendez-vous des prochaines élections présidentielles.
Dommage, Monsieur le Premier ministre, que ce chantier vous n'ayez cru devoir l'ouvrir qu'à la faveur de ce qui est, et de ce qui reste pour vous, un calcul politique.
(Source http://www.demlib.com, le 29 décembre 2000).
D'ailleurs votre ministre de l'Equipement, du transport et du logement, Jean-Claude Gayssot, s'il se refuse à parler de magouille - solidarité gouvernementale oblige- ne dit pas autre chose lorsqu'il reconnaît que l'on peut y voir une " manoeuvre ".
Et il est vrai que cette modification du calendrier électoral qui nous vaut aujourd'hui ce débat sur les institutions a toutes les apparences d'une manipulation électorale. En octobre dernier, Monsieur le Premier Ministre, vous affirmiez devoir conduire votre mission jusqu'aux élections législatives, pour ne parler des élections présidentielles qu'après. Après les élections législatives. Un mois plus tard, voici que vous proposez de repousser les élections législatives. Vous étiez contre. Vous voici pour.
Un changement si rapide qu'il laissa le site Internet de votre parti, le parti Socialiste, afficher encore quelque temps la position officielle qui était jusqu'alors la votre : " Pas question pour nous de demander une modification que nos concitoyens pourraient considérer comme une modification de circonstance ou de convenance ".
Une modification de convenance ? Comment expliquer un tel revirement ? Par un souci de clarté, avez-vous dit. Pourtant on murmure, on dit, on écrit que cette modification du calendrier serait votre riposte à la demande de retrait - d'ailleurs justifiée- des farines animales que vous a faite le Président de la République et dont la forme publique vous aurait profondément déplu. Je n'ose y croire.
On explique, on raconte qu'il s'agit là d'un coup monté avec la participation, bienveillante pour les uns, involontaires pour les autres, d'une petite fraction de l'opposition. Je n'ose pas davantage l'imaginer.
Je ne saurais d'ailleurs mettre en cause, bien évidemment, les convictions des uns et des autres, lorsqu'elles sont réfléchies et sincères.
Mais dans votre cas, Monsieur le Premier ministre, je crains de pouvoir affirmer que cette modification du calendrier électoral n'est pas l'affirmation d'une grande conviction mais le résultat d'un petit calcul d'intérêt.
Oui, votre intérêt, comme l'a dit cruement Daniel Cohn Bendit, qui à l'instar du patriarche de Constantinople au IV ème siècle, joue au sein de votre majorité plurielle le rôle de Saint Jean Bouche d'Or .
Je veux bien convenir, Monsieur le premier ministre, que le hasard et les circonstances nous ont fabriqué pour le Printemps 2002 un curieux calendrier électoral. J'avais moi-même, il y a déjà quelque temps, parlé du bogue des élections de 2002.
Mais nous avons une tradition républicaine, une vertu républicaine, qui veulent que l'on mette le calendrier politique à l'abri des manipulations de circonstance.
Et les questions posées par ce calendrier, renforcées par l'adoption du quinquennat, ne sauraient trouver leur solution dans la seule prolongation de quelques semaines du mandat de notre Assemblée.
Nous avons dit " oui " au quinquennat. Notre " oui " n'était pas un point d'arrivée mais un point de départ. Pas un " oui " sec, ou un " oui " point final, mais un " oui " -disions nous alors- pour aller plus loin, un " oui " pour ouvrir le chemin à d'autres réformes institutionnelles.
Nous étions en effet convaincu que poser la question de la durée du mandat présidentiel nous amènerait inéluctablement à poser la question de la nature du pouvoir présidentiel, et de la nécessité de redistribuer et rééquilibrer les pouvoirs trop concentrés au sommet de l'Etat. Et le débat sur l'avenir de nos institutions que nous aurions du avoir au moment du quinquennat, voici qu'il s'ouvre aujourd'hui, enfin !. Non pas sur le fond, pour éclairer une réforme d'avenir, mais par commodité pour accompagner une " modification " que vous qualifiiez, il y a un mois à peine, " de circonstance ou de convenance ".
Ce débat nécessaire c'est celui de la reconstruction des institutions modernes d'une France moderne et on ne saurait le limiter à l'adoption du quinquennat en septembre et à la modification d'un calendrier électoral en décembre ; Une modification qui, nous dit-on, doit nous permettre de " revenir aux origines de la Vème République ", de retrouver l' " esprit des institutions ".
Curieux débat, curieux chassé croisé où l'on voit les héritiers du Gaullisme être contre, quand les héritiers de Lecanuet et de Mitterrand sont pour. Quant à moi, héritier de la tradition de séparation et d'équilibre des pouvoirs, du courant républicain, libéral et indépendant, j'ai la conviction qu'un tel retour aux sources de la Vème ne constituerait pas aujourd'hui un progrès mais un recul. Au moment ou nous devrions faire plusieurs pas en avant sur le chemin de la modernisation de nos institutions, nous ferions un pas en arrière.
Les institutions de la Vème République, faut-il le rappeler, ont été forgée dans des circonstances historiques exceptionnelles, celles de 1958, à la mesure d'une personnalité exceptionnelle, celle du Général De Gaulle. Mais depuis, le monde a évolué, la société a évolué, nos institutions elles-mêmes ont évolué. Et ce n'est pas remettre en cause les vertus des institutions de la Vème République que de dire que le modèle d'origine ne constitue pas un modèle d'équilibre des pouvoirs satisfaisant pour la France d'aujourd'hui.
Car les institutions de la Vème République sont aussi celles qui ont permis le développement de cette extraordinaire concentration des pouvoirs au sommet de l'Etat si caractéristique de ce qu'on appelle le mal Français et ans équivalent dans aucune autre démocratie. L'Elysée, Matignon, l'Administration, l'Assemblée Nationale, et même la Justice et la Télévision au tout début de la Vème République, tous ces pouvoirs en une seule main. Certes, une telle concentration des pouvoirs correspond à un moment compliqué de l'histoire de France dans un monde de guerre froide.
Certes, cette concentration a été tempérée, au plan politique, par les vertus des premiers présidents de la Vème République, mais elle a entraîné une confiscation des pouvoirs par la haute administration. Et c'est ainsi que la France a été de plus en plus étatisée. On a ajouté les lois aux lois, les règlements aux règlements, les impôts aux impôts, les dépenses aux dépenses, les fonctionnaires aux fonctionnaires.
Super Etat, à l'efficacité décroissante, incapable de se réformer lui-même, " l'absolutisme inefficace " diagnostiquera et écrira Jean-François Revel. " Omnipotence présidentielle " dont François Mitterrand restera le symbole, et si bien décrite par Alain Peyrefitte: " La présidentialisation progressive du régime s'est faite omnipotence, l'Elysée interfère dans toutes les décisions, il forme un obscur super gouvernement, dont les compétences sont d'autant plus envahissantes qu'elles ne sont nulle part définies. Au pouvoirs que lui donne la Constitution, le chef de l'Etat a ajouté l'autorité qu'il détient sur le parti dont il a su faire sa chose. La liberté de manoeuvre de l'Elysée est sans limite ; On ne connaît rien de tel dans les grandes démocraties ; la France est devenue au fil des temps une monarchie, élective certes, mais quasi absolue. La toute puissance à l'abri de l'irresponsabilité. L'Etat touche à tout. On a vu le propre fils du président chargé de mission à l'Elysée. Jamais on a vu pareille colonisation sous la Vème République. L'esprit de parti est le parti du Président "
Certes, nos institutions ont évolué au fil du temps. La Justice a affirmé son indépendance. Le Conseil Constitutionnel est venu borner le pouvoir du législateur. Le droit européen s'est imposé. Des autorités indépendantes de régulation se sont affirmées. La cohabitation est venue changer la nature de nos institutions.
A la lecture présidentielle des institutions, celle qui faisait dire au Général De Gaulle, " n'employez pas l'expression Chef du gouvernement pour parler du premier ministre, le chef du gouvernement c'est moi. Car le gouvernement procède de mon choix, il n'agit que moyennant ma confiance " a succédé avec la cohabitation une lecture parlementaire de notre constitution qui donne sa pleine dimension à son article 20, " le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ", confinant le Président de la République dans un rôle accessoire et un domaine réservé.
Au terme d'une troisième cohabitation, il est temps que nos institutions trouvent le moyen d'un meilleur équilibre qui nous évite de passer d'un extrême à l'autre.
Il est temps aussi de remettre en question cette centralisation excessive du pouvoir de l'Etat qui apparaît aujourd'hui d'autant plus insupportable et archaïque que la France s'ouvre sur le monde et sur l'Europe et que les vieilles structures autoritaires, hiérarchisée, jacobines, craquent de toutes part, remises en cause par une nouvelle société et une nouvelle économie.
La crise que nous vivons n'est pas une crise de la société française, c'est essentiellement une crise politique, la crise de tout un système de pouvoir et de décision aujourd'hui usé, incapable de se réformer et qui suscite la défiance.
Oui, une crise de défiance face à une classe politique qui apparaît trop souvent coupée de la vie, repliée sur elle-même ; face à un Etat qui semble trop souvent assurer le triomphe des intérêts particuliers sur l'intérêt général, et renoncer à faire respecter la loi ; face à une corruption que l'on croit généralisée et des abus de bien public qui ne trouvent jamais ni responsable ni coupable.
Si nous voulons que cette démocratie de défiance fasse place à une démocratie de confiance, il nous mettre fin aux excès et aux dérives de cette concentration des pouvoirs, mieux séparer et équilibrer les pouvoirs, les redistribuer vers les citoyens, les collectivités locales, les partenaires sociaux.
Voilà les vrais enjeux d'une vraie réforme des institutions.
Et convenez Monsieur le Premier Ministre que face à de tels enjeux, alors que nous changeons de siècle, nous changeons de monde, nous changeons d'économie et qu'il nous faut changer d'institutions, il y aurait de votre part un vrai manque d'ambition, un vrai manque de vision à nous proposer de changer seulement la date des élections.
J'entends bien, au delà du calcul d'intérêt qui est le votre, Monsieur le Premier ministre, les arguments qui, chez d'autres, plaident en faveur d'une telle modification.
On dit nécessaire, dans une situation de concomitance de fait des calendriers électoraux, législatifs et présidentiels, de donner la priorité au choix présidentiel. Mais vouloir que l'élection législative suive l'élection présidentielle n'est-ce pas prendre le risque d'absorber la majorité législative par la majorité présidentielle, et donc de renforcer la confusion des pouvoirs au risque d'aggraver le mal Français ? Et vouloir de plus pérenniser ce calendrier là, comme le proposent certains, serait à coup sûr pérenniser cette absorption et cette confusion.
Au reste, dans l'histoire de la Veme République nous n'avons connue cette situation que deux fois à l'initiative de François Mitterrand en 1981 et 1988. Et je ne pense pas que dans un cas comme dans l'autre, en dehors de toute considération politique, nous ayons à nous féliciter des conséquences institutionnelles d'un tel choix.
On dira aussi que ce nouveau calendrier là est de nature à écarter les risques d'une nouvelle cohabitation. On peut le penser, mais c'est présumer du choix des Français. Et il y aurait quelque illusion à prétendre vouloir forcer leur choix par quelque astuce de calendrier.
Un régime présidentiel équilibré à la française
Oui, répétons-le, le véritable enjeu institutionnel est ailleurs : redistribuer les pouvoirs, mieux les séparer, mieux les équilibrer. Il ne s'agit pas d'inventer d'idéales institutions, mais à partir de notre pratique et notre réalité constitutionnelle de modifier nos institutions sur tel ou tel point afin de les moderniser. " On ne doit toucher aux lois qu'avec des mains tremblantes ", disait Montesquieu et cela est encore plus vrai lorsqu'il s'agit de lois fondamentales Deux modèles viennent à l'esprit.
Nous devons, disent les uns, nous doter d'un vrai régime présidentiel, à l'instar des Etats-Unis, c'est-à-dire un exécutif autour du Président, un exécutif qui ne peut être renversé par le parlement, un parlement puissant qui ne peut être dissout, un droit de veto du président et la disparition du poste de premier ministre. Une telle révolution institutionnelle est-elle souhaitable est-elle possible ? Conviendrait-elle à la France ? Je ne le pense pas.
Le régime présidentiel à l'américaine est lié à un système bi-partisan étranger à notre tradition, lié aussi à une culture de l'Etat de droit et une pratique des contres pouvoirs qui nous fait aujourd'hui défaut.
D'autres avancent que nous devrions revenir à un vrai régime parlementaire, à l'instar de l'Allemagne, de l'Angleterre ou de l'Italie, où le véritable chef de l'exécutif est issu des élections législatives. Dans cette hypothèse, le Président de la république qui resterait élu au suffrage universel - comme en Finlande ou au Portugal- verrait ses pouvoirs limités, réduit à des fonctions protocolaires et représentatives, son rôle essentiel consistant à tirer les leçons des échéances électorales en nommant le Premier ministre. Le premier ministre représenterait seul la France au Conseil Européen.
Je pense cependant que si le régime parlementaire n'est pas en soi une mauvaise chose, il a toujours été en France, comme l'a noté le Président Valéry Giscard d'Estaing, " un régime faible, du fait de la division de la majorité et du poids des coalitions ". Un gouvernement parlementaire chez nous entreprend rarement de grandes réformes. C'est pourquoi nous avons du en changer au moment de la décolonisation et des grandes crises institutionnelles de la Vème République.
Au moment ou la France a tant de réforme à accomplir après tant de retard, elle ne saura s'accommoder d'un d'un pouvoir politique à faible capacité d'action.
Oui, comme vous l'avez noté Monsieur le Président, " le convoi politique Français a besoin d'être tiré par une locomotive ".
Dès lors que nous avons fait le choix d'élire le Président de la République au suffrage universel, dès lors que nous refusons tant l'omnipotence présidentielle que le régime parlementaire qui condamne le Président à l'impuissance, il nous faut trouver la voie d'un régime présidentiel équilibré à la française.
Et je voudrais ici brosser rapidement le tableau de cette modernisation de nos institutions : Un président qui préside. Un gouvernement qui gouverne et qui collabore avec le Parlement pour l'élaboration de la Loi. Un parlement qui légifère et qui contrôle. Une Justice indépendante et impartiale. Des collectivités locales responsables. Un droit plus clair et plus léger qui laisse une plus large part au contrat (A commencer par le contrat des partenaires sociaux).
Première modernisation : retrouver l'unité de l'exécutif
Sous la Vème République, l'essence même du pouvoir présidentiel c'est d'éclairer les Français sur leur destin et les grands choix auxquels ils se trouvent confrontés, de tracer un futur souhaitable, un futur possible, et de définir une orientation dont il est le garant.
L'élection présidentielle n'est pas l'affaire des partis politiques, disait le Général De Gaulle. En tout cas elle les transcendent. Elle permet la constitution d'un rassemblement ouvert qui déborde les frontières traditionnelles des partis politiques. Car le Président se doit d'être respectueux de la diversité française, garant de l'unité de la nation, du respect de l'Etat de Droit, et de la cohésion sociale, gardien des institutions et des grands principes de la République.
C'est pourquoi, la sagesse, la tradition et notre pratique de la fonction présidentielle veulent qu'on distingue celle-ci de la fonction de Premier ministre. Dans cette perspective de régime présidentiel équilibré à la française, le Président nomme le Premier ministre -le premier des ministres- et le gouvernement en conformité avec les orientations qu'il a définies et qui l'on fait élire afin d'assurer la nécessaire unité du pouvoir exécutif. Cette unité du pouvoir exécutif ne signifie pas pour autant que le Président commande l'action du gouvernement au quotidien. S'il doit inspirer, conseiller le gouvernement, il doit le laisser agir. Il serait sage de donner de la souplesse à nos institutions et de laisser aux hommes, à leur tempérament, aux circonstances et au moment de l'histoire, le soin de définir les rôles respectifs du Président et du premier des ministres.
Car l'histoire nous apprend qu' il y a dans la vie des sociétés des périodes de remise en ordre et des périodes de remise en cause. L'autorité politique suprême remplit tantôt une fonction d'arbitrage, tantôt une fonction d'entraîneur. Saint-Louis rendant la Justice sous son chêne à Vincennes, Bonaparte entraînant la victoire au Pont D'Arcole pour reprendre la distinction imagée de Bertrand de Jouvenel. Ces deux formes de pouvoir ont chacune leur vertu. Dans le premier cas il s'agit de consolider l'ordre social, une fois celui-ci fondé. C'est là une mission d'équilibre où l'on demande à l'autorité politique des qualités de sagesse, une capacité de conciliation et d'apaisement. Dans le second, on exigera de l'autorité qu'elle fasse davantage preuve d'ardeur et de capacité d'entraînement pour fonder des choses nouvelles. Ainsi, les qualités que l'on demande à ceux qui ont à conduire le destin d'un pays varie selon les moments de l'histoire.
Tantôt on verra le président de la République davantage entraîneur. Tantôt on le souhaitera davantage arbitre.
Deuxième modernisation : équilibrer la relation Parlement Gouvernement
Un régime présidentiel équilibré, c'est celui qui sait organiser la coopération entre les deux grands pouvoirs issus du suffrage universel direct. D'un côté le gouvernement qui procéderait du seul Président de la République ; de l'autre, l'Assemblée Nationale, qui doivent être associées sur un pied d'égalité, à la confection et à l'adoption des lois à la manière de la co-décision législative européenne.
Dans cette perspective le Parlement verrait ses moyens de contrôle renforcés, l'opposition mieux associée (présidence de commission, droit de tirage en matière de commission d'enquête), le rôle du Sénat qui ne saurait être une assemblée législative bis devrait être revalorisé dans sa contribution à la confection des lois et à la nécessaire recodification.
Reste la question du droit de dissolution qui devrait disparaître ou être limité en contre partie de la disparition du droit de censure.
Quant aux conflits importants pouvant surgir entre le pouvoir exécutif et le Parlement, il reviendrait aux Français de les trancher, la cas échéant, par référendum.
Troisième modernisation : assurer une Justice indépendante et impartiale
Un régime présidentiel équilibré, c'est encore l'affirmation d'une justice indépendante et impartiale ( ce qui pose le problème de son recrutement, de sa formation et de ses contre pouvoirs de contrôle) qu'on ne saurait réduire à l'application pure et simple de la loi.
Quatrième modernisation : redistribuer les pouvoirs vers les collectivités locales et les partenaires sociaux
Un régime présidentiel équilibré, c'est, enfin, un régime qui sait redistribuer les pouvoirs. Il faut équilibrer le pouvoir central par le pouvoir donné aux régions. Vouloir une vraie régionalisation, donner vie au principe de libre administration des collectivités locales inscrit dans la Constitution, suppose une pleine dévolution de blocs de compétence dans un certain nombre de domaines comme l'urbanisme, le logement, l'aménagement du territoire, l'environnement, la culture, l'éducation, la sécurité, les transports, la santé, le tourisme, l'agriculture, les infrastructures Cette dévolution doit s'accompagner de ressources fiscales propres à rebours de la confiscation aujourd'hui organisée par l'Etat, et d'un " pouvoir normatif " délégué.
Il faut équilibrer le pouvoir de l'Etat par un vrai espace de liberté contractuelle donné aux partenaires sociaux. Oui, il faut donner aux acteurs de la vie économique et sociale, aux partenaires sociaux, la possibilité de définir, dans le cadre de lois générales, leurs propres règles du jeu en fonction des réalités locales, économiques et professionnelles.
Voici Monsieur le Premier ministre, comme vous nous y avez invité en organisant ce débat sur l'avenir de nos institutions, quelques pistes pour demain.
J'ai bien conscience que mettre en chantier les institutions modernes d'une France moderne, que définir un régime présidentiel équilibré à la française sont des taches difficiles qui exigent de longs débats au-delà de cette courte matinée que vous nous avez offerte ;
Je sais que de telle réformes exigent de rassembler, au-delà des clivages politiques, et qu'il nous faut convaincre les Français de la nécessité de telles réformes pour, le moment venu, obtenir leur aval au moyen d'un ou plusieurs référendum.
Mais aujourd'hui, le chantier est ouvert. Et que le calendrier électoral soit bousculé ou non, voilà un débat qui sera au cur du rendez-vous des prochaines élections présidentielles.
Dommage, Monsieur le Premier ministre, que ce chantier vous n'ayez cru devoir l'ouvrir qu'à la faveur de ce qui est, et de ce qui reste pour vous, un calcul politique.
(Source http://www.demlib.com, le 29 décembre 2000).