Déclaration de Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations, sur le renforcement de la politique de soutien à domicile en faveur des handicapés et des personnes âgées dépendantes et sur le développement de l'accessibilité aux logements et aux établissements publics, Paris le 5 octobre 1995.

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Circonstance : Ouverture du congrès de l'Association des paralysés de France, à Paris le 5 octobre 1995

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs.

J'ai été très sensible à l'invitation que vous m'avez faite, Monsieur le Président, de venir ouvrir, en ces lieux prestigieux, le 36ème Congrès de l'Association des Paralysés de France.
Vous m'offrez l'occasion, en ma qualité de Ministre de la Solidarité entre les Générations, de témoigner publiquement de mon estime et de ma reconnaissance pour l'action de votre association. Depuis une soixantaine d'années vous défendez nos concitoyens handicapés, vous affirmez leurs droits. vous rappelez l'exigence du devoir de solidarité à leur égard.
Permettez-moi également de rappeler ici que, Ministre de la Solidarité entre les Générations, je me sens totalement Ministre des personnes handicapées, à l'écoute de vos préoccupations et soucieuse de leur apporter la réponse la plus appropriée.
Je suis désormais secondée dans cette tâche, vous le savez, par Patrick SEGAL. Délégué interministériel aux personnes handicapées. Vous avez su apprécier sa compétence, sa détermination et force de caractère, autant de qualités qu'il continuera à mettre au service de la cause des personnes handicapées. A mes côtés. il sera chargé d'assurer et de renforcer la cohérence de l'action publique en faveur des personnes handicapées. Il restera en liaison étroite avec toutes les administrations concernées par le handicap.
Votre Congrès. Monsieur le Président, représente un travail important de réflexion. Il vient à point pour alimenter les débats engagés en cette année de commémoration du 20ème anniversaire de la loi de 1975, loi d'orientation en faveur des personnes handicapées.
Dans un tel contexte, les sujets ne manquent pas et vous avez résolument choisi de dépasser le bilan des acquis pour tenter d'esquisser des perspectives d'avenir : quels nouveaux champs d'action pour les personnes handicapées 20 ans après la loi d'orientation ?
Qu'il me soit permis ici de souligner d'emblée que la loi de 1975, je devrais dire les lois de 1975. qui restent des textes de référence en matière d'action sociale, tant dans leurs objectifs que dans leurs principes, ont entraîné un changement fondamental dans les conditions de vie et la perception des handicapés. Leur objectif essentiel a été de conjuguer, de façon complémentaire. l'autonomie et l'intégration.
La loi d'orientation a. en effet, affirmé les droits propres de la personne handicapée en même temps qu'elle instaurait comme obligation nationale le devoir d'intégration socioprofessionnelle.
Parallèlement. la loi dite sociale du 30 juin 1975 a affirmé l'identité des établissements et services sociaux et médico-sociaux par opposition aux prises en charge caritatives ou sanitaires. Elle a également posé le principe de la nécessaire coordination du secteur.
Sur ces fondations, l'action des pouvoirs publics a cherché à améliorer la qualité de vie des personnes handicapées. par des actions interministérielles de soutien à l'emploi, d'intégration scolaire, d'accessibilité. Elle a eu le souci d'améliorer, sur le plan qualitatif et quantitatif, l'offre institutionnelle. Elle a ainsi garanti la progression des ressources publiques de toute nature affectées à la prise en charge du handicap.
Ce bilan largement positif s'inscrit dans un contexte juridico-politique plus centré sur l'institution que sur la personne. Et je vois là l'un des champs nouveaux que vous appelez de vos vux, un vaste chantier à développer et à consolider. Je veux évoquer, ici, la politique de soutien ou de retour à domicile.
Il ne s'agit pas d'opposer la prise en charge institutionnelle au soutien à domicile. Dans certains cas la gravité ou l'évolution du handicap fait de la vie en établissement la réponse la plus adaptée au besoin d'une prise en charge spécialisée. Dans ces cas-là l'établissement devra être source d'épanouissement.
L'effort quantitatif pour les créations de places ne sera pas ralenti. Je rappelle à cet égard, qu'en 10 ans, le nombre de places en Maisons d'accueil spécialisé est passé de 3 500 à 8 500, auxquelles il faut ajouter 3 200 places en foyers à double tarification.
Sur la même période, les places en centres d'aide par le travail ont augmenté de 80 000 pour atteindre plus de 80 000 en 1995.
Les Pouvoirs publics sont, au demeurant, convaincus qu'il faut encore accentuer l'effort dans le domaine du travail des personnes handicapées occasion essentielle d'une meilleure insertion sociale. C'est pourquoi, malgré une situation budgétaire tendue, le Gouvernement a décidé la création de 2 750 places supplémentaires de CAT au titre de l'année 1996.
Je viens d'évoquer la lecture jusqu'ici très institutionnelle que nous avons eu de la loi du 30 juin 1975.
Il nous faut résolument adapter notre dispositif aux nouveaux besoins exprimés par les personnes handicapées elles-mêmes et faire preuve d'audace et d'innovation.
Permettez-moi à travers notre rencontre, de lancer un appel aux promoteurs des nouveaux projets, aux gestionnaires des établissements afin qu'ils recherchent les formules d'accueil les plus souples. Le libre choix de la personne handicapée suppose le développement de toutes les formes d'accueil que le loi du 30 juin autorise; c'est là une des souplesses qu'il faut lui reconnaître.
Ainsi convient-il d'encourager l'accueil temporaire trop souvent ignoré. II faut favoriser l'accueil de jour dans le cadre d'une politique de soutien à domicile, en développant des formules novatrices, dérivées des structures traditionnelles, en couplant par exemple un CAT et un foyer occupationnel, ou en ayant recours, lorsque cela est possible, à des modes de prise en charge comme le temps partiel.
Il s'agit avant tout d'offrir une réponse mieux adaptée à la spécificité ou à la gravité du handicap.
Les projets de vie développés dans les établissements sont précisément destinés à favoriser ces réponses nouvelles. Mais il faut les accompagner d'actions de formations dynamiques au profit des personnels des établissements. Leur compétence sera le gage d'une prise en charge de qualité.
L'autre solution pour les personnes handicapées ne peut être que le soutien ou le retour à domicile.
C'est, là encore. un des objectifs prioritaires de la loi de 1975, et il doit le rester à condition de garantir aux personnes concernées l'exercice d'un libre choix.
Je sais, Monsieur le Président, que l'Association des Paralysés de France attache une grande importance à ce que les personnes handicapées puissent maîtriser leur vie personnelle et choisir leur mode de vie.
Les facteurs clé de la mise en uvre et de la réussite de la politique de soutien à domicile conjuguent la nécessité de ressources suffisantes, l'existence d'une assistance humaine efficace, les moyens techniques et matériels susceptibles de compenser le handicap, enfin un cadre de vie accessible.
Je n'ignore pas que la question des ressources vous préoccupe. Croyez bien que, même si une plus grande vigilance sur les budgets sociaux est nécessaire, je suis soucieuse que les efforts consentis par la Nation à l'égard des personnes handicapées ne soient pas érodés par le temps.
Versée à plus de 595.000 personnes, l'allocation aux adultes handicapées représente en 1995 près de 19 milliards.
En dépit des efforts de rigueur, le Gouvernement a tenu à revaloriser au 1er juillet 1995 le montant de cette prestation de 2,8 %. Cette augmentation porte son montant à 3 322 F et son complément à 532 F.
L'allocation compensatrice pour tierce personne se situe dans la même perspective d'une politique active de soutien à domicile.
Cette prestation d'aide sociale revêt à vos yeux une réelle importance. Représentant plus de 9 milliards de francs cette année, elle est non seulement créatrice d'emploi, mais aussi destinée à conforter la solidarité familiale, contribuant ainsi à l'expression d'un choix de la personne handicapée.
Je sais combien les personnes handicapées, et l'Association des Paralysés de France, sont vigilants quant aux évolutions de cette prestation et à la réglementation' qui l'entoure.
Mais elle ne peut s'analyser isolément: il faut la replacer dans un contexte plus large. II faut noter l'exonération de 30 % des cotisations patronales dont peuvent bénéficier des services d'auxiliaires de vie, la politique cl d'organismes de sécurité sociale, et celle conduite par les conseils généraux dans le cadre de leur aide sociale.
Sur ce dernier point, votre association souhaite une modulation plus large de l'allocation compensatrice, dans un éventail de 20 % à 150 % du montant de la majoration pour tierce personne de la sécurité sociale. Cet aménagement permettrait, selon vous, de mieux prendre en compte les besoins réels de la personne concernée.
Tout ce qui ira dans ce sens ne doit pas être écarté, mais au contraire analysé dans le cadre d'une lare concertation.
L'allocation compensatrice a été une grande avancée dans son principe, et constitue aujourd'hui une des pierres angulaires du soutien à domicile. Originairement conçue pour les personnes handicapées, elle bénéficie aujourd'hui majoritairement à des personnes âgées, et doit donc, à cet égard, être remodelée.
La création de la prestation autonomie , destinée aux personnes âgées dépendantes, posera en effet la question de l'adaptation, dans sa forme actuelle, de l'allocation compensatrice.
Cette nouvelle prestation, dont la création est une priorité essentielle pour le Gouvernement, prendra le relais de l'allocation compensatrice pour tierce personne dans le cas des personnes âgées dépendantes.
Je sais que le passage d'une prestation à l'autre est pour vous source d'inquiétude et je souhaite vous rassurer sur les intentions du Gouvernement.
Le projet qui sera tout prochainement soumis au Parlement, aménage une procédure garantissant les droits des personnes handicapées.
Ces dernières dès lors qu'elles bénéficiaient antérieurement de l'allocation compensatrice, pourront exercer un droit d'option entre les deux prestations, après avoir été dûment informées du montant de la prestation autonomie susceptible de leur être versée.
Le développement de la politique de soutien à domicile implique également la promotion résolue des emplois d'auxiliaires de vie et de toutes le formes d'aide à domicile.
Près de 530 000 personnes handicapées ou très dépendantes vivant à domicile ont besoin de l'aide d'une tierce personne pour les actes essentiels de la vie quotidienne. Or, face à une demande d'une telle ampleur. l'offre est insuffisante et mal structurée. Les services d'auxiliaires de vie dont l'Association des Paralysés de France a eu l'initiative il y a maintenant près de 20 ans, inégalement répartis sur le territoire, ne sont actuellement que 250 et à peine plus de 10 000 personnes y recourent. C'est déjà beaucoup, c'est loin d'être suffisant.
L'Etat poursuivra. cette année encore l'effort qu'il entreprend depuis 1989, pour le financement de ces emplois. De surcroît. afin d'amplifier son intervention dans ce domaine, mes services étudient les possibilités d'adapter. au profit des services d'auxiliaires de vie, les mécanismes et dispositifs juridiques jusqu'ici mis en uvre en direction des personnes exclues du marché du travail.
II s'agit là de concilier les impératifs d'une politique dynamique de l'emploi en direction de publics en difficulté avec l'utilité sociale des emplois d'auxiliaires de vie au service de nos concitoyens handicapés.
A ce propos. J'insiste tout particulièrement sur l'exigence d'une prise en charge de qualité et en conséquence d'une formation adéquate pour accéder à ces emplois.
Cet effort de formation sera en partie financé dans le cadre du programme français du Fonds Social Européen.
De notre côté une partie importante des crédits d'action sociale en faveur des personnes handicapées inscrits au budget de mon ministère, est consacrée au financement d'actions spécifiques visant à organiser l'accès des personnes handicapées aux diverses aides techniques.
Certaines expériences développées par exemple dans le cadre de l'expérimentation PREMUTAN, menée sur 7 sites pilotes ont précisément dégagé les axes d'une méthodologie appliquée à la prescription et à la délivrance des aides techniques.
Elles préconisent une approche globale de la personne handicapée, à la fois acteur et partenaire, accompagnée et conseillée dans sa recherche d'une aide personnalisée à la fois médicale technique et fonctionnelle, sociale et psychologique. Par ailleurs, le projet de retour à domicile associe autour de la personne handicapée une équipe de personnes qualifiées chargées d'étudier avec elles les solutions les plus appropriées.
L'État. avec la collaboration des collectivités territoriales, de l'assurance - maladie et des associations intéressées prendra toute sa part à ce vaste champ d'action dont les enjeux non négligeables sont tout à la fois humains, financiers et économiques.
L'accessibilité aux logements aux établissements ouverts au public, aux transports est une condition incontournable d'une politique d'insertion des personnes handicapées et d'amélioration de leur vie quotidienne. Cette nécessité ne peut que s'accroître avec la perspective des alternatives à l'hospitalisation et à la vie en institution.
Dans ce contexte, la réglementation issue de la loi du 30 juin 1975 garde son actualité. Sa philosophie générale d'accessibilité des bâtiments publics et d'adaptabilité des logements collectifs doit être préservée.
Des textes ou des programmes importants ont été adoptés ces dernières années pour expliquer le problème de l'accessibilité afin que les normes arrêtées soient perçues, non comme une contrainte, mais comme un élément de qualité de vie pour tous.
Le Ministère de la Solidarité entre les Générations joue depuis plusieurs années un rôle moteur dans ce domaine qui connaît des évolutions importantes même si des efforts restent à faire pour que les réglementations soient réellement appliquées.
En ce qui concerne l'accessibilité des transports collectifs aux personnes à mobilité réduite, il faut se féliciter que le programme "60 mesures pour le transport" arrêté en 1989 soit entré dans les faits, dans sa quasi intégralité.
Toutefois de nouvelles questions se posent. telles celle de l'accompagnement des enfants et des adultes à mobilité réduite pour faciliter leur utilisation des transports collectifs. Dans ce contexte il faut souligner l'initiative de la RATP et de la SNCF qui ont créé une association spécifique pour répondre à ce nouveau besoin, grâce au concours de plusieurs centaines de personnes en Contrat Emploi Solidarité.
Le problème de la formation obligatoire pour tous les étudiants en architecture et les ingénieurs en travaux publics de 2è année, avec épreuve éventuelle aux examens n'est pas réglé.
Seule une école sur trois a intégré cet enseignement sous la forme d'une option. Or, l'absence de formation est l'une des principales causes de l'inaccessibilité qui concerne un bâtiment neuf sur deux. 20 heures de formation sur les deux premières années de cursus avec un exercice pratique constituent une première étape décisive, le coût en est minime. Cette décision interministérielle mérite d'être relancée.
Enfin en ce qui concerne les maisons individuelles qui représentent 50 % des logements neufs construits actuellement. il n'existe aucune réglementation d'accessibilité. Les professionnels souhaitent un partenariat avec les pouvoirs publics pour promouvoir une accessibilité minimale et recommander les aménagements intérieurs utilisables pour tous.
J'ai volontairement centré mes propos autour de quelques axes d'action pour les années à venir.
Je n'ignore pas le chemin qui reste à parcourir, les progrès à accomplir en matière d'insertion professionnelle, d'intégration scolaire. Je n'aurai de cesse de veiller à l'amélioration indispensable des dispositifs d'orientation et d'évaluation des personnes handicapées, à la consolidation du statut juridique des établissements d'hébergement pour adultes, à la prise en charge désormais prioritaire des autistes et traumatisés - crâniens.
Autant de domaines, où la solidarité avec nos concitoyens handicapés devra s'exprimer encore plus fortement dans les prochaines années.
Je m'attacherai pour ce qui me concerne. à poursuivre et développer cette politique ambitieuse, fondée sur le respect de la dignité et de la citoyenneté des personnes handicapées, tout en veillant aux adaptations que commandent les évolutions de la société.
C'est ce qu'a voulu le Président de la République en annonçant "un nouvel élan de la politique en faveur des personnes handicapées''.
C'est ce qua rappelé le Premier Ministre. il y a quelques jours.
Cette ambition. Je sais que vous la partagez. Je sais aussi pouvoir compter sur vous pour que les personnes handicapées trouvent, avec leur différence, leur vraie place dans notre société.

Je vous remercie.