Texte intégral
Tout d'abord, je tiens à remercier chaleureusement le Dr John Chipman, directeur de
l'Institut International d'Etudes Stratégiques de m'avoir invitée à m'exprimer. Le
rendez-vous du « Gulf Dialogue » à Bahreïn est désormais traditionnel. Ma présence souligne
l'importance que la France attache à cette partie du monde. Situé au c?ur de deux régions
critiques en terme de stabilité ? le Moyen-Orient et l'Asie centrale - le Golfe constitue un
véritable carrefour des civilisations. Il est aussi un carrefour des préoccupations
économiques et sécuritaires dans le monde.
Il dispose de richesses énergétiques inégalées. C'est dans le même temps une région qui
souffre de déséquilibres et de tensions. De la stabilisation de l'Irak aux risques de
prolifération d'armes de destruction massive, en passant par la coexistence entre arabes et
persans, entre sunnites et chiites ou à l'équilibre délicat entre Etats de taille différente
: tous ces facteurs hypothèquent sa stabilité.
Or en matière de sécurité, le Golfe arabo-persique apparaît à beaucoup comme une chasse
gardée des Etats-Unis. Les enjeux énergétiques et stratégiques de cette région sont
essentiels pour Washington: stabilisation de l'Irak, dissuasion de l'Iran d'acquérir l'arme
nucléaire, et « protection » des Etats du Conseil de Coopération du Golfe. La présence
militaire massive américaine est la preuve du caractère prioritaire que représente cette
zone, et ceci de façon durable.
Dans ces conditions, aujourd'hui, cela veut-il dire que la France et l'Europe se
désintéressent de ce qui s'y est passé sur le plan de la sécurité ? La France et l'Europe ne
sont-elles pas concernées ? Si, elles le sont.
De mon point de vue, l'Europe peut apporter une contribution très importante à la région :
tout d'abord, parce qu'elle est y déjà un acteur de poids ; ensuite, parce que nous
Européens, estimons être en mesure de pouvoir apporter nos expériences et notre aide à la
stabilisation du Golfe.
L'Europe est déjà un acteur important dans le Golfe, parfois à travers les relations que des
pays européens entretiennent avec la région, parfois globalement.
La France et le Royaume-Uni, par leur géographie, leur histoire, leur culture, sont depuis
longtemps des partenaires essentiels des pays du Golfe. Des pays européens entretiennent des
liens culturels et scientifiques avec les pays de la région, y compris l'Iran. De nombreux
étudiants de ces pays viennent faire leurs études dans des universités européennes. Des pays
comme l'Italie, la Grèce ou la France ont constaté récemment une nette augmentation du
nombre d'étudiants du Golfe. Ils viennent notamment de Bahreïn, du Koweït et d'Arabie
Saoudite. L'institut de Sciences Politiques à Menton, dans le sud de la France, devient
ainsi un carrefour pour les étudiants des pays du Golfe. De même, à Abou Dhabi, une antenne
de la Sorbonne (Paris III) s'est récemment ouverte avec le projet de lancer une université
de langue française. Je m'en réjouis.
D'autre part, l'Union européenne est le premier partenaire commercial du Golfe. Les
entreprises européennes sont présentes dans des domaines aussi variés que les
télécommunications, l'électronique, les transports, l'énergie ou la finance.
Dans le domaine de la défense et de la sécurité, la France et le Royaume-Uni ont chacun des
relations significatives avec de nombreux pays du Golfe : accords de défense, présence
militaire, coopération en matière d'équipements. La France, par exemple, a signé des accords
de défense avec le Koweït, les Emirats Arabes Unis et le Qatar.
Elle conduit des exercices d'envergure avec les forces armées des Emirats Arabes Unis. Elle
est présente militairement au Qatar. Elle est aussi le premier fournisseur d'équipements
militaires de ces deux pays.
Nos navires effectuent très régulièrement des escales à Bahreïn et en Oman, où notre
coopération progresse également en matière d'équipement.
Avec l'Arabie Saoudite, la France entretient également une relation forte et croissante,
tant dans le domaine de la coopération militaire que de l'équipement.
L'Europe ? plus exactement l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France - coordonne les efforts
de la communauté internationale dans la gestion délicate du problème nucléaire iranien. La
troïka européenne attend aujourd'hui des autorités iraniennes qu'elles tiennent leurs
engagements de ne pas développer leurs installations nucléaires dans un but militaire. C'est
une préoccupation et une responsabilité très importantes des Européens.
L'Europe joue donc, d'ores et déjà, un rôle majeur dans la sécurité du Golfe.
L'Europe peut apporter des éléments spécifiques dans le domaine de la stabilisation.
Les propositions européennes relèvent de différents domaines :
Tout d'abord, l'Union européenne est une référence en matière de réconciliation et de
coopération. La France et l'Allemagne se sont souvent affrontées par le passé. Aujourd'hui,
leur relation très proche illustre la proximité que peuvent avoir deux nations autrefois
adversaires.
Certes, le Golfe n'est pas l'Europe. Cependant, l'Organisation de la Sécurité et de la
Coopération en Europe (OSCE) peut servir de référence pour établir des mesures de confiance
régionales susceptibles de déboucher sur une coopération entre les Etats.
L'OSCE, qui a été créée en 1975, est composée de 55 pays membres. Elle a pour rôle
d'anticiper les conflits et de faire le suivi des crises régionales.
Dans le Golfe, le Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe (CCEAG) est déjà une
structure de coopération dans le domaine économique ; dans le domaine de la sécurité
intérieure et du renseignement ; pour la lutte anti-terroriste ou concernant la lutte contre
le trafic de drogue. Le Yémen y est associé depuis un an. Et lorsque l'Irak sera stabilisé,
il aura intérêt à faire partie d'une telle architecture régionale de sécurité.
L'expérience et l'expertise des Européens peut donc être utile pour avancer dans cette voie.
Par ailleurs, en cas de crise, l'Europe de la défense a développé une série d'instruments
qui peuvent en faire un partenaire intéressant pour le Golfe :
Les Groupements Tactiques 1500 permettent de déployer 1 500 hommes en moins de 15 jours sur
un théâtre d'opération. 20 Etats se sont déjà engagés à former des groupements tactiques ;
La Force de Gendarmerie Européenne, sera lancée officiellement début 2006 : elle permettra
de couvrir la totalité du spectre des missions de sécurité publique lors des différentes
phases d'une crise ;
Grâce à ces capacités, l'Union européenne peut intervenir en cas de crise. Elle peut aussi
aider à la formation d'officiers.
Nous mettons également en place une culture stratégique européenne commune à travers la
formation, et plus précisément le Collège européen de défense et de sécurité.
Enfin, l'Europe a commencé à mettre en place des mécanismes de coopération régionale en
dehors de ses frontières dont nous pourrions nous inspirer pour développer des actions
communes: Recamp est un mécanisme d'assistance militaire aux pays africains dans les
domaines de la formation, de l'entraînement et de l'équipement. Il est prévu d'en faire un
nouvel élément de coopération entre l'UE et l'Union africaine ; le dialogue sur la sécurité
en Méditerranée Occidentale dit du ?5+5' regroupe cinq pays d'Europe du Sud et les cinq pays
membres du Maghreb arabe concernés par les questions de terrorisme, de sécurité, ou encore
d'immigration illégale.
S'agissant du Golfe, il me semble que ces exemples de coopération régionale pourraient
contribuer à une action conjointe entre l'UE et le CCEAG. Je crois en effet utile
d'approfondir le dialogue déjà étendu entre nos deux organisations en le complétant par un
volet stratégique.
Cela permettrait : d'échanger des analyses sur les questions de sécurité d'intérêt commun ;
d'envisager une coopération en matière d'expertise, de formation, voire ultérieurement
d'exercices conjoints.
Je suis convaincue que le moment est venu de passer à une étape supérieure de notre
coopération.
Toutes les régions du monde sont amenées à s'interroger sur la façon pour elles de mieux
assumer leurs responsabilités dans la prise en charge de leur propre sécurité.
On constate dans ce domaine une multiplication des structures de coopération entre Etats
d'une même région : l'Union africaine, le groupe de Shanghai pour l'Asie centrale, le
dialogue stratégique d'Asie de l'Est?
Il est donc naturel que la région du Golfe, riche en histoire et en potentiel, s'interroge,
elle aussi, sur le bénéfice d'une architecture régionale de sécurité.
Certes, ses spécificités font qu'il s'agira d'un processus progressif - comme cela a
d'ailleurs été le cas en Europe - pour surmonter les méfiances héritées de l'histoire.
Mais le monde multipolaire se développe rapidement. L'Europe est un acteur politique qui
s'affirme dans le domaine de la sécurité et elle jouit d'une véritable expérience.
Je considère qu'il est grand temps que les pays européens et les riverains du Golfe
renforcent leur coopération dans ce domaine, afin de contribuer ensemble à la stabilisation
de cette région vitale pour le monde.(Source http://www.defense.gouv.fr, le 7 décembre 2005)
l'Institut International d'Etudes Stratégiques de m'avoir invitée à m'exprimer. Le
rendez-vous du « Gulf Dialogue » à Bahreïn est désormais traditionnel. Ma présence souligne
l'importance que la France attache à cette partie du monde. Situé au c?ur de deux régions
critiques en terme de stabilité ? le Moyen-Orient et l'Asie centrale - le Golfe constitue un
véritable carrefour des civilisations. Il est aussi un carrefour des préoccupations
économiques et sécuritaires dans le monde.
Il dispose de richesses énergétiques inégalées. C'est dans le même temps une région qui
souffre de déséquilibres et de tensions. De la stabilisation de l'Irak aux risques de
prolifération d'armes de destruction massive, en passant par la coexistence entre arabes et
persans, entre sunnites et chiites ou à l'équilibre délicat entre Etats de taille différente
: tous ces facteurs hypothèquent sa stabilité.
Or en matière de sécurité, le Golfe arabo-persique apparaît à beaucoup comme une chasse
gardée des Etats-Unis. Les enjeux énergétiques et stratégiques de cette région sont
essentiels pour Washington: stabilisation de l'Irak, dissuasion de l'Iran d'acquérir l'arme
nucléaire, et « protection » des Etats du Conseil de Coopération du Golfe. La présence
militaire massive américaine est la preuve du caractère prioritaire que représente cette
zone, et ceci de façon durable.
Dans ces conditions, aujourd'hui, cela veut-il dire que la France et l'Europe se
désintéressent de ce qui s'y est passé sur le plan de la sécurité ? La France et l'Europe ne
sont-elles pas concernées ? Si, elles le sont.
De mon point de vue, l'Europe peut apporter une contribution très importante à la région :
tout d'abord, parce qu'elle est y déjà un acteur de poids ; ensuite, parce que nous
Européens, estimons être en mesure de pouvoir apporter nos expériences et notre aide à la
stabilisation du Golfe.
L'Europe est déjà un acteur important dans le Golfe, parfois à travers les relations que des
pays européens entretiennent avec la région, parfois globalement.
La France et le Royaume-Uni, par leur géographie, leur histoire, leur culture, sont depuis
longtemps des partenaires essentiels des pays du Golfe. Des pays européens entretiennent des
liens culturels et scientifiques avec les pays de la région, y compris l'Iran. De nombreux
étudiants de ces pays viennent faire leurs études dans des universités européennes. Des pays
comme l'Italie, la Grèce ou la France ont constaté récemment une nette augmentation du
nombre d'étudiants du Golfe. Ils viennent notamment de Bahreïn, du Koweït et d'Arabie
Saoudite. L'institut de Sciences Politiques à Menton, dans le sud de la France, devient
ainsi un carrefour pour les étudiants des pays du Golfe. De même, à Abou Dhabi, une antenne
de la Sorbonne (Paris III) s'est récemment ouverte avec le projet de lancer une université
de langue française. Je m'en réjouis.
D'autre part, l'Union européenne est le premier partenaire commercial du Golfe. Les
entreprises européennes sont présentes dans des domaines aussi variés que les
télécommunications, l'électronique, les transports, l'énergie ou la finance.
Dans le domaine de la défense et de la sécurité, la France et le Royaume-Uni ont chacun des
relations significatives avec de nombreux pays du Golfe : accords de défense, présence
militaire, coopération en matière d'équipements. La France, par exemple, a signé des accords
de défense avec le Koweït, les Emirats Arabes Unis et le Qatar.
Elle conduit des exercices d'envergure avec les forces armées des Emirats Arabes Unis. Elle
est présente militairement au Qatar. Elle est aussi le premier fournisseur d'équipements
militaires de ces deux pays.
Nos navires effectuent très régulièrement des escales à Bahreïn et en Oman, où notre
coopération progresse également en matière d'équipement.
Avec l'Arabie Saoudite, la France entretient également une relation forte et croissante,
tant dans le domaine de la coopération militaire que de l'équipement.
L'Europe ? plus exactement l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France - coordonne les efforts
de la communauté internationale dans la gestion délicate du problème nucléaire iranien. La
troïka européenne attend aujourd'hui des autorités iraniennes qu'elles tiennent leurs
engagements de ne pas développer leurs installations nucléaires dans un but militaire. C'est
une préoccupation et une responsabilité très importantes des Européens.
L'Europe joue donc, d'ores et déjà, un rôle majeur dans la sécurité du Golfe.
L'Europe peut apporter des éléments spécifiques dans le domaine de la stabilisation.
Les propositions européennes relèvent de différents domaines :
Tout d'abord, l'Union européenne est une référence en matière de réconciliation et de
coopération. La France et l'Allemagne se sont souvent affrontées par le passé. Aujourd'hui,
leur relation très proche illustre la proximité que peuvent avoir deux nations autrefois
adversaires.
Certes, le Golfe n'est pas l'Europe. Cependant, l'Organisation de la Sécurité et de la
Coopération en Europe (OSCE) peut servir de référence pour établir des mesures de confiance
régionales susceptibles de déboucher sur une coopération entre les Etats.
L'OSCE, qui a été créée en 1975, est composée de 55 pays membres. Elle a pour rôle
d'anticiper les conflits et de faire le suivi des crises régionales.
Dans le Golfe, le Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe (CCEAG) est déjà une
structure de coopération dans le domaine économique ; dans le domaine de la sécurité
intérieure et du renseignement ; pour la lutte anti-terroriste ou concernant la lutte contre
le trafic de drogue. Le Yémen y est associé depuis un an. Et lorsque l'Irak sera stabilisé,
il aura intérêt à faire partie d'une telle architecture régionale de sécurité.
L'expérience et l'expertise des Européens peut donc être utile pour avancer dans cette voie.
Par ailleurs, en cas de crise, l'Europe de la défense a développé une série d'instruments
qui peuvent en faire un partenaire intéressant pour le Golfe :
Les Groupements Tactiques 1500 permettent de déployer 1 500 hommes en moins de 15 jours sur
un théâtre d'opération. 20 Etats se sont déjà engagés à former des groupements tactiques ;
La Force de Gendarmerie Européenne, sera lancée officiellement début 2006 : elle permettra
de couvrir la totalité du spectre des missions de sécurité publique lors des différentes
phases d'une crise ;
Grâce à ces capacités, l'Union européenne peut intervenir en cas de crise. Elle peut aussi
aider à la formation d'officiers.
Nous mettons également en place une culture stratégique européenne commune à travers la
formation, et plus précisément le Collège européen de défense et de sécurité.
Enfin, l'Europe a commencé à mettre en place des mécanismes de coopération régionale en
dehors de ses frontières dont nous pourrions nous inspirer pour développer des actions
communes: Recamp est un mécanisme d'assistance militaire aux pays africains dans les
domaines de la formation, de l'entraînement et de l'équipement. Il est prévu d'en faire un
nouvel élément de coopération entre l'UE et l'Union africaine ; le dialogue sur la sécurité
en Méditerranée Occidentale dit du ?5+5' regroupe cinq pays d'Europe du Sud et les cinq pays
membres du Maghreb arabe concernés par les questions de terrorisme, de sécurité, ou encore
d'immigration illégale.
S'agissant du Golfe, il me semble que ces exemples de coopération régionale pourraient
contribuer à une action conjointe entre l'UE et le CCEAG. Je crois en effet utile
d'approfondir le dialogue déjà étendu entre nos deux organisations en le complétant par un
volet stratégique.
Cela permettrait : d'échanger des analyses sur les questions de sécurité d'intérêt commun ;
d'envisager une coopération en matière d'expertise, de formation, voire ultérieurement
d'exercices conjoints.
Je suis convaincue que le moment est venu de passer à une étape supérieure de notre
coopération.
Toutes les régions du monde sont amenées à s'interroger sur la façon pour elles de mieux
assumer leurs responsabilités dans la prise en charge de leur propre sécurité.
On constate dans ce domaine une multiplication des structures de coopération entre Etats
d'une même région : l'Union africaine, le groupe de Shanghai pour l'Asie centrale, le
dialogue stratégique d'Asie de l'Est?
Il est donc naturel que la région du Golfe, riche en histoire et en potentiel, s'interroge,
elle aussi, sur le bénéfice d'une architecture régionale de sécurité.
Certes, ses spécificités font qu'il s'agira d'un processus progressif - comme cela a
d'ailleurs été le cas en Europe - pour surmonter les méfiances héritées de l'histoire.
Mais le monde multipolaire se développe rapidement. L'Europe est un acteur politique qui
s'affirme dans le domaine de la sécurité et elle jouit d'une véritable expérience.
Je considère qu'il est grand temps que les pays européens et les riverains du Golfe
renforcent leur coopération dans ce domaine, afin de contribuer ensemble à la stabilisation
de cette région vitale pour le monde.(Source http://www.defense.gouv.fr, le 7 décembre 2005)