Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, avec LCI, sur le taux de TVA pour la restauration, les discussions autour du budget communautaire et sur la place de la France en Europe, à Bruxelles le 29 novembre 2005.

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Circonstance : Conseil compétitivité, à Bruxelles (Belgique) le 29 novembre 2005

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - Catherine Colonna, vous êtes à Bruxelles. Nous sommes six mois, jour pour jour, après le refus français de la Constitution européenne. Avant que l'on parle des institutions proprement dites, un mot sur un sujet européen qui préoccupe beaucoup les restaurateurs français, c'est le taux de la TVA, dont on avait promis qu'il serait ramené à 5 % et cela bloque à Bruxelles. Ce matin, pouvez-vous nous en dire plus ?
R - Je comprends qu'ils s'interrogent, mais c'est une matière dans laquelle les décisions doivent être prises à l'unanimité des Etats membres de l'Union européenne. Or aujourd'hui, les conditions d'un consensus ne sont pas encore réunies, et donc, dans cette attente, le gouvernement a pris un dispositif d'allégement des charges pour les restaurateurs. Par ailleurs il y a un autre dossier que nous suivons de près qui est celui de la TVA sur les travaux, et là nous avons bon espoir d'obtenir la reconduction du taux de TVA réduit à 5,5 % lors du prochain Conseil des ministres qui doit se tenir dans une semaine, la semaine prochaine.

Q - Cela veut-il dire que ce serait donnant-donnant, on reconduit les travaux mais on ne bouge pas sur la restauration ?
R - La décision sur les travaux avait été prise il y a deux ans, pour deux ans. Là, il s'agit simplement d'une reconduction. Le cas de figure est un peu différent et un peu plus difficile pour dire les choses pour ce qui concerne la restauration. Aujourd'hui, l'accord ne s'est pas encore fait.

Q - C'est très difficile à comprendre puisque ce problème se pose en général quand il y a concurrence entre les Etats européens. Là, le président des restaurateurs dit : il n'y a pas de problème de concurrence, donc, à la France de faire jouer "le principe de subsidiarité", c'est-à-dire, d'appliquer sa propre loi.
R - Oui, ce sont deux grands principes qu'il faut respecter : la concurrence et la subsidiarité. Mais en l'occurrence, la préoccupation d'un certain nombre de pays européens qui ne sont pas encore convaincus par nos arguments est qu'une baisse du taux de TVA pour la restauration pourrait entraîner d'autres demandes dans leur pays, et donc ils sont attentifs à l'état de leurs finances publiques. On ne peut pas leur en faire le reproche. Il faut continuer à convaincre, ce n'est pas encore fait aujourd'hui mais nous poursuivons nos efforts.

Q - Vous faites là une réponse très diplomatique. Les négociations semblent donc très difficiles ?
R - Je vous donne l'état de la situation aujourd'hui. Je ne peux pas dire ce qui n'est pas. Voilà où nous en sommes, nous poursuivons nos efforts, les choses ne sont pas encore acquises, c'est vrai.

Q - Concernant le budget européen, autre sujet épineux qui se traite pas seulement à Bruxelles mais entre les 25. Tony Blair a fait une proposition de budget il y a deux jours, qui a été révélée dans la presse anglo-saxonne : il propose un budget à la baisse, mais ce budget aurait l'avantage de ne pas remettre en cause la Politique agricole commune dit-on. Est-ce une proposition de nature à satisfaire la France ?
R - Le problème est un peu différent, parce que le Royaume-Uni, qui a aujourd'hui la présidence de l'Union européenne, n'a pas encore fait de propositions. Nous sommes cinq mois après le début de cette présidence, il reste encore quelques semaines pour réussir. Mais en effet, la présidence britannique a une responsabilité particulière pour faire à ses partenaires une proposition, mais pas n'importe quelle proposition, une proposition qui soit convenable, c'est-à-dire qui permette aux Etats membres de donner les uns et les autres leur accord. Nous devons être 25 à donner notre accord. Sur la table il y a une proposition qui existe, la proposition précédente, 20 pays sur 25 avaient la même position et demandent à la présidence britannique d'en tenir compte et de repartir de cette base.
Pour le moment nous ne sommes pas saisis d'une proposition de la présidence britannique. Pourtant, il faudra bien que l'Union ait un budget. Donc je forme le v?u que le Royaume-Uni réfléchisse, constate ce que je vous disais, que la très grande majorité des pays seulement que l'on reparte de la base actuelle, et que, moyennant quelques ajustements, on arrive à trouver un accord. C'est possible, mais il faut pour cela que la proposition qui nous sera faite soit une bonne proposition.

Q - "Une bonne proposition", cela veut dire quoi ?
R - Cela veut dire une proposition qui permette de financer l'Union élargie. C'est-à-dire, financer l'élargissement, c'est une nécessité, c'est un devoir, et c'est aussi notre intérêt pour que les dix nouveaux pays qui nous ont rejoints effectuent leur rattrapage économique, social, environnemental. Nous en bénéficierons aussi. Et puis, une bonne proposition, c'est une proposition qui permet de financer les politiques communes, donc les politiques actuelles de l'Union, et de donner un petit coup d'accélérateur à certaines politiques qu'il faut développer, par exemple, tout ce qui a trait à la recherche et à l'innovation, ou bien les questions de sécurité. C'est possible, c'est nécessaire. Je redis que la dernière proposition, celle qui est sur la table, le permettait. Il faut donc partir de cette base, être raisonnables. Si on devait s'éloigner de cette base, on s'éloignerait d'un accord, en réalité.

Q - Cela veut-il dire que l'échec est possible la semaine prochaine, dans 15 jours ?
R - Cela veut dire que la présidence a une grande responsabilité, et qu'avant de faire une proposition, elle doit regarder ce qui est de nature à faire consensus, et ce qui ne permettrait pas à l'inverse d'avoir un accord.

Q - "Ce qui est de nature à faire consensus", est-ce un effort de chacun, c'est-à-dire, une baisse du chèque britannique, un petit effort sur la PAC ?
R - C'est un effort de chacun, y compris du Royaume-Uni. Beaucoup de pays avaient fait des efforts pour que nous approchions d'un accord au mois de juin, nous étions très près d'un accord. Le Royaume-Uni malheureusement n'avait pas fait d'effort comparable, puisque aujourd'hui la clé de la négociation ce n'est pas la PAC, les décisions ont été prises il y a deux ans et elles vont jusqu'en 2013. La clé de la négociation, c'est ce que l'on appelle "le chèque britannique", c'est-à-dire, un rabais qui est consenti au Royaume-Uni par rapport à sa contribution normale, et qui est payé par tous les autres partenaires. Ce qui est une situation un peu particulière donc. Aujourd'hui, il faut réformer ce chèque, il faut en réduire le montant, parce qu'il augmente tous les jours et il est payé par les autres. Ce n'est pas tout à fait normal.

Q - On a beaucoup parlé de la perte d'influence de la France, on en parle d'ailleurs depuis des mois. Ressentez-vous cela ?
R - Je ne partage pas cette appréciation. Ce qui est vrai, c'est que l'Europe ne va pas très bien depuis plusieurs mois et qu'il est temps qu'elle sorte de cette période de doute et d'incertitude.

Q - Relativement à la Constitution ?
R - C'est une série de facteurs, non seulement celui-là, mais l'échec sur le budget jusqu'à ce jour, nous venons d'en parler, et puis un sentiment plus général que l'Europe ne répond pas toujours aux attentes des citoyens. Donc, il faut sortir de cette situation. Et je redis que la responsabilité de la présidence britannique est importante pour que nous puissions, par exemple, trouver un accord sur le budget, ce que je crois toujours possible, mais cela dépendra beaucoup d'elle.
Quant à la France, elle est en position d'influence à Bruxelles, je ne partage pas du tout ce qui vient d'être dit. Sur beaucoup de sujets, en réalité, ses positions ont progressé depuis quelques mois.
Par exemple, sur la proposition de "directive services", beaucoup de pays partagent aujourd'hui nos préoccupations, ce n'était pas forcément le cas ; sur le budget, nous sommes 20 sur 25 à demander à la présidence de repartir de la base actuelle ; ou bien sur les négociations commerciales internationales, le Conseil à l'unanimité a rappelé à la Commission quel est était son mandat. Donc, nous progressons, nous faisons aussi des propositions. Le président de la République en a fait à Hampton Court et nous continuerons à jouer un rôle moteur.

Q - Vous avez été pendant dix ans aux côtés de Jacques Chirac. Vous lui souhaitez son anniversaire aujourd'hui ?
R - En effet, je lui souhaite un bon anniversaire, puisque c'est aujourd'hui, et que votre question m'offre l'occasion de le faire.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 décembre 2005)