Interview de M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique, à La Chaîne info le 6 décembre 2005, sur l'ouverture des négociations salariales dans la fonction publique et sur la désignation par l'UMP d'un candidat à l'élection présidentielle.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

P.-L. Séguillon - Si je ne me trompe, depuis 1998, pas un seul ministre de la Fonction publique n'a réussi à parvenir à un accord avec les organisations syndicales, je parle des traditionnelles négociations annuelles salariales. Puisque vous allez ouvrir ces négociations dans quelques instants, dans une heure, allez-vous être plus malin ou avoir davantage de grain à moudre que votre prédécesseur R. Dutreil ?
R - Tout d'abord, on est deux dans une négociation. Donc, ce ne sont pas "les ministres de la Fonction publique qui ont échoué" en tant que tels, ce sont ces négociations avec, à la fois, les organisations syndicales et les différents membres de gouvernement d'ailleurs, de gauche comme de droite, qui se sont succédé. Je pense que l'approche que l'on a eue jusqu'à maintenant sur les négociations syndicales a porté uniquement sur la négociation du point indice. Et cette seule approche n'est pas la bonne. Il faut raisonner de manière plus globale, c'est-à-dire, sur l'ensemble du pouvoir d'achat, et c'est comme cela que nous avons commencé à travailler avec les organisations syndicales. J'ai conscience que cela change complètement la donne. Simplement, cela permet de répondre à des problèmes ponctuels de pouvoir d'achat où l'on ne peut pas répondre par le point indice. Pour prendre un exemple précis : les gardes d'enfants, vous prenez quelqu'un, un couple de jeunes fonctionnaires...
Q - On va venir à ces détails mais vous savez que les organisations syndicales sont cramponnées à ce point d'indice, et elles disent qu'il faut ce point d'indice au moins soit équivalent dans son augmentation au taux d'inflation, c'est-à-dire, 1,8 %. Vous, sur le point d'indice - on va venir à l'autre volet dans votre méthode - qu'allez-vous leur proposer ? 0,8 ? 1 ?
R - Je vais leur dire : on raisonne sur l'ensemble du pouvoir d'achat, et donc on va parler du volet social, des problèmes de gardes d'enfants. Je reprends cet exemple : si on prend un coût de garde d'enfant moyen qui est mensuel, qui est à peu près de 230 euros, je vais proposer aux fonctionnaires de bénéficier du CESU - du Chèque service universel -, qui va permettre de réduire de réduire de 30 % le coût des gardes d'enfants. Je vais proposer aux fonctionnaires qui sont obligés, par la mobilité, de changer de ville et donc de logement, ils doivent faire une avance de trésorerie de deux mois de loyer pour prendre un nouvel appartement. Je vais leur dire cela : l'Etat peut se substituer à cette caution et donc vous n'aurez pas ce trou de trésorerie. Ce sont des mesures très concrètes, où par le point d'indice on ne peut pas compenser cela. Parce que l'équivalent d'un point d'indice, augmenté d'1%, le point indice pour un fonctionnaire en moyenne, cela va représenter 14 euros par mois, donc ce n'est pas cela qui va combler des pertes de pouvoir d'achat comme celle que j'évoquais.
Q - Alors, point d'indice et volet social.
R - D'abord, volet social et statutaire, parce que l'autre élément...
Q - Oui, mais vous ne répondez pas à l'indice ?
R - Non, parce que je pense qu'il faut raisonner globalement.
Q - Si vous arrivez à la négociation tout à l'heure, alors que les organisations syndicales mettent comme une sorte de préalable, à savoir quelle augmentation vous apportez sur le point d'indice, elles réclamant 1,8 %, si vous dites "volet social", ils vont dire : "mais répondez-nous sur le point d'indice !"
R - On raisonne sur le pouvoir d'achat. Cela a été le principe depuis le début. Je l'ai dit et redit depuis quelques mois.
Q - Je vais me faire l'avocat du diable. Pour avoir une augmentation substantielle, avec votre méthode, faut-il appartenir à la catégorie C, c'est-à-dire la plus basse, bénéficier d'une petite promotion, avoir des enfants en crèche, dont vous assurez la garde, et déménager ?
R - Ces éléments contribuent et seront pris en compte parce que les cas que vous venez de citer ce sont ceux qui, effectivement, ont la perte de pouvoir d'achat la plus importante. Donc, il faut effectivement compenser. Mais bien entendu, la négociation couvre l'ensemble des fonctionnaires, que vous soyez en catégorie C, en catégorie B, en catégorie A. Puisque un des éléments que l'on veut mettre en place aussi, c'est de faire marcher l'ascenseur social. Il n'y a rien de pire dans la fonction publique que de rencontrer des fonctionnaires, quelle que soit leur catégorie d'ailleurs, qui au bout de 10 ou 15 ans de carrière, on leur dit : désolé, vous êtes au maximum, vous êtes au taquet, vous ne pouvez pas aller plus loin. Donc là, on va donner la possibilité d'augmenter les possibilités de promotions. Mais bien entendu, on aura une discussion sur le point indice. Mais simplement, je ne peux pas qu'on se focalise...
Q - Ce point d'indice, pardonnez-moi, que vous a mis comme limite T. Breton ? On dit : 1 % c'est 800 millions.
R - D'abord, celui qui arbitre dans ce Gouvernement, c'est le Premier ministre.
Q - D'accord. Vous avez quand même un plafond ?
R - Ensuite, on raisonne sur l'ensemble du pouvoir d'achat, et puis dans ces éléments de pouvoir d'achat, le point d'indice rentrera dedans. Mais si on attaque la discussion sur ce seul angle, on sait que, comme cela se passe depuis huit années de suite, on va obligatoirement à l'échec.
Q - Ne risquez-vous pas, parce que finalement R. Dutreil avait ce système aussi, qui était une part fixe et une part variable ? Il s'est cassé les dents, lui, sur ce sujet. Vous, n'allez-vous pas aussi vous casser les dents avec ce volet fixe que vous ne voulez pas donner d'ailleurs, et puis ce volet variable, qui concerne d'ailleurs des mesures sociales ?
R - Ce n'est pas moi ou tel ou tel ministre qui nous cassons les dents, c'est l'ensemble des fonctionnaires qui en pâtit. Ce n'est pas bon lorsqu'il y a un échec dans des négociations pour le Gouvernement parce que cela veut dire que l'on est en conflit latent avec ses propres agents. Ce n'est pas bon pour les organisations syndicales, parce qu'elles reviennent devant leurs mandants avec des échecs en permanence. Et puis, globalement, ce n'est pas bon pour les fonctionnaires. Donc, j'ai envie que cette négociation soit bonne pour les fonctionnaires, quelle que soit leur catégorie, quelle que soit la fonction publique à laquelle ils appartiennent, c'est-à-dire, la fonction publique d'Etat, les hospitaliers ou la territoriale.
Q - Quel va être votre discours sur le fameux problème de la réduction du nombre de f onctionnaires ? R. Dutreil, toujours lui, votre prédécesseur, avait dit : "pour que le pouvoir d'achat soit garanti, il faut réduire les effectifs". Et il disait : "Il faut au fond chaque année 40.000 embauches pour 77.000 départs en moyenne". Est-ce votre discours ?
R - L'approche que j'ai eue...
Q - Est-ce votre discours ?
R - Je vais vous répondre. L'approche que j'ai eue jusqu'à maintenant avec les organisations syndicales, et que l'on évoquera peut-être tout à l'heure, est de dire que, l'effectif n'est pas un objectif en soi. Ce qui est important en matière de service public, c'est la qualité du service qui est rendu. Très concrètement, cela veut dire que, dans un certain nombre de secteurs, il y aura besoin de davantage de fonctionnaires, et dans d'autres de beaucoup moins, tout simplement parce que, du fait de la décentralisation, du fait de la modernisation des services de l'Etat, on peut apporter le meilleur service, le même service voire meilleure, avec moins de fonctionnaires. Donc, l'effectif en tant que tel n'est pas un objectif. Simplement, l'objectif est que les Français aient le meilleur service rendu dans les meilleures conditions. On peut parfois le faire avec moins d'agents et dans un certain nombre de secteurs, il faut le faire avec davantage.
Q - Globalement, il faut quand même réduire les effectifs ?
R - Globalement, on est sur une tendance lourde qui est plutôt de la baisse des effectifs, et on reste dans cette tendance. Mais je ne raisonne pas sur des objectifs chiffrés de tant de fonctionnaires, parce que le débat ne pose pas comme cela.
Q - Sur un autre sujet, puisque cet après-midi se tient, ou ce soir, le bureau politique de l'UMP pour se prononcer sur une réforme du mode de désignation du futur candidat à la présidentielle de l'UMP, par des primaires. Vous êtes membre invité, je crois, sans droit de vote ?
R - Oui, oui, j'ai compris...
Q - Vous allez donner votre opinion. Alors, pourquoi êtes-vous contre cette réforme, si j'ai bien compris ?
R - Tout simplement, je ne crois pas à ce système des primaires qui nous permettrait de gagner à chaque fois. D'ailleurs si tel était le cas, les socialistes auraient gagné en 1995 et en 2002, puisque nous, nous n'avions pas de primaires, eux en avaient, cela les a conduits à l'échec. Et ce que je souhaite, c'est que les valeurs de la droite et du Centre soient les valeurs qui gagnent aux prochaines élections présidentielles. Et m'expliquer qu'il faut diviser, se livrer une guerre interne pour ensuite mieux gagner, je n'y crois pas. Je pense que, pour bien additionner, il n'y a pas besoin de diviser avant, au contraire, il faut rassembler. Et naturellement...l'élection présidentielle n'a rien à voir avec toute autre élection en France. Naturellement, les Français se retrouveront derrière celui qui incarnera mieux les valeurs de la droite et du Centre.
Q - Cela, c'est l'élection par les électeurs. Mais vous avez été militant syndical, vous avez été militant politique...
R - Je le suis toujours, je suis président d'une des dix premières fédérations UMP de France.
Q - Cela vous choque-t-il qu'un militant se prononce sur celui qui, dans son parti, représentera ses couleurs à l'élection présidentielle ?
R - Ce qui me choque, c'est de créer un affrontement entre militants. Et cela, je trouve que ce n'est pas sain, et de l'évoquer 17 mois à l'avance, je pense que c'est une erreur ! Regardez les dernières élections présidentielles : à chaque fois, les Français se prononcent, comme les militants, lorsqu'on est en situation de vote, et on voit bien au mois de janvier en règle générale, fin janvier, début février. Cela a été le cas à chaque élection présidentielle, ce sera encore le cas cette fois-ci. Donc, ouvrir ce débat et créer des divisions et un affrontement interne seize mois à l'avance, je ne vois pas l'intérêt. Voilà ! C'est le point de vue que je défends.(Source : Premier-ministre, Service d'information du Gouvernement, le 12 décembre 2005)