Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur la politique spatiale, notamment le développement de la station spatiale internationale, l'utilité des vols habités et les deux astronautes français sélectionnés par la NASA et la Russie, Paris le 13 février 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Sélection d'un astronaute français par la NASA pour un vol d'assemblage de la station spatiale internationale en mars 2002, à Paris le 13 février 2001

Texte intégral

La NASA a sélectionné l'astronaute français du CNES Philippe PERRIN pour participer en mars 2002 à la mission STS-111 de la navette spatiale. Philippe PERRIN, qui est ici présent en direct avec nous et que je tiens tout de suite à féliciter très chaleureusement, vous parlera plus complètement du contenu de cette mission qui fait partie du programme d'assemblage de la Station spatiale internationale.
La Station spatiale internationale
Comme vous le savez, des étapes décisives ont été franchies au cours des derniers mois dans ce programme de la Station spatiale internationale depuis que le module russe Zvesda ("étoile") est venu rejoindre avec succès en juillet dernier, le module américain Unity, qui fait office de nud de jonction, et le module russe Zarya ("aube") qui avaient été lancés en 1998. La Station, qui dispose désormais de ses panneaux solaires, est occupée en permanence depuis le mois de novembre par deux Russes, Iouri GUIDZENKO et Sergueï KRIKALIOV, et un Américain William SHEPERD, qui constituent la mission "Expedition One".
Une nouvelle étape importante a été franchie avant-hier avec l'adjonction du module américain de recherche Destiny, qui fait de la Station spatiale internationale le plus grand complexe orbital jamais assemblé dans l'espace avec 51 mètres de long, 72 mètres de large et 27 mètres de haut pour une masse de 112 tonnes et un espace habitable de 414 mètres cube ce qui représente un volume supérieur à celui de la station MIR.
Il faudra encore une quarantaine de vols de fusées russes et de navettes spatiales américaines d'ici 2006 pour finir l'assemblage de la Station. Le vol du premier ATV, le véhicule de transfert automatique européen et la mise en place du laboratoire européen Colombus sont attendus à l'horizon 2004.
La mission UF-2
La mission UF-2 à laquelle participera Philippe PERRIN aura pour objet d'une part, d'emmener à bord de la Station un nouvel exemplaire du MPLM, module logistique réalisé par l'Italie, et d'autre part de mettre en place le MBS (Mobile Base System) qui est l'unité mobile télécommandée qui permettra au bras télémanipulateur de la Station fourni par le Canada de se déplacer tout autour de la Station. Ce télémanipulateur est un bras évolué de 17 mètres de long doté d'une main, permettant d'effectuer des travaux de précision sur les éléments extérieurs les plus délicats. Il jouera un rôle essentiel pour l'assemblage, l'entretien et la réparation de la Station et réduira le nombre de sorties dans l'espace des astronautes, qui sont des phases toujours délicates.
Il s'agit donc d'une mission essentielle pour le bon déroulement de l'assemblage de la Station, pour laquelle la NASA a décidé de sélectionner Philippe PERRIN.
Le choix de Philippe PERRIN
Cette excellente nouvelle, qui sera officialisée aujourd'hui par la NASA m'a été confirmée, il y a quelques jours par son administrateur général Daniel GOLDIN.
Je me suis entretenu à plusieurs reprises de cette opportunité de vol avec Daniel GOLDIN, d'abord au cours d'une rencontre à Paris au ministère de la recherche le 26 août, ensuite au cours de plusieurs entretiens téléphoniques. Je tiens à le remercier tout particulièrement pour ce choix d'un astronaute français.
Cette décision résulte d'abord bien évidemment des qualités propres de Philippe PERRIN qui s'entraîne à Houston, au Johnson Space Center de la NASA depuis 1996. Elle est aussi liée aux compétences de l'ensemble de nos astronautes, auxquels je tiens à rendre hommage ici, qui ont toujours remarquablement accompli toutes les missions qui leur ont été confiées par la NASA ou l'Agence spatiale russe ROSAVIACOSMOS.
Je rappelerai en particulier le vol consacré fin 1999 à la réparation et à l'amélioration du télescope spatial HUBBLE de la NASA, qui était devenu inutilisable à la suite d'une panne de gyroscope à bord du satellite. Le succès de cette mission, au cours de laquelle le Français Jean-François CLERVOY s'est illustré, permet aux centaines de scientifiques qui travaillent sur les données recueillies à partir de cet instrument, qui marquera l'histoire de l'astronomie, de poursuivre leurs travaux.
Ce choix témoigne aussi des relations de confiance qui existent entre les équipes de la NASA et celles du CNES. J'ai pu en effet constater, au cours de mes différents entretiens avec l'administrateur général de la NASA ou lorsque nous avons accueilli à Paris des membres du Congrès américain, les effets très positifs et le succès des coopérations entre le CNES et la NASA, qu'il s'agisse du satellite d'océanographie TOPEX-POSEIDON et de son successeur JASON ou des travaux en cours sur la mission de Retour d'échantillons martiens.
Cette même relation de confiance existe avec l'Agence spatiale russe avec laquelle le CNES coopère depuis les débuts de la conquête spatiale et dont il a été le premier partenaire occidental. Je tiens très sincèrement à féliciter tous les agents du CNES qui contribuent à faire de leur établissement un partenaire reconnu et apprécié des plus grands acteurs du spatial.
Depuis son origine, la politique spatiale française est résolument tournée vers l'Europe. Le succès du lanceur Ariane repose sur l'ensemble des compétences des industriels européens et sur le soutien sans faille des Etats-membres de l'Agence spatiale européenne.
Le CNES est aujourd'hui le premier contributeur de l'ESA. Il consacre environ la moitié de ses budgets aux programmes de l'Agence. Comme vous le savez la France mène en parallèle un programme national qui permet de conduire des initiatives ne pouvant trouver leur place au sein de l'ESA. Le programme Pléiades Cosmo-Skymed de satellites d'observation de la Terre à usage civil et militaire qui vient d'être lancé en partenariat avec l'Italie en est un exemple.
Il est essentiel que des coopérations dans le domaine spatial soient également conduites au delà de l'Europe, avec l'Inde ou le Japon mais aussi bien sûr avec les Américains et les Russes. La coopération dans le domaine spatial constitue d'ailleurs souvent un axe important de notre politique de coopération scientifique et est souvent considérée comme prioritaire par nos partenaires.
La mission de Claudie ANDRE-DESHAYS
Je me félicite donc de l'accord conclu en décembre dernier avec la Russie, à la suite d'une rencontre que j'ai eu à Paris le 18 décembre avec mon collègue russe, le ministre DONDOUKOV. Cet accord permettra à Claudie ANDRE-DESHAYS, que je salue également très chaleureusement, de rejoindre la Station spatiale internationale dès le mois d'octobre 2001 pour un vol de relève d'une dizaine de jours.
Cette mission permettra la réalisation d'expérimentations scientifiques et technologiques :
dans le domaine des sciences de la vie, en préfiguration de l'instrument de suivi médical des astronautes qui sera utilisé de façon opérationnelle sur le segment russe de la station à partir de 2003 ;
sur le plan technologique avec l'expérience SPICA, qui permettra de tester en ambiance spatiale le comportement des composants de dernières générations (mémoires de vol et microprocesseurs) ;
dans le domaine de l'observation de la Terre avec la réalisation de prises de vue de différents phénomènes ; un des objectifs de ces expériences est de préciser la faisabilité et l'intérêt d'une mission micro-satellite actuellement à l'étude, dont l'objectif serait d'identifier les mécanismes du couplage atmosphère-ionosphère-magnétosphère au dessus des orages atmosphériques.
Ce vol permettra en outre la mise en place de coopérations entre les équipes du CNES, qui sont impliquées dans le contrôle du véhicule de transfert ATV qui est une contribution importante de l'Europe à la Station spatiale internationale, et les équipes du TSOUP, le Centre de contrôle des vols russes à Moscou pour répéter les opérations de rendez-vous en orbite et d'amarrage à la station d'un véhicule orbital.
Les 14ème et 15ème missions d'astronautes français
La France a réalisé son premier vol habité en 1982 avec Jean-Loup CHRETIEN à bord de la station russe SALIOUT 7. Douze autres missions ont été réalisées depuis , six avec les Russes à bord de la station MIR et six à bord des navettes spatiales américaines. En moyenne, un astronaute français effectue un vol environ tous les dix-huit mois. L'année 1999 a été particulièrement riche avec deux vols dont un de longue durée pour Jean-Pierre HAIGNERE qui a réalisé le plus long vol dans l'espace d'un spationaute non russe à bord de la station MIR.
Ces différentes missions ont permis aux équipes du CNES de se spécialiser dans tous les domaines de la préparation puis de la réalisation d'un vol spatial habité de courte ou longue durée. Ces expérimentations ont également permis la création d'une communauté scientifique remarquable dans le domaine de la micro-gravité et aussi de la médecine et de la biologie spatiale.
L'utilité des vols habités
Je sais que la question de l'Homme dans l'espace fait l'objet de discussions parfois passionnées. Sans entrer moi-même dans ce débat qui tourne parfois à la polémique, j'estime que les expérimentations humaines dans l'espace doivent avoir une place dans toute politique spatiale et être considérées sur le long terme.
Il faut se garder d'ouvrir une controverse théologique entre vols habités et vols automatiques. Les uns et les autres ont leur utilité et l'évolution des technologies, tant dans le domaine du transport spatial que des charges utiles d'expérimentations ou d'analyse in situ, ne peut que renforcer dans les décennies à venir la complémentarité qui existe déjà aujourd'hui entre les vols habités et les vols automatiques.
Sur le plan scientifique, les vols habités permettent non seulement de réaliser des expériences en micro-gravité, mais aussi de fournir des informations sur le système cardio-vasculaire et sur les physiologies neurosensorielle, osseuse et musculaire. Claudie ANDRE-DESHAYS, qui est de surcroît médecin, pourra revenir de façon beaucoup plus complète sur ces différents points.
Les travaux effectués plus généralement dans le domaine de la micro-gravité visent à comprendre le rôle de la gravité et de son absence dans la croissance et la structuration de la matière. Ils s'inscrivent dans la démarche générale de la science qui est d'accroître nos connaissances.
La conquête de la Lune a également eu des retombées scientifiques majeures, nous apprenant tout simplement comment les planètes se sont formées. Bien sûr il est également possible d'explorer les autres planètes par des sondes automatiques et même d'en ramener des échantillons. C'est la voie que nous envisageons aujourd'hui pour l'exploration de Mars. Mais il y a dans ce domaine complémentarité entre les vols habités et les vols automatiques, la faculté de jugement et d'analyse de l'Homme, sa capacité d'adaptation et d'improvisation et sa capacité de décision en temps réel font qu'il est encore aujourd'hui difficile de le remplacer totalement par des automates.
Comme vous le savez les Etats-Unis envisagent de plus en plus sérieusement d'envoyer l'homme sur Mars, et la Station spatiale internationale qui permettra d'expérimenter sur de très longues durées le comportement de l'Homme dans l'espace, est souvent considérée comme une étape en vue de cet objectif. Il est certes prématuré de fixer la date d'une telle aventure, mais Mars constituera vraisemblablement la nouvelle frontière de l'humanité au cours du XXIème siècle.
De telles expéditions, car c'est le bien le terme qui convient, ont naturellement une forte capacité de mobilisation de nos ingénieurs, par les prouesses technologiques qu'elles nécessitent, et du grand public. C'est une caractéristique plus générale des vols habités que je tiens également à souligner.
Ceux-ci constituent un formidable outil pédagogique pour l'éveil de la jeunesse aux sciences et pour la culture scientifique et technique du plus grand nombre. Dans ce domaine, nos astronautes, le CNES et l'Agence spatiale européenne ont su faire partager leur enthousiasme aux jeunes comme aux moins jeunes.
Les vols habités sont ainsi au cur de la conquête spatiale depuis ses origines et les deux plus grandes puissances spatiales, les Etats-Unis et la Russie, continuent d'en faire la priorité de leur politique spatiale civile. La Chine qui sera sans doute une puissance spatiale majeure au siècle prochain en fait également aujourd'hui une de ses priorités.
La France s'est engagée durablement avec l'Europe dans les vols habités en décidant de participer au programme de Station spatiale internationale lors du Conseil de l'ESA de Toulouse en 1995. Le CNES consacrera en moyenne 1 milliards de francs par an à ce programme sur 2001-2004.
Ces montants sont élevés, même si d'autres pays comme les Etats-Unis ou l'Allemagne consacrent une part beaucoup plus importante de leur budget spatial aux vols habités. Aussi, même si la France respectera ses engagements, je serai attentif à ce que le programme de la Station spatiale internationale, tout comme son coût d'exploitation, reste à l'intérieur des enveloppes définies en 1995 à Toulouse.
Cette décision a été confirmée en 1998 par la signature de l'accord intergouvernemental relatif à la Station spatiale internationale. Ce programme a connu d'importants succès au cours de l'année 2000, et il est désormais probable que la Station, qui est désormais habitée en permanence, sera pleinement opérationnelle à l'horizon 2005.
Je souhaite donc aujourd'hui que nous nous préparions à utiliser et à valoriser cette grande infrastructure publique et que nos scientifiques et nos industriels se mobilisent pour le développement de ses utilisations. Cette mobilisation passe également par le maintien et le développement des compétences de nos astronautes.
C'est la raison pour laquelle nous avons travaillé activement avec le CNES en liaison avec l'Agence spatiale européenne pour leur offrir de nouvelles opportunités de vol, dans l'attente de celles qui viendront pendant la phase d'exploitation de la Station à l'horizon 2005. Il était difficilement envisageable qu'aucun vol ne soit réalisé pendant la période où notre effort budgétaire en faveur des vols habités est maximal, alors que nous en réalisons régulièrement depuis bientôt vingt ans.
Le vol de Claudie ANDRE-DESHAYS dès 2001 permettra aux astronautes français de gagner 4 ans sur le calendrier initialement prévu, et sera suivi du vol de Philippe PERRIN en mars 2002.
Je me félicite donc des résultats atteints dans ce domaine et dont le caractère visible ne doit pas éclipser ceux atteints depuis mars 2000 dans le domaine spatial : le lancement en coopération européenne du programme Pléiades dans le domaine de l'observation de la terre ou du satellite scientifique COROT, l'adoption sous présidence française en novembre 2000 d'une stratégie spatiale européenne commune entre l'ESA et l'Union.
Nous avons également franchi une étape importante dans le domaine des lanceurs avec le retour de l'Italie dans les programmes Ariane 5 et le lancement du démonstrateur technologique P80 qui vise à améliorer la compétitivité de la filière Ariane.
L'année 2001 s'annonce tout aussi importante avec le lancement attendu du programme Galiléo de positionnement et de datation par satellites et la mise en uvre des premières mesures à prendre dans le cadre de l'initiative GMES lancée au niveau communautaire pour la surveillance et la protection de l'environnement. Elle sera marquée par un Conseil de l'ESA au niveau ministériel qui devra prendre des décisions essentielles notamment dans le domaine des lanceurs.
Avant de laisser la parole à Claudie ANDRE-DESHAYS et à Philippe PERRIN je souhaite leur renouveler toutes mes félicitations et je tiens à les remercier d'être en direct avec nous. Je suis particulièrement heureux pour Philippe PERRIN que j'ai eu l'occasion de rencontrer à Paris le 28 novembre dernier et dont ce sera le premier vol.
Ancien élève de l'Ecole Polytechnique, il appartient à la promotion 1982. Il a franchi brillamment les différentes étapes de la formation des pilotes de l'armée de l'air et est diplômé de la prestigieuse Ecole des Equipages d'Essais d'Istres, l'EPNER. Il a notamment volé sur Mirage F1CR et a été en charge du développement du MIRAGE 2000-5 en tant que Chef Pilote d'Essais adjoint sur la base de Brétigny. Il a effectué 26 missions de combat au service des forces aériennes françaises et totalise 2500 heures de vol sur plus de 30 types d'appareils, qui vont de l'avion de chasse à l'Airbus.
C'est donc presque naturellement qu'il s'est tourné vers le vol spatial en 1996 date à laquelle il a été sélectionné comme astronaute du CNES, puis a rejoint la NASA pour y suivre avec succès la formation d'un " spécialiste mission ".
Philippe PERRIN est aujourd'hui le dernier astronaute du CNES, mais je ne doute pas qu'il pourra rejoindre le corps des astronautes de l'ESA dont Claudie ANDRE-DESHAYS fait déjà partie et qui est dirigé par un autre astronaute français Jean-Pierre HAIGNERE.
Je terminerai en souhaitant à tous deux un excellent vol et d'abord un bon entraînement. Celui-ci a déjà commencé pour Claudie ANDRE-DESHAYS à la Cité des étoiles. C'est d'ailleurs avec un grand plaisir que j'irai la saluer lors de mon passage à Moscou au printemps prochain et j'espère également pouvoir saluer Philippe PERRIN à Houston sans doute à l'automne prochain.

(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 15 février 2001)