Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, dans "Syndicalisme Hebdo" le 22 novembre 2005, sur les lignes d'action respectives de la CFDT et de la CGT concernant les récents conflits et négociations sociales.

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Média : Syndicalisme Hebdo

Texte intégral

Q - Suite à la crise qui a secoué les banlieues ces dernières semaines, Jacques Chirac a reçu ce 22 novembre les partenaires sociaux. Que lui a dit la CFDT ?
R - Il faut d'abord noter que c'est la première fois qu'un président de la République réunit les partenaires sociaux sur un thème sociétal. Le fait que ce soit sur la situation dans les banlieues, et en particulier sur les problèmes de discrimination à l'embauche, est un signe qui montre l'importance du sujet. Nous espérons que cela se renouvellera.
La CFDT a insisté sur deux points. Premièrement, nous lui avons demandé de revoir les politiques publiques dans ces quartiers. Nous plaçons dans ce chapitre le renforcement des moyens attribués à l'éducation et à la formation, en particulier dans les ZEP. Mais aussi le développement de la prévention et de mesures éducatives à destination des jeunes qui ? dérapent ?, plutôt que les sanctions financières qui frappent les familles. Il faut aussi accompagner les jeunes vers l'emploi et la formation, et favoriser l'accès au logement. Le deuxième axe de mon intervention auprès de Jacques Chirac a porté sur notre responsabilité de partenaires sociaux : lutter contre le racisme, avec l'aide de la Halde [Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité] ; lancer un plan massif de formation et d'accompagnement des jeunes qui sortent du système éducatif sans qualification, et qui sont le plus souvent au chômage. Enfin, nous avons soutenu la proposition d'ouvrir des négociations sur la lutte contre les discriminations. Négociations que tous les partenaires sociaux ont soutenues. De même qu'ils ont unanimement refusé l'apprentissage à 14 ans tel que l'a proposé le Premier ministre.
Q - Sur cette question de l'apprentissage à 14 ans, quelle est la position de la CFDT ?
R - Nous sommes favorables à l'apprentissage comme filière de qualification, du CAP au diplôme d'ingénieur. Mais il n'est pas question d'en abaisser l'âge d'accès pour les jeunes en échec. Ce n'est pas une filière de l'échec. Les jeunes en difficulté doivent pouvoir bénéficier d'un accompagnement personnalisé pour que tous acquièrent un socle commun de connaissances. Nous avons donc à réfléchir sur une méthode d'accompagnement. Entre le ? Je ne change rien ? de la FSU et l'apprentissage à 14 ans, il y a un espace médian pour trouver des solutions innovantes, adaptées à chaque enfant.
Q - On voit depuis quelque temps se multiplier des conflits qui ont pour thème la défense du service public et qui se radicalisent. Comment interprètes-tu cette situation ?
R - La situation du service public est différente selon les entreprises. Mais on ne peut pas comparer la question de l'ouverture du capital d'EDF, les revendications à la SNCF, où il n'existe pas de risque de privatisation, et le conflit de la RTM à Marseille contre le morcellement du réseau de transport urbain. En revanche, ces conflits ont en commun l'attitude jusqu'auboutiste de la CGT. Elle lance les salariés dans des conflits à la fois longs et globalisants, sans revendication précise mais qui, en réalité, cachent d'autres objectifs. Le cas de la SNCF est édifiant. Dans cette entreprise, la CGT est en échec vis-à-vis d'une partie de sa base du fait de son attitude concernant la politique salariale. Elle a refusé de signer les accords sur les salaires mais surtout, elle a, avec Sud-Rail notamment, usé de son droit d'opposition pour contrecarrer l'accord d'intéressement signé par la CFDT et trois autres organisations. Le projet sur deux ans instituait une prime de 160 E pour 2004 et un intéressement d'un minimum de 100 E, pouvant aller jusqu'à 250 E. Les responsables CGT se sont fait interpeller par leur base qui n'a pas compris leur attitude. C'est pourquoi, sous prétexte de défense du service public, la CGT-Cheminots tente par cette grève de reprendre la main à quelques mois des élections professionnelles.
On se retrouve de ce fait face à la confrontation brutale de deux types de syndicalisme : celui de la contestation systématique et celui qui amène des résultats.
Q - La situation interne de la CGT à quelques mois de son congrès n'est-elle pas non plus étrangère à cette radicalisation ?
R - Tout le monde sait qu'il existe un conflit entre les cheminots CGT et les responsables confédéraux, en particulier avec Bernard Thibault, et ces désaccords se règlent aussi à la SNCF. Il est évident que la CFDT ne peut accepter d'entrer dans ce jeu. En n'appelant pas à la grève, elle a de surcroît jugé inutile d'ajouter aux difficultés actuelles de beaucoup de Franciliens. Si l'on considère que 40 % des déplacements quotidiens de la SNCF sont effectués dans la région parisienne, il était inutile d'ajouter des désagréments aux banlieusards qui ont vécu une quinzaine de jours très difficiles, et dont certains d'entre eux n'ont même plus de voiture pour se rendre à leur travail. Mais pour en finir avec ce sujet, on peut dorénavant se poser la question : ne va-t-on pas voir se multiplier des conflits de ce type jusqu'au congrès de la CGT, le temps que les militants s'expliquent au sein de leur organisation ?
Q - Le gouvernement ne porte-t-il pas une part de responsabilité dans la radicalisation des conflits ?
R - Bien sûr. Nous sommes dans un système classique, de tradition gaullienne, de lien entre le politique et le syndical dans ce pays : aux syndicats la rue, aux politiques la prise de décision. Depuis qu'il est à ce poste, le Premier ministre ne cesse de prendre ses décisions seul. Puis il demande leur avis aux organisations syndicales, sans pour autant modifier le fond du projet initial. Cela a été le cas pour le contrat nouvelles embauches ou l'apprentissage à 14 ans. La CGT a alors tout loisir de donner libre cours à un syndicalisme uniquement de contestation. Or, c'est un syndicalisme dangereux, car il mène à des conflits longs qui aboutissent le plus souvent à des résultats décevants, dangereux pour la cohésion sociale, et pour le syndicalisme dans son ensemble, qui se trouve de plus en plus contesté. La CFDT entend au contraire s'appuyer sur la négociation et le contractuel pour déployer son activité syndicale. C'est pourquoi nous appelons le Premier ministre à ouvrir des espaces de négociation, comme la Conférence nationale sur les revenus, pour traiter du financement des transports, du logement, des complémentaires maladie et des contreparties exigées des entreprises en échange des aides qu'elles reçoivent. Tous ces sujets sont au c?ur des problèmes sociaux de ce pays. Il est temps que le Premier ministre nous donne des gages concernant ces propositions.
Q - Et le comportement du patronat ?
R - Il porte également des responsabilités quand il bloque certaines négociations salariales de branche. Sur les salaires, nous sommes encore loin du compte. C'est pourquoi nous insistons pour que soient étudiées les contreparties des aides aux entreprises, en matière d'évolution de carrières, d'emploi, de formation... Sur d'autres thèmes, il faut se féliciter que des accords aient été trouvés : sur la formation professionnelle, la convention de reclassement personnalisé, et dernièrement sur l'emploi des séniors, que le Bureau national de la CFDT a décidé de signer à condition que le gouvernement s'engage à ne pas le dénaturer dans sa traduction législative. Dans la négociation sur la pénibilité, le patronat a enfin reconnu le principe de la réparation pour les salariés qui ont suivi des carrières pénibles. Mais du chemin reste à faire pour parvenir à un accord, et la CFDT appelle à une mobilisation le jour de la prochaine négociation, le 6 décembre ( lire page 4 ). Quant à la négociation sur l'Assurance-chômage, le patronat doit cesser de dramatiser la situation financière, et abandonner l'idée d'un retour à la dégressivité des allocations.
Q - Dans cet environnement conflictuel, le type de syndicalisme porté par la CFDT est-il audible ?
R - Oui, notre type de syndicalisme est de mieux en mieux entendu par les salariés, car il n'est pas caricatural. Reste à passer de la reconnaissance et de l'estime à l'adhésion. Il nous faut pour cela investir les espaces de négociation avec le patronat. Ils existent, avec la négociation sur la pénibilité au travail ou prochainement celle sur la diversité dans les entreprises. Et avec le gouvernement, sans attendre encore dix-huit mois pour espérer, après l'élection présidentielle, obtenir des résultats en matière sociale. Sa propre responsabilité d'employeur est également interpellée : au-delà de la négociation qui va s'ouvrir sur le point d'indice des fonctionnaires, il doit avancer sur l'évolution des carrières professionnelles, la formation, l'égalité professionnelle, la lutte contre les discriminations dans l'emploi, qui touchent également les fonctions publiques.