Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, sur Europe 1 le 23 novembre 2005, sur la position de la CFDT concernant la grève des cheminots de la SNCF et les mesures proposées suite aux récentes violences urbaines.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- La grève de la CGT a échoué. Pourquoi ?
R- Parce que les cheminots avaient compris que cette grève était inutile. Parce que les cheminots avaient envie que l'accord sur l'intéressement, que la CFDT avait signé, et qui devait leur rapporter au moins 360 euros à la fin de l'année, s'applique et ils savaient très bien que la grève leur amenait moins. Et ce matin, la CGT crie "Victoire, on a gagné 120 euros !", alors que la CFDT et d'autres syndicats avaient signé un accord qui ramenait 360 euros à la fin de cette année, pour chaque cheminot ! Donc, en gros, certains ont perdu une journée et ont gagné moins que ce que l'on avait obtenu par la négociation. On est là dans la confrontation de deux types de syndicalisme : un style de syndicalisme, que l'on défend, qui, par la négociation, amène des résultats ; un type de syndicalisme, qui est l'opposition systématique de la CGT à la SNCF, qui amène moins que la négociation. Donc je crois qu'il n'y a pas photo et qu'il est temps que les gens choisissent le bon type de syndicalisme.
Q- Voulez-vous dire que la CGT prend des risques et que, s'il faut certes savoir finir une grève, il faut aussi peut-être, dans certains cas, l'éviter ?
R- On est en plein théâtre ! On a eu une opération de théâtre forte de la part de la CGT, mais avec le problème que l'on est en train de pénaliser des usagers. Et une des raisons pour laquelle la CFDT n'a pas voulu aller sur cette grève, c'est que 40 % des déplacements se font entre la banlieue et Paris, dans la semaine, et qu'en plus des grosses difficultés que les banlieusards ont eues ces dernières semaines avec les émeutes, on n'allait pas en plus leur ramener un blocage des transports pour une grève qui était inutile. Parce que les cheminots ont obtenu moins par la grève que ce que nous avions obtenu par la négociation. Il est donc temps que l'on change de mode de dialogue social et que l'on se rende compte que la négociation amène parfois plus que la grève systématique.
Q- Et pour B. Thibault, c'est bon ?
R- Mais c'est mauvais pour tout le syndicalisme ! C'est mauvais pour la
CGT, puisque l'on voit bien...
Q- Non mais à terme, parce que c'est une CGT, dans les transports et les services publics, qui est de tendance musclée et, comme on l'a vu avec D. Le Reste, plutôt opposée à B. Thibault.
R- On voit bien que l'on utilise aussi les services publics pour régler certains comptes à la CGT. J'espère que l'on ne va pas vivre ça jusqu'au mois d'avril et au congrès de la CGT, bien évidemment. Mais en même temps, en ayant ce type d'attitude, où l'on utilise le service public et l'on pénalise les usagers, pour régler des problèmes internes ou régler des problèmes de concurrence syndicale avant des élections dans une entreprise, on met en difficulté tout le syndicalisme français et on met en difficulté le syndicalisme de dialogue et de négociation qui, je le rappelle, dans ce cas-là, aurait amené plus que cette grève.
Q- C'est donc pour cela que la CFDT n'est pas allé dans la grève ?
R- Nous n'y sommes pas allés pour cette raison-là, parce que nous avions un accord d'intéressement et que l'on n'avait pas besoin de faire grève pour demander qu'il s'applique, puisqu'on l'avait signé ; parce que l'on savait très bien que le problème de la privatisation ne se posait pas ? la preuve, maintenant, tout le monde le reconnaît ! Ce n'est pas une victoire, on le savait ! Et enfin, et je le dis d'une façon très responsable, les cheminots CFDT n'ont pas voulu pénaliser les banlieusards, qui ont déjà subi suffisamment de difficultés ces temps derniers dans notre pays.
Q- Ce que vous dites est intéressant. Cela veut dire que les cheminots ont plus de bon sens que leurs propres directions syndicales...
R- Mais c'est important. Il n'y a pas d'un côté une entreprise, la SNCF, et de l'autre côté, la société. Cette entreprise est un service public, elle est dans la société. Et quand la société vit des moments difficiles, il est important que des agents des services publics tiennent compte des difficultés.
Q- A partir de là, comment peut-on développer le dialogue social, de part et d'autre ?
R- Faire autrement que ce que fait le Gouvernement depuis qu'il est en place. M. de Villepin a une attitude : "Je décide, et ensuite je discute"...
Q- Il vous écoute beaucoup, vous êtes en permanence, tous, les uns après les autres ou tous ensemble, à Matignon !
R- Mais des exemples ?! Il nous reçoit, il décide le CNE, on n'est pas d'accord ! Et la dernière fois, il nous reçoit et il met en place ce système d'apprentissage à 14 ans, sur lequel aucune organisation syndicale ni le patronat n'est d'accord ! Donc il serait bon qu'avant de décider et de faire semblant d'écouter ensuite, il rentre dans un système de dialogue, pour que l'on puisse avoir de la négociation et que l'on puisse mettre en ?uvre ce syndicalisme de négociation.
Q- Le président de la République a reçu, hier, tous les partenaires sociaux, pour évoquer la révolte de certaines parties des banlieues. D'abord, comment cela se passe-t-il ? Est-ce arrivé souvent que tous les syndicats, vous vous retrouviez comme ça, à l'Elysée ?
R- C'est un moment exceptionnel. C'est la première fois, depuis que J. Chirac est à la présidence, qu'il reçoit, comme cela, chaque leader syndical, avec les trois responsables patronaux, pour débattre d'un problème de société. Or, qu'est-ce que je constate ? C'est que lorsque les banlieues flambent, on a toutes les chaînes de télévision du monde entier, et lorsque le président de la République passe 2h30 avec les partenaires sociaux, pour essayer de trouver des solutions consensuelles, on n'a même pas une seconde, le soir, au journal télévisé...
Q- Qu'est-ce que cela veut dire ?
R- Eh bien, on a un pays qui ne fait que montrer les difficultés et qui est incapable de médiatiser les solutions, quand les solutions existent. Je crois que cela pèse aussi sur le dialogue social. Si on veut avoir un pays qui trouve des solutions, il faut aussi mettre en valeur quand on est en capacité, collectivement, de trouver des solutions.
Q- Sur le fond, la discrimination, non ; la diversité comme règle, oui. Etes-vous d'accord avec le président de la République ? Et quel doit être le rôle de votre syndicat pour encourager, dans les faits, la diversité culturelle, c'est-à-dire les efforts en faveur de la place et du respect des minorités, par exemple dans l'entreprise ?
R- Tous les partenaires sociaux, unanimement, étaient d'accord sur deux choses essentielles hier : un, il faut renforcer les moyens à l'école, c'est indispensable. 150.000 jeunes sortent du système scolaire sans qualification, il faut modifier cela, il faut faire des parcours individualisés pour les enfants les plus en difficulté. Et ce n'est pas l'apprentissage à 14 ans qui le réglera. Il faut les aider individuellement. Et deux, nous sommes tous d'accord pour rentrer au plus vite dans une négociation pour faire en sorte qu'il y ait moins de discrimination à l'embauche, des négociations nationales pour se mettre d'accord sur des objectifs et une façon de faire...
Q- L. Parisot, du Medef, l'a proposé. Donc d'ici à Noël, allez-vous engager cette négociation ?
R- On va engager cette négociation, tout le monde est d'accord. Et ensuite, décliner dans les branches et dans les entreprises, faire en sorte qu'il n'y ait plus de discriminations selon son lieu d'habitation, selon ses origines culturelles, selon son sexe, selon sa situation différente des autres. Et c'est un élément essentiel, parce que l'on a un consensus des partenaires sociaux sur ce sujet-là et on est en capacité de s'inscrire dans la durée.
Q- Dans certains cas, soutenez-vous les CV anonymes ?
R- Sur le CV anonyme, je pense qu'il faut essayer d'aller vers des expérimentations. Le CV anonyme d'une façon généralisée, non. Mais pourquoi pas, dans certaines expérimentations, pour voir les résultats. Je rencontre aussi parfois des chefs d'entreprise, qui me disent que dans leur entreprise, depuis qu'ils font des CV anonymes, ils se rendent compte qu'ils embauchent plus de jeunes issus des banlieues, parce que lorsque le jeune se retrouve devant le recruteur, il est plus difficile de l'écarter, que lorsqu'on ne l'invite pas parce qu'il a un nom qui ne convient pas...
Q- Vous serez donc là aux côtés de tous ceux qui risquent d'être victimes de discriminations, pour le respect de leurs droits... Vous voulez donc dire, au passage, que dans le monde du travail, il y a aussi un peu de racisme ?
R- Les syndicats sont sortis d'un mythe. On pensait qu'à partir du moment où il y avait des travailleurs dans l'entreprise, le racisme ne rentrait pas. Mais si, le racisme rentre dans l'entreprise et dans la société, bien évidemment. On doit aussi lutter contre le racisme. Il y a des lois, il faut les faire appliquer. Il y a une Haute autorité qui a été mise en place par le président de la République, il faut qu'elle nous aide. Et nous aussi, nous devons prendre des mesures pour favoriser la diversité en
l'entreprise.
Q- Comme le disait A. Begag justement, des gens sont punis pour leur couleur, pour leur visage, pour leur patronyme...
R- Mais aussi simplement en fonction du lieu où ils habitent...
Q- Y a-t-il beaucoup de syndicalistes issus de l'immigration ?
R- Nous avons les mêmes difficultés que l'on retrouve dans les partis politiques, que l'on retrouve dans les médias. Il est donc aussi important que l'on fasse aussi un effort. Mais dans les milieux professionnels, on a beaucoup d'immigration, on a une forte syndicalisation aussi dans ces
populations.
Q- Vous avez parlé de l'apprentissage à 14 ans. Apparemment, vous en avez parlé hier, en liaison avec l'école, avec le président de la République. Ce qui a été proposé va-t-il évoluer ?
R- Je l'espère, parce que le Premier ministre a lancé cette idée sans nous consulter. L'idée est de se dire qu'avant de rentrer dans l'apprentissage, chaque jeune doit avoir le minimum, savoir lire, écrire, compter. Et si ce jeune n'a pas ce minimum, il ne pourra pas avoir une qualification. Donc aidons-le, individuellement, quand il est en difficulté. C'est plutôt un accompagnement individuel, pourquoi pas avec une découverte de l'entreprise, mais pas de l'apprentissage. L'apprentissage est une voie de qualification.
Q- Avec l'entreprise, l'administration, l'école, la diplomatie, les médias sont concernés. Ils l'ont reconnu et dit devant le président de la République : tous promettent d'être exemplaires, de ressembler à ceux qui nous regardent et nous écoutent. Et en fait, la grande question qui est posée à tous, c'est comment ouvrir et accompagner la société française, qui est en train d'évoluer ?
R- C'est une grande question pour nous aussi, les syndicats, bien évidemment. C'est une raison pour laquelle on ne peut pas regarder la société uniquement au travers des entreprises où l'on est implantés. Si on n'est pas implantés dans les PME, si on n'est pas implantés dans les entreprises qui sont en banlieue, si on n'est pas auprès des jeunes qui sont en difficulté, on ne voit pas la société telle qu'elle est.
Q- F. Hollande a rassemblé le PS. Dans la motion finale, qui n'est pas encore son projet, le PS promet, s'il gagne en 2007, d'abroger différentes lois, et d'abord la loi sur les retraites, que vous aviez soutenue !
R- On sait très bien que le Parti socialiste ment quand il dit cela. Parce qu'il dit derrière que l'on va faire une nouvelle loi sur la base des quarante ans de cotisation...
Q- Pourquoi ment-il ?
R- Parce que les quarante ans de cotisation, c'est l'élément central de cette loi. Le reste, ce sont des paramètres pour financer les quarante ans de cotisation. Donc on sait très bien que si l'on fait une nouvelle loi sur la base des quarante ans, c'est ce qui a été contesté par une partie des agents des fonctions publiques. Donc le Parti socialiste, en disant qu'il va faire une autre loi ou qu'il va supprimer cette loi, non ! Ce qui avait été demandé par une partie, c'est de revenir aux trente-sept ans et demi. Et le Parti socialiste reconnaît qu'il ne reviendra pas aux trente-sept ans et demi. Donc cessons de donner des illusions : on ne reviendra pas sur les éléments de base de cette loi, parce que c'est une tendance normale dans un pays où il y a un vieillissement de la population et un retournement démographique.
Q- La première chancelière de l'histoire de l'Allemagne est à Paris, ce matin. Elle va voir J. Chirac. Les premières décisions de Mme Merkel et de sa coalition sont d'élever le temps de travail chez tous les fonctionnaires, de réduire leurs primes de Noël et de remonter, dans quelques années, l'âge de la retraite progressivement à 65 ans, puis à 67 ans... Qu'en pensez-vous ?
R- On ne peut pas lire le projet de Mme Merkel aussi directement que cela. On parle de 67 ans en 2040 ! Alors, sans dire que c'est la direction - bien évidemment, cela ne pourrait pas être appliqué de cette façon-là dans notre pays -, on peut dire que l'Allemagne se pose les problèmes qui vont lui arriver en 2040. C'est-à-dire qu'il faut aussi dans notre pays anticiper, certainement pas de cette façon-là, mais si on ne se pose pas les problèmes aujourd'hui de notre financement de nos systèmes
sociaux en 2040, on va encore renvoyer la dette sur les futures générations. Et les futures générations, ce sont les jeunes qui naissent aujourd'hui...
Q- Donc elle a un avantage : c'est qu'elle anticipe ?
R- L'important est d'anticiper. Je ne dis pas que la solution, c'est celle de Mme Merkel. Bien évidemment, on voit bien que les 67 ans ne sont pas acceptables dans notre pays. Mais posons-nous les problèmes aujourd'hui de ce qui se passera demain, sinon ce sont les jeunes qui vont rentrer dans le monde du travail, qui auront les difficultés.
Q- Autrement dit, vous démontrez ce matin que pour la CFDT aussi, l'essentiel est de s'adapter sans cesse et sans idéologie à l'économie mondialisée du XXIe siècle. Anticiper, s'adapter ou crever ?R- C'est regarder le monde tel qu'il est et faire en sorte que l'on amène de nouvelles protections aux salariés, qui sont de plus en plus dans la voie de l'exclusion. Ce n'est pas simplement parler aux personnes qui sont dans les emplois et qui sont déjà protégées, mais faire en sorte aussi que l'on amène de nouvelles protections en fonction de la réalité du monde.