Déclaration de M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, sur les questions juridiques liées au sport : l'origine des normes juridiques sportives et la nature juridique de l'activité sportive, Paris le 12 décembre 2005.

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Circonstance : Création du premier diplôme universitaire consacré au droit du sport à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne le 12 décembre 2005.

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Université,
Mesdames et Messieurs les Présidents de fédération,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de saluer ici votre initiative, Monsieur le président, relayée avec efficacité et talent par Maître Sophie Dion, de créer, à Paris même au c?ur de la Sorbonne qui nous accueille aujourd'hui, un diplôme universitaire de droit du sport.
J'en suis heureux, en effet, car votre décision vient à point pour reconnaître que le sport est, non seulement un fait social majeur, mais qu'il est également une activité régie par un corps de règles juridiques complexes et évolutives que le code du sport en cours d'élaboration viendra d'ailleurs consacrer.
D'autres Universités ont à ce jour porté un tel projet mais, si elles ont engagé des démarches en ce sens, c'est souvent davantage sur le terrain de l'économie ou du management du sport que du droit du sport à proprement parler qu'elles l'ont fait.
Je suis également très heureux que Paris bénéficie désormais de la création de ce diplôme, et que, de plus, une université aussi prestigieuse que la vôtre en ait été à l'initiative. La capitale, par son rayonnement, contribuera à la notoriété de ce nouveau Diplôme Universitaire.
En outre, les institutions sportives installées à Paris pourront en faire bénéficier leurs salariés ou leurs agents au titre de la formation continue.
C'est ainsi que les personnels du ministère des sports bénéficieront de ce partenariat avec, Monsieur le Président, votre université.
Donner aux cadres techniques du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative une formation professionnelle continue à la hauteur de leur tâche constitue un engagement que j'ai pris à l'issue des Etats généraux du sport en décembre 2002. Un véritable plan, à ce titre, a été mis en ?uvre dont je suis attentivement le déroulement.
Plus largement, l'enjeu de ce diplôme est de sensibiliser tous les acteurs du sport au fait que le droit n'est pas seulement une technique ou un savoir mais que derrière les enjeux juridiques souvent négligés, ce sont les principes même de l'organisation du sport que nous souhaitons défendre, ou que certains contestent, qui sont en question.
Permettez-moi d'illustrer mon propos sur l'importance des enjeux juridiques du sport, par l'évocation de deux problématiques que les mois écoulés ont particulièrement mises en évidence.
La première concerne la question de l'origine des normes juridiques sportives : qui a le pouvoir normatif en matière sportive ?
La seconde concerne la question de savoir si le sport revêt un caractère spécifique qui le distingue notamment des activités marchandes et qui justifierait un traitement juridique adapté.
I ? Sur la première thématique, celle de la source de la norme sportive, les derniers mois ont été marqués par plusieurs évolutions tout à fait significatives.
a) En premier lieu la question de la prise en compte en droit interne des normes et règlements sportifs élaborés par des organismes internationaux de droit privé comme le CIO ou les fédérations internationales a toujours été délicate. La solution ?de facto- a été recherchée au travers du pouvoir normatif des fédérations nationales qui ainsi ont pu transposer les règlements sportifs internationaux. Plus récemment, l'évolution que constitue la reconnaissance du rôle normatif de l'Agence mondiale antidopage et des fédérations sportives internationales dans le domaine de la lutte contre le dopage / est à souligner.
Le code mondial antidopage adopté par les fédérations sportives internationales et reconnu dans son principe par les gouvernements à Copenhague en mars 2003, a été à l'origine de la conférence internationale de l'UNESCO qui, en octobre 2005, a permis en un temps record l'adoption d'une convention internationale de droit public. Cette convention internationale, que la France ratifiera le plus vite possible, donnera aux décisions des fédérations ou de l'AMA le caractère de normes opposables aux acteurs du sport de chaque Etat signataire dans le domaine de la lutte contre le dopage.
Le projet de loi relatif à la lutte contre le dopage qui doit être définitivement voté à l'Assemblée Nationale en janvier prochain a préparé et rendu possible cette évolution, en rendant totalement compatible notre législation nationale avec les principes et procédures du code mondial antidopage.
Ainsi, cette évolution complexe, tant du droit international que de notre droit interne, a été mise au service du renforcement de l'efficacité de la lutte contre le dopage et de la défense de l'éthique.
b) Le deuxième exemple marquant concerne les conséquences éventuelles du droit européen de la concurrence sur la place des fédérations sportives associatives.
Une des particularités de notre droit français du sport est la délégation de service public confiée unilatéralement par l'Etat à une seule fédération sportive, par discipline, / dès lors qu'elle en remplit les conditions, pour édicter des normes et pour organiser des compétitions sportives.
Cette procédure a été contesté par une importante fédération sportive à qui la délégation avait été retirée faute de mise en conformité de ses statuts avec les dispositions imposées par le législateur. Cette fédération a ainsi remis en cause le principe même de la délégation unilatérale par l'Etat appelant à une mise en concurrence des délégataires potentiels qu'ils soient associatifs ou non.
Derrière cette question juridique on perçoit en réalité la confrontation entre les tenants d'un droit européen qui assimilerait les associations sportives à des acteurs économiques comme les autres, et donc susceptibles d'être mis en concurrence avec le secteur marchand, et ceux qui entendent faire prévaloir la spécificité d'un mode d'organisation qui permet de confier à des fédérations associatives des prérogatives de puissance publique au nom de l'Etat. L'enjeu est donc essentiel pour l'ensemble du mouvement sportif français et on peut s'étonner que cette démarche n'ait suscitée aucune réaction. Derrière une question juridique soulevée à l'occasion d'un contentieux ponctuel, le fondement même d'un mode d'organisation du sport qui privilégie le mouvement sportif associatif peut ainsi être remis en question.
c) Si je défends, comme vous l'imaginez, le principe de la délégation unilatérale de service public, qui permet l'édiction des normes par les fédérations sportives, bien évidemment, il ne me paraît pas moins nécessaire d'en encadrer strictement l'exercice. Tel est le troisième exemple que je souhaite évoquer s'agissant de la question juridique du pouvoir normatif dans le sport.
Le pouvoir normatif des fédérations ne peut s'étendre au-delà du domaine des règles techniques sportives. C'est tout le sens de l'avis du conseil d'Etat que j'ai sollicité et qui a été rendu au Gouvernement le 20 novembre 2004. Dans ce domaine également, les questions juridiques étaient au c?ur des débats. Qu'est-ce qu'une règle technique sportive ? Jusqu'où s'étend-elle ? l'aire de jeu, les vestiaires, le nombre de places dans les tribunes ?
Le conseil d'Etat a très justement distingué, à droit constant, la norme obligatoire et contraignante que la fédération a compétence pour édicter, de la simple recommandation que la fédération peut émettre, recommandation que les collectivités locales, propriétaires des équipements, ne sont pas tenues de suivre, mais à partir desquelles la négociation peut s'ouvrir.
Ces principes seront rappelés dans un décret actuellement soumis à l'avis du conseil d'Etat afin qu'ils entrent explicitement dans le droit positif sans attendre l'issue de longs contentieux qui ne manqueraient pas d'intervenir. Pour préserver ce pouvoir exceptionnel d'édiction par des associations /?en l'espèce les fédérations et non les ligues professionnelles-/ de normes contraignantes, pour leur reconnaître ainsi un pouvoir réglementaire, il convient de strictement l'encadrer conformément à la loi qui l'a institué.
II - Au-delà de la réflexion sur les sources des normes sportives, c'est la question sur la nature juridique de l'activité sportive qui a été souvent posée au cours des dernières années.
L'activité sportive est-elle une activité économique comme les autres, ou bien est-elle une activité spécifique justifiant une régulation partiellement spécifique ? Dans la première l'hypothèse, alors, le droit commun des activités économiques serait suffisant pour gérer le sport.
A cette grande question de fond, la réponse apportée divise les juristes, et le droit européen n'a pas manqué, ces derniers temps de raviver la querelle.
a) A ce propos, la question des conditions de la formation des jeunes joueurs dans les sports professionnels a été soulevée.
La règle de la libre circulation des joueurs implique naturellement leur libre installation et leur libre recrutement par les clubs européens. La qualité et l'efficacité de la formation impliquent, au contraire, que les clubs qui ont fait l'effort de former les jeunes joueurs puissent s'attacher leurs talents.
La jurisprudence du Tribunal Arbitral du Sport, grâce d'ailleurs aux efforts couronnés de succès de Maître Dion, a récemment évolué, garantissant par plusieurs décisions le caractère spécifique des engagements inscrits dans la charte française du football professionnel dans le domaine de la formation. La rupture prématurée d'une convention de formation peut désormais ouvrir droit, pour le club formateur, à une indemnisation.
Toutefois, à défaut de définition internationale du joueur en formation, la liberté contractuelle prévaut. Ni la réintégration du joueur, ne peut s'imposer au club, ni l'obligation de signer avec le club formateur ne peut s'imposer au joueur. On perçoit ainsi les enjeux actuellement en débat du statut du joueur en formation au plan international.
b) Encore plus emblématique de la question de la spécificité de l'activité sportive / est la querelle juridique qui concerne la possibilité ou non pour les clubs professionnels d'accéder à la cotation en bourse.
Ici aussi s'opposent les défenseurs, dont je suis, de la spécificité du sport [?le sport est une activité qui ne peut être vue sous le seul angle économique -] et ceux de la banalisation de cette activité.
D'ailleurs, la Cour de justice des communautés européennes, dans l'arrêt Bosman, bien qu'elle ait tranché en faveur de la libre circulation des joueurs n'a-t-elle pas affirmé aussi la spécificité du sport qu'implique la nécessaire garantie de l'équité des compétitions sportives ?
Le projet de Constitution européenne en créant une compétence d'appui en matière sportive avait parfaitement souligné que les enjeux du sport, à savoir sa fonction éducative et sociale, justifiait une action concertée et coordonnée des Etats membres, et que le sport ne pouvait se satisfaire du simple jeu des mécanismes du marché.
Le rejet du traité, malheureusement, conduit à retarder cette prise de conscience.
La Commission européenne n'est-elle pas actuellement tentée par une approche simplement dictée par les règles communautaires du marché intérieur ? Ce serait à mes yeux une erreur mais aussi une conséquence du rejet du projet de traité.
Il faut en mesurer les effets sur l'organisation du sport en France.
Il y va de l'existence de la solidarité interne aux fédérations entre le sport amateur et le sport professionnel que la loi du 1er août 2003 a consacrée.
Il est évident que cette solidarité interne peut être mise à mal si la cotation en bourse des clubs professionnels était autorisée : la logique de l'actionnariat risque de la faire voler en éclat, et seul le renforcement du dispositif fiscal pourra assurer les régulations nécessaires.// Ainsi à une solidarité volontaire et interne aux fédérations devrait se substituer une solidarité imposée par exemple par une augmentation de la taxe sur les droits de retransmission. En quelque sorte, à une autre logique politique, une autre logique juridique.
Et pourtant, il est bien clair que la portée économique de la cotation en bourse est véritablement limitée, s'agissant des clubs professionnels dont la compétitivité économique n'est en rien compromise par l'interdiction qui leur est faite de recourir au marché boursier.
La cotation en bourse n'est pas la solution miracle. L'évolution juridique majeure qu'a permis la loi du 15 décembre 2004 créant le droit à l'image collective des joueurs professionnels a procuré les marges de man?uvre indispensables aux clubs professionnels. La cotation en bourse, au regard de cette avancée, aurait une portée beaucoup plus limitée en raison du fait que peu de clubs présentent les garanties nécessaires au plan de la transparence financière notamment, mais aussi au regard de la structure de l'actif de leur bilan.
En France, en effet les équipements sportifs sont la propriété des collectivités locales et non des clubs, à la différence de la situation rencontrée dans nombre de pays européens. Les collectivités territoriales française sont des acteurs majeurs du sport.
Comme l'a très clairement précisé le rapport que j'ai demandé à Me Jean-Baptiste Guillot, c'est la question de la propriété des stades qui est essentielle plus que celle de l'accès au marché boursier. Encourager les clubs à construire et exploiter ces équipements est une orientation que l'on doit privilégier pour l'avenir. Les clubs conforteraient ainsi leur bilan dont l'actif ne dépendrait plus exclusivement des droits télévisuels. Je suis disposé ?y compris par des aménagements législatifs ou réglementaires ? à faciliter l'investissement des clubs, en partenariat avec les collectivités locales, dans cet outil de travail qui doit, à terme, faire partie de leurs actifs. L'existence au sein d'une holding d'une société détentrice de droits réels sur le stade permettra - j'en suis certain ? la cotation en bourse de cette holding. En effet, la holding aura incontestablement une réalité économique distincte du club.
Par la même la cotation de la holding en bourse ? à droit constant- deviendrait possible. Ainsi l'activité de la holding ne serait pas soumise à un alea sportif trop important contrairement à la seule activité de la société sportive. J'ai décidé de prendre l'initiative prochaine, sur la base du rapport Guillot, d'une table ronde sur ce sujet. Je m'en suis récemment entretenu avec le Président Jean-Michel Aulas et le Directeur de l'UCPF, ce dont la presse s'est récemment fait l'écho.
Comme le soulignait Jean Rivero : « tout juriste est faiseur de système ». C'est pourquoi, au-delà des questions juridiques qu'il faut enseigner, ce sont les enjeux même de l'organisation du sport de demain qui sont en cause et les étudiants et les enseignants de ce diplôme universitaire seront amenés à en débattre.
Une nouvelle fois, toutes mes félicitations et mes remerciements encore à Sophie Dion pour avoir, malgré les difficultés et les résistances rencontrées, su porter et mettre en oeuvre ce nouveau diplôme, que vous avez, Monsieur le Président, souhaité.Je vous en remercie de votre attention.