Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à France 2 le 31 janvier 2001, sur ses propositions sur le problème de la sécurité et notamment sur la notion de "tolérance zéro" et "tolérance double zéro".

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Texte intégral

G. Morin Nous allons parler de sécurité, qui est vraiment le sujet de la semaine, avec le Conseil national de sécurité qui a annoncé un certain nombre de mesures hier. Les parlementaires de l'opposition se réunissent aujourd'hui dans le cadre des ateliers de l'alternance, avec des propositions. Démocratie libérale trouve comment le plan Vaillant présenté hier ?
- "C'est une sorte de rapiéçage, mais je ne veux pas essayer de faire trop de polémique électorale avec cette question de l'insécurité, question qui est de toutes les époques, de tous les Gouvernements, de tous les ministres, et qui devient aujourd'hui une préoccupation majeure des Français. Au moment où on se regarde, beaucoup de gens vivent dans l'insécurité, pour eux-mêmes, pour leurs enfants, pour les transports jusqu'à leur domicile. Il ne faut pas en faire un sujet de polémique : il faut essayer de regarder quelles sont les bonnes mesures et les mauvaises mesures."
Simplement parce que vous avez été un peu gênés aux entournures, vos Gouvernements précédents - Juppé et Balladur - n'ayant pas su faire mieux ?
- "A ce moment-là, je peux aussi charger l'actuel Gouvernement ! Je ne veux pas tomber dans cette polémique. J'essaie de regarder comment en sortir. Et à mes yeux, il y a un problème essentiel : tant qu'on n'en prend pas véritablement conscience, on bricolera. Les policiers seront découragés d'arrêter aujourd'hui les gamins qu'ils ont arrêtés avant-hier et qui ont été relâchés hier. Les juges seront découragés devant les lenteurs, les paralysies, l'embouteillage de la justice, et l'incapacité de faire exécuter leurs décisions. Le problème numéro un, ce sont les mineurs délinquants : n'importe quel juge - et c'est normal - va hésiter à les envoyer en prison pour des actes graves. Pourquoi ? Parce que la prison est inhumaine, parce que c'est un pourrissoir. Alors, que faut-il faire ? Les relâcher ? Non, parce que le gamin qui vient de commettre un acte et qui est relâché va parader dans sa cité, et les gens vont avoir un formidable sentiment d'impunité. Donc, ce qu'il faut faire, c'est donner les moyens à la justice pour créer toute la palette d'établissements spécialisés pour accueillir les mineurs délinquants. Il faut retirer des quartiers les petits caïds qui y paradent, les placer dans des établissements. Il faut des moyens pour cela !"
Où les prend-on ces moyens ? Parce qu'il y a un déficit budgétaire accru dans ce cas...
- "Pas forcément. J'ai fait un plan Orsec pour la justice. Je l'ai chiffré - c'est énorme - à 12 milliards par an. Mais 12 milliards par an, qu'est-ce que c'est ? 10 % de la facture des 35 heures. Donc, vraiment, si on a la volonté, on peut le faire. Il y a des tas de choses que l'Etat fait et qu'il ne devrait pas faire. Mais la justice, la sécurité, voilà le boulot de l'Etat et voilà où il faut investir. Juste un chiffre : en dix ans, grosso modo les actes de délinquance ont été multipliés par deux. Dans le même temps, les peines de prison sont globalement restées stables. Cela veut dire que depuis dix ans, il est deux fois moins risqué aujourd'hui d'être délinquant. Et s'il est deux fois moins risqué aujourd'hui d'être délinquant qu'il y a dix ans, c'est un formidable appel d'air à toute la délinquance."
Donc, ce que voulez en plus, c'est de la répression ?
- "Ce que je veux, c'est trouver le moyen d'appliquer une politique pénale plus ferme. Les juges sont prêts à le faire, ils le font, mais ils n'ont pas les moyens de la politique pénale nécessaire. Dans le même temps, si je dis "tolérance zéro", c'est-à-dire l'idée selon laquelle on ne va rien laisser passer pour les gamins des cités, il faut au moins que je dise aussi "tolérance zéro" - ou "tolérance double zéro" ! - pour tous les actes de corruption, tous les trafics d'influence et les trafics d'armes. L'ordre social, s'il veut être respecté, doit être respectable."
Vous voulez dire que le mauvais exemple est parfois venu d'hommes d'affaire ou d'hommes politiques ?
- "Bien sûr ! Ceci a un effet totalement désagrégateur sur la société."
Un jeune qui lit la chronique judiciaire aujourd'hui, voyant qu'il y a tel procès, telle instruction, est influencé dans le mauvais sens ? Parce qu'on en parle trop ?
- "Il se dit "S'ils se goinfrent et se servent en haut, alors pourquoi pas moi en bas ?" Le magistrat, s'il a le sentiment qu'en haut, il y a des gens qui jonglent avec des milliards d'argent sale, il va hésiter à punir le gamin pour son premier larcin. J'insiste beaucoup sur ce point : les moyens de la politique pénale, notamment pour la délinquance des mineurs, et une palette d'établissements spécialisés - des internats éducatifs, des centres fermés etc. - mais aussi les moyens donnés à la justice et à la police financière."
1 000 policiers de plus, 5 000 adjoints de police de plus, des armureries moins facilement ouvertes, des contrôles sur les cartes bancaires... Est-ce que ce ne sont pas des mesures quand même nécessaires, compte tenu de l'évolution de cette délinquance ?
- "Bien sûr. Une autre mesure, qui à mon avis est une mesure clé, c'est de responsabiliser davantage et d'impliquer les maires dans la sécurité. Et le cas échéant - c'est ce que va proposer l'opposition - permettre la création d'une police territoriale de proximité sous l'autorité du maire. Je suis maire d'une petite ville en Bretagne, Redon, de 10 000 habitants. Nous avons mis en place un contrat local de sécurité, une implication de tous les acteurs - enseignants, police municipale, gendarmerie etc. - et c'est vrai que c'est efficace."
L. Jospin dit qu'on ne va pas municipaliser la justice, shérifiser partout...
- "L. Jospin se trompe quand il nous explique que la tradition républicaine, c'est la police nationale. Non ! Il y avait des polices municipales et elles ont été nationalisées sous Vichy, par R. Bousquet. Donc, ce n'est pas la tradition nationale, ni républicaine."
Faut-il poursuivre, accentuer, les contrats locaux de sécurité ?
- "Oui, il faut poursuivre une politique de ce type : mobilisation de toutes les forces sur le terrain, où on mélange la prévention, la vigilance, la répression. C'est là le bon axe et c'est en tout cas celui que nous proposons."
Un mot sur les municipales : la bataille dans les grandes villes peut-elle se gagner sur le thème de la sécurité par exemple ?
- "Oui. Je suis inquiet quand j'ai entendu l'autre jour M. Delanoë à Paris expliquer qu'il y avait 80 000 immigrés en situation clandestine et qu'on n'y pouvait rien. Se résigner à 80 000 immigrés clandestins à Paris, c'est se résigner à un foyer de délinquance ou de travail clandestin."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 1 février 2001)