Déclaration de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la situation de l'industrie sucrière au regard des négociations internationales et du cadre national, Paris le 6 décembre 2005.

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Circonstance : Assemblée générale de la Confédération générale des planteurs de betteraves à Paris le 6 décembre 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de participer à votre assemblée générale. Vous connaissez mon engagement pour le développement de votre filière et son avenir. Votre secteur, plus que tout autre au sein du monde agricole, porte, en effet, des enjeux qui doivent faire la fierté de l'agriculture. Participer à l'indépendance énergétique et à la lutte contre le réchauffement climatique, quelle image de modernité !
Mais cette perspective enthousiasmante n'occulte pas des réalités plus difficiles, notamment sur le sucre. Ce n'est que grâce à la hausse de la productivité - performance dont nous devons nous réjouir - que la production française, cette année, reste stable.
Ce sont ces aspects que je développerai parmi vous aujourd'hui autour de trois axes :
- les incertitudes liées aux négociations internationales à l'OMC ;
- les enjeux au niveau communautaire : la situation a été modifiée, il y a deux semaines ;
- la préparation de l'avenir au niveau national.
I - Des incertitudes existent sur l'issue des négociations de Hong Kong. Mais nous sommes mobilisés pour défendre nos intérêts, y compris en surveillant de près la Commission
La proposition du 28 octobre de la Commission européenne est ambitieuse, même trop, mais réclame des contreparties.
Le volet agricole, notamment, est conditionné à l'obtention d'avancées sur le parallélisme, les indications géographiques, mais aussi sur l'industrie et les services. Or, le Brésil et l'Inde, en particulier, ont fait de l'obstruction sur les sujets « industrie et services ». La situation ne répond donc pas du tout à l'exigence d'équilibre qui pouvait justifier l'offre du Commissaire MANDELSON.
Qui plus est, nous doutons de la compatibilité de cette offre avec le mandat assigné à la Commission.
Il implique la préservation de la préférence communautaire et la stabilité de la réforme de 2003. Nos doutes n'ont pas été levés par les arguments de la Commission. Je tiens à souligner que la France n'a jamais été isolée : 13 Etats Membres de l'Union ont signé notre mémorandum sur les négociations agricoles de l'OMC.
Sur le fond, la France souhaite obtenir une formule générale de réduction des droits de douane aussi souple que possible. Concernant le traitement des produits sensibles, il doit permettre de choisir, produit par produit, la meilleure solution possible entre la baisse du droit de douane et l'augmentation des contingents tarifaires.
Sur le sucre, j'ai bien noté votre position. L'enjeu est d'obtenir la meilleure clause de sauvegarde possible.
Dans le contexte actuel, trois scénarios sont possibles pour l'issue de la négociation :
- selon une première hypothèse minimaliste, les Ministres adoptent une simple déclaration réaffirmant les objectifs du cycle de Doha et indiquent poursuivre le travail en 2006 ;
- le deuxième scénario est celui d'un accord sur un paquet « développement ». Il pourrait comprendre un engagement contraignant de reprise de l'initiative TSA, la réaffirmation des grands principes du traitement spécial et différencié pour les pays en développement. Une initiative sur le coton et sur la banane dépendrait du degré de consensus.
- enfin, selon le troisième scénario, Pascal LAMY essaie de faire émerger une « plate-forme » minimale, en enregistrant dès Hong Kong des avancées sur certains points précis. Il favoriserait ceux qui voudraient fixer, à l'occasion de Hong Kong, une date-butoir pour l'élimination de nos restitutions. Pour eux, toute exigence d'équilibre au sein de la négociation agricole, comme entre celle-ci et les autres négociations sectorielles, est accessoire.
II - La situation européenne s'est clarifiée depuis 2 semaines
II - 1 Un accord politique a été trouvé à Bruxelles à propos de l'Organisation Commune de Marché pour le secteur du sucre.
Le contexte sucrier est en profonde mutation.
Un changement était dans l'ordre des choses et demandé instamment par de nombreux intervenants du secteur. Sans accord politique, la filière aurait dû faire un saut dans l'inconnu. Le Conseil de l'Agriculture a éclairci l'horizon des acteurs et voulu préparer l'avenir, y compris pour la mise en culture de 2006.
J'ajoute que la perspective d'importations sans limitation et sans droits de douanes de sucre en provenance des Pays les Moins Avancés nécessitait aussi une réaction.
Dans ce contexte, cet accord est un accord que nous pouvons accepter :
- la France peut espérer une augmentation de 10% environ de son quota ; la réduction de la production sera fondée sur le volontariat grâce à un fonds de restructuration que vous appeliez de vos v?ux l'an dernier à cette tribune, M. le Président ;
- l'accord compense la baisse des prix finalement limitée à moins de 40% et étalée sur 4 ans ;
- il préserve des possibilités d'exportations pour l'avenir ;
- il engage fortement la Commission quant aux contrôles relatifs aux importations et la définition des règles d'origine ;
- il donne à la Commission la possibilité de faire bénéficier la betterave de l'aide aux cultures énergétiques ainsi que de la prime jachère en cas de jachère industrielle ;
- il donne une visibilité pour 9 campagnes ;
- enfin, il maintient une unité européenne sur le sujet du sucre.
Nous nous sommes battus au maximum de ce qui pouvait être obtenu ; nous le défendrons dans les semaines à l'OMC, notamment à Hong Kong.
II - 2 La mise en place de la réforme des Droits à Paiement Unique est également sur les rails. Il faut maintenant intégrer le sucre.
Le découplage des aides et les DPU constituent, depuis le 15 octobre dernier, une réalité concrète pour les agriculteurs.
Vous avez reçu un courrier vous informant de vos références historiques, et préparez désormais vos dossiers individuels. C'est impératif pour faire actualiser votre situation. J'ai donné instruction aux Directions départementales de l'agriculture et de la forêt de vous accompagner dans cette tâche. J'ai veillé à la mise en place de réunions d'information et d'entretiens individualisés. Nous devrions être à l'heure, en 2006, pour le premier paiement de l'aide unique découplée.
Vous concernant, un défi supplémentaire tient à l'introduction dans le dispositif des DPU de la production betteravière.
Mes services y travaillent en coopération avec la filière dans le souci permanent de la plus grande simplicité possible pour les planteurs.
Dès 2006, vous bénéficierez d'une visibilité totale sur les modalités pratiques des paiements découplés.
J'ai d'ores et déjà donné des consignes : des dispositions simples et justes seront élaborées. En dépit de la réforme du sucre, les planteurs de betteraves seront traités à l'heure et comme il convient. Je suis favorable à des DPU calculés sur la situation la plus récente et à la mobilisation partielle de l'enveloppe « sucre » pour ceux ayant connu une reconversion depuis la période 2000-2002.
III - Préparer l'avenir, c'est répondre à deux exigences :
- structurer la filière pour mieux défendre les producteurs ;
- proposer des perspectives en terme de débouchés.
III - 1 La loi d'orientation agricole prévoit un renforcement du dialogue de filière au sein des interprofessions.
Elle conforte leur rôle dans la structuration des filières et élargit leurs missions. Les filières pourront notamment mettre en place des démarches collectives visant à lutter contre les différents risques et aléas.
Par ailleurs, un amendement permettra d'inclure, dans les accords interprofessionnels, les études nécessaires au bon déroulement des négociations. Evalués, les accords conclus seront sécurisés sur le plan juridique et leur homologation par les pouvoirs publics facilitée.
S'agissant de la définition de la betterave marchande, l'interprofession doit parvenir à un accord respectant l'équité entre planteurs et sucriers. Les services - Agriculture, Industrie, Répression des fraudes - sont prêts à finaliser les textes actuels datant de 40 ans, à partir des conclusions des tests menés par l'interprofession ; ils devraient être prêts prochainement. J'y suis très attentif et l'appelle de mes v?ux.
III - 2 C'est devenu une évidence partagée : les biocarburants sont une contribution forte du monde agricole à la protection de l'environnement.
Le Président de la République a rappelé notre préoccupation environnementale et notre attachement aux bioénergies, en particulier aux biocarburants. Suivant la direction qu'il a tracée, les Gouvernements de Jean-Pierre RAFFARIN et Dominique de VILLEPIN ont fait part, à plusieurs occasions et avec force, de leur volonté de développer les capacités de production de biocarburants.
C'est pour nous la réponse à un triple enjeu :
- agricole : nous pouvons rapidement mobiliser des surfaces importantes. C'est un gisement d'emplois pour le secteur agricole et agroalimentaire ;
- environnemental : dans le cadre général du protocole de Kyoto, les biocarburants constituent un atout essentiel pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les transports ;
- économique : nous pouvons ainsi réduire notre facture pétrolière et limiter notre dépendance énergétique.
Le Premier Ministre, Dominique de VILLEPIN, a décidé que la France atteindra, dès 2008 avec 2 ans d'avance, l'objectif communautaire de 5,75% d'incorporation des biocarburants, et même 7% en 2010.
Des appels à candidatures complémentaires viennent d'être publiés et seront prochainement dépouillés.
Le marché de l'éthanol carburant déjà ouvert par la première étape du plan biocarburant sera doublé en le portant à près de 900 000 tonnes, soit plus de 10 millions d'hectolitres en 2008 ; c'est une évolution nécessaire pour assurer la rentabilité des unités nouvelles opérationnelles dès 2007.
La Loi de finances 2006 combine deux exonérations en faveur des biocarburants :
- une défiscalisation, qui reste très favorable, de la Taxe Intérieure de Consommation ;
- une Taxe générale sur les activités polluantes très incitative pour l'incorporation de biocarburants par les distributeurs.
Cette combinaison donne à la filière française des biocarburants le plus fort soutien fiscal de l'Union Européenne, pour lequel le Gouvernement s'engage dans la durée. Je compte bien que ces mesures contribuent au développement de l'éthanol dans les carburants, y compris en incorporation directe conformément aux conclusions de la Table Ronde consacrée aux biocarburants.
CONCLUSION
Monsieur le Président,
L'accord politique conclu à Bruxelles sur le sucre tourne une page de la filière européenne ; en même temps, il jette les fondements d'un avenir dont les ébauches précédentes auraient été remises en cause à brève échéance. J'en mesure l'impact financier significatif pour vos revenus.
Je suis heureux de vous avoir entendu parler si passionnément de compétitivité. Je suis arrivé ce matin avec la certitude que votre secteur trouvera un nouvel équilibre. Je suis convaincu que les betteraviers sont prêts à surmonter les difficultés et c'est de bon augure.
Je vous remercie de votre attention
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 8 décembre 2005)