Déclaration de Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme, sur l'importance du tourisme en tant qu'activité économique et sociale en Europe, Bruxelles le 5 décembre 2000.

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Circonstance : Réunion de la Commission "Politique régionale, transports et tourisme" du Parlement européen, à Bruxelles le 5 décembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Président Hatzidakis,
Mesdames, messieurs les parlementaires européens,
Permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour votre invitation devant la Commission "politique régionale, transports et tourisme".
Elle témoigne de l'intérêt croissant que le Parlement européen porte au secteur du tourisme au sein de l'Union européenne. Lors d'une récente visite dans cette enceinte, j'avais, déjà, pu constater à quel point vos préoccupations en la matière, Monsieur le président, rejoignaient les nôtres.
Le tourisme en Europe est, vous le savez, une activité économique et sociale de première importance.
En effet, avec 392 millions de visiteurs étrangers accueillis en 1999 (soit près de 59 % des flux internationaux), notre continent est la principale région de destination touristique au monde.
Il est aussi la première région émettrice de touristes vers tous les autres pays de la planète.
Le tourisme y représente ainsi 5,5 % du PIB communautaire, 6 % des emplois (soit 9 millions d'emplois directs recensés aujourd'hui) et 30 % du commerce extérieur des services, avec 275 milliards d'euros de recettes touristiques.
Cette importance devrait aller en augmentant puisque les projections de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT) prévoient, dans les vingt ans à venir, un doublement des flux touristiques internationaux en Europe.
On prévoit également la création de 2 à 3 millions d'emplois directs supplémentaires.
Par ailleurs, vous n'ignorez pas le rôle important que peut jouer le tourisme dans le développement local et l'aménagement du territoire.
Au-delà, je suis convaincue que le tourisme favorise aussi, d'un bout à l'autre de la planète, la découverte, la compréhension mutuelle, l'échange et l'amitié entre les peuples.
Il est en cela un formidable vecteur des valeurs de solidarité et de paix auquel notre monde aspire.
Paradoxalement, le tourisme n'est que peu intégré dans les compétences communautaires.
Et l'article 3 du Traité d'Amsterdam rappelle que les interventions en la matière doivent respecter le principe de subsidiarité en laissant aux États membres la plus grande marge d'action dans le cadre de leurs politiques nationales ou régionales.
Dans un passé récent, les tentatives d'actions communautaires se sont révélées peu efficaces en raison de la différence d'approche de ce secteur par certains états très attachés au respect du principe de subsidiarité.
Une telle situation ne favorisait pas le développement d'une vision globale et cohérente du tourisme.
Mais, depuis novembre 1997, avec la conférence européenne de Luxembourg réunie sur le thème du tourisme et de l'emploi et le Conseil des ministres qui l'a suivie, les choses ont bougé.
Ce Conseil des ministres a donné naissance à un groupe de haut niveau chargé d'approfondir ces problématiques.
Le Parlement lui-même montre un réel intérêt pour que le tourisme soit mieux pris en compte au niveau des politiques européennes.
Le rapport du groupe de haut niveau a fourni des recommandations qui ont été approuvées par le Conseil des ministres du Marché intérieur du 21 juin 1999.
Elles ont aussi donné lieu à des avis favorables du Comité des régions, du Comité économique et social ainsi qu'à une résolution de votre Parlement, le 18 février 2000, pour "accroître le potentiel du tourisme pour l'emploi".
Les conclusions de ce Conseil ont conduit à la mise en place d'une série de travaux pilotés par quatre groupes d'experts sur les thèmes suivants :
la formation professionnelle des acteurs du tourisme,
l'information, en lien avec le développement des nouvelles technologies,
la qualité,
et le développement touristique durable.
Ces travaux ont d'ailleurs fait l'objet d'un rapport intermédiaire de la Commission à l'occasion de la réunion des ministres européens du tourisme que j'ai organisée, à Lille, le 22 novembre et au Conseil du marché intérieur "consommateurs-tourisme" du 30 novembre. Ils seront poursuivis en 2001. Parallèlement à ces travaux, une réflexion et des actions ont été menées conjointement par certains pays membres, dont la France.
Plutôt que la création d'une politique communautaire du tourisme (qui impliquerait une modification du Traité à laquelle les États sont majoritairement opposés), cette réflexion et cette action visent à la coordination des politiques du tourisme propres à chaque État membre.
Ces premiers résultats se sont notamment illustrés lors de la conférence de Vilamoura, sous présidence portugaise, en mai dernier.
A cette occasion, les États membres ont rappelé leur volonté d'encourager des actions concertées dans ce domaine.
Avec la présidence française de l'Union européenne, la France s'est attachée non seulement à faire aboutir les efforts réalisés ces trois dernières années, mais aussi à les inscrire dans la durée, tout en y ajoutant une forte dimension sociale.
Il convient ainsi de valoriser les actions menées avec les pays réceptifs du Sud - l'Italie, l'Espagne, le Portugal -, qui connaissent des problématiques voisines de celles de la France, notamment en matière d'emploi, de structures d'entreprises et d'équilibre de territoires.
Des interrogations similaires ont également été soulevées par l'Irlande, le Royaume-Uni ou les Pays nordiques lors des rencontres bilatérales préparatoires à la réunion du 22 novembre à Lille que j'évoquais tout à l'heure.
Ceci dans le but d'encourager la mise en place d'actions cohérentes au niveau des États membres dans ces différents domaines.
C'est ainsi qu'au sein des groupes de travail entre les Etats et la Commission, les réflexions en cours portent notamment sur les points suivants :
1- l'amélioration des conditions de travail et la formation professionnelle.
Le secteur du tourisme connaît, en effet, un problème de qualification et d'emploi qui peut handicaper son développement si des efforts ne sont pas faits pour améliorer les conditions de travail. Je pense notamment aux saisonniers et à la reconnaissance des compétences.
Il est donc souhaitable de mener des actions visant l'amélioration de la qualification professionnelle, la pérennité des emplois et visant également à redonner une image de ce secteur susceptible d'attirer des jeunes vers les métiers du tourisme.
Cet enjeu de l'emploi et de la formation a d'ailleurs été fortement souligné dans la résolution du Parlement du 18 février 2000.
2- l'aménagement des territoires à partir du concept maintenant largement partagé de tourisme durable et la mise en réseau de territoires pilotes pour favoriser les bonnes pratiques en la matière.
En effet, le tourisme ne peut être réduit à sa seule dimension économique. Il s'inscrit dans une éthique de respect mutuel des modes de vie et des valeurs des populations. Il est vecteur d'échange, de culture et de connaissance réciproques et participe à la construction de valeurs européennes.
3- le soutien aux actions d'amélioration de la qualité de l'offre pour anticiper sur la concurrence à venir et faire en sorte que les PME, qui composent essentiellement le tissu économique de ce secteur, restent performantes et se modernisent.
Cela passe par un soutien et une assistance technique à ces entreprises et par une plus grande attention de la Commission à leurs particularités.
Il est d'ailleurs un point important auquel il faut être attentif. C'est celui du phénomène de concentration des grandes entreprises de distribution et des tours opérateurs. En effet, les conséquences à long terme sur la structure de notre offre touristique, sur la diversité des opérateurs et sur le développement équilibré des territoires doivent être davantage analysées.
Par ailleurs, la présidence française a été l'occasion d'aborder aussi l'enjeu du droit aux vacances pour tous, sujet où la France a souhaité apporter son expérience.
Apport indispensable à la cohésion sociale, il est un moyen important pour lutter contre les inégalités.
Par les échanges que le départ en vacances permet, il contribue à la découverte, à la compréhension des cultures et des traditions dans les divers États. Et en favorisant l'arrivée de nouvelles clientèles, il est aussi un facteur favorable au développement économique du secteur.
Ainsi, en s'appuyant sur des expériences locales ou nationales, des mesures coordonnées d'aide au départ en vacances pourraient être encouragées.
De même, le tourisme des jeunes devrait être davantage pris en considération, eux qui représentent les touristes de demain.
Je pense, à cet effet, que le secteur du tourisme social et associatif, qui bénéficie d'une grande expérience en la matière, pourrait être soutenu parce qu'il incarne, par son action, une dimension solidaire et citoyenne du tourisme.
Je ne vous cacherai pas que, sur ce sujet, les positions des Etats membres sont très partagées. Elles sont fonction des traditions et des cultures nationales qui prévalent dans chacun des pays, ainsi que des politiques sociales en vigueur.
L'accès aux vacances et aux loisirs des personnes handicapées, une question largement partagée par tous les Etats, devrait, lui aussi, bénéficier d'une attention particulière et d'actions coordonnées.
Vous l'aurez compris, le séminaire de Lille le 22 novembre a été l'occasion de porter une attention particulière nouveaux enjeux économiques et sociaux posés par l'important essor à venir du tourisme.
Le matin, un forum, sur le thème du tourisme durable, a réuni près de quatre cents personnalités des secteurs privé, associatif et institutionnel du tourisme.
Celui-ci a permis de constater combien les acteurs du tourisme en Europe étaient attentifs à la façon dont les Etats allaient mettre en oeuvre des actions concertées dans ce domaine.
Au cours de ce forum, des exemples concrets, développés notamment par des intervenants de pays du sud de l'Europe, ont montré l'émergence d'une prise de conscience des risques inhérents à un développement non maîtrisé du tourisme. Des expériences ont lieu dans ces pays pour mettre en place des logiques de développement durable.
Vous me permettrez, Monsieur le Président, de vous en présenter deux en particulier.
Madame NAJERA ARANZABAL, maire de CALVIA, aux Baléares, a ainsi témoigné des mesures radicales qu'elle a été amenée à prendre, avec ses collègues des autres collectivités et les entreprises locales pour contrer, par un plan dit "d'excellence", les effets négatifs d'un tourisme de masse, de moins en moins bien accepté, dans une île de 300 000 habitants qui reçoit chaque année 2 millions de touristes.
Ce projet pilote, s'inspirant de l'Agenda XXI issu du Sommet de Rio, a en outre créé un forum pour dynamiser le projet de réhabilitation de leur espace urbain. La municipalité s'est ainsi fixé pour objectif le retour à un équilibre qui avait disparu entre population touristique et population locale, au détriment de cette dernière.
Il est intéressant de noter que la concertation avec les différents acteurs, notamment collectivités locales et entreprises, s'est engagée sur la maîtrise du foncier urbain, la réduction du nombre de permis de construire la rénovation de chambres.
La réflexion, menée avec tous les partenaires concernés, a permis de rétablir une situation largement compromise pour le secteur touristique par une politique de réappropriation par les acteurs locaux de leur propre modèle de développement touristique.
Le problème était quasiment identique pour nos voisins italiens qui recevaient sur le littoral adriatique jusqu'à 40 millions de touristes par an.
De tels flux touristiques extérieurs allaient au-delà du supportable pour les populations locales.
La reprise en main par les responsables locaux des choix stratégiques d'aménagement touristique, la mise en oeuvre d'une politique de qualité, la diversification de l'offre dans le sens de vacances plus familiales ont permis, là aussi, de renverser la tendance. Le choix des collectivités locales s'est, là, porté sur le tourisme à vélo et les vacances avec les enfants, en se détachant aussi du "tout Mac Donald's" dans le domaine de la restauration.
Le rapprochement de la population locale de ses traditions et de ses pratiques de loisirs, l'écoute des demandes des clients en faveur d'un tourisme de qualité, ont permis de rétablir, sur place, une image positive du tourisme. Il s'est agi d'opter pour le développement d'un tourisme régional, en revenant aussi à un niveau acceptable de la fréquentation des touristes étrangers.
Vous comprendrez sans aucun doute que j'ai jugé utile de m'étendre sur ces exemples qui montrent que dans ces pays dits "récepteurs" s'exprime une volonté forte d'aborder le développement d'un tourisme durable sous un angle européen.
En présence du Commissaire Liikanen, le Sommet des ministres des 15 qui a suivi le forum, quant à lui, a permis à la présidence française d'élaborer une synthèse qui s'appuie sur un large consensus. Parmi les préoccupations communes constatées, vous me permettrez de citer rapidement les principales :
"la volonté de promouvoir une approche intégrée du tourisme et des politiques nationales en utilisant la méthode ouverte de coordination recommandée par le Conseil européen de Lisbonne, dans le respect du principe de subsidiarité"
encourager "une stratégie de développement touristique durable au service et pour le bien être des habitants de l'Union européenne, dans le respect de leurs valeurs et de leur identité.
Une concertation est envisagée également pour, "aider à la mise en place d'un réseau de territoires pilotes pour échanger les expériences en matière de développement durable du tourisme et permettre la diffusion des bonnes pratiques d'aménagement..."
Il a été également débattu de la mise en place des réseaux d'information et d'observation économique et de l'emploi pour mieux évaluer le poids et le rôle du tourisme dans le développement économique de l'Europe.
La synthèse des travaux de cette réunion a d'ailleurs fait l'objet, comme je vous l'indiquais au début de mon intervention, d'une information au Conseil du marché intérieur "consommation-tourisme " du 30 novembre. Le large débat qui a suivi la présentation de ce point de l'ordre du jour, les nombreuses interventions des membres du Conseil ont souligné l'importance de ce secteur dans les politiques nationales et l'intérêt qu'il suscite aujourd'hui auprès des Etats membres.
Je sais combien le Parlement européen est favorable à une meilleure prise en compte des politiques touristiques et je dois vous dire que cet engagement est important pour la continuité de la démarche à l'occasion des futures présidences.
D'ores et déjà d'ailleurs, la Belgique a prévu une manifestation au niveau européen sur le thème du tourisme pour tous, dans le cadre de sa présidence, au deuxième semestre 2001.
Au cours de cette Présidence française, qui a permis, dans le domaine du tourisme, de travailler à rapprocher les points de vue pour une meilleure coordination des stratégies nationales, nous pouvons envisager d'oeuvrer à un Agenda 21 pour le tourisme européen. Il s'agit de mettre en place un programme d'actions pour le 21e siècle, respectant les principes du Sommet de Rio.
Il s'inscrirait dans l'Agenda 21 communautaire en cours de préparation, qui sera présenté à Göteborg, en juin prochain, au moment de la présidence suédoise. Il contribuerait ainsi à la préparation de la réunion de la Commission du développement durable de l'ONU, dite "Rio + 10", qui se déroulera en 2002.
Je ne saurais conclure mon propos sans vous dire combien le soutien de votre Commission peut être important dans cette démarche. Je souhaite d'ailleurs que le processus engagé avec le Parlement européen puisse se poursuivre, bien au-delà de la présidence française. Cela répondrait ainsi à une préoccupation véritablement commune aux Quinze.
Je vous remercie.
(source http://www.presidence-europe.fr, le 7 décembre 2000)