Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec France 3 le 10 janvier 2006, sur la situation politique au Proche-Orient, les Balkans et l'Union européenne, le nucléaire iranien et sur l'enquête concernant l'assassinat de Rafic Hariri.

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Média : France 3

Texte intégral

Q - Commençons, si vous le voulez bien Monsieur Douste-Blazy, sur ce qui peut se passer en Israël, après la disparition politique d'Ariel Sharon. On voit et c'est un premier constat que cette démocratie tient admirablement le coup et qu'il y a, en particulier une transparence sur l'état de santé du Premier ministre, sur la manière dont son vice-Premier ministre, M. Ehud Olmert prend le relais. N'y a-t-il pas là, une leçon dont nous pourrions nous inspirer en France ?
R - C'est vrai et permettez-moi d'abord d'avoir une pensée particulière pour Ariel Sharon, ce soir, qui lutte.
Je crois que nous avons affaire à un cas où un homme hors du commun vient de marquer ce conflit israélo-palestinien. Hors du commun car c'est un homme de guerre - vous l'avez rappelé - et qui a participé à tous les combats de l'Etat hébreu, de la guerre d'indépendance jusqu'à celle du Liban avec le siège de Beyrouth et de l'Organisation de Libération de la Palestine. Mais, c'est aussi un homme politique. En 1975, il est responsable du programme de colonisation des territoires occupés, avant même d'être ministre du Logement. En 1998, il est ministre des Affaires étrangères avec le Likoud. Depuis quelques mois, il a l'incroyable possibilité de passer d'homme de guerre à homme de paix, autour duquel tous les compromis possibles avec les Palestiniens sont accessibles. C'est qu'il fait et ce qu'il a fait depuis ces quelques mois. Je l'ai rencontré à plusieurs reprises depuis que je suis ministre des Affaires étrangères. Ce qui m'a le plus impressionné, c'est ce désengagement de Gaza, décision unilatérale, c'est vrai, mais décision quand même de décoloniser Gaza. Autrement dit et pour la première fois de sa vie, il dit qu'il arrête avec cette idée du grand Israël. C'est Ehud Olmert qui l'a d'ailleurs poussé vers cette décision. De plus, il forme Kadima, le nouveau parti, un parti centriste.
Aujourd'hui, beaucoup d'hommes de ma génération et beaucoup de Français doivent mesurer la chance historique qui se présentait, je le dis parce que j'ai rencontré Ariel Sharon qui était pour la paix, j'en suis persuadé, et j'ai rencontré Mahmoud Abbas, qui est également quelqu'un qui respecte Ariel Sharon. Les deux hommes se respectent. Il faut surtout que dans la période électorale dans laquelle on entre maintenant, période doublement électorale, le 25 janvier pour les Palestiniens et le 29 mars en Israël, l'on aboutisse à ce même v?u, ce même souhait, cette même possibilité historique d'avoir la paix, c'est-à-dire deux territoires qui vivent en sécurité et en paix, côte à côte. C'est un énorme enjeu.
Q ? N'est-ce pas une vision embellie de ces deux protagonistes ?
R ? Très franchement, lorsque l'on a dit qu'Ariel Sharon allait décoloniser Gaza, nous avons tous dit que ce serait unilatéral. En même temps, en faisant le mur, il y a une recolonisation. Simplement, il faut bien reconnaître que c'est un succès pour M. Sharon et aussi un succès pour la société israélienne qui l'a suivi. C'est une preuve de courage. Alors je pense que, de son côté, Mahmoud Abbas fait aussi preuve d'énormément de courage. Les deux hommes faisaient preuve de courage.
Q ? Le désengagement de Gaza est une chose importante, mais était-ce simplement se débarrasser "du fardeau" que représentait Gaza, était-ce une forme de pragmatisme ou bien cela s'inscrivait-il dans un processus de paix.
R ? La vraie question est que ce début d'élection législative en Israël était une idée lancée par Ariel Sharon sur la Cisjordanie. En effet, enlever Gaza sans toucher à la Cisjordanie, ce n'est pas véritablement la Feuille de route, celle de la communauté internationale et je pense que Mme Chahid va le dire. Il savait qu'il continuerait. La question, c'est qu'il n'avait pas dit exactement où et quand il enlèverait les colons de la Cisjordanie.
La question qui nous est posée aujourd'hui, c'est qu'il faut faire attention à la peur du vide en Israël, attention au chaos dans les Territoires palestiniens.
...
Je ne peux pas vous laisser dire cela car en réalité, la communauté internationale ne rêve que d'une seule chose, c'est qu'il y ait la paix. L'enjeu de ces élections est sécuritaire.
Premier enjeu : reste-t-on sur une trêve ou bien reprend-on la violence. Et là, je dois dire que l'élection palestinienne sera presque le premier tour de l'élection israélienne, on va voir combien fait le Hamas. La pire chose serait que, des deux côtés, il y ait des extrêmes. Si le Hamas fait beaucoup, alors il peut y avoir un repli sécuritaire classique et habituel chez les Israéliens, ce qui serait évidemment très mauvais.
Le second enjeu, Kadima est-t-il ancré au centre ou non. Kadima repose-t-il sur la personnalité de M. Sharon ou bien, lui survivra-t-il ?
Je me permets de dire cela mais vous savez, je crois que le but pour nous tous et en particulier pour Javier Solana et pour l'Union européenne est de jouer justement un rôle politique très équilibré, la France en particulier doit avoir un rôle très équilibré, un discours très équilibré entre les deux. Notre but, ce n'est certainement pas l'unilatéralisme.
Ce que je ressens profondément, c'est l'obsession dans le contrôle de la sécurité que l'on peut trouver du côté israélien. En même temps, il y a une obsession de la part de Mahmoud Abbas de faire en sorte qu'il y ait un début d'Etat de droit sur les Territoires palestiniens. C'est là où l'Union européenne peut jouer un rôle excessivement important. Pourquoi dis-je cela ? Car on voit bien que Mahmoud Abbas n'arrive pas à désarmer des mouvements radicaux. Quels sont aujourd'hui les problèmes posés par ces mouvements radicaux ? Il y a le Jihad islamique qui n'a pas envie du tout d'obtenir le processus de paix. Le Hamas, et j'espère que notre pari de faire jouer au Hamas un rôle politique, de faire en sorte qu'il entre dans la vie politique et qu'il lâche les armes soit gagné. Et puis, vous avez les brigades Al-Aqsa. C'est là où Mahmoud Abbas est attendu. Est-il capable de faire en sorte que ces mouvements radicaux n'existent plus ? Je dis, avec Javier Solana et l'Union européenne, que nous devons faire en sorte de continuer à aider les Palestiniens mais, de leur côté, il doit y avoir un début d'Etat de droit et une formation politique palestinienne qui désarme les mouvements.
Je voudrais saluer les deux ambassadeurs que je connais et leur dire combien je suis heureux de les retrouver ce soir via le satellite.
Je voudrais vous poser une question car cela me paraît très important. Depuis le début de l'émission, on parle du désengagement de Gaza, on parle des Territoires palestiniens, mais nous oublions une chose, si les Territoires palestiniens n'ont pas la possibilité de vivre économiquement, il est impossible de penser un seul instant qu'il y aura une possibilité de paix un jour. Je rappelle qu'il y a 60 % de chômage à Gaza et 23 % sur tous les Territoires palestiniens en général.
Q - Non, 40 % en général !
R ? Aujourd'hui, lorsque l'on a 23 % de chômage dans les Territoires palestiniens en général, lorsque l'on a 60 % de chômage chez les jeunes, lorsque l'on a 30 % de PIB de moins par habitant depuis 5 ans, il est impossible d'avoir une perspective pour la jeunesse. Et si la jeunesse n'a pas de perspective, il n'y a aucune perspective de paix. C'est la raison pour laquelle je pense que si Ariel Sharon a eu le courage de se désengager de Gaza, y compris unilatéralement et il fallait le faire comme cela, ce qui manque, de la part des Israéliens, c'est favoriser le renouveau économique de Gaza ou des territoires en général, c'est la libre circulation des biens et des personnes, avec les pays voisins et en particulier avec Israël. Sur ce point, Messieurs les Ambassadeurs, j'aimerais avoir votre avis.
En matière économique, j'ai une proposition. La France joue un rôle important avec l'Union européenne, à la fois dans la formation de la police, dans la formation de certains magistrats, de responsables des collectivités locales, des ONG, de l'eau, mais il y a un sujet qui me paraît important et d'actualité, c'est le port de Gaza.
Le port de Gaza, à la fin des années 1980, était un magnifique projet français, néerlandais et de la Banque européenne d'Investissement. Puis, l'Intifada est arrivé, tout le monde s'est mis un peu en arrière. Aujourd'hui, il faut faire repartir ce projet. Le projet de port en eau profonde est excessivement important, dont le coût représente de 65 à 70 millions d'euros et qui mettrait trois ans à être construit. Il serait le symbole du rétablissement économique de Gaza.
Q - Et quels sont les freins ?
R ? Il y en a deux : à la fois préciser la demande palestinienne et l'autorisation israélienne. C'est là que je pose la question car, depuis Rafah, depuis cette ouverture du point de contrôle entre l'Egypte et Gaza, c'est la première fois que l'Union européenne a joué un rôle vraiment politique et pas uniquement, comme vous le disiez tout à l'heure, le rôle d'un bayeur de fonds des Palestiniens, fermant les yeux et ne demandant rien. Le rôle politique de l'Union européenne est d'amener les Israéliens et les Palestiniens de dire "oui", tous les deux, à une action européenne. Ils l'ont dit pour Rafah, très bien, maintenant, je vous le dis, pour le port de Gaza, nous sommes prêts à le faire avec l'Union européenne, mais entendez-vous enfin pour accepter ce magnifique projet parce que c'est avec des projets comme ceux-là que s'en sortira la jeunesse !
...
Permettez-moi de vous dire une chose que je pense profondément : tant qu'il n'y aura pas un début d'Etat de droit et cela, je le dis également aux Israéliens, tant qu'il n'y aura pas un début d'Etat de droit - ce n'est pas de 80.000 policiers dont vous avez besoin, mais de 10.000 très bons, excessivement bien formés et capables de désarmer les milices ? il ne pourra y avoir un président de l'Autorité palestinienne qui se fera respecter. C'est la même chose pour les magistrats.
Nous formons avec vous et l'Ecole nationale de la Magistrature en France des magistrats à la lutte contre la corruption. Ce sont des choses excessivement importantes et l'Union européenne doit vous aider d'autant plus qu'il y a des résultats. C'est comme cela que nous pourrons sortir de cette crise.
Les terroristes profitent de la misère et de la pauvreté. C'est toujours le cas de la jeune femme veuve qui a deux enfants et qui cherche un logement social, le Hamas lui dit alors : "si le maire ne vous en attribue pas, alors, je vais vous le donner". Ainsi, cela fait une voix de plus pour le Hamas aux élections.
...
Je répondrai aussi qu'il n'y a pas de "canonisation" d'Ariel Sharon depuis qu'il est malade. Je me souviens du voyage d'Ariel Sharon du mois de juillet qui a été considéré comme un succès dans les deux pays. Le président Chirac et le Premier ministre, M. Sharon, ont eu un échange sur le fond, d'abord concernant les relations bilatérales qui sont bonnes.
Q - Ce qui n'a pas toujours été le cas franchement !
R ? Elles n'étaient pas bonnes avant et elles sont très bonnes aujourd'hui.
J'ai assisté à cet entretien. Je crois que, de part et d'autre, il y a eu des avancées, par exemple avec la Fondation que nous avons créée entre Israël et la France. Pourquoi ? La question est de savoir pourquoi ; parce que, à la question que vous posez, si en effet, deux ans avant il y a une sorte d'ostracisme et deux ans après, il y a une "canonisation", on ne peut pas comprendre. En fait, il y a eu un changement, c'est le désengagement de Gaza. On peut penser en effet que c'est un coup politique, que c'est pour mieux recoloniser derrière ; peut-être, mais nous ne le pensons pas. Vous savez en politique, il y a ceux qui font et ceux qui disent. Il y a un moment où l'on fait et Ariel Sharon a fait et ce n'était pas gagné au départ dans la société israélienne d'expliquer que les colons allaient quitter Gaza. Je fais partie de ceux qui pensent qu'en politique, il faut toujours être assez réaliste, il l'a fait. Bien sûr, il fallait continuer avec la Feuille de route et ce n'est pas un désengagement suffisant.
Q - Justement, la situation politique peut paraître incertaine mais n'est-ce pas justement le moment pour l'Europe de faire des propositions, de faire ouvrir des négociations dans une capitale européenne et d'aboutir à des résultats concrets. Finalement, n'est-ce pas une opportunité ?
R - L'opportunité de l'Union européenne, c'est en effet d'exister de plus en plus politiquement, de ne pas laisser uniquement certains pays, comme les Etats-Unis, seuls présents. Que peut faire l'Union européenne ? Trois choses.
Premièrement, les points de contrôle. Nous avons commencé par Rafah, c'est une idée européenne qui a été mise en place par les Européens. Soixante-dix personnes à Rafah aujourd'hui ; les Français sont présents, il y a un budget de 6,5 millions d'euros, il faut continuer par d'autres points car s'il n'y a pas de liberté de circulation des biens et des personnes, il n'y aura pas d'avenir pour les Territoires palestiniens.
Deuxièmement, il y a la formation de cadres, en particulier au sein de la police palestinienne. Je reviens à la sécurité. S'il n'y a pas d'Etat de droit, si Mahmoud Abbas n'est pas capable de désarmer le Hamas ou les brigades Al-Aqsa, il en va de sa crédibilité.
Troisièmement le port de Gaza, j'en ai parlé tout à l'heure mais c'est majeur : les Européens font leur offre, la France en particulier fait son offre. Je me suis rendu récemment en Israël et dans les Territoires palestiniens, à Gaza, avec le Directeur des ports qui travaille pour le ministre des Transports, Dominique Perben. J'y suis allé pour présenter ce projet. Il faut maintenant que les Israéliens et les Palestiniens nous disent "oui". Alors, en ce cas j'y retourne demain.
Q ? Justement, parlons de demain, Philippe Douste-Blazy. Une de nos éditrices souligne, comme certains de nos invités sur le plateau ce soir, qu'on parle à tort de Processus de paix, que c'est un processus de séparation unilatérale et elle se demande si finalement, en cas de victoire du Hamas aux élections, donc en cas de victoire des islamistes, est-ce que ce choix de séparation unilatérale ne risque pas de s'accentuer parce qu'on imagine mal le Hamas en partenaire de négociation pour les Israéliens.
R ? Il ne peut pas exister de séparation unilatérale, c'est impossible.
Q ? Oui, mais sur la question du Hamas...
R ? D'abord, il ne peut pas y avoir de séparation unilatérale, il ne peut y avoir que des processus politiques. C'est vrai pour l'Irak, c'est vrai pour le conflit israélo-palestinien. Il ne peut y avoir que de processus politiques. La force seule ne suffit pas, ne peut pas gagner, ce n'est pas possible.
Q ? Et quelle sera votre position si...
R ? Sur le Hamas, d'abord les sondages ne donnent pas du tout, aujourd'hui, le Hamas gagnant.
Q ? Vous savez, les sondages, on a vu en France ce que cela donnait...
R ? Actuellement on sait qu'il est entre 32 et 34 % à peu près, et le Fatah est aujourd'hui réunifié.
Deuxièmement, sur le Hamas, nous faisons partie de ceux qui pensent, et nous l'avons dit à la communauté internationale, que le Hamas doit connaître une évolution progressive du mouvement armé vers un mouvement politique, un parti politique. Et plus il y aura d'élus, plus il y aura de personnes responsables, plus il y aura de maires, plus il y aura de responsables, plus il pourra y avoir ensuite de cohérence dans la vie politique palestinienne.
Q ? Nous approchons de la fin de l'émission. Donc, je vais m'adresser au ministre des Affaires étrangères, quand même il y a aussi d'autres sujets dont certains sont liés, j'y viendrai.
Bernard Planche, une de nos otages, a été libéré, heureusement libéré. Philippe Douste-Blazy, vous l'avez vu. Il va bien ? Est-ce que vous avez des éclaircissements sur les raisons de son enlèvement, est-ce que c'était politique, crapuleux ?
R ? Je ne sais pas. On a reçu hier Bernard Planche, en effet. Une fois de plus les autorités françaises ont fait ce qu'il fallait, elles ont été au rendez-vous de leur mission d'aide vis-à-vis d'un Français à l'étranger en difficulté. Il est à Orléans, il s'entretient aujourd'hui avec les différents services qui vont lui poser des questions, pour savoir ce qui s'est passé, comment cela s'est passé. Je n'ai rien de plus à dire.
Je voudrais profiter de cette occasion, quand même, pour parler des autres otages ou des personnes qui sont aujourd'hui privées de liberté, des Français privés de liberté, qui n'ont pas encore été retrouvés, pour leur dire que le Quai d'Orsay et la France, l'Etat français continue, avec des hommes et des femmes dont on ne parle jamais, à les chercher et à prendre des risques aussi pour eux, que ce soit en Colombie ou ailleurs. Il n'y pas que l'Irak, il y a malheureusement d'autres endroits aussi où il y a des otages, où il y a des personnes qui n'ont pas été retrouvées et je voulais le dire ici, tout simplement parce que chaque fois qu'on en retrouve un, les familles, les proches des autres peuvent ressentir un sentiment d'abandon et je leur dis ici qu'il n'est pas question de les abandonner.
Q ? Un mot sur l'Union européenne... Est-ce que vous avez une date, parce qu'il y a déjà sept pays qui ont ratifié...
R ? Oui, mais simplement, il faut se tenir à une règle. Nous avons dit que chaque fois que l'Union européenne s'élargira, on demandera à la Commission européenne de nous présenter un rapport pour savoir si ce pays candidat respecte ou non les critères. Nous attendons le rapport de la Commission qui sera fait au mois de mai. Souvenez-vous, lorsque nous avons eu la discussion sur la Turquie, on a dit : "Ecoutez, vous nous dites que la Turquie n'entrera peut-être pas, mais en fait elle entrera. Une fois que cela a commencé, cela finit toujours pas aboutir". Eh bien, voyez-vous, nous répondons à cela : "il y a des critères qui sont demandés aux pays, la Commission fait un rapport, si ce rapport n'est pas bon, eh bien nous verrons si l'on parle ou pas de clause de report." Evidemment, la Roumanie et la Bulgarie entreront.
Q ? La Macédoine aussi ?
R ? Non, cela n'a strictement rien à voir. Donc, ne comparons pas. Roumanie, Bulgarie, oui. Savoir si c'est 2006 ou 2007, cela dépend de la Commission qui fera son rapport.
Sur l'Ancienne République yougoslave de Macédoine, il est, je crois, normal de lui donner une perspective européenne, de donner une perspective européenne aux Balkans. Mais il faut commencer à réfléchir, parce qu'on ne peut pas donner l'impression d'un élargissement permanent de l'Union européenne alors que notre manière de vivre ensemble, notre traité qui nous permet de vivre ensemble ne nous permet pas d'élargir comme cela sans arrêt. C'est la raison pour laquelle non seulement il faut, pour qu'un pays entre dans l'Union européenne dorénavant, que les critères soient respectés par ce pays, mais il faut aussi que l'Union européenne puisse absorber ce nouveau pays. C'est la France qui l'a demandé, je l'avais demandé moi-même au mois de septembre à la demande du président de la République, cela a été accepté par l'ensemble des pays de l'Union européenne. Cela s'appelle la capacité d'absorption. Et je crois qu'après le référendum que nous avons connu ici...
Q - ... ces capacités sont limitées...
R ? Non. Je crois qu'il est important de garder à l'esprit que les opinions publiques doivent comprendre que lorsqu'il y a un élargissement, on pèse le pour, le contre, on en parle en toute transparence, de façon à ne pas donner l'impression aux Européens que l'on parle de l'Union européenne uniquement pour l'élargir. Ce n'est pas que cela. Récemment, il y a eu le lancement de Galileo, je suis bien placé à Toulouse pour le savoir. Eh bien, cela, c'est un projet concret qui parle à tous nos concitoyens. Il ne faut pas cantonner les discussions sur l'Union européenne aux questions de l'élargissement.
Q ? Philippe Douste-Blazy, on va se rapproche de cette région du monde qui est si stratégique avec la question de l'Iran. Dans le contexte difficile de l'après-Sharon, en tout cas politiquement, il y a un contexte régional qui est très compliqué, qui n'est pas vraiment favorable de manière générale - la déstabilisation en Syrie, les élections avec les risques que vous avez évoqués, en tout cas en Palestine, mais aussi la question iranienne, personne n'oublie qu'en 1981 l'aviation israélienne est allée bombarder les installations nucléaires irakiennes.
Les Iraniens ont annoncé aujourd'hui le fait qu'ils allaient briser les scellés sur un certain nombre d'installations, et cela a été fait. L'Union européenne s'est déclarée évidemment très inquiète, tout le monde condamne. Est-ce que vous ne redoutez pas que les autorités israéliennes, après les élections ou dans le cours de la campagne électorale, aient singulièrement envie d'aller résoudre le problème du programme nucléaire iranien ?
R ? Pour répondre à votre question, d'abord, directement : non.
Q ? Vous ne le redoutez pas ?
R ? Je vais vous répondre globalement sur l'Iran, mais d'abord particulièrement sur votre question. Non, parce que je crois tout d'abord que ce serait totalement inefficace et je crois...
Q - ... inefficace... la première fois, ce n'était pas inefficace dans le cadre précédent.
R ? Non, je ne crois pas que ce soit aujourd'hui d'actualité. Par contre, ce qui l'est ce sont deux questions qui concernent l'Iran.
La première, ce sont les propos absolument scandaleux et choquants du président iranien M. Ahmadinejad dont vous n'avez pas parlés, parce que, à mon avis, c'est l'élément majeur. Pouvoir se permettre de dire que l'on peut rayer Israël de la carte ou qu'il faut faire revenir les juifs dans tel ou tel pays, c'est quelque chose de proprement scandaleux, choquant et inacceptable, le président de la République l'a dit, j'ai été aussi l'un des premiers à réagir.
Deuxième chose, c'est aujourd'hui la levée des scellés. Mais cette levée des scellés ne dit rien à personne, alors que cela veut dire enrichissement de l'uranium. Or, je ne connais pas aujourd'hui de programme civil iranien qui justifie cela. Que les Iraniens, que les Coréens du Nord aient droit à l'énergie nucléaire civile...
Q - ... civile, comme le président de la République l'a rappelé aujourd'hui aux v?ux au corps diplomatique...
R ? Mais aujourd'hui, malheureusement, je ne vois pas pourquoi il faudrait enrichir l'uranium en Iran pour faire un programme nucléaire civil. Donc, il y a probablement autre chose. C'est la raison pour laquelle M. El Baradeï, nouveau prix Nobel de la paix et directeur de l'Agence internationale pour l'Energie atomique, estime pour la huitième fois qu'il y a des violations internationales de la part de l'Iran.
Donc, je vais rencontrer mon homologue, Jack Straw, ministre britannique des Affaires étrangères, et mon homologue allemand, M. Frank-Walter Steinmeier dans quelques heures, jeudi après-midi, et nous allons travailler sur ce sujet pour faire une déclaration commune. Car nous devions, comme vous le savez, rencontrer les Iraniens. Nous, Britanniques, Allemands, Français, ceux qu'on appelle l'E3/EU, nous avons, depuis début 2003, au nom de l'Union européenne, voulu négocier, en disant qu'il n'était pas possible que cette grande civilisation - c'est un des plus grands pays du monde - puisse aller jusque-là. Donc, nous leur demandions de suspendre les activités nucléaires sensibles, d'arrêter. Nous leur disions que l'on peut parler, réfléchir ensemble, donner des choses, y compris le nucléaire civil ou faire entrer l'Iran dans l'OMC. Mais il faut arrêter ce programme nucléaire qui pourrait être militaire.
Les Russes ont, il y a quelques jours, proposé d'enrichir l'uranium chez eux. Nous avons cru, à un moment donné, que ce serait possible. C'est un échec aussi. Donc...
Q - C'est la raison pour laquelle je vous posais cette question sur ce précédent israélien. On voit très bien dans la campagne électorale, ou immédiatement après, cette éventualité.
Q - Netanyahu avait commencé à la dire d'ailleurs...
R - Je ne pense pas que ce soit d'actualité, je ne le crois pas en tout cas. Puisque vous me posez la question, je vous réponds qu'à mon avis ce n'est pas d'actualité, Dieu merci. Mais il faut trouver tous les moyens possibles pour faire revenir l'Iran à la raison sur ce sujet. Et si ce n'était pas le cas, il faudrait une nouvelle réunion extraordinaire du Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale pour l'Energie atomique.
Q ? Un mot sur la Syrie pour conclure.
R ? La France s'intéresse essentiellement au Liban, comme vous le savez.
Q ? Mais enfin, M. Khaddam, qui est l'ancien vice-président syrien est en France, à Paris où il a des activités qui ne sont pas...
R - Il n'est pas en rapport avec nous.
Q ? Je n'ai pas dit qu'il avait un bureau au ministère des Affaires étrangères. Je dis simplement qu'il était à Paris et qu'il avait des activités, j'ai cru comprendre, très politiques...
R - Oui, mais qui le regardent, eux.
Q - ...puisqu'il est candidat...
R ? Vous me posez plusieurs questions là. Vous me dites : la Syrie ; ensuite, vous faites comme si M. Khaddam, parce qu'il était en France, avait notre approbation. Donc, soyons clairs : pour nous, dans les rapports Liban-Syrie, c'est le Liban qui nous intéresse dans la mesure où il n'est pas question pour le Liban, comme pour n'importe quel autre pays dans le monde, de voir sa souveraineté bafouée. Donc, un autre pays, fut-ce-t-il son voisin, la Syrie, n'a pas à bafouer sa souveraineté, premièrement.
Deuxièmement, il y a une commission d'enquête internationale, comme vous le savez, pour savoir qui a tué l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri.
Et donc, la position de la France, dans sa résolution 1595, puis dans la nouvelle résolution que nous avons fait voter à l'unanimité au Conseil de sécurité il y a un mois et demi, y compris avec les pays représentant les Etats arabes, les Russes, les Chinois, nous disons : quels que soient les assassins, où qu'ils soient, il est normal de les punir. Voilà la position de la France, ce n'est pas contre la Syrie, c'est pour faire toute la vérité sur cet assassinat odieux. Et d'ailleurs, j'en profite pour dire que les autres assassinats odieux qui sont perpétrés au Liban sur des députés, sur des journalistes, sur des membres de la société civile, sont proprement inacceptables.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 janvier 2006