Interview de M. Christian Jacob, ministre de la Fonction publique, à RMC le 13 janvier 2006, sur le projet de loi relatif à la fonction publique locale.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q- Quelle est la question que vous avez à poser aux auditeurs de RMC ?
R- La question que j'ai envie de poser aux auditeurs de RMC, c'est si aujourd'hui, on ne doit pas, dans notre fonction publique, comme on le fait dans d'autres secteurs, prendre en compte davantage les parcours individualisés ou personnels des agents. C'est-à-dire sortir de cette négociation, telle qu'on l'a chaque année, sur le seul point indice. Les fonctionnaires vont comprendre de quoi je parle : le salaire d'un fonctionnaire, c'est l'addition d'un nombre de points. Le point indice est de 4,44 ?, on démarre à 275 dans la fonction publique et l'échelon maximum doit être à 1.015. Et donc, chaque année, depuis huit ans on est en échec, entre le Gouvernement, qu'il soit de gauche comme de droite - je dois être le quatrième ou cinquième ministre de la Fonction publique dans cette situation -, et les organisations syndicales, parce qu'on ne veut négocier que sur ce point indice. Or j'ai tendance à dire qu'il y a d'autres éléments à prendre en compte...
Q- Le mérite ?
R- Le mérite, avec une approche peut-être collective, pas nécessaire très individualisée - par service, quand je dis "collective". Le fait de faciliter les promotions ; faire marcher l'ascenseur social ; permettre à des agents, qui ont cinq ou dix ans d'expérience, de pouvoir accéder à un grade supplémentaire, sans nécessairement passer par des concours très académiques ; faire bouger notre fonction publique. Elle fonctionne beaucoup mieux que parfois les Français en ont l'image. Il y a des choses formidables qui se font, et ce n'est pas mis en avant.
Q- Votre question donc ?
R- Etes-vous favorable à ce que l'on prenne davantage en compte les parcours individualisés des agents de la fonction publique ?
Q- Etes-vous pour le salaire au mérite des fonctionnaires, c'est la question que vous voulez poser ?
R- Qui peut être collectif...
Q- On va revenir sur le salaire au mérite... Hier, vous avez eu une discussion avec les syndicats, pour la deuxième négociation salariale. Ils ont claqué la porte. Vous proposez 0,5 % d'augmentation, ils veulent 1,8 %. Vous proposez 0,5 % au 1er juillet prochain... Franchement, vous n'avez rien à leur offrir, vous n'avez pas d'argent !
R- Franchement, le débat ne se pose pas comme cela ! Ce que j'ai proposé aux organisations de fonctionnaires, c'est de dire qu'il y a trois éléments dans une négociation : l'objectif est de combler le différentiel de pouvoir d'achat, c'est de maintenir le pouvoir d'achat...
Q- En offrant 0,5 %, vous ne comblez pas...
R- Mais ce n'est pas que cela, le pouvoir d'achat... Le pouvoir d'achat, c'est trois volets : un volet social, un volet statutaire et un volet salarial. Le volet social, c'est par exemple dire qu'il y a dans la fonction publique, des parents de jeunes enfants, qui ont des problèmes de garde d'enfants. Aujourd'hui, si vous êtes dans le privé, vous pouvez bénéficier du chèque service universel, le CSU, qui permet d'avoir une réduction de 30 à 40 % des coûts de garde d'enfants. Si vous êtes fonctionnaire, vous n'en bénéficiez pas. Eh bien, je propose que les fonctionnaires puissent en bénéficier. Quand vous êtes fonctionnaire, vous êtes astreint à de la mobilité, c'est-à-dire que vous devez bouger, changer de département, de région etc. Quand vous changez d'appartement, vous devez verser à votre propriétaire deux voire trois mois de loyer d'avance. Cela représente une sortie de trésorerie très importante. Eh bien, on est en train de travailler pour savoir si l'Etat, pour ses propres agents, ne pourrait pas se porter caution de cela...
Q- Comme les entreprises privées ?
R- Voilà, ce sont quelques exemples du volet social. Ensuite, il y a un autre volet, c'est le volet statutaire. C'est de permettre à un agent de la fonction publique, ce qui arrive souvent en catégorie C - la première catégorie dans la fonction publique, il y a A, B et C, on commence par la C -, qu'il puisse avoir des perspectives de carrière. Aujourd'hui, on rencontre souvent des agents qui vous disent qu'au bout de quinze ans dans la fonction publique, ils sont aux taquets, qu'ils n'ont plus aucune perspective de déroulement de carrière, parce que pour obtenir un grade supplémentaire, il faut qu'ils préparent des concours qui sont très académiques et qu'ils n'ont aucune chance de les avoir. Là-dessus, suite à la recommandation qui nous a été faite par le président de la République à l'occasion de ses voeux, c'est de mettre en place la reconnaissance de l'expérience professionnelle, la REP, de la développer, c'est-à-dire permettre de prendre en compte les cinq ans ou les dix ans d'expérience, pour accéder à un grade supplémentaire. Un échelon supplémentaire, en catégorie C, représente 100 ? par mois, c'est donc quelque chose de très significatif. Quand on négocie sur le seul point indice, 1 % d'augmentation du point indice, pour un agent en catégorie C, c'est 14 ? de plus par mois. On peut donc bien mettre 2 % d'augmentation, cela fera 28 ?...
Q- Vous dites que les syndicats sont rétrogrades, qu'ils ne comprennent pas vos propositions...
R- Non, je ne dis pas que les syndicats sont rétrogrades !
Q- De toute façon, ils ont claqué la porte hier et ils ne sont plus là !Allez-vous vous retrouver avec eux ?
R- Tout à fait, jeudi prochain. Et puis "claquer la porte"... On a discuté pendant deux heures, je pense que l'on a avancé pendant ces deux heures. Et au bout des deux heures, d'un commun accord, on a constaté que l'on n'irait pas plus loin et que donc, il fallait se revoir. C'est comme cela, quand on mène une négociation, on ne boucle jamais tout la première fois, ou la deuxième et peut-être pas la troisième, peut-être une quatrième ! Mais peu importe. Ce qui compte, c'est d'avancer et de prendre en compte le fait qu'il faut que notre fonction publique ait cette image de dynamisme et donc de faire marcher l'ascenseur social, de permettre aux gens qui sont en C de passer en B, de B en A, et d'avoir à chaque fois une possibilité de pouvoir évoluer. Or aujourd'hui, notre fonction publique est trop figée. Et c'est là-dessus que je veux que l'on relève un défi en commun avec les organisation syndicales et que l'on voit comment on peut franchir cette étape, qui permet à mon avis des augmentations de pouvoir d'achat très concrètes et qui sort du système égalitariste.
Q- Les syndicats, eux, seront en mouvement dans la rue, d'après ce que j'ai cru comprendre... J'ai vu que B. Thibault appelle à la mobilisation nationale de salariés pour le 31 janvier...
R- On verra... Je sais que B. Thibault a d'autres soucis avec son congrès et des difficultés internes.
Q- Croyez-vous que cela compte ?
R- Je crois que cela compte un petit peu...
Q- Soyons francs et directs : sur les 0,5 que vous proposez, alors que les syndicats demandent 1,8, êtes-vous prêt à faire un petit effort ? Oui ou non ?
R- Sur la prise en compte du pouvoir d'achat, la réponse est "oui". Mais le pouvoir d'achat, ce n'est pas que le point indice...
Q- Oui, ça, j'ai bien compris ! Mais sur le point indice, êtes-vous, oui ou non, prêt à aller un peu plus loin ?
R- On pourra éventuellement aller plus loin, à condition que l'on s'engage dans une autre approche...
Q- Vous dites donc que oui, vous êtes prêt à faire un petit effort et à aller au-delà des 0,5, à condition que l'on prenne en compte toutes vos suggestions ?
R- Oui, c'est-à-dire que l'on raisonne sur la globalité et que l'on raisonne sur le pouvoir d'achat. Et c'est cela qui est important ! Vous savez, le fonctionnaire qui travaille au quotidien, que ce soit sur le point indice ou sur autre chose, j'ai envie de dire qu'il s'en fiche un peu. Ce qu'il veut, c'est maintenir son pouvoir d'achat. Et c'est cette approche que l'on veut mettre en place et, en même temps, valoriser leur action au quotidien. Je ne veux plus rencontrer de gens qui me disent qu'ils sont désabusés, parce qu'au bout de dix ans de carrière, c'est terminé, ils n'ont plus de possibilité d'évolution.
Q- Avançons, faites une proposition aux syndicats, ce matin sur RMC !
R- Les choses ne se passent pas comme cela ! Parce qu'il faudrait aussi que j'aie en face de moi...
Q- Vous croyez que je suis en train de vous piéger ?! Non ! Il faut écoute et je vous dis : faites une proposition globale aux syndicats, allez-y !
R- Tout à fait, mais c'est ce que j'ai fait hier. J'ai dit : prenons en compte ce que je propose sur le volet social...
Q- "Je donne 0,8, mais à côté de cela, vous acceptez mes propositions sur le volet social" ?
R- Ce que je propose sur le volet social et statutaire, cela représente à peu près 500 millions d'euros. C'est-à-dire que si on le traduit en point indice, c'est 0,6 % d'augmentation. Je rappelle qu'au 1er novembre de l'année dernière, il y a donc deux mois, il y a eu 0,8 % d'augmentation du point indice...
Q- C'était un rattrapage...
R- Non, non, enfin...
Q- Oui !
R- Il y a eu 0,8 il y a deux mois, 0,5 en juillet... Et ce que je propose aujourd'hui sur mon volet social et statutaire, c'est l'équivalent de 0,6. Vous voyez donc que si l'on ajoute les 0,8 du mois de novembre dernier, les 0,5 de juillet, cela fait 1,3. Plus 0,6 qui sont aujourd'hui proposés dans le volet social et statutaire, on peut arriver à cette compensation du pouvoir d'achat. C'est donc cela qui est important : c'est de redonner et de la dynamique, et de l'espoir...
Q- Cela ferait donc 0,6...
R- ...Il faut qu'elle ait cette image de modernité que les agents ont envie de lui donner.
Q- Je sens que vous n'êtes pas prêt à céder.
R- Je suis ouvert à la discussion, mais on est sur un pacte global. Il faut se sortir... Sur le point d'indice, depuis huit ans, il y a un échec ; depuis huit ans, il n'y a jamais eu d'accord, il y a sans doute une raison ! Je veux que l'on dise qu'à un moment on dise que le ministre ne comprend pas, n'écoute pas, etc., tout ça, d'accord. Simplement, pourquoi pendant huit années de suite, que les Gouvernements soient de gauche ou de droite a-t-on échoué dans la négociation ?
Q- Vous avez écouté N. Sarkozy ou peut-être parce que vous étiez en négociations...
R- J'étais un peu occupé à autre chose hier...
Q- N. Sarkozy dit qu'on ne remplacera pas la moitié des fonctionnaires qui abandonnent la vie active. Il va très loin, il va beaucoup plus loin ! Etes-vous d'accord avec cela ?
R- Il y a les formules et il y a le concret au quotidien.
Q- Mais je vous demande si vous êtes d'accord avec cette idée.
R- C'est trop facile de répondre par une formule. Que faisons-nous au quotidien ? Le Premier ministre nous a demandé de mettre en place de que l'on appelle la GRH - c'est-à-dire la gestion des ressources humaines - ministère par ministère. Je vais le faire avec sept ministères dès la fin du mois de janvier, avec le ministre du Budget. Ensemble, on va voir, ministère par ministère, quels sont les modes de recrutement, quels sont les départs en retraite, quels sont les niveaux de recrutement, de combien d'agents a-t-on besoin, poste par poste. Et on avance dans cela. Je pense qu'avec les efforts qui sont faits en matière de réforme de l'état - la réforme de l'état ne concerne pas le ministère de la Fonction publique, mais celui du Budget, mais peu importe, on travaille ensemble avec J.-F. Copé sur ce sujet -, on peut arriver à apporter un service équivalent avec sans doute moins d'agents. Mais à condition que cela s'accompagne d'une réforme des services de l'état en même temps.
Q- Vous n'allez donc pas aussi vite que le président de l'UMP ?
R- C'est pour cela qu'au-delà des slogans, il y a la réalité et la réalité c'est
se retrousser les [manches]...
Q- N. Sarkozy se mêle-t-il de ce qui ne le regarde pas ?
R- Ce qu'attendent les Français aujourd'hui, c'est d'avoir des ministres qui soient au travail dans les secteurs qui sont les leurs, c'est-à-dire le ministre de l'intérieur sur les problèmes de sécurité, le ministre de la fonction publique sur la fonction publique et le ministre du Budget sur le budget. On a une année 2006 qui est une année utile : chacun son travail. Viendra en 2007 le temps des élections, on abordera tous ces sujets. Aujourd'hui, ce qui préoccupe les Français, ce sont les problèmes d'emploi, ce sont les problèmes de sécurité, ce sont les problèmes de dette, c'est tout cela. Et ils ont envie d'avoir un Gouvernement au travail. C'est ce que l'on essaye de faire au quotidien.
Q- Pour vous, c'est une année utile, pour lui, c'est une année marchepied pour 2007... Est-ce qu'il se mêle de ce qui ne le regarde pas ?
R- Ce n'est pas à moi de commenter les positions de N. Sarkozy.
Q- Mais c'est le président de l'UMP et vous appartenez à l'UMP !
R- Oui, je suis le président d'une des dix premières fédérations, l'UMP de Seine-en-Marne...
Q- Oui, je le sais et vous êtes plutôt chiraquien...
R- Oui, tout à fait et je n'imagine pas qu'il y ait un ministre qui ne le soit pas. On ne peut pas être au Gouvernement et ne pas se sentir en adéquation avec le président de la République, sinon, il y a un problème...
Q- Mais y a-t-il un problème ?
R- Moi, je n'ai pas de problème.
Q- Vous non, mais d'autres auraient un problème ?R- C'est à eux qu'il faut poser la question s'ils ont des problèmes existentiels.