Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à "La Chaîne info" le 7 décembre 2005, sur le financement de l'Unedic et les négociations salariales dans la fonction publique.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

P.-L. Séguillon - Le Medef et les organisations syndicales se retrouvent aujourd'hui pour une quatrième séance pour discuter du financement de l'Unedic qui, aujourd'hui est frappé d'un déficit de près de 14 milliards d'euros. Avez-vous le sentiment, d'une manière générale - on va revenir sur les détails - que l'on va vers un blocage ou qu'il y a encore une possibilité de compromis d'ici à la fin de l'année ?
R - C'est 14 milliards d'euros en cumulé, ce n'est pas sur une année...
Q - J'entends bien...
R - Oui, mais c'est important. Tant que la négociation dure, il n'y a pas de situation de blocage. Il y a blocage quand la négociation n'arrive pas à déboucher. Donc on est encore en train de négocier même si, pour le moment, il y a un écart encore grand entre ce que demandent les organisations syndicales, dont FO, et les propositions du patronat. Il est évident que le fossé est encore très grand. Mais tant que la négociation dure, il y a toujours possibilité de conclure.
Q - Précisément : le patronat, le Medef, lui, souhaiterait un retour à la dégressivité des indemnités de chômage. Est-ce que c'est un refus total de votre part ?
R - Non seulement c'est un refus, mais je dirais, d'une certaine manière, que c'est du pipeau.
Q - C'est du pipeau de la part de qui ?
R - Du patronat. Quand je dis que c'est du pipeau, d'une certaine manière, cela a été obtenu avec un décret cet été, le décret sur le contrôle des chômeurs qui rétablit - je ne vais pas rentrer dans le détail ? d'une certaine manière, une possibilité de dégressivité. Donc il y a les annonces qui sont faites mais dans la réalité, la dégressivité n'est pas l'un des enjeux du débat. L'un des enjeux du débat, c'est la réduction de la durée d'indemnisation des chômeurs. Là, nous, on n'est pas d'accord, bien entendu.
Q - Peut-il y avoir un compromis sur la réduction de cette durée, selon, peut-être des filières ? C'est ce que semblait suggérer le ministre du Travail, ici même, G. Larcher, il y a deux jours...
R - Sur la durée d'indemnisation en tant que telle - dans telles conditions, vous êtes indemnisé 23 mois -, c'est pas possible de réduire. Après, est-ce que l'on peut modifier - mais cela se regarde de manière précise ? sur des filières, cela ne veut pas dire réduction de la durée d'indemnisation, c'est autre chose. On peut toujours modifier et regarder les choses sur les filières. Par contre, il faut que le patronat réponde clairement, il est bloqué sur certains points. Je prends un exemple : nous demandons ? et c'est un point fort - qu'il y ait quelque chose sur les contrats précaires. Quand je dis quelque chose, on appelle cela une "surcotisation". Pour le moment, par exemple, c'est un point sur lequel le patronat est complètement bloqué. S'il bloque de manière intransigeante sur ces points-là, la négociation ne risque pas d'évoluer beaucoup.
Q - Il y a un autre point, vous l'avez souvent fait remarqué : en l'espace de quinze à vingt ans, la contribution de l'Etat au financement de l'Unedic a été réduite par trois pratiquement. Est-ce que vous réclamez - je crois que seule FO le souhaitait - que l'Etat augmente son apport au financement de l'Unedic ou est-ce impossible aujourd'hui, étant donné que l'Etat n'a pas un sous en réalité ?
R - Quand il veut en trouver, il en trouve. Quand il a fallu donner 1,5 milliard d'aides aux hôtels, cafés, restaurants l'année dernière, il n'avait pas plus de sous et il les a trouvés !
Q - Vous regrettez cela ?
R - Je le regrette surtout, parce qu'à l'époque, la profession s'était engagée à des contreparties salariales et qu'elle n'a pas tenu ces engagements.
Q - Vous n'avez pas vu un emploi ?
R - Je ne parle pas d'emploi. A l'époque, la profession s'était engagée à renégocier les salaires minima de la branche, qui datent de 1997. Ils n'ont pas tenu leur engagement...
Q - Elle s'était aussi engagée à créer des emplois...
R - Oui. Donc, quand l'Etat veut trouver de l'argent, il en trouve d'une manière ou d'une autre. Le problème posé, c'est que dans l'indemnisation globale du chômage, il y a la part qui relève de l'assurance-chômage, des partenaires sociaux en tant que gestionnaires du système, mais il y a aussi une part qui relève de l'Etat. Le RMI, l'allocation spécifique de solidarité, ce sont deux exemples qui relèvent de l'Etat. Or le fait que l'Etat, au fil des années, ait réduit sa participation, cela pèse plus sur l'Unedic. Donc il faut qu'il y ait une clarification entre l'Etat et l'Unedic. Et cette clarification se traduit, à un moment donné, par le fait que l'Etat doive participer plus à l'indemnisation globale du chômage, c'est sûr.
Q - Curiosité de ma part, au passage : la présidence de l'Unedic est aujourd'hui assurée par le Medef. C'est en l'occurrence monsieur Gautier-Sauvagnac ; c'est une présidence tournante. Est-ce que FO serait candidat, le cas échéant, à cette présidence, ensuite ?
R - Non, comme je le dis, quand je me lève le matin et que je me rase, je ne pense vraiment pas à une présidence. Vous savez, on ne négocie pas en se disant que c'est pour avoir la présidence. Ceux qui ont cela en tête, cela veut dire qu'ils veulent absolument l'avoir et qu'ils sont prêts à signer n'importe quoi. Nous, ce n'est pas notre problème. Notre problème, c'est d'avoir une bonne convention. Si on arrive à un bon accord, on sera signataire. Maintenant, c'est ce que j'explique depuis deux ans : nous sommes des réformistes exigeants. Si l'on considère que le compromis n'est pas bon, on ne signera pas. L'objectif n'est pas la présidence ; l'objectif, c'est le contenu de la négociation.
Q - Autre réunion, celle-là avait lieu hier entre le ministre de la Fonction publique et les organisations syndicales. Cela a abouti à un blocage. Le ministre de la Fonction publique dit que le dialogue n'est pas rompu. Question pratique d'abord : deux réunions sont prévues, une sur le volet social, l'autre sur les questions statutaires d'ici à la fin de l'année, avant, selon le ministre, que soit présenté un chiffrage de l'augmentation de l'indice en janvier. Est-ce que vous êtes pour boycotter ces réunions ou pour continuer la discussion ?
R - D'abord, il y a quand même un problème de méthode. Le ministre de l'Economie et des Finances parle beaucoup de "vérité", "transparence" etc. Là, on va négocier, fin d'année voire début d'année prochaine, la question salariale, c'est-à-dire une fois que le budget est voté ! Je ne comprends pas cela au strict plan de la méthode.
Q - Rien n'est prévu au niveau du budget ?
R - J'ai cru comprendre dans un débat hier que, pour le moment, que ce sont 100 ou 200 millions d'euros, ils peuvent en mettre plus ! Donc, rien n'est prévu dans l'immédiat. Et en terme de méthode, il aurait fallu pouvoir négocier avant la fin de l'année, c'est évident. Les trois éléments doivent être dissociés, selon nous. Donc il n'est pas question de s'engager sur un élément, tant qu'il n'y a pas... [On a dit qu'il fallait] renverser les choses. La première chose, c'est de négocier sur les salaires par rapport à l'inflation 2006. Et ensuite, les autres thèmes, on est prêts à en discuter, bien entendu, mais on ne doit pas mélanger les trois thèmes, [ce sont] trois négociations séparées...
Q - Concrètement, irez-vous aux réunions qui précédent la fin de l'année, qui ne concernent pas le chiffrage... ?
R - On ne prendra aucun engagement...
Q - Vous serez présents mais vous ne prendrez pas d'engagement ?
R - Oui, et puis il faut que le Gouvernement avance. Je ne mets pas en cause le ministre, le ministre fonctionne sur un mandat de Matignon, y compris en termes financiers...
Q - En réalité, il n'a pas un sou, vous le savez bien...
R - Oui, maintenant, il parait que Gouvernement va nous recevoir la semaine prochaine, les interlocuteurs sociaux. Le Premier ministre serait enfin décidé, deux mois après, à répondre un peu aux revendications du 4 octobre. Cela fera partie, si c'est effectivement en début de semaine, des question qu'on lui posera. Quand on ouvre une négociation, il vaut mieux avoir des biscuits dans la poche.
Q - Etes-vous prêts, comme l'an dernier, à des journées d'action début janvier ?
R - Pour le moment, on n'en est pas là. Aujourd'hui, on veut enfin avoir les réponses du Gouvernement, notamment sur des questions qui nous intéressent nous, pas uniquement celles qui les intéressent lui, à savoir notamment en terme de pouvoir d'achat. Après, nous avons dit, il y a plus de trois semaines, que si nous devons faire une action aujourd'hui, ce n'est pas une énième manifestation. Il faut une action plus franche, une action de grève. Cela suppose que plusieurs organisations syndicales soient d'accord. Pour le moment, je n'ai pas senti, de la part de mes collègues, beaucoup d'optimisme sur ce point. Donc on refera le point au moment opportun.
Q - A propos du contrat "nouvelles embauches", hier, G. Larcher a dit qu'il y a 200.000 contrats enregistrés depuis l'entrée en vigueur du dispositif en août. Vous étiez contre ce contrat. Est-ce une réussite !
R - Mais qui dit mieux ? Il faut bien comprendre que, premièrement, c'est difficilement vérifiable. Deuxièmement, combien de substitution, combien de gens auraient été pris dans les entreprises de moins de 20 salariés, en CDI ou en CDD, et finalement sont pris en CNE ? Cela, on ne le sait pas non plus. Je vous rappelle que chaque jour, dans notre pays, il y a 30.000 contrats de travail signés. Alors même 200.000, ce n'est pas terrible ! Et puis, ce que je crains, c'est que le Gouvernement [dise] "200.000, 300.000... ! - on va arriver à un concours bientôt ! -, et dise "vous voyez, ça marche" et que maintenant, on l'étend dans toutes les entreprises, quel que soit le nombre de salariés. Et on aura mis une flexibilité, un contrat d'essai de deux ans.(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 13 décembre 2005)