Texte intégral
Q- Nous sommes plus de 6 milliards sur Terre depuis hier. Un tel chiffre appelle forcément
un commentaire de la part d'un responsable de fédération agricole.
R.- Oui, on a appelé le cycle de Doha "le cycle du développement", et je crois qu'on devrait
avoir comme ambition, vraiment, de développer l'agriculture dans l'ensemble des régions du
monde, parce qu'il faudra nourrir cette population de 6 milliards d'habitants qui va encore
croître. Il y aura des besoins alimentaires énormes et je pense que l'enjeu est
effectivement de permettre à toutes les agricultures, et particulièrement en Afrique, en
Inde et ailleurs, de se développer.
Q- Vous avez assisté aux discussions du sommet de l'organisation mondiale du commerce ;
l'agriculture européenne était au coeur des débats, tant à Hong Kong qu'à Bruxelles :est-ce
que vous vous êtes senti accusé ? Dans quel état d'esprit terminez-vous cette année ?
Colère, amertume, découragement ou autre ?
R- C'était en tous cas une fin de semaine de tous les dangers. On est arrivés à Hong Kong
totalement mis au banc des accusés, ce qui peut paraître assez choquant dans la mesure où
l'Union européenne avait fait des propositions, mis un certain nombre de choses sur la
table. Et choquant aussi parce que l'ensemble des soutiens à l'agriculture européenne est
transparent, alors que ce n'est pas le cas dans d'autres grands pays du monde - je pense aux
Etats-Unis en particulier. Et il est vrai aussi que dans le débat à Bruxelles, on voyait
bien qu'en arrière pensée, chez T. Blair, il y avait également la politique agricole. Donc,
on était inquiets de cette fin de semaine ; cela c'est plutôt bien passé à Bruxelles ; à
Hong Kong c'est loin d'être équilibré.
Q- Vous avez parlé d' "accord déséquilibré" ; en quoi est-ce qu'il est déséquilibré ? Vous
pensez qu'on a trop parlé des exportations ?
R- C'est à dire qu'en fait, nous voulions que l'on ne dissocie pas l'ensemble des sujets
agricoles, que l'on lie les efforts que nous étions prêts à faire, que nous allons faire en
matière d'abandon de subventions à l'exportation, avec tout le volet des importations sur
notre marché. Or il y a eu des avancées à Hong Kong sur le volet exportation : nous allons
éliminer nos subventions d'ici à 2013, alors absolument rien, rien, rien n'est réglé pour la
partie importation. Et là, nous allons être mis une nouvelle fois en difficulté dans des
négociations qui vont reprendre au cours du premier semestre 2006, inévitablement ! Je
considère que la proposition faite par notre commissaire européen, monsieur Mandelson,
chargé des négociations, finalement chargé de notre avenir, ces propositions ne peuvent plus
tenir parce que nous avons fait des concessions à Hong Kong en fin de semaine. Il faut qu'il
rebâtisse sa proposition en matière d'importation, parce que les autres n'ont pas fait
d'efforts. Je crains le pire par rapport aux avancées de Hong Kong. Pour prendre les
Américains : leurs subventions à l'exportation se présentent sous forme de crédits à
l'export, sous forme d'aide alimentaire.
Q- Ce n'est pas aussi transparent...
R- Ce n'est pas du tout transparent. Or toute la semaine, monsieur Portman, représentant les
Etats-Unis, n'a cessé de dire que l'aide alimentaire n'est pas une subvention à
l'exportation. Je pourrais même ajouter que leur propre politique agricole, qui est une
politique de prix garanti, est une forme de subvention à l'exportation. Donc je trouve que
cette négociation, ces avancées à Hong Kong sont déséquilibrées, en totale défaveur pour
l'Union européenne.
Q- On a eu tort de laisser le volet agricole [inaud] une négociation séparée ? C'est L.
Guyau qui parle, le président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. Il pose
même la question :l'agriculture doit t-elle rester dans l'OMC ? Quel est votre avis ?
R- Disons que l'agriculture doit être traitée de manière différente de l'ensemble des autres
secteurs du commerce. Mais on ne peut pas non plus ignorer le fait qu'il y ait un commerce
de produits agricoles et de produits alimentaires. Donc, ce que je souhaiterais, c'est qu'au
sein de l'organisation mondiale du commerce, on puisse traiter l'agriculture de manière
différenciée. Et que l'on veuille bien aborder ce grand marché mondial par grandes régions
du monde. Parce qu'on a besoin de règles, c'est l'objectif de l'organisation mondiale du
commerce, on a besoin de regarder s'il n'y a pas des distorsions de concurrence. Mais cela
devrait pouvoir se faire de manière un peu différenciée. J'ajoute que nous avons le souci
d'aider les pays en développement...
Q- Oui, c'est ce que j'allais vous dire : comment est-ce qu'on rend compatible cette
nécessaire solidarité, parce que c'est presque une question de morale, avec la mission qui
est aussi de ne pas désespérer l'agriculture française ?
R- Il faut à la fois continuer d'avoir une véritable ambition pour notre agriculture
française, notre agriculture européenne, et en même temps se dire que les agricultures - je
pense notamment à l'agriculture de l'Afrique de l'Ouest, je pense à l'Inde, à d'autres pays
en développement comme ceux-là -, de ces pays ont besoin d'une protection de leur
agriculture. Ils ne connaîtront pas le développement de leur agriculture sans
protectionnisme. Et donc, j'ai presque envie de souhaiter pour eux ce que nous avons connu,
nous, il y a une quarantaine d'années, une politique agricole commune, de façon à ce qu'ils
soient protégés dans leur développement. C'est la raison pour laquelle il était normal qu'il
y ait aussi des avancées en matière de subventions à l'exportation.
Q- Vous disiez, "accord déséquilibré" coté OMC, plutôt équilibré en Europe : la France a
gagné à Bruxelles, puisqu'on on ne touchera pas la Politique agricole commune avant 2014 -
c'est P. Douste- Blazy qui le disait. Quelle est la France qui a gagné au fait ?
R- Je ne sais pas si quelqu'un a gagné à Bruxelles. Ce qui est certain c'est que le Premier
ministre anglais voulait absolument mettre à mal la politique agricole européenne. Il n'a
pas d'ambition pour l'agriculture, c'est son droit. Mais je ne souhaite pas et je n'espère
pas que l'Europe s'appuiera sur le modèle anglais en matière agricole parce que sinon, nous
deviendrions totalement dépendants en matière alimentaire, en matière d'alimentation. Je ne
pense pas que les consommateurs européens souhaitent cela quand, dans le même temps, ils
nous demandent beaucoup d'efforts en matière de qualité, d'environnement, de bien-être
animal.
Q- ...Et de sécurité alimentaire.
R- Oui et de sécurité alimentaire, sur le plan sanitaire notamment. Donc, de ce point de
vue, je pense que les décisions à Bruxelles préservent les choix qui ont été faits, fin
2002, en matière de politique agricole jusqu'en 2013. Mais il va falloir très vite se dire,
"ce sera quoi après 2013 ?". Et c'est la raison pour laquelle, après les avancées de Hong
Kong, après ce débat européen, ces décisions au niveau du budget de l'Union européenne, et
constatant aussi la très mauvaise année que nous venons de vivre en 2005, en France, au
niveau agricole, avec une baisse de revenus de l'ordre de 10 %, je demande pour le début de
l'année 2006, un rendez-vous chez le Premier ministre. Parce qu'il est grand temps de faire
le point avec le Gouvernement pour savoir là où nous allons et de quelle manière on va
pouvoir accompagner notre agriculture dans des mutations indispensables, dans des
adaptations indispensables. Les décisions qui ont été prises à Hong Kong vont toucher un
certain nombre de secteurs : je pense aux secteurs des produits laitiers, je pense aux
secteurs de la volaille, je pense même aux secteurs des grandes cultures et on voit aussi la
concurrence en matière de fruits et légumes ; donc, cela est lié à d'autres aspects, aux
aspects, notamment, de coûts de la main d'oeuvre. Je crois qu'il est grand temps que nous
fassions le point avec le Premier ministre pour dire de quelle manière on va garder une
véritable ambition pour notre agriculture.
Q- Mais "faire le point", vous avez l'impression qu'il y a eu une carence de réflexion sur
ce thème ces derniers mois, ces dernières années ?
R- Je dirais ces dernières années. Il est grand temps de donner de la lisibilité. On
constate une baisse importante des installations des jeunes, le monde paysan doute alors
qu'il est grand temps de lui dire, "voilà la direction où nous allons", et à partir de là,
que l'agriculteur retrouve confiance. Il aura confiance, évidemment, par les résultatsqu'il
fera sur son exploitation, mais il aura surtout confiance parce qu'on ne changera pas de
politique tous les matins. On ne peut pas réformer la politique agricole en 2003, avec une
application au mois de janvier, et se demander si cette politique ne va pas être changée
encore dans deux ans. On ne peut pas faire toutes ces réformes pour aller à d'organisation
mondiale du commerce et laisser penser que les cartes pourraient être rebattues le lendemain
matin. Nos agriculteurs ont besoin de lisibilité. Donc, il faut maintenant que le
Gouvernement dise, "sur le plan européen, voilà la ligne jusqu'en 2013 ; sur le plan
international, voilà la manière dont nous allons nous battre". Et à partir de là, conduisons
une politique s'appuyant sur la loi d'orientation agricole qui vient d'être votée.
Q- Mais est-ce que T. Blair n'a pas imposé une clause de révision dès 2008 ?
R- Il a imposé une clause de révision je crois, si j'ai bien compris, sur le budget de
l'Europe. Et il me semble qu'en même temps, il est lacté que pour la politique agricole, ce
qui a été décidé fin 2002, ne serait pas revu si la période 2007-2013 est désormais
clarifiée. Se pose la question d'un des éléments de la politique agricole, qui est la
politique de développement rural. Et là, je regrette beaucoup, alors que tout le monde
reconnaît que l'agriculture est un secteur économique très important en matière d'emplois,
très important en matière d'aménagement du territoire, qu'on baisse la garde, qu'on n'ait
pas plus d'ambition que cela en matière de politique de développement rural. Mais on peut en
parler même avec le Gouvernement.
Q- Cela fait beaucoup de boulot pour D. de Villepin... Il a promis une année utile, vous
allez le voir à l'oeuvre.
R- J'espère que ce sera une année meilleure pour le monde paysan parce qu'on ne peut pas
vivre une autre année comme celle que nous venons de connaître, dans bon nombre de
productions.
Q- Qui, aujourd'hui, dans la classe politique défend le monde agricole : J.-M. Lemétayer, J.
Bové ou D. de Villepin ?
R- En tous cas, je ne fais pas partie de la classe politique, je suis au service de
l'ensemble des paysans français. Mais j'aimerais que, sans différenciation au sein du monde
politique, tout le monde ait une vraie ambition pour l'agriculture et le monde paysan
français.
Q- Et le monde agricole jouera un rôle de pression dans les campagnes politiques qui
s'annoncent, et dieu sait s'il y en a dans les mois qui viennent...
R- J'aimerais, effectivement, de ce point de vue-là, qu'on ait de l'ambition pour
l'agriculture, pas seulement quand il y a la campagne électorale,parce que c'est vrai que
quand on se met à sillonner les routes de France, ces belles routes de campagne, que tout le
monde apprécie, qu'on n'ait pas une pensée pour l'agriculture qu'à ces moments là, qu'on en
ait tout le temps. Et que le budget de l'agriculture soit un budget ambitieux pour faire en
sorte que notre agriculture reste ce secteur économique et social qu'attendent les Français.
Nous sommes capables de participer à la lutte contre le chômage ; les emplois de
l'agriculture, en France, c'est 14 à 15 % des emplois. Donc je pense qu'on a notre rôle à
jouer et le Gouvernement doit pouvoir s'en rendre compte.
Q- La vigilance à laquelle J. Chirac appelle l'ensemble des interlocuteurs et des acteurs
autour de la politique agricole, c'est le mot qu'il faudrait ressortir ? N'allez-vous pas
perdre beaucoup le jour où il ne sera plus à l'Elysée ?
R- Je pense qu'il faut qu'il y ait une unanimité de vue sur les enjeux que représente
l'agriculture dans notre pays. Cela vaut pour les politiques, cela vaut pour l'ensemble du
monde économique. J'ai eu l'occasion de m'expliquer récemment avec L. Parisot, la présidente
du Medef, par rapport à ces négociations à l'organisation mondiale du commerce. Les
industries agro-alimentaires dans certaines régions de France, c'est le tissu même de ces
régions, tissu économique et social de ces régions. Et je crois que même avec l'ensemble des
syndicats de salariés, tout le monde doit comprendre ce que représente notre grand secteur.(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 décembre 2005)
un commentaire de la part d'un responsable de fédération agricole.
R.- Oui, on a appelé le cycle de Doha "le cycle du développement", et je crois qu'on devrait
avoir comme ambition, vraiment, de développer l'agriculture dans l'ensemble des régions du
monde, parce qu'il faudra nourrir cette population de 6 milliards d'habitants qui va encore
croître. Il y aura des besoins alimentaires énormes et je pense que l'enjeu est
effectivement de permettre à toutes les agricultures, et particulièrement en Afrique, en
Inde et ailleurs, de se développer.
Q- Vous avez assisté aux discussions du sommet de l'organisation mondiale du commerce ;
l'agriculture européenne était au coeur des débats, tant à Hong Kong qu'à Bruxelles :est-ce
que vous vous êtes senti accusé ? Dans quel état d'esprit terminez-vous cette année ?
Colère, amertume, découragement ou autre ?
R- C'était en tous cas une fin de semaine de tous les dangers. On est arrivés à Hong Kong
totalement mis au banc des accusés, ce qui peut paraître assez choquant dans la mesure où
l'Union européenne avait fait des propositions, mis un certain nombre de choses sur la
table. Et choquant aussi parce que l'ensemble des soutiens à l'agriculture européenne est
transparent, alors que ce n'est pas le cas dans d'autres grands pays du monde - je pense aux
Etats-Unis en particulier. Et il est vrai aussi que dans le débat à Bruxelles, on voyait
bien qu'en arrière pensée, chez T. Blair, il y avait également la politique agricole. Donc,
on était inquiets de cette fin de semaine ; cela c'est plutôt bien passé à Bruxelles ; à
Hong Kong c'est loin d'être équilibré.
Q- Vous avez parlé d' "accord déséquilibré" ; en quoi est-ce qu'il est déséquilibré ? Vous
pensez qu'on a trop parlé des exportations ?
R- C'est à dire qu'en fait, nous voulions que l'on ne dissocie pas l'ensemble des sujets
agricoles, que l'on lie les efforts que nous étions prêts à faire, que nous allons faire en
matière d'abandon de subventions à l'exportation, avec tout le volet des importations sur
notre marché. Or il y a eu des avancées à Hong Kong sur le volet exportation : nous allons
éliminer nos subventions d'ici à 2013, alors absolument rien, rien, rien n'est réglé pour la
partie importation. Et là, nous allons être mis une nouvelle fois en difficulté dans des
négociations qui vont reprendre au cours du premier semestre 2006, inévitablement ! Je
considère que la proposition faite par notre commissaire européen, monsieur Mandelson,
chargé des négociations, finalement chargé de notre avenir, ces propositions ne peuvent plus
tenir parce que nous avons fait des concessions à Hong Kong en fin de semaine. Il faut qu'il
rebâtisse sa proposition en matière d'importation, parce que les autres n'ont pas fait
d'efforts. Je crains le pire par rapport aux avancées de Hong Kong. Pour prendre les
Américains : leurs subventions à l'exportation se présentent sous forme de crédits à
l'export, sous forme d'aide alimentaire.
Q- Ce n'est pas aussi transparent...
R- Ce n'est pas du tout transparent. Or toute la semaine, monsieur Portman, représentant les
Etats-Unis, n'a cessé de dire que l'aide alimentaire n'est pas une subvention à
l'exportation. Je pourrais même ajouter que leur propre politique agricole, qui est une
politique de prix garanti, est une forme de subvention à l'exportation. Donc je trouve que
cette négociation, ces avancées à Hong Kong sont déséquilibrées, en totale défaveur pour
l'Union européenne.
Q- On a eu tort de laisser le volet agricole [inaud] une négociation séparée ? C'est L.
Guyau qui parle, le président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. Il pose
même la question :l'agriculture doit t-elle rester dans l'OMC ? Quel est votre avis ?
R- Disons que l'agriculture doit être traitée de manière différente de l'ensemble des autres
secteurs du commerce. Mais on ne peut pas non plus ignorer le fait qu'il y ait un commerce
de produits agricoles et de produits alimentaires. Donc, ce que je souhaiterais, c'est qu'au
sein de l'organisation mondiale du commerce, on puisse traiter l'agriculture de manière
différenciée. Et que l'on veuille bien aborder ce grand marché mondial par grandes régions
du monde. Parce qu'on a besoin de règles, c'est l'objectif de l'organisation mondiale du
commerce, on a besoin de regarder s'il n'y a pas des distorsions de concurrence. Mais cela
devrait pouvoir se faire de manière un peu différenciée. J'ajoute que nous avons le souci
d'aider les pays en développement...
Q- Oui, c'est ce que j'allais vous dire : comment est-ce qu'on rend compatible cette
nécessaire solidarité, parce que c'est presque une question de morale, avec la mission qui
est aussi de ne pas désespérer l'agriculture française ?
R- Il faut à la fois continuer d'avoir une véritable ambition pour notre agriculture
française, notre agriculture européenne, et en même temps se dire que les agricultures - je
pense notamment à l'agriculture de l'Afrique de l'Ouest, je pense à l'Inde, à d'autres pays
en développement comme ceux-là -, de ces pays ont besoin d'une protection de leur
agriculture. Ils ne connaîtront pas le développement de leur agriculture sans
protectionnisme. Et donc, j'ai presque envie de souhaiter pour eux ce que nous avons connu,
nous, il y a une quarantaine d'années, une politique agricole commune, de façon à ce qu'ils
soient protégés dans leur développement. C'est la raison pour laquelle il était normal qu'il
y ait aussi des avancées en matière de subventions à l'exportation.
Q- Vous disiez, "accord déséquilibré" coté OMC, plutôt équilibré en Europe : la France a
gagné à Bruxelles, puisqu'on on ne touchera pas la Politique agricole commune avant 2014 -
c'est P. Douste- Blazy qui le disait. Quelle est la France qui a gagné au fait ?
R- Je ne sais pas si quelqu'un a gagné à Bruxelles. Ce qui est certain c'est que le Premier
ministre anglais voulait absolument mettre à mal la politique agricole européenne. Il n'a
pas d'ambition pour l'agriculture, c'est son droit. Mais je ne souhaite pas et je n'espère
pas que l'Europe s'appuiera sur le modèle anglais en matière agricole parce que sinon, nous
deviendrions totalement dépendants en matière alimentaire, en matière d'alimentation. Je ne
pense pas que les consommateurs européens souhaitent cela quand, dans le même temps, ils
nous demandent beaucoup d'efforts en matière de qualité, d'environnement, de bien-être
animal.
Q- ...Et de sécurité alimentaire.
R- Oui et de sécurité alimentaire, sur le plan sanitaire notamment. Donc, de ce point de
vue, je pense que les décisions à Bruxelles préservent les choix qui ont été faits, fin
2002, en matière de politique agricole jusqu'en 2013. Mais il va falloir très vite se dire,
"ce sera quoi après 2013 ?". Et c'est la raison pour laquelle, après les avancées de Hong
Kong, après ce débat européen, ces décisions au niveau du budget de l'Union européenne, et
constatant aussi la très mauvaise année que nous venons de vivre en 2005, en France, au
niveau agricole, avec une baisse de revenus de l'ordre de 10 %, je demande pour le début de
l'année 2006, un rendez-vous chez le Premier ministre. Parce qu'il est grand temps de faire
le point avec le Gouvernement pour savoir là où nous allons et de quelle manière on va
pouvoir accompagner notre agriculture dans des mutations indispensables, dans des
adaptations indispensables. Les décisions qui ont été prises à Hong Kong vont toucher un
certain nombre de secteurs : je pense aux secteurs des produits laitiers, je pense aux
secteurs de la volaille, je pense même aux secteurs des grandes cultures et on voit aussi la
concurrence en matière de fruits et légumes ; donc, cela est lié à d'autres aspects, aux
aspects, notamment, de coûts de la main d'oeuvre. Je crois qu'il est grand temps que nous
fassions le point avec le Premier ministre pour dire de quelle manière on va garder une
véritable ambition pour notre agriculture.
Q- Mais "faire le point", vous avez l'impression qu'il y a eu une carence de réflexion sur
ce thème ces derniers mois, ces dernières années ?
R- Je dirais ces dernières années. Il est grand temps de donner de la lisibilité. On
constate une baisse importante des installations des jeunes, le monde paysan doute alors
qu'il est grand temps de lui dire, "voilà la direction où nous allons", et à partir de là,
que l'agriculteur retrouve confiance. Il aura confiance, évidemment, par les résultatsqu'il
fera sur son exploitation, mais il aura surtout confiance parce qu'on ne changera pas de
politique tous les matins. On ne peut pas réformer la politique agricole en 2003, avec une
application au mois de janvier, et se demander si cette politique ne va pas être changée
encore dans deux ans. On ne peut pas faire toutes ces réformes pour aller à d'organisation
mondiale du commerce et laisser penser que les cartes pourraient être rebattues le lendemain
matin. Nos agriculteurs ont besoin de lisibilité. Donc, il faut maintenant que le
Gouvernement dise, "sur le plan européen, voilà la ligne jusqu'en 2013 ; sur le plan
international, voilà la manière dont nous allons nous battre". Et à partir de là, conduisons
une politique s'appuyant sur la loi d'orientation agricole qui vient d'être votée.
Q- Mais est-ce que T. Blair n'a pas imposé une clause de révision dès 2008 ?
R- Il a imposé une clause de révision je crois, si j'ai bien compris, sur le budget de
l'Europe. Et il me semble qu'en même temps, il est lacté que pour la politique agricole, ce
qui a été décidé fin 2002, ne serait pas revu si la période 2007-2013 est désormais
clarifiée. Se pose la question d'un des éléments de la politique agricole, qui est la
politique de développement rural. Et là, je regrette beaucoup, alors que tout le monde
reconnaît que l'agriculture est un secteur économique très important en matière d'emplois,
très important en matière d'aménagement du territoire, qu'on baisse la garde, qu'on n'ait
pas plus d'ambition que cela en matière de politique de développement rural. Mais on peut en
parler même avec le Gouvernement.
Q- Cela fait beaucoup de boulot pour D. de Villepin... Il a promis une année utile, vous
allez le voir à l'oeuvre.
R- J'espère que ce sera une année meilleure pour le monde paysan parce qu'on ne peut pas
vivre une autre année comme celle que nous venons de connaître, dans bon nombre de
productions.
Q- Qui, aujourd'hui, dans la classe politique défend le monde agricole : J.-M. Lemétayer, J.
Bové ou D. de Villepin ?
R- En tous cas, je ne fais pas partie de la classe politique, je suis au service de
l'ensemble des paysans français. Mais j'aimerais que, sans différenciation au sein du monde
politique, tout le monde ait une vraie ambition pour l'agriculture et le monde paysan
français.
Q- Et le monde agricole jouera un rôle de pression dans les campagnes politiques qui
s'annoncent, et dieu sait s'il y en a dans les mois qui viennent...
R- J'aimerais, effectivement, de ce point de vue-là, qu'on ait de l'ambition pour
l'agriculture, pas seulement quand il y a la campagne électorale,parce que c'est vrai que
quand on se met à sillonner les routes de France, ces belles routes de campagne, que tout le
monde apprécie, qu'on n'ait pas une pensée pour l'agriculture qu'à ces moments là, qu'on en
ait tout le temps. Et que le budget de l'agriculture soit un budget ambitieux pour faire en
sorte que notre agriculture reste ce secteur économique et social qu'attendent les Français.
Nous sommes capables de participer à la lutte contre le chômage ; les emplois de
l'agriculture, en France, c'est 14 à 15 % des emplois. Donc je pense qu'on a notre rôle à
jouer et le Gouvernement doit pouvoir s'en rendre compte.
Q- La vigilance à laquelle J. Chirac appelle l'ensemble des interlocuteurs et des acteurs
autour de la politique agricole, c'est le mot qu'il faudrait ressortir ? N'allez-vous pas
perdre beaucoup le jour où il ne sera plus à l'Elysée ?
R- Je pense qu'il faut qu'il y ait une unanimité de vue sur les enjeux que représente
l'agriculture dans notre pays. Cela vaut pour les politiques, cela vaut pour l'ensemble du
monde économique. J'ai eu l'occasion de m'expliquer récemment avec L. Parisot, la présidente
du Medef, par rapport à ces négociations à l'organisation mondiale du commerce. Les
industries agro-alimentaires dans certaines régions de France, c'est le tissu même de ces
régions, tissu économique et social de ces régions. Et je crois que même avec l'ensemble des
syndicats de salariés, tout le monde doit comprendre ce que représente notre grand secteur.(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 décembre 2005)