Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur la construction européenne et l'Europe sociale, à Paris le 21 janvier 2006.

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Circonstance : Table ronde sur le thème "Le modèle social européen ou le mirage de Lisbonne"-émission "Les rendez-vous citoyens de l'économie" sur Public Sénat, le 21 janvier 2006

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Texte intégral

M. Henry Lauret - Merci Monsieur le Président d'avoir recadré le débat. On ne pouvait pas mieux faire. Surtout dans un contexte historique parce qu'on voit bien aujourd'hui que nous sommes, à nouveau, à la croisée des chemins, et les propositions françaises, Madame Colonna, en matière de dynamisation, précisément, de l'économie. Il y a en ce moment, je dirais, un petit frémissement. Vous participez, la France participe, bien entendu à ce frémissement. Et en même temps on a le sentiment que, tant du point de vue de la méthode que des objectifs, et bien il y a encore là beaucoup de défiance.
Mme Catherine Colonna - Je vais commencer peut-être par quelques mots de problématiques, avant que, dans le débat, on en vienne davantage à des mesures concrètes. Et dans des termes, vous le verrez, et vous le verrez Monsieur le président, assez peu différents de ce qu'a employé Jacques Delors, que vous avez employé, sauf sur l'appréciation finale du jugement prématuré sur la stratégie de Lisbonne qui n'en est qu'à mi-parcours. D'abord, qu'est-ce que Lisbonne ? C'est une tentative de conciliation de l'économique et du social dans la longue tradition de la construction européenne, adaptée à l'évolution du monde, à l'évolution du moment, avec des interdépendances accrues, des adaptations encore plus nécessaires. Mais on est dans une certaine continuité.
Alors, comment l'Europe peut-elle concilier davantage le dynamisme économique dont elle a besoin, pour la croissance et pour l'emploi, évidemment, et la dimension sociale à laquelle elle est attachée, et à laquelle tous les pays européens sont attachés. Cette question est centrale dans le débat français, et centrale dans le débat européen. Elle a été au coeur du débat français au moment de la campagne référendaire, c'est une évidence, il y a même eu dans une sensibilité particulière, et parfois exacerbée, pour ne pas dire excessive, et c'est le mot qui venait à l'esprit d'Henry Lauret. On a vu les inquiétudes, les préoccupations se manifester dans la société française. En fait ce sont des questionnements qui traversent chacune des sociétés européennes, puisqu'elles sont confrontées en réalité aux mêmes défis. Tous les débats sur la mondialisation, l'apport de l'Europe dans la mondialisation, sa valeur ajoutée, ou l'insuffisance de la protection qu'elle procure par rapport à ce qu'en attendent les citoyens tournent en réalité autour de ça. Les débats sur la proposition de directive services, les débats sur les délocalisations, les débats que nous avons eus récemment sur le budget, c'est un peu les mêmes questionnements.
Alors, nous l'avons vécu nous, en France, au cours de l'année passée d'une façon un peu particulière, et qu'explique le contexte référendaire, mais ce sont des questions qui se posent à tous les pays européens, de même qu'à l'Union européenne en tant que telle. Nous avons un certain nombre de lignes directrices dans notre réflexion, avant d'en venir à Lisbonne et à son application. D'abord je crois profondément, comme tous ceux qui sont attachés à l'Europe, et qui le sont ne serait-ce que parce qu'ils ont encore un peu de bon sens, et que l'expérience nous permet de constater ce qu'elle nous a apporté. Je crois que la question n'est pas d'opposer l'économique et le social. Cela va de soi, mais comme on entend certaines voix dans des gouvernements amis et géographiquement proches, dirent le contraire, comme on a entendu certain commissaire européen, qui n'est plus commissaire aujourd'hui, celui auquel je pense, contester cette approche. C'est une évidence pour nous tous mais je tiens à la réaffirmer d'emblée. Il n'y a pas d'opposition entre l'économique et le social. Le problème n'est pas de devoir choisir entre l'un ou l'autre. Le problème est d'arriver à bien les concilier. Ce serait évidemment une erreur de raisonnement de les opposer, et il nous faut bien évidemment à la fois de l'efficacité économique et une dimension sociale. Et, évidemment un bon système social est, en lui-même, facteur de création de richesses. Les deux sont étroitement et indissociablement liés.
Je prends quelques exemples : qui pourrait dire que les programmes efficaces en matière de formation professionnelle ne sont pas utiles à la croissance et au dynamisme économique ? Qui pourrait dire qu'une politique exigeante en matière de santé des salariés n'est pas utile à l'efficacité économique ? Ce sont aussi des facteurs de la compétitivité. Autre exemple, et je remercie le président Delors de l'avoir souligné parce que c'est un sujet sur lequel nous souhaitons que l'Europe travaille davantage dans les années qui viennent : la démographie. La démographie est un facteur de croissance, bien souvent même un différentiel de croissance. Il faudra qu'à la suite des premières orientations de Hampton Court, l'Europe en tant que telle, l'Union européenne travaille à ce que pourraient être des politiques permettant d'avoir une meilleure démographie dans nos sociétés le plus souvent vieillissantes, et le plus souvent, à une ou deux exceptions près, dont celle de notre pays, en recul démographique. Donc, pas d'opposition, et la nécessité d'une conciliation.
Deuxième élément de réflexion : tous nos pays évidemment ont une tradition, une histoire tout simplement, une sensibilité différente sur ces questions, et pourtant tous se rejoignent. C'est là qu'il n'y a pas un modèle européen, mais qu'il y a pourtant, entre les Européens, quelque chose qui évidemment nous réunit. Au-delà de nos différences, et au-delà des caricatures que l'on entend trop souvent dans le débat politique, les Européens partagent un certain nombre de valeurs communes. Valeurs communes, d'ailleurs qui sont souvent nées sur le continent européen comme la lutte contre toute forme de discrimination. Qu'on soit Français, Britannique ou Danois, cela nous rassemble ; la préoccupation de l'égalité de traitement entre les sexes ; un niveau suffisant, je ne dis pas minimal parce que le terme pourrait prêter à polémique, mais suffisant de protection sociale, la solidarité entre les générations ; le rôle des partenaires sociaux et du dialogue social ; la fourniture par la puissance publique, étatique ou européenne, d'un certain nombre de services d'intérêt général. Ce sont des principes et des valeurs communes que nous avons en partage, avec des nuances bien sûr. Il ne faut pas prétendre que nous sommes tous identiques. Cela n'est pas le cas. Mais nous partageons un corpus de valeurs et de principes communs. Et les Européens, tous unis, ont inscrit la plupart de ces principes dans la Charte des droits fondamentaux, qui est adoptée, même si on ne lui a pas encore donné de valeur juridique, il faudra pour ça que le traité constitutionnel soit ratifié. Cette Charte existe depuis 2000.
Troisième élément de réflexion : essayons de voir ce qui nous unis, parce que j'ai la conviction que c'est tous ensemble que nous pourrons trouver des solutions. Chacun en partageant nos expériences, bonnes ou moins bonnes. Chacun en essayant de réfléchir sur un certain nombre d'exemples et sur la pratique de l'autre. Et ce n'est pas en opposant, comme on l'a fait un petit peu trop avant l'été, l'immobilisme des uns à la prétendue modernité des autres, ou plus fondamentalement en s'engageant dans une déconstruction de la démarche communautaire avec un moindre intérêt pour la démarche d'harmonisation et de recherche davantage compétitive et pas donc pas dumping social, pas de dumping fiscal en Europe. Ce n'est pas comme ça que nous progresserons. Le choix n'est pas entre eux la protection d'un côté, l'audace de l'autre, les anciens, les modernes. Ce sont des plaisanteries. Et la bonne solution n'est pas d'opposer théoriquement modèle contre modèle. Je crois qu'il n'y a pas un modèle européen unique. Mais il n'y a pas non plus à tenter de faire prévaloir notre modèle français, si tant est qu'il existe, contre le modèle britannique, si tant est qu'il existe, ou le modèle danois, si tant est qu'il existe. Chaque société a ses caractéristiques et essaye de répondre, selon sa tradition et ses sensibilités, à des défis qui sont des défis communs.
Voilà simplement les trois points que je voulais rappeler, en introduction de ce débat, parce qu'ils guident notre réflexion commune. Nous avons des approches bien plus communes qu'il ne semble et on sait aussi évidemment, comme tous les intervenants l'ont dit jusqu'ici, que la solution, et c'est là que j'en revient à Lisbonne, c'est l'addition de l'efficacité des politiques économiques et sociales des Etats, qui ont leurs responsabilités. Je dirais même qu'ils ont la responsabilité première de cette recherche d'une meilleure conciliation. De l'addition donc de ces politiques et de la politique de l'Union européenne. Alors, j'en arrive à Lisbonne, et je m'arrêterais là puisque c'était bien ça l'ambition de Lisbonne. La stratégie, j'en suis convaincue, est la bonne. Mais le problème c'est qu'elle n'était pas bien adaptée. On est à mi-parcours. Lisbonne, c'est 2000. L'objectif c'est 2010. On est début 2006. Il est prématuré de prononcer, avant l'heure, l'échec de cette stratégie. En revanche il n'est pas trop tard pour se bouger ou se dépêcher. C'est donc ce que l'Union européenne a fait en 2005, le constat que l'on était pas pleinement sur la trajectoire attendue, et donc la décision de rechercher un surcroît d'efficacité dans l'application de cette stratégie par ce qu'on appelle les programmes nationaux de réforme. Le nom n'est pas très sexy, mais si l'efficacité est au bout, tant mieux. Depuis le Conseil européen de mars dernier, tous les Etats membres de l'Union européenne ont dû s'efforcer de faire ce qu'ils ne faisaient pas, c'est-à-dire de reprendre dans leurs politiques nationales, et dans leurs orientations de politiques futures, les priorités de la stratégie européenne, pour que les deux s'emboîtent, ce que l'on avait pas réussi à faire jusqu'ici. Et donc nous avons tous fait les programmes nationaux de réforme, nous les avons tous remis fin octobre à la Commission européenne et nous ferons le point un an après, donc au Conseil européen de mars, avec la recherche d'une appréciation de chacun de ces programmes et la recherche d'un surcroît d'efficacité par leur reprise nationale d'une stratégie globale. Voilà. Je m'arrête là pour le moment.
(...)
Mme Catherine Colonna - Un tout petit point d'information sur cette question importante, avec la question que par voie de conséquence se posait Noëlle Lenoir. Cela n'était pas suffisamment présent dans la formation des maîtres ni dans l'évaluation des connaissances des élèves. Et parmi les priorités retenues par le gouvernement nouvellement formé, et formé après l'échec du référendum, un certain nombre de décisions ont été prises dans ce domaine. Pour d'une part que dans les instituts de formation des maîtres, on trouve un minimum, en tout cas davantage qu'aujourd'hui, de formation pour ce qui concerne toute l'histoire de l'Europe, comme le disait Jean-Marie, et la construction européenne, ses mécanismes, ses institutions. On part de presque rien, c'est regrettable. Il faudra, c'est une action à moyen terme, il faudra une génération en retrouver des effets de citoyenneté, mais évidemment c'est un bon investissement.
Deuxièmement, dans le socle commun des connaissances, ce qui est en train d'être élaboré dans le cadre de la loi d'orientation sur l'école, qui est en phase finale, il y aura également un enseignement sur ce qu'est l'Europe et ce qu'est la construction européenne. Cela n'existait pas, je le regrette, mais ça va être fait. Nous travaillons avec le ministère de l'Education nationale là-dessus.
Et troisièmement, pour boucler le dispositif et s'assurer que tout ça est fait avec suffisamment de sérieux, dans le brevet des collèges, de mon temps on disait BEPC mais c'est le brevet des collèges maintenant, il peut à l'heure actuelle y avoir des questions qui portent sur l'Europe, mais ça n'est pas systématique, et désormais ce sera systématique. Voilà, trois directions importantes. Donc, il ne faut pas attendre d'effet de levier immédiat. Mais je crois que c'est comme ça qu'on construit l'avenir.
(...)
Mme Catherine Colonna (Sur Erasmus) - Le Conseil a transmis au Parlement européen une proposition de budget. Par définition, je dois considérer que c'est une bonne proposition puisque la France l'avait acceptée. Néanmoins, si sur Erasmus, Erasmus et Leonardo, le Parlement européen veut améliorer le projet de budget qui lui est transmis, nous ne serons pas contre, mais je vous informe que le Premier ministre, Dominique de Villepin, a souhaité qu'on puisse doubler à terme le nombre de bourses Erasmus. J'avais fais la même proposition. Depuis quelques mois nous nous battons pour cela. C'est déjà 25 000 jeunes Français qui en bénéficient. Mais Erasmus, c'est les étudiants. Il faut pas seulement les CSP plus, si j'ose dire, pour faire l'Europe. Donc il y a Leonardo qui est un autre programme, qui s'adresse aux apprentis, qui est important. Donc faisons mieux pour les deux.
(...)
Mme Catherine Colonna - (Question sur le référendum) Votre question, monsieur, ne se réfère pas tout à fait à l'objet du débat d'aujourd'hui, un peu loin de Lisbonne, et un peu trop près du référendum. Enfin quand même, les deux étaient été liés, bien que bien malin celui qui sait décrypter dans le détail les raisons de tel ou tel vote, celui-ci comme d'autres.
Alors, juste une chose, les présentations politiciennes, je reprends votre adjectif, je ne vais pas polémiquer. Je n'en ai pas l'habitude, c'est pas mon caractère et je ne crois pas que ce soit bien souvent nécessaire. Cela n'a pas été celle des responsables français dans leur grande majorité. Cela a été plutôt celle des propagandistes du non, dont certains d'entre eux, sciemment, et c'est cela qu'on peut leur reprocher, sciemment, ont raconté des salades aux gens, pour parler clair, puisqu'on est samedi et entre nous.
Q - Le plan B, il est où ?
R - Posez la question à ceux qui prétendaient qu'il existait. Donc, le peuple français a eu le choix. Il y avait deux textes, le texte actuel et un texte dont je continue à penser qu'il était un bien meilleur texte. Voilà, le Français a eu le choix. Je ne veux pas, que dans la fin de votre question, et en l'absence de réponse de notre part, certains ici puissent penser qu'il n'y avait pas le choix. Il y avait le choix. Ensuite chacun vote, Jean-Marie a dit le reste.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 janvier 2006